Insolite : quand un fonctionnaire chronomètre les capacités des vessies

Publié le 30/03/2023

Affecté au recrutement au sein du ministère de la Culture, un fonctionnaire « s’amusait » à proposer des boissons bourrées de diurétiques aux candidates, dans le but qu’elles urinent devant lui. Il est poursuivi pénalement et l’État vient par ailleurs d’être condamné à indemniser une de ses victimes. Le récit des événements par notre chroniqueur spécialisé dans l’insolite Raphaël Costa. 

Insolite : quand un fonctionnaire chronomètre les capacités des vessies
Le Palais-Royal où est installé le Ministère de la Culture (Photo : ©AdobeStock/Laurencessoulez)

Si vous avez déjà eu envie de faire une mauvaise blague à un collègue en versant dans son thé un somnifère ou en lui faisant passer un cachet de laxatif pour un bonbon, mieux vaut vous abstenir. Le 16 février dernier, le tribunal administratif de Paris s’est prononcé dans une affaire de ce genre qui a défrayé la chronique il y a quelque temps.

L’affaire commence le 11 juin 2018, lorsqu’un haut fonctionnaire se fait surprendre à photographier discrètement les jambes d’une femme en pleine réunion. Signalé à sa hiérarchie puis suspendu par celle-ci, les services de l’État découvrent alors sur l’ordinateur de ce paparazzi de la jupe, un temps chargé des ressources humaines au Ministère de la culture, un bien étrange fichier parmi les multiples photos de jambes féminines.

Il voulait voir ses victimes uriner devant lui

Ce document liste les noms de plus 200 femmes ainsi que les résultats « d’expériences humiliantes » qu’il leur a fait subir durant des entretiens liés à ses fonctions de recrutement au Ministère de la culture. Il versait en effet un très puissant diurétique dans le thé ou le café qu’il offrait aux candidates, avant de leur proposer une visite du ministère et de ses abords, soigneusement conçue pour éviter toute proximité avec des toilettes ou des cafés afin de les voir uriner devant lui.

Suite à un article de presse et à la révocation de cette recrue, rappelons-le, responsable des ressources humaines, une ancienne victime se manifeste afin de demander réparation du préjudice subi. Celle-ci lui est refusée implicitement par l’État (qui simplement n’a pas répondu) et c’est ainsi que l’affaire se retrouve devant le tribunal administratif parisien qui nous rapporte les faits plus en détail :

« Suite de sa candidature à un poste ouvert au ministère de la culture, Mme E. a été convoquée à un entretien d’embauche, le 30 mai 2012, avec M. D., sous-directeur des politiques des ressources humaines et des relations sociales au secrétariat général du ministère de la culture. Selon le procès-verbal d’audition par la police judiciaire de Mme E., en date du 11 septembre 2019, M. B. lui a proposé, en début d’entretien, un café qu’elle a bu, puis l’a invitée à poursuivre l’entretien à l’extérieur, dans le jardin des Tuileries. Ressentant rapidement des douleurs et une forte envie d’uriner, Mme E. a dû mettre fin à l’entretien. Lors de son audition, l’intéressée a également indiqué avoir fait un malaise dans le métro et avoir dû être transportée à l’hôpital de Neuilly, sans être certaine toutefois que ce malaise soit intervenu le même jour ou quelques jours après. M. B. a reconnu, ainsi qu’il ressort du procès-verbal de la commission administrative paritaire du 4 octobre 2018, avoir imposé des situations humiliantes aux femmes qu’il recevait ainsi en entretien et dont la liste a été tenue par lui dans un tableau intitulé « expériences P ». Il ressort du procès-verbal du 11 septembre 2019 que Mme E. figurait dans ce tableau, avec des mentions indiquant que M. B. avait minuté sa réaction physiologique pendant l’entretien. Les agissements préjudiciables de M. B. à son égard ne sont pas sérieusement contestés en défense. Ils ont été commis à l’intérieur des bureaux du ministère de la culture, pendant et à l’occasion du service, l’entretien litigieux, qui impliquait une relation de nature hiérarchique entre M. B. et sa victime, n’ayant eu lieu que par l’effet du service.

Il résulte de ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres fautes de l’administration invoquées par Mme E., lesquelles ne sont à l’origine d’aucun préjudice distinct, qu’il y a lieu de mettre à la charge de l’Etat la réparation intégrale des préjudices subis par la requérante. »[1]

Dix mille euros de préjudice moral

Vous avez bien lu, non seulement le fonctionnaire a été renvoyé, mais puisque ce sont ses fonctions qui lui ont permis de réaliser ses expériences particulièrement inventives, l’État est tenu de réparer intégralement le préjudice subi par la victime « Mme B. » des « expériences P. ». Et les préjudices corporels et souffrances causés et endurés, notamment en raison des effets secondaires provoqués par les diurétiques chez la victime, enceinte au moment de l’entretien, ont été nombreux : « douleurs vives dans la vessie, des sueurs froides, des vertiges et un bourdonnement dans les oreilles pendant plusieurs heures après l’entretien… » À ce titre, le tribunal lui attribue 1 000 € de dommages et intérêts. Mais c’est le préjudice moral, vu l’atteinte à l’honneur et l’humiliation subie, qui va lui donner droit à des dommages et intérêts dix fois plus élevés (10 000 euros).

Quant aux 1 000 € suivants, ce sont « des difficultés dans sa vie quotidienne, ses loisirs et ses relations personnelles, tenant aux angoisses et au manque de confiance provoqués par l’incident », qui vont être pris en compte.

Le rapporteur avait proposé une indemnisation du double.

Précisons que l’intéressé a aussi et surtout fait l’objet de poursuites judiciaires pour administration de substance nuisible, agression sexuelle par personne abusant de l’autorité conférée par sa fonction, atteinte à l’intimité de la vie privée par fixation d’image, violence par une personne chargée de mission de service public et d’infractions à la législation sur les médicaments.

Des laxatifs dans la vinaigrette

Il existe quelques cas de jurisprudence en droit du travail, heureusement moins graves, relatifs à l’administration de substance indésirables dans des boissons ou de la nourriture. Ainsi, a été annulé, fautes de preuve, le licenciement d’une salariée au motif qu’elle avait bourré la vinaigrette de la cantine de laxatifs pour se venger de ses collègues[2]. Il en a été de même du licenciement d’un responsable qui aurait souhaité sanctionner un membre de son équipe récalcitrant en demandant à d’autres de glisser des laxatifs dans son café[3]. En revanche, le pharmacien qui « s’amusait » à remplacer les médicaments des patients, notamment des antidépresseurs, par des laxatifs, a lui, bel et bien été licencié et la justice a approuvé[4]. En clair, mieux vaut opter pour les classiques poils à gratter ou poudre à éternuer.

Quant aux 199 autres sujets d’expériences d’urologue amateur du Ministère de la culture, dont l’envie « qu’on l’arrête avant » ne devait pas être si pressante car il s’est amusé avec les vessies des autres pendant dix ans, nous n’avons pas encore de nouvelles… Bonsoir !

[1] Tribunal administratif de Paris, 16 février 2023, n°2012834/6-3.

[2] Cour d’appel d’Orléans, 9 janvier 2020, n° 17/01325.

[3] Cour d’appel de Paris, 1er décembre 2021, n° 19/07225

[4] Cour d’appel de Paris, 14 juin 2007, n° 05/09081.

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