Face à la révolution du e-commerce, la douane s’adapte et renforce son activité
Les services douaniers d’Île-de-France ont constaté en 2020 une hausse de près de 19 % de leur activité. Plus de 467 000 articles ont été saisis ce qui représente 61 M€ de valeur contrefaite. Avec les aéroports, les grands axes routiers et les zones d’activité économique, le maillage douanier de la région francilienne est assez important. Les partenariats avec les titulaires de droit sont essentiels dans la lutte contre la contrefaçon. Avec la crise sanitaire, le e-commerce s’installe de plus en plus dans les habitudes des consommateurs. C’est dans ce contexte que la douane renforce et fait évoluer son activité. Actu-Juridique fait le point avec Jean-Roald L’Hermitte, directeur interrégional des douanes d’Île-de-France.
Actu-Juridique : Quel bilan global faites-vous de l’activité des douanes en Île-de-France à propos de la lutte contre la contrefaçon, en 2020 ?
Jean-Roald L’Hermitte : On a eu une année 2020 très fructueuse en matière de lutte contre la contrefaçon du point de vue douanier. En Île-de-France, la lutte contre les contrefaçons constitue une mission prioritaire car ce phénomène porte atteinte à l’économie légale en volant les efforts de R&D et de productivité des entreprises françaises et européennes et en détruisant de l’emploi. Les résultats de la douane et en particulier de la douane francilienne dans le domaine de la lutte contre les contrefaçons ont été remarquables en 2020 dans un contexte sanitaire compliqué. La douane est le gardien de la frontière entre le commerce licite et illicite. Cette année, on a constaté une augmentation de près de 19 % des articles saisis avec environ 200 constatations à fort enjeu. Ces saisis représentent plus de 467 000 articles saisis pour 61 M€ de valeur contrefaite. C’est un manque à gagner très important pour les entreprises dont les produits sont contrefaits. L’Île-de-France, par rapport au total national de 5,6 millions de contrefaçons, représente 8 % de ce total. En ce début d’année 2021, en renforçant les ciblages et les contrôles, nous avons déjà atteint la moitié des contestations marquantes de l’année dernière, soit 124, ce qui représente 251 580 produits contrefaits saisis depuis le mois de janvier 2021.
AJ : Cette évolution a-t-elle été favorisée par la crise sanitaire ?
J.-R. H. : Cette évolution est favorisée par un des effets de la crise sanitaire. Avec le confinement engendré par la Covid-19, les consommateurs ont donc reporté leurs achats vers le e-commerce avec des fournisseurs implantés dans des pays tiers à l’Union européenne (principalement en Asie) dont les livraisons sont assurées par les expressistes ou la Poste.
AJ : Comment définit-on juridiquement une contrefaçon ?
J.-R. H. : La définition juridique de la contrefaçon est complexe. Il y a trois sources principales. Le Code de la propriété intellectuelle prévoit une sanction des infractions de contrefaçon au titre de l’atteinte au droit de la propriété intellectuelle. Ce peut être la contrefaçon de marque, de dessin, de droit d’auteur ou de brevet. C’est une violation à toutes les interdictions prévues pour protéger le droit de propriété intellectuelle. Si ce droit est utilisé sans autorisation du titulaire, il y a contrefaçon. Ensuite, le Code des douanes définit la contrefaçon comme étant des marchandises prohibées à l’importation et à l’exportation ou des marchandises soumises à des restrictions de circulation nationales ou communautaires. Cet article 38 du Code des douanes fonde l’intervention du service à l’importation, à l’exportation, à la circulation dans des véhicules, dans les locaux professionnels ou dans les domiciles, partout sur le territoire français. Enfin, le Code pénal prévoit toutes les qualifications des contrefaçons comme sur les biens d’autorité publique (billet de banque, pièce de monnaie, timbre, …).
AJ : Quelles sont les procédures d’utilisation de ces outils juridiques ?
J.-R. H. : Dans la pratique, il y a d’abord la demande d’intervention, indépendamment du dépôt de la marque ou du brevet. Cette demande va matérialiser le partenariat entre la douane et les titulaires de droit. Cet acte permet à la douane d’agir par rapport à une contrefaçon détectée. Le titulaire de droit doit demander à la douane de signaler la présence de marchandises qui portent atteinte à sa marque pour les retirer rapidement du marché. Pour cela, il faut donner la faculté de retenir les marchandises, pour laisser le temps au titulaire de droit de vérifier si c’est bien une contrefaçon. Puis, il y a aussi la collaboration entre le titulaire de droit et la douane sur les informations qui permettent de confirmer le caractère contrefait.
AJ : Comment réussissez-vous à identifier les contrefaçons ?
J.-R. H. : Pour identifier une contrefaçon, il faut en effet avoir la marchandise sous la main et pouvoir dialoguer avec la marque. Sauf en cas de contrefaçons facilement identifiées par les douaniers, la procédure, en cas de doute, consiste à retenir la marchandise et solliciter le titulaire de droit qui nous désigne un expert qui va confirmer ou pas le caractère contrefaisant. Les douaniers inspectent la marchandise, prennent des photos, prélèvent parfois des échantillons. Les marques connaissent leur produit, elles mettent des moyens d’identification que nous connaissons ou que nous ne connaissons pas. C’est donc la marque qui vient confirmer en cas de doute la présence d’une contrefaçon. La solidité juridique de la constatation est fondamentale. En cas d’action en justice, il faut être en mesure de prouver le caractère contrefait. L’expertise du titulaire de droit est pour nous une garantie qui consolide notre constatation.
AJ : Quels produits ont été le plus contrefaits en 2020 en région Île-de-France ?
