Homologation d’un protocole d’accord transactionnel à la suite d’une médiation dans le cadre d’un litige portant sur un permis de construire
Le tribunal administratif de Strasbourg a rendu son premier jugement consacré à l’homologation d’une transaction obtenue consécutivement à une médiation ordonnée par le juge administratif à l’occasion d’un litige en matière d’urbanisme et sur le fondement de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.
TA Strasbourg, 1er déc. 2017, nos 1704860 et 1701610, M. Rock
La juridiction administrative vient de rendre l’un de ses premiers jugements portant sur l’homologation de la résolution d’un différend réglé dans le cadre d’une médiation instituée à l’initiative du juge administratif sur le fondement de la loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle.
Le litige en cause était le suivant. Le requérant contestait un permis de construire délivré par le maire de Scy Chazelles – commune de Moselle bien connue pour abriter la maison de Robert Schuman – à une société civile immobilière. Cette société était propriétaire de deux granges destinées à devenir des locaux d’habitation. Voisin direct de celles-ci, M. Rock argumentait dans deux directions. D’une part, il estimait que la transformation par la SCI des deux granges en habitation constituait un changement de destination et imposait la création de places de parkings. À ce titre, les dispositions de deux articles du règlement du PLU avaient été méconnues. De surcroît, s’il était prévu pour les logements de 100 à 170 m2 trois places de parkings, aucune trace de tels emplacements ne figurait au projet de la SCI Jardin S. D’autre part, il arguait que le permis de construire révélait des manœuvres de nature à fausser l’appréciation portée par l’administration qui a été dès lors induite en erreur. Ainsi, le projet faisait référence à un logement existant qui, en réalité, ferait défaut et il a été fourni des documents afférents à un logement qui n’était pas concerné par le projet. Par ailleurs, il objectait que l’une des deux granges ne pouvait être considérée comme un local accessoire d’une partie d’habitation, car ce local ne saurait constituer un logis. La commune concluait, quant à elle, au rejet de la requête en soutenant qu’aucun des moyens soulevés n’était fondé et à ce que soit mis à la charge de M. Rock la somme de 300 € en application des dispositions de l’article L. 761-1 du Code de justice administrative (CJA).
L’instruction ayant été confiée à la 1re chambre du tribunal administratif de Strasbourg (TAS), son président a décidé d’ouvrir une médiation qui a débouché sur un accord entre les intéressés. Il en est résulté un désistement des conclusions aux fins d’annulation du permis. L’arrangement se présentant sous la forme d’un protocole de transaction signé entre le voisin, la société et la commune, le tribunal de céans se trouvait compétent pour l’homologuer. Saisi de conclusions en ce sens par M. Rock, celles-ci ont été jointes à celles d’excès de pouvoir, si bien que, dans la même décision, le juge de Strasbourg a pris acte du désistement du requérant, puis a procédé à l’homologation de la transaction1.
Avant de se livrer au commentaire du jugement ci-dessus reproduit, il ne semble pas inutile d’évoquer l’état du droit prévalant aujourd’hui en matière de médiation administrative.
I – La médiation encadrée par le droit
Le régime actuel de la médiation résulte de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 précitée2 et de son décret d’application n° 2017-566 du 18 avril 20173. Ces textes ont introduit dans le CJA deux chapitres dédiés à la médiation et qui remplacent les anciennes dispositions qui la consacraient, à savoir les articles L. 771-3 à L. 771-3-2.
En ce qui concerne les attributions des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, le chapitre III du titre I du livre II du CJA comprend des dispositions générales4 et des dispositions spécifiques portant respectivement sur la médiation à l’initiative des parties5 et celle à l’initiative du juge6. Pour ce qui a trait aux attributions du Conseil d’État, le chapitre IV du titre I du livre I ne contient qu’une seule disposition7, cette dernière se bornant à rendre applicable à la haute juridiction le dispositif prévu pour les juridictions territoriales mais seulement lorsqu’elle est saisie d’un litige en premier et dernier ressort. Il en va de même pour les juridictions relevant du Conseil d’État qui ne sont pas régies par le CJA ; autrement dit, la loi fait référence aux juridictions spécialisées passibles du contrôle de cassation du Haut conseil8.
Pour être complet sur le registre du droit écrit, la médiation est aussi entrevue par le Code des relations entre le public et l’administration, lequel a été harmonisé avec la loi de 20169. Le CRPA sert seulement de code suiveur, puisqu’il se borne à renvoyer aux dispositions du CJA relatives aux médiations à l’initiative des parties10 et à l’initiative du juge11.
