Explosion rue de Trévise : les avocats des victimes se tournent vers le Conseil d’État
Lors d’une réunion qui s’est tenue le 28 juin dernier, les victimes de la catastrophe survenue le 12 janvier 2019 rue de Trévise ont exprimé leur colère contre la municipalité qui refuse de les indemniser. Leurs avocats ont annoncé solliciter l’arbitrage du Conseil d’Etat sur la querelle juridique qui les oppose à la Ville de Paris.
Delphine Bürkli, la maire (LREM) du IXe arrondissement de la capitale qui les soutient depuis trente mois, les accueille en salle du Conseil. Ce lundi à 18 heures, une centaine de sinistrés ont rendez-vous avec les représentants de la Ville de Paris, de la préfecture d’Île-de-France, de l’assureur Generali et de GRDF (Gaz Réseau Distribution France) (voir encadré). Frédéric Bibal, l’avocat de la Fédération nationale des victimes d’attentats et d’accidents collectifs (Fenvac) a une annonce à faire : son confrère Bernard de Froment va demander au Secrétaire général du gouvernement de saisir le Conseil d’Etat afin qu’il se prononce sur « les points techniques qui font encore débat » (voir encadré).
Les travaux de réhabilitation bloqués par les experts
La Ville affirme en effet qu’il lui serait impossible de verser des provisions tant que « les fondements juridiques de la responsabilité sans faute n’ont pas été étudiés ». La Fenvac ne partage pas cette analyse, d’où l’idée de s’en remettre à la plus haute juridiction administrative. La signature de l’accord-cadre ouvrant droit aux indemnisations, que les victimes attendent depuis des mois, est donc de nouveau suspendue en attendant la réponse du Conseil d’Etat. Au mieux, elle sera connue lors de la prochaine assemblée des riverains, le 13 septembre. C’est une nouvelle déception pour les rescapés du drame qui comprennent que rien ne bougera avant l’automne, dans le meilleur des cas. Me Bibal le confirme. Ils attendaient beaucoup de cette réunion organisée par Dominique Paris, la présidente de l’association Trévise-Ensemble, et Delphine Bürkli. Ce n’est que la première désillusion…
Autre déconvenue : Pierre-Adrien Hingray, le chef du service « gestion de crise » de la mairie, revenu à la manœuvre après plusieurs mois d’absence, annonce que les travaux de réhabilitation des trottoirs, obligatoires avant que ne soit entreprise la reconstruction des édifices éventrés, sont reportés à…plus tard. Les habitants provisoirement relogés patienteront. « Il faut que les experts, mandatés au pénal et au civil, s’accordent entre eux. Pour l’instant, faute de consensus, ils bloquent la réfection », explique-t-il.
Brouhaha dans la salle :
« – On entend ça depuis deux ans ! Vous nous prenez pour des idiots ?
– Je n’ai pas de pouvoir sur les experts. Je les réunis la semaine prochaine pour voir ce qu’il est possible de faire.
– Le plus tôt sera le mieux », tranche vivement Delphine Bürkli, rappelant qu’une médiation identique avait déjà été promise en mars.
Et puisque rien n’est simple, on apprend que les camions des entreprises ne pourraient de toute façon pas accéder au site car les trottoirs devant les numéros 4, 6 et 13 de la rue de Trévise se sont encore affaissés, pour la 5e fois depuis 2015.
« Paris va accueillir les JO sur une poudrière ! »
« Avez-vous au moins tiré les enseignements des causes de l’explosion ? », interroge un participant. Le fonctionnaire botte en touche : « Ce n’est pas le sujet du jour. » Sous les huées, il précise que « le secrétariat général de la Ville a repris la main ». « Vous êtes certain que c’est le bon service, cette fois ? », s’emporte une victime.
Applaudissements.
La colère est telle que tout y passe, des accidents de trottinettes et de vélos aux dix milliards de budget annuel de la Ville « alors que pour nous, il n’y a pas un euro ».
Dominique Paris évoque les multiples chantiers de la capitale, mettant en garde contre « les risques d’affaissement de trottoir susceptibles de causer une rupture de canalisation de gaz dans d’autres quartiers. En 2024, Paris va accueillir les Jeux olympiques sur une poudrière ! » Puis elle reproche à GRDF l’absence de réponses à ses lettres recommandées. L’association a demandé les plans des travaux avant et après le sinistre. « Nous ne les fournissons qu’à l’administration centrale, les canalisations appartenant à la Ville », rétorque l’émissaire de GRDF. « Et je vous rappelle que nous ne participons à vos réunions qu’à la condition de ne pas aborder le fond du dossier », croit-il bon d’ajouter.