J.-R. H. : En 2020, on a saisi plus de 220 000 masques et ce phénomène se poursuit actuellement. Très récemment, nous avons effectué une nouvelle saisie sur plusieurs centaines de milliers de masques. La douane joue un rôle important dans l’identification des masques qui ne répondent pas aux normes de mise sur le marché. Après les masques, on avait classiquement tout un ensemble de matériels qu’on a l’habitude de saisir et de protéger comme les écouteurs, les chargeurs de téléphone portable qui représentent près de 70 000 objets saisis. Ensuite, il y a 42 860 paires de chaussures saisis en 2020. Au titre de l’année 2021, on vient de réaliser une saisie de 120 000 chaussures à Aubervilliers. Enfin, il y a toujours autant de vêtements, de sacs et de bijoux contrefaits. Ces trois types de biens représentent 41 M€ de produits saisis en 2020, dans la région Île-de-France.
AJ : De quelle manière travaille les douanes en région Île-de-France ?
J.-R. H. : Les services douaniers en Île-de-France sont forts de 1 200 agents. Plusieurs services interviennent.
La douane (soit son Service d’analyse de risque et de ciblage, soit les bureaux de douane) analyse les flux déclarés pour détecter les flux et opérateurs à risque, puis crée des profils de sélection des déclarations à contrôler et enfin contrôle les colis.
Les bureaux de douane en Île-de-France sont basés à Paris, Aulnay-sous-Bois, Marne-la-Vallée, Rungis, Gennevilliers, Trappes-Pissaloup, Corbeil-Évry. Ces bureaux traitent aussi bien du fret traditionnel que du fret express. Nous disposons ainsi de bureaux de douane spécialisés : sur l’aéroport de Roissy qui traite le flux aérien de cargo, mais aussi un centre très important à Chilly-Mazarin qui réalise des saisies très importantes sur le flux postal. Demain, nous aurons aussi des services spécialisés sur d’autres centres de distribution comme à Chelles.
Les fraudeurs utilisent de nombreuses méthodes de livraison, dont celui de la commande sur internet suivi d’une livraison par fret express ou postal. C’est souvent de la vente BtoC dissimulée sous de la vente CtoC. Sous couvert de vente entre particuliers, se dissimulent parfois des entreprises frauduleuses. Il faut être sur le terrain pour ouvrir les colis, trouver, constater, poursuivre et réprimer. Demain nous aurons aussi des services spécialisés sur d’autres centres de distribution comme à Chelles. L’Île-de-France est une région d’entreposage intermédiaire extrêmement importante avec de nombreux points de stockage avant mise sur le marché. C’est un domaine d’intervention prioritaire pour la douane et sur lequel on essaye d’agir de manière méthodique, à travers ce maillage de nos services. Parallèlement, la douane dispose de brigades (agents en uniforme) chargées de contrôler :
- les flux de voyageurs dans les aéroports, les gares ferroviaires et les gares routières (bus internationaux) ;
- les véhicules routiers sur les grands axes d’approvisionnement, mais aussi sur le réseau secondaire ;
- les marchés et les ventes à la sauvette.
Pour les brigades également, la sélection des véhicules et des personnes repose sur du profilage.
AJ : Comment la contrefaçon évolue-t-elle aujourd’hui ?
J.-R. H. : Longtemps la France a été en pointe dans la désignation de la contrefaçon comme étant une atteinte importante au marché. Toutefois, elle se sentait insuffisamment soutenue dans la lutte contre les contrefaçons, nos partenaires considérant qu’il n’était pas nécessairement opportun de délictualiser économiquement ces atteintes au droit de propriété. Nous constatons une évolution dans l’approche internationale de la contrefaçon avec une meilleure prise de conscience au niveau international de la gravité du phénomène et de la nécessité de renforcer au plan européen la lutte dans ce domaine.
L’Île-de-France est approvisionnée par de nombreux vecteurs : fluvial avec les conteneurs qui arrivent par l’axe Seine via le Havre, routier mais aussi aérien à travers l’activité de l’aéroport de Roissy mais aussi des aéroports d’affaires ou secondaires. La tendance majeure c’est le très fort développement du e-commerce (fret express et postal). Au niveau national, aujourd’hui, 29 % des contrefaçons sont constatées dans le cadre d’un lien avec le commerce en ligne. Il y a vingt ans, c’était 1 %. Ces saisies aujourd’hui représentent 60 % des procédures douanières.
Au 1er juillet 2021, le paquet TVA e-commerce va être mis en place. Jusqu’à maintenant, le fret express et postal bénéficiait d’une franchise de TVA pour les colis d’une valeur inférieure à 22 € avec une déclaration manuelle. Début juillet, tous les colis feront l’objet d’une taxation au premier euro et d’une déclaration électronique. Cela va permettre aux douanes d’accrocher à ces millions de déclarations du data mining, de l’analyse de risque, du ciblage. Ainsi, on va mieux connaître l’ensemble de ces flux. On va pouvoir mieux contrôler dans ces millions de colis, qui aujourd’hui constituent une zone grise échappant à toute obligation déclarative et à la taxation. Aujourd’hui, il y a un peu plus de 15 millions de déclarations en douane en France. À partir du 1er juillet, on sera à 450 millions de déclarations. Au XIXe siècle, il y a eu la révolution des bateaux. Au XXe siècle, il y a eu le siècle de l’aviation et du fret cargo. Au XXIe siècle, c’est la dématérialisation de l’acte d’achat, du e-commerce, du fret express et du fret postal. Il y a une réflexion sur l’évolution de notre activité par rapport à cette révolution du XXIe siècle.
Référence : AJU203414