En plus, sous l’impulsion du Conseil d’État, des outils scripturaux ont été créés afin d’encourager et développer la médiation administrative, et qui viennent, en quelque sorte, compléter l’appareil normatif12. Au sommet de l’édifice, figure une convention nationale, signée par le vice-président du Conseil d’État et le président du Conseil national des barreaux le 13 décembre 2017, par laquelle les parties s’engagent à promouvoir le recours à la médiation auprès des avocats, des magistrats, des acteurs publics et des justiciables et à mettre en œuvre toute action pour faciliter l’accès à une médiation de qualité dans le cadre d’un processus structuré mené par un tiers compétent. Afin de donner une portée pratique à cet engagement et de permettre une application uniforme du mécanisme de la médiation sur le territoire national, la convention cadre contient en annexe deux instruments, l’un à caractère consensuel et l’autre de portée prescriptive. D’un côté, est proposée l’adoption dans le ressort de chaque tribunal administratif d’une convention type relative à la mise en œuvre de la médiation13. D’un autre côté, a été élaborée une charte éthique des médiateurs dans les litiges administratifs dont l’objectif est de fixer les principes essentiels garantissant la qualité du médiateur ainsi que du processus de médiation engagé dans ce cadre et dont les personnes désignées comme médiateur s’engagent à respecter14. On notera que la convention type et la charte renferment d’utiles précisions de nature à expliciter les dispositions des textes législatifs et réglementaires sur la médiation.
Compte tenu du contexte dans lequel s’inscrit ce commentaire, on se cantonnera à une présentation synthétique du régime légal applicable à la médiation décidée par le juge.
La médiation est définie comme « tout processus structuré, quelle qu’en soit la dénomination, par lequel deux ou plusieurs parties tentent de parvenir à un accord en vue de la résolution amiable de leurs différends, avec l’aide d’un tiers, le médiateur [choisi par elles ou] désigné, avec leur accord, par la juridiction ». Elle se caractérise ainsi par l’intervention d’un tiers dont le rôle consiste à faciliter la négociation afin de favoriser un règlement amiable15.
Le médiateur apparaît donc comme une figure centrale de la procédure. Il appartient au président de la formation de jugement, mais aussi au juge unique ou des référés – les textes, en mentionnant le « président de la formation de jugement » ou « le juge », visent indifféremment toutes les formations de jugement – de le choisir par une décision qui n’a pas de caractère juridictionnel et est non susceptible de recours. La mission peut être confiée à une personne physique ou morale et, dans ce second cas, il revient à son représentant légal de désigner, au sein de celle-ci et en son nom, la ou les personnes physiques en charge de la médiation. Les textes s’épargnent de procéder à toute énumération des types de professionnels aptes à « médiater ». Il existe bien l’article R. 621-1 du CJA, dans sa version datant du décret n° 2016-1480 du 2 novembre 2016, qui permet aux experts de « se voir confier une mission de médiation ». Cependant, cette disposition, antérieure à la loi de 2016, ne joue que lorsque, à l’occasion d’une même affaire, le juge fixe à l’expert par un jugement avant-dire droit une mission de médiation en plus de celle d’expertise. D’une portée restreinte, ce couplage n’est d’ailleurs pas sans soulever des interrogations sur un plan déontologique, particulièrement celle de se demander comment concilier le principe du contradictoire de l’expertise et la règle de confidentialité de la médiation16.
Ceci dit, le médiateur doit répondre à trois exigences : être impartial, compétent et diligent. Pour s’en assurer, les textes précisent qu’il doit posséder la qualification requise eu égard à la nature du litige et justifier d’une formation ou d’une expérience adaptée à la pratique de la médiation. Quant à la rémunération du médiateur, une distinction s’impose. Lorsque la mission de médiation est confiée à une personne appartenant à la juridiction saisie, elle ne donne pas lieu à rémunération. Si elle est confiée à une personne extérieure à la juridiction, le président de celle-ci décide si la médiation sera payante ou non. S’il s’y résout, il fixe le montant de la rémunération due au médiateur et les médiés se répartissent librement entre eux sa répartition. À défaut d’accord, les frais, qui comprennent les honoraires et le remboursement des débours du médiateur, sont répartis entre les parties à parts égales à moins que cette répartition soit inéquitable au regard de la situation économique des parties. Cette dernière répartition est également celle retenue lorsque l’une au moins des parties bénéficie de l’aide juridictionnelle. Les frais incombant à la partie bénéficiaire sont alors à la charge de l’État. Par ailleurs, sur demande du médiateur, le président de la juridiction, après avoir consulté le président de la formation de jugement, peut proposer aux parties le versement d’une allocation provisionnelle à valoir sur la rémunération du tiers média17.
