École pour tous : leur combat pour une trêve scolaire républicaine

Publié le 18/12/2023

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Pour célébrer la Journée internationale des droits de l’enfant, qui se tenait le 20 novembre, l’avocate Anina Ciuciu, infatigable défenseuse des droits des enfants à la scolarisation, organisait une conférence théâtralisée à l’Assemblée nationale quelques jours plus tard. Des jeunes, membres du collectif École pour tous, y ont joué des saynètes de leur propre vie pour raconter leurs rêves rendus impossibles par les difficultés à poursuivre leur scolarité. Leur objectif ? Instaurer une trêve scolaire républicaine, sur le modèle de la trêve hivernale, afin d’assurer la continuité pédagogique pour les enfants des bidonvilles, hôtels sociaux ou sans domicile fixe.

Ses souvenirs d’enfance sont flous, mais marqués par cette question récurrente : « Où allons-nous ? » Debout au milieu de la salle Victor Hugo de l’Assemblée nationale, Allen, 19 ans, raconte son parcours. Originaire de Bosnie, rom, il arrive en France à 11 ans et vit dans une baraque au cœur d’un bidonville. « J’adorais aller à l’école », se rappelle-t-il. Une façon de « récompenser mes parents pour tout ce qu’ils faisaient pour mon frère et moi ». Son père construisait des maisons « même si nous n’en avions pas » ! De là naît son rêve de devenir architecte. Mais après une expulsion, le temps passe et le retour à l’école, où il subissait des moqueries et n’avait même pas le temps de se faire des amis, ne se produit pas. Il prend du retard. À deux semaines de son examen de fin d’année en classe de seconde, il est de nouveau expulsé. Son rêve est alors brisé, afin de le matérialiser, le 27 novembre, il dépose un casque de chantier symboliquement devant quelques députés pour les sensibiliser à la question.

Car Allen est loin d’être le seul à avoir dû abandonner son rêve. Selon la ministre des Solidarités, Aurore Bergé, 80 000 enfants sont mal logés en France dont au moins 40 000 non scolarisés. Le Défenseur des droits évoque, lui, au moins 100 000 enfants dans ce cas. Seule certitude, les données concernant des enfants vivant en bidonvilles, squats ou hôtels sociaux, des mineurs non accompagnés (MNA), des enfants du voyage, de Mayotte ou de Guyane, sont sous-évaluées. Anina Ciuciu, avocate d’origine rom qui a fait de leur droit à l’école son combat principal, marraine du collectif École pour tous, rappelle que l’accès à l’éducation est un droit fondamental. Un droit qui lui a été dénié, à elle aussi, quand elle est arrivée en France. Après tant de luttes, obtenir son diplôme de l’École du barreau est devenu synonyme d’un combat à porter pour tous les autres enfants. Depuis cinq ans, Anina Ciuciu a fait avancer la cause avec l’adoption de l’article 16 de la loi « pour une école de la confiance », les interdictions des sorties sèches de l’Aide sociale à l’enfance dans la loi Taquet, ou encore l’expérimentation de la médiation scolaire… Mais il faut aller plus loin…

L’urgence d’instaurer une trêve scolaire

En novembre 2022, Anina Ciuciu organise un brunch parlementaire afin de sensibiliser les députés au sort des enfants non scolarisés. Dans la foulée se crée un groupe de travail transpartisan d’une dizaine de parlementaires qui se penchent sur la question d’une trêve scolaire républicaine, sur le modèle de la trêve hivernale impulsée en son temps par l’Abbé Pierre. L’avocate se réjouit : « Ce sujet de société doit dépasser les clivages ». Mais force est de constater que l’ensemble de l’échiquier politique n’est pas représenté, en dehors des partis de gauche et centristes. L’urgence du logement rejoint celle de l’école… Depuis le début de l’année scolaire, le nombre d’enfants à la rue ne fait que croître : ils étaient 1 990 à vivre à la rue en septembre, 2 822 en octobre, au moins 3 300 en novembre. Membre de ce groupe de travail, Ségolène Amiot, députée LFI de la 3e circonscription de la Loire-Atlantique a alerté que dans le budget 2024, les moyens consacrés à la précarité des enfants ne seront pas suffisants, alors que 2,4 millions de demandes pour un logement social attendent d’être validées. À la Réunion, la moitié des enfants vivent sous le seuil de pauvreté. À Mayotte, c’est 80 % des enfants. « Cela interroge sur notre devise républicaine de liberté, d’égalité et de fraternité », a-t-elle souligné lors de cette soirée théâtralisée. Sans compter les conséquences en cascade pour ces enfants non scolarisés qui se retrouvent exclus des campagnes de vaccination ou sous-détectés quand ils subissent des violences intrafamiliales… Et comment répondre à cette incohérence qui rend l’école obligatoire à partir de 3 ans aux yeux de la loi, sauf pour ces enfants sans logement fixe ? « Nous ferons une proposition de loi si le gouvernement ne lance pas de projet de loi lui-même », a asséné, lucide, Anina Ciuciu. L’autre députée présente Sandra Regol, secrétaire nationale adjointe d’EELV et députée de la 1er circonscription du Bas-Rhin, également membre du groupe de travail parlementaire, a insisté sur la situation indigne de la France, qui se retrouve « en porte-à-faux avec les textes nationaux comme internationaux ». Il faut faire en sorte que ces droits, qui existent, « deviennent réellement effectifs ». « Ces enfants ont droit à un avenir à travers une éducation ».