Tonnerre de protestations : « Mépris ! », « arrogance », « bonjour la transparence… »
L’opération d’Inès reportée, faute de prise en charge
Depuis trente mois au chevet des personnes gravement blessées, dont elle s’occupe bénévolement, une jeune Espagnole prend la parole : « Qu’avez-vous l’intention de faire pour celles qui ne sont pas rétablies ? » Le chef de service Pierre-Adrien Hingray se déclare incompétent. Une conseillère de Nicolas Nordman, l’adjoint en charge de la prévention et de la sécurité, promet que l’association « Paris Victimes va revenir vers elles ». Elle parle de « l’incident » qui les a frappées, suscitant à nouveau le tumulte. « Vous appelez ça un incident ?! », s’écrient des intervenants.
« Et Inès… », perçoit-on par-delà les éclats de voix. Inès est la serveuse de l’hôtel Ibis Styles transportée par hélicoptère tant son pronostic vital était engagé. Elle est à nouveau hospitalisée. « Generali a en partie pris en charge ses graves dommages corporels, mais l’assureur a oublié d’avancer les frais de sa 39ème opération prévue en juin, qui a dû être reportée », confie Dominique Paris en aparté.
« Il faut que ça cesse, s’emporte Delphine Bürkli. Les victimes ne peuvent plus être considérées comme des balles de ping-pong. » C’est le mot de la fin. La petite foule se disperse en maugréant contre GRDF et Anne Hidalgo, principales cibles de leur exaspération.
Dominique Paris ne se dit « guère optimiste. Je n’y crois plus. Récemment, un architecte nous a indiqué que, selon lui, les travaux de remise en état ne commenceront pas avant 2022. A ce train-là, personne ne rentrera chez soi. Nous serons tous morts ».
GRDF assigné en référé
La filiale d’Engie, « acteur principal du risque » selon les avocats des victimes, est assignée par ces-derniers en référé, le 1er septembre prochain ; ils réclament que « le distributeur s’investisse dans le dispositif indemnitaire », bien qu’il n’ait pas été mis en examen. A ce jour, au motif qu’il ne s’estime pas responsable, GRDF n’a dédommagé ni les familles des quatre morts ni les 66 blessés, pas plus que les quelque 500 riverains affectés par l’explosion, le 12 janvier 2019, d’une canalisation de gaz située au pied de l’immeuble du 6, rue de Trévise. Le dossier de la catastrophe se trouve depuis dans une impasse kafkaïenne, Anne Hidalgo ayant elle aussi refusé que son administration s’engage dans le règlement des compensations financières (notre enquête ici).
Quatre questions essentielles posées au Conseil d’État
Me Bernard de Froment, associé au cabinet Publica, espère que le Conseil d’État, dont il fut membre de 1987 à 2006, pourra trancher la querelle juridique qui oppose les victimes de la Rue de Trévise à la Mairie de Paris. Il a rédigé des questions qu’il adressera au Secrétaire général du gouvernement, habilité à saisir la plus haute juridiction de l’ordre administratif. Son analyse du dossier de l’explosion de la rue de Trévise l’a amené à déterminer quatre points essentiels :
1 – Une collectivité territoriale peut-elle indemniser à titre provisionnel des victimes dès lors que sa responsabilité pénale peut être reconnue ?
2 – La Ville de Paris peut-elle passer un protocole d’accord avec les autres parties (GRDF, Syndic, assureurs) pour indemniser à titre provisionnel les victimes et, dans l’affirmative, quelle peut être la répartition des sommes versées ?
3 – L’indemnisation suppose que la Ville de Paris créée une association dont elle sera membre, est-ce juridiquement possible ?
4 – L’indemnisation des victimes correspond-elle à un intérêt public local de la Ville de Paris ?
« Ces questions n’entrent pas dans le cadre d’une procédure contentieuse, indique Me de Froment. Elles relèvent de la section de l’Intérieur du Conseil d’État, que dirige Sylvie Hubac, l’ancienne directrice de cabinet du Président Hollande. Sous réserve qu’elles lui soient transmises, nous pourrions espérer être fixés au mois de septembre. »
Référence : AJU228523