S’agissant du déroulement de la procédure, l’initiative revient au président de la formation de jugement à qui le litige a été confié. Il ne s’y engage que si ce dernier, ou seulement une partie de celui-ci, est susceptible de trouver une solution amiable, démarche qui lui est facilitée, puisqu’elle peut intervenir à « tout moment de la procédure ». Cette formule, au demeurant assez vague, laisse supposer, compte tenu des termes employés, que la médiation puisse être mise en avant jusqu’à l’audience.
La proposition du président doit ensuite obtenir le consentement des parties qui répondent dans le délai fixé par le magistrat. S’il y a accord, le président ordonne une médiation en prenant explicitement acte de cette acceptation. Le terme « ordonner » ne signifie pas qu’il donne un ordre mais qu’il prend à cette occasion une ordonnance qui, là encore, n’est pas une décision juridictionnelle et ne peut faire l’objet d’une contestation contentieuse. Le contenu de l’ordonnance intègre, outre la désignation du médiateur, la durée de sa mission et tout ce qui a trait aux modalités de sa rémunération ainsi qu’au coût qu’engendre la procédure pour les parties. La décision est enfin notifiée au médiateur retenu et aux parties. En cas de désaccord, la procédure contentieuse reprend logiquement au stade où elle a été interrompue, ceci n’étant toutefois pas précisé par les textes.
Une fois le processus enclenché, l’ensemble des protagonistes sont astreints, sauf accord contraire des parties, à une obligation de confidentialité tout au long de la médiation. En outre, les constatations du médiateur et les déclarations recueillies au cours de la médiation ne peuvent être divulguées aux tiers, ni invoquées ou produites dans le cadre d’une instance juridictionnelle ou arbitrale, à moins que les parties manifestent une volonté contraire. Il est néanmoins prévu l’une ou l’autre exception où la confidentialité est levée indépendamment de toute réaction des parties18. Pendant la médiation, le médiateur peut faire appel à des tiers afin de l’éclairer à condition que ceux-ci acquiescent et que les parties y souscrivent.
Par ailleurs, le juge n’est pas écarté du cheminement de la médiation. En premier lieu, il n’est pas dessaisi du litige étant donné qu’il peut prendre à tout moment les mesures d’instruction qui lui paraissent nécessaires. En deuxième lieu, il est informé par le médiateur des difficultés qu’il rencontre dans l’accomplissement de sa mission. En dernier lieu, il peut mettre fin d’office à la médiation dès lors que son bon déroulement lui apparaît compromis, cette faculté devenant une obligation quand le médiateur ou l’une des parties décide de ne plus prolonger le cours du mécanisme engagé.
Au terme du processus, le médiateur informe le juge de ce que les parties sont ou non parvenues à un accord. Le médiateur se borne donc à constater ou non l’existence d’un terrain d’entente. Effectivement, il ne se substitue pas aux médiés dans la rédaction en la forme et au fond de la solution à laquelle ils ont adhéré, d’où la participation bénéfique de leurs avocats à la procédure. Si un arrangement a été trouvé, il doit être exempt de toute clause qui porterait atteinte à des droits dont les parties n’auraient pas la libre disposition. En cas d’échec, la procédure juridictionnelle devrait reprendre son cours et le dossier fera ultérieurement l’objet d’un jugement, les textes étant là aussi silencieux sur ce point.
Dès lors qu’elle est couronnée de succès, une partie peut déposer devant la juridiction qui a prescrit la médiation des conclusions aux fins d’homologation de l’accord. Si le juge ne prend pas parti sur les termes mêmes de celui-ci, il opère un contrôle sur le consentement des parties et la conformité à l’ordre public. Dans l’hypothèse où l’arrangement prend la forme d’une transaction, il vérifie de surcroît que les concessions réciproques sont équilibrées. Par ce procédé, l’arrangement obtient force exécutoire, tout en sachant que l’issue positive de la médiation éteint définitivement le différend. En revanche, le jugement d’homologation est soumis aux voies de recours auxquelles est assujettie toute décision juridictionnelle.