En effet, du point de vue légal, ce droit est inscrit dans plusieurs corpus. La France n’a-t-elle pas été le premier pays à instaurer l’instruction obligatoire et gratuite pour tous les enfants, dès 1881 ? Forte de cette histoire, elle a aussi inscrit ce droit dans le Préambule de la Constitution, et dans le Code de l’éducation qui affirme que l’éducation pour tous est « la priorité absolue nationale », a rappelé Anina Ciuciu, sans oublier la Convention des droits de l’enfant. Dans ce texte, « il est inscrit l’égalité d’accès de l’école à tous les enfants mais aussi que les États signataires doivent mettre en œuvre les mesures nécessaires pour assurer l’effectivité de ce droit ». Il faut donc tout mettre en œuvre pour le rendre effectif. Déjà expérimentée à Marseille, la trêve scolaire, « a fait ses preuves. Sans expulsion pendant leur année scolaire, les enfants acquièrent bien leurs fondamentaux et en allant régulièrement à l’école, cela participe aussi de l’insertion professionnelle de leurs parents ». Anina Ciuciu demande donc au ministère de l’Éducation nationale l’instauration par décret ou par une expérimentation sur l’ensemble du territoire. « Il suffit pour cela d’une décision ministérielle », a-t-elle plaidé, au lieu du long chemin législatif envisagé.

« Un sentiment d’injustice »

Denisa Zaharia, fait partie des membres du collectif École pour tous présents ce soir. À cause d’une expulsion, elle a décroché en CM2. Rien d’étonnant car une expulsion se traduit en moyenne par une tenue à l’écart de l’école de 6 mois. Un temps trop long qui, multiplié, entraîne un décrochement scolaire. Quand Denisa et sa famille se retrouvent expulsées de leur bidonville à Saint-Denis, elles n’ont aucun autre endroit où s’installer pendant sept mois. Elle s’en souvient bien : d’avril à novembre, elle n’a pas pu aller à l’école. Quand elle reprend les cours enfin, en 6e, elle réalise qu’elle « n’a plus le même niveau que ses camarades de classe ». Cette reprise, qu’elle espérait tant, lui cause beaucoup de soucis : « j’avais un sentiment d’injustice, j’avais pris du retard. Je voyais bien que j’étais à un niveau inférieur des autres ». Mais elle s’accroche, et sous les encouragements de ses parents, elle finit par décrocher un bac pro administration en 2019. Une « énorme réussite ». Mais tout ne se passe pas aussi bien pour Denisa Dedic, 17 ans, une autre membre du collectif. Originaire de Bosnie, pour le moment, ses études sont à l’arrêt. Son arrivée en France en 2010 a été émaillée des difficultés habituelles rencontrées par les enfants migrants, de surcroît sans titre de séjour. Elle a connu une scolarité en dents de scie. À cause des conditions de vie, elle ne peut aller à l’école aussi régulièrement que les autres enfants. Après un an d’hôtel social, la famille est remise à la rue, avec un bébé de moins d’un an. « C’était insalubre, se souvient Denisa Dedic. Mes parents se sont plaints, il y avait des usagers de drogue. Les problèmes d’hygiène, l’insécurité étaient évidente, surtout avec des enfants en bas âge ». Ils vivent à cinq dans une voiture. Finalement, la famille part à Mulhouse, où elle va de parents en parents. Mais elle ne se sent jamais chez elle. « On nous reprochait de ne pas aller à l’école. Mais les directeurs ne comprenaient pas notre situation, qu’on arrivait parfois sans avoir dormi, sans avoir mangé. ». De retour à Montbéliard, où elle vit actuellement, elle se retrouve dans l’impossibilité de passer son brevet, mais aimerait reprendre un apprentissage dans le commerce. Mais pour cela, elle rêve d’un titre de séjour. À ses côtés, Denisa Zaharia raconte la genèse de la représentation théâtralisée de ce soir, où elles ont toutes deux pu raconter leur parcours, avec leurs mots. « La pièce de théâtre a été conçue lors de la dernière rencontre nationale du collectif, avec pour objectif d’instaurer une trêve scolaire. C’est une urgence, une nécessité, il y a des centaines de milliers d’expulsés, et parmi eux des enfants qui ne pourront pas finir leur année scolaire, déplore-t-elle. J’ai été discriminée dans l’accès à l’éducation. J’avais ce droit et j’en ai été empêchée ». C’est le sens de son engagement : que les générations suivantes d’enfants, quelle que soit leur situation administrative ou familiale, puissent, tout simplement, aller à l’école. Et donner ainsi toutes leurs chances à leurs rêves de se réaliser. « Chaque jour qui passe éloigne encore davantage ces enfants de l’école et creuse l’écart entre ceux qui y vont et ceux qui n’y vont pas », plaide Anina Ciuciu.

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