II – La médiation traitée par le juge
Si l’on s’intéresse maintenant au contenu de l’affaire et la manière dont elle a été traitée, il est loisible de s’arrêter sur plusieurs considérations tenant à la nature et à l’objet de la contestation, la procédure suivie pour la médiation et, in fine, la conclusion du processus par une homologation.
On mettra d’emblée l’accent sur le fait que le processus de médiation ordonné par le juge a été utilisé afin de résoudre amiablement un litige d’excès de pouvoir. En évoquant les vocables de « différend » et de « litige » sans davantage de précision, les textes doivent être interprétés comme n’ayant exclu a priori aucun type de contestation envisagée sous l’angle contentieux. Le TAS n’a eu aucune hésitation à s’engager dans le voie de l’excès de pouvoir alors qu’on sait qu’en matière de transaction, le Conseil d’État ne s’est encore jamais positionné de manière explicite, ses rapporteurs publics argumentant tantôt pour l’écarter19, tantôt pour l’admettre dans ce contentieux20. En revanche, des juridictions territoriales et la grande majorité des auteurs n’excluent pas l’excès de pouvoir des litiges éligibles à la transaction et, aujourd’hui, à la médiation.
Certes, les pures questions de droit objectif, que soulèvent les demandes en annulation des actes réglementaires, ne sauraient être résolues par un accord reposant sur des concessions réciproques et que, par ce biais, l’ordre public soit bafoué compte tenu de la volonté des parties de tenir en échec des dispositions légales et des règles jurisprudentielles impératives. Mais nombre de litiges relevant du contentieux de la légalité sont empreints de subjectivité à l’instar de celui des décisions individuelles où les intérêts personnels des administrés et les mobiles des individus ne laissent plus le juge indifférent, ce dernier ayant de plus en plus le souci de donner satisfaction au justiciable par delà la stricte orthodoxie juridique. Le droit de l’urbanisme n’échappe pas à ce mouvement de subjectivisation et, particulièrement, lorsque l’affaire donne prise à une confrontation triangulaire, comme en l’espèce. D’ailleurs, la loi de 2016 confirme de façon indirecte que le recours pour excès de pouvoir rentre dans le giron de la médiation étant donné que son article V-IV organise une expérimentation facultative consistant à rendre obligatoire une médiation préalablement à la saisine du juge dans certains contentieux sociaux et de fonctionnaires relevant du juge de l’annulation, notamment celui des actes relatifs à la situation personnelle des agents titulaires.
Plus concrètement, l’éclairage mérite d’être aussi porté sur la nature des dossiers susceptibles d’être orientés vers la médiation. Celui traité par le TAS semble particulièrement caractéristique du type d’affaire se prêtant avantageusement à une telle procédure. De ce que l’on peut déduire des griefs exposés par le requérant tels qu’ils ont été retracés dans les visas du jugement, on doit convenir que le litige se présentait comme un objet d’étude donnant prise à la recherche d’une solution concertée fondée notamment sur des arguments qui se détachent de l’argumentation juridique initialement invoquée par les parties à condition, toutefois, que ceux-ci, comme nous le verrons, ne vont pas à l’encontre de l’ordre public. On se trouve ici face à un différend dit de proximité, de faible intensité, ne posant pas de questions juridiques difficiles et encore moins nouvelles, et reposant vraisemblablement au niveau des faits sur quelque malentendu ou incompréhension de part et d’autre21.
Sur la procédure diligentée par le tribunal, on remarquera que ce dernier a bien respecté les phases de son déroulement ainsi qu’il a scrupuleusement appliqué les dispositions légales attenantes aux acteurs de la médiation.
La première chambre ayant été choisie pour actionner les processus de médiation, il est revenu à son président de sélectionner le dossier. Celui-ci était récent, mais rien n’interdit au magistrat de s’intéresser à un litige ancien, spécialement lorsque les parties montrent à son égard une certaine désaffection. On notera, que pour se familiariser avec les spécificités de la technique de médiation ainsi que de son cheminement et pour mieux détecter les affaires qui pourraient être plus utilement réglées par ce procédé, le président de chambre a suivi une formation adéquate, anticipant ainsi la recommandation en ce sens prônée par la conventions type servant de modèle à celles signées ou sur le point de se conclure par chaque tribunal administratif.
Il lui est appartenu aussi de désigner un médiateur. En l’occurrence, son choix s’est porté sur un expert judiciaire près la cour d’appel de Colmar. Ses compétences – architecte-urbaniste – et son expérience – familier de la médiation judiciaire dans le domaine de l’immobilier et de la construction – ont facilité la résolution du juge. De manière générale, les médiateurs sont issus de milieux professionnels variés – anciens magistrats, médiateurs de l’administration ou des entreprises (pour les marchés publics), avocats, experts-comptables de justice, diplômés de l’IFOMENE… – et sont recrutés sur des listes établies par les centres de médiation institutionnalisés aussi bien à caractère national que local, comme le Centre national de médiation des avocats ou l’Association nationale des médiateurs, le Centre Yvelines médiation ou l’Association Alsace médiation. Le fait d’être référencé par ces organismes atteste que le médiateur justifie d’une formation minimale aux techniques et méthodes de la médiation, que l’on sait originales22, et qu’il présente des garanties d’honorabilité de nature à assurer le respect les principes d’indépendance, de loyauté et de probité. Il n’est pas inintéressant de savoir que les textes ont récemment cherché à harmoniser les conditions de constitution de ces listes afin de leur conférer plus d’homogénéité, mais le décret n° 2017-1457 du 9 octobre 201723, pris en application de l’article 8 de la loi du 18 novembre 2016, s’est limité à déterminer les modalités d’établissement de la liste des médiateurs dressée pour l’information des juges dans le ressort de chaque cour d’appel que pour ceux intervenant en matière civile, commerciale et sociale, ce qui exclut, de manière regrettable, les médiateurs des juridictions administratives.
Par ailleurs, le médiateur a respecté les délais qui lui étaient impartis. La procédure a duré 2 mois à partir de sa désignation alors que le délai habituel est de 3 mois, reconductible une fois. Une telle période pour l’exercice de la mission est aujourd’hui fortement recommandée par la convention-type. La rapidité avec laquelle l’affaire s’est résolue, 5 mois si l’on tient compte de la date d’entrée en vigueur du décret du 18 avril 2017 et 7 mois et demi si l’on retient la date du jugement d’homologation, démontre à l’envi l’intérêt de la procédure qui offre une plus grande célérité que la voie contentieuse de droit commun, celle-ci générant un délai de jugement des affaires ordinaires dans les tribunaux administratifs de 1 an et 10 mois.
Autre gain escompté, le peu de frais que la médiation a occasionnés. Le montant total de la rémunération du médiateur a été déterminé par ordonnance de la présidente du tribunal en fonction du temps prévisible de la mission qui se cale sur un échéancier de deux réunions minimum, d’au moins deux heures chacune. Fixé à 700 €, le coût de la procédure a été supporté à égalité par le requérant et la SCI au titre de leur condamnation aux dépens par la partie du jugement prenant acte du désistement d’instance de M. Rock. La commune, elle, s’est vue gratifiée d’une somme de 300 € qu’elle demandait en tant que remboursement des frais irrépétibles.
Enfin, la solution à laquelle les parties ont abouti a été consignée dans un protocole transactionnel. Sur un plan général, un écrit n’est pas forcément nécessaire et l’accord peut aussi prendre la forme d’un simple contrat ou d’un acte d’avocat.
La signature de la transaction a été suivie d’une demande d’homologation auprès de la juridiction compétente qui a rendu son jugement dans un délai de 2 mois, ce qui est remarquable. L’homologation ne consiste pas seulement à entériner l’accord mais suppose un contrôle de la part du juge administratif, qui, toutefois, ne porte pas sur sa pertinence. Le TAS en dégage les éléments constitutifs tels qu’ils résultent des textes et de la juridiction administrative. Ceux-ci sont bien connus, mais ce qu’il y a d’original dans le jugement, c’est que, dans une même phrase (point 5), il regroupe les conditions de validité propres au procédé retenu par les parties avec celles concernant le résultat auquel elles sont parvenues. Ainsi, il vérifie, tant, au titre de la médiation, que l’accord ne porte pas atteinte à des droits dont les parties n’auraient pas la libre disposition24, que, au titre de la transaction, les parties ont consenti effectivement à celle-ci, que son objet est licite, qu’elle ne constitue pas de la part de la collectivité publique une libéralité et ne méconnaît pas d’autres règles d’ordre public25.
En regard des « droits dont les parties n’ont pas la libre disposition », on relèvera que la loi de 2016 se borne à réitérer une formule qui a cours essentiellement devant les tribunaux judiciaires. Or, la notion de droits disponibles se prête difficilement à une transposition pure et simple en droit administratif, car la notion signifierait que la médiation serait prohibée si elle avait pour effet la renonciation par une partie à une liberté ou à un droit fondamental26, ce qui peut paraître inadapté en la matière et quelque peu restrictif. Le tribunal, quant à lui, range opportunément l’expression parmi les règles d’ordre public auxquelles il ne peut être dérogé par un accord des parties, ce qui permet de la relativiser en lui procurant une place équivalente auxdites règles.
Quant aux impossibilités de transiger en cas de non-conformité à l’ordre public qui, dorénavant, s’ajoutent à la condition des droits disponibles opposable à la médiation dès lors que celle-ci aboutit à un accord transactionnel, le TAS applique, en le reproduisant, l’état du droit dégagé par le juge administratif, lui-même inspiré de l’article 6 du Code civil selon lequel on ne peut déroger par des conventions particulières aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs27. Les différentes conditions de validité de la transaction ayant été appréciées positivement par le tribunal, rien ne s’opposait alors à ce qu’elle soit homologuée.
En conclusion, le présent jugement est symptomatique du constat que la médiation a fait rapidement l’objet d’une adhésion des justiciables et des juges, en cela aidés par des instruments juridiques suffisamment étoffés, des brochures informatives et des journées de sensibilisation, stimulés par une solide campagne promotionnelle supervisée par les plus hautes instances de la juridiction administrative et confortés par la présence de référents-médiation au niveau national et dans chaque juridiction administrative. Étant donné l’engouement actuel pour cette procédure28, on peut raisonnablement tabler qu’elle deviendra un mode de droit commun de règlement des différends. De toute évidence, elle présente de nombreux atouts : allégement de la charge contentieuse, gains de temps et d’argent, prise en compte globale d’un conflit au-delà de ses aspects strictement juridiques, solution sur mesure susceptible d’être plus juste et équilibrée qu’une décision de justice. Sa pérennité dépendra en réalité du degré de confiance que les intéressés mettront dans le mécanisme.
Notes de bas de pages
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1.
Le jugement se trouve reproduit avec les conclusions de Mme H. Lestarquit sur le site du tribunal.
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2.
JO n° 0269, 19 nov. 2016, texte n° 1.
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3.
JO n° 0093, 20 avr. 2017, texte n° 23.
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4.
CJA, art. L. 213-1 à L. 213-4 et CJA, art. R. 213-1 à R. 213-3.
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5.
CJA, art. L. 213-5 à L. 213-6 et CJA, art. R. 213-4.
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6.
CJA, art. L. 213-7 à L. 213-9 et CJA, art. R. 213-5 à R. 213-9.
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7.
CJA, art. L. 114-1.
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8.
V. art. 5-V, L. n° 2016-1547, 18 nov. 2016, non codifié.
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9.
CRPA, art. 5-VII, 1° et 2°.
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10.
CJA, art. L. 422-1.
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11.
CJA, art. L. 422-2.
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12.
V. site du Conseil d’État, rubrique « Communiqués », actualités, 13 déc. 2017.
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13.
Ce modèle conventionnel que les barreaux et les juridictions sont invités à passer a pour objet de fixer un cadre de référence pour les parties engagées dans une médiation et vise également à décrire les modalités concrètes possibles de mise en œuvre de ce mode de règlement amiable des litiges. À titre d’illustration, v. la convention quadripartite passée dans le cadre du ressort du tribunal administratif de Versailles qui, d’ailleurs, comprend quelques variantes par rapport à la convention-type (v. site dudit tribunal, rubrique « Toutes les actualités », 19 déc. 2017).
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14.
À la différence de la convention type, la charte a une portée contraignante, car elle comporte un volet sanctionnateur. Effectivement, en cas de manquement à son contenu par le médiateur, la juridiction peut mettre un terme à la mission de médiation et décider de ne plus lui confier à l’avenir une telle mission.
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15.
Le CJA comportait un mécanisme proche de la médiation judiciaire en ce qu’il faisait appel à un tiers : la conciliation. L’article L. 211-4 du code, issu de la loi n° 86-14 du 6 janvier 1986 modifiée, prévoyait que « dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel, les chefs de juridiction peuvent, si les parties en sont d’accord, organiser une mission de conciliation et désigner à cet effet la ou les personnes qui en seront chargées ». Abrogé par la loi du 18 novembre 2016 (art. V-III), l’article 5-VI de ce texte instaure une mesure transitoire permettant de poursuivre, à compter de sa publication, une mission de conciliation confiée à un tiers en application de l’ancien article L. 211-4. Ainsi, si les médiés y consentent, la mission perdure à condition qu’elle suive le régime de la médiation administrative défini au nouveau chapitre III du titre I du livre II du CJA.
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16.
V. Cottier C., « La poursuite du contentieux et le cas échéant de l’expertise en cas d’échec de la médiation », in Actes du colloque « Conciliation et médiation devant les juridictions administratives », 9 oct. 2017, Lyon, p. 59-60, publié sur le site de la cour administrative d’appel de Lyon.
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17.
Au titre des garanties financières accompagnant la médiation onéreuse, il appartient au chef de juridiction de fixer le montant de la provision et de désigner la ou les parties qui consigneront la provision dans le délai qu’il détermine. La désignation du médiateur est caduque à défaut de consignation dans le délai et selon les modalités impartis, si bien que l’instance est alors poursuivie.
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18.
En présence de raisons impérieuses d’ordre public ou de motifs liés à la protection de l’intérêt supérieur de l’enfant ou à l’intégrité physique ou psychologique d’une personne et lorsque la révélation de l’existence ou la divulgation du contenu de l’accord issu de la médiation est nécessaire pour sa mise en œuvre.
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19.
Le Chatelier G., concl. sous CE, ass., 6 déc. 2002, n° 249153, Syndicat intercommunal des établissements du second cycle du second degré du district de l’Haÿ-les-Roses : Lebon, p. 433, spéc. p. 438.
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20.
Courrèges A., concl. sous CE, 30 janv. 2008, n° 299675, Ville de Paris : Lebon, p. 21, spéc. p. 23.
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21.
Pour un aperçu exhaustif des domaines les plus propices pour accueillir une médiation, et, a contrario, ceux qui conviennent mal à l’engagement d’une telle procédure, v. Cottier C., « Conditions préalables à la médiation », in Actes du colloque de Lyon, préc., p. 50-52, ainsi que la convention relative à la mise en œuvre de la médiation administrative dans le ressort du tribunal administratif de Versailles, p. 3 (sur le site du tribunal).
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22.
Assurer une médiation suppose une démarche culturelle bien spécifique car, s’apparentant à une maïeutique, à un processus de communication éthique reposant sur la liberté des médiés et le sens de leurs responsabilités, elle requiert des outils adaptés basés notamment sur la négociation raisonnée, l’écoute active, ou l’analyse systémique (v. Albert J.-M., « La formation à la médiation », in Actes du colloque de Lyon, préc., p. 41, spéc. p. 44-45).
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23.
JO n° 0238, 11 oct. 2017, texte n° 9.
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24.
V. CJA, art. L. 213-3 (issu de l’article 5-V de la loi du 18 novembre 2016).
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25.
Ces limites à la transaction ont été posées de manière prétorienne par la haute juridiction dans un avis : CE, ass., 6 déc. 2002, n° 249153, Syndicat intercommunal des établissements du second cycle du second degré du district de l’Haÿ-les-Roses : Lebon, p. 433, concl. Le Chatelier.
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26.
V. Taron D. et Grésy J., « La médiation administrative : panorama des récentes évolutions », LPA 25 août 2017, n° 128h0, p. 6, spéc. p. 7.
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27.
Sur les déclinaisons de cet article dans le cadre du contentieux administratif, on se référera à la recension exhaustive opérée par la circulaire du 6 avril 2011 relative au développement du recours à la transaction pour régler amiablement les conflits dans le 1.3.2 de son annexe (JO n° 0083, 8 avr. 2011, p. 6248).
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28.
Par exemple, de juin 2017 à mars 2018, 108 dossiers ont été échantillonnés par la première chambre du TAS et, parmi ces propositions de médiation, 13 se sont déjà dénouées avec succès. V. aussi les statistiques restituées par J.-M. Sauvé dans son intervention lors de la conférence de presse du 13 décembre 2017, site du Conseil d’État, « Actualités/Discours & interventions ».