La « cité éducative » de Chanteloup : un travail collectif pour changer l’enseignement et mener l’enfant vers la réussite
La conception de la « cité éducative » dans le quartier La Noé à Chanteloup-les-Vignes se poursuit. Labellisé en septembre 2019 par le ministère de la Cohésion des territoires et le ministère de l’Éducation nationale, la municipalité a commencé à travailler en 2016 autour du projet de cité Simone Veil, dans le cadre de la rénovation urbaine. La « cité éducative » permet à l’État, à l’éducation nationale et à la commune de travailler en synergie pour concevoir les solutions. Les explications de Catherine Arenou, maire de Chanteloup-les-Vignes, Lydia Hugues, déléguée du préfet des Yvelines en charge de la politique de la ville notamment pour Chanteloup-les-Vignes, et Karine Bouscharain, principale du collège René Cassin et chef de file de la « cité éducative » de Chanteloup-les-Vignes.
Actu-Juridique : De votre point de vue à chacun, que représente le projet de « cité éducative » de la commune de Chanteloup-les-Vignes ?
Catherine Arenou : La « cité éducative » de Chanteloup-les-Vignes a une particularité. Elle a un intitulé pour deux concepts. D’abord, en 2016, quand nous avons déposé le dossier du projet de renouvellement urbain, nous avons pensé à un dispositif urbain de reconstruction d’une cité éducative. Le projet c’était d’accrocher au collège, la part élémentaire, la part maternelle, un centre de loisirs avec le périscolaire et des lieux communs comme la maison des parents, une médiathèque, des zones de restauration commune et un centre pour adolescents. L’objectif était de penser le temps de l’enfant de 3 ans à 16 ans dans son ensemble : le matin, la journée, le soir et pendant les vacances. C’était une vision globale. Nous avons commencé à travailler en 2018 et début 2019 avec le cabinet d’accompagnement « Indivisible » qui organisait le travail en commun entre les partenaires de l’éducation et de l’enseignement de la ville : l’Éducation nationale, les associations, les parents d’élèves, les enfants, les élus et le périscolaire. Cette conception est devenue officiellement le programme du label de « cité éducative », en septembre 2019.
« L’objectif était de penser le temps de l’enfant de 3 ans à 16 ans dans son ensemble »
Lydia Hugues : C’est un label de l’État. Nous travaillons à partir de quatre axes, fixés dans une convention : la parentalité et faire avec les parents, le bien-être et la santé, la communication et le langage, le vivre ensemble et l’ouverture sur le monde. Nos actions doivent s’inscrire dans ces axes pour respecter la convention. C’est une opportunité pour l’État de travailler avec l’ensemble des acteurs éducatifs sur un quartier prioritaire pour les jeunes de 0 à 25 ans.
Dans le copilotage du projet de Chanteloup-les-Vignes, mon rôle est d’accompagner l’ensemble des acteurs sur la programmation. Il s’agit pour moi de veiller à la mise en œuvre du label et d’arbitrer si c’est nécessaire. La particularité de Chanteloup, c’est d’avoir beaucoup d’acteurs sur son territoire. Sur la programmation 2021, nous avons eu de nombreuses demandes de projet, qui dépassaient largement l’enveloppe annuelle de 350 000 € allouée à la « cité éducative ». Nous avons dû faire des arbitrages. Nous les avons faits avec l’Éducation nationale et la ville. L’État se positionne et donne aussi son point de vue sur les axes à développer. Par exemple, à Chanteloup, le préfet souhaitait développer l’ouverture culturelle. Nous avons donc initié un partenariat avec le théâtre Montansier de Versailles. L’idée c’est d’avoir aussi une programmation culturelle dans cette « cité éducative » et de travailler avec des acteurs extérieurs à Chanteloup.
Karine Bouscharain : Le projet s’appuie sur un travail important effectué en amont. C’est la particularité de la « cité éducative » de Chanteloup-les-Vignes. Il y a deux collèges sur la commune : l’un classé en réseau d’éducation prioritaire (REP) et l’autre en réseau d’éducation prioritaire renforcé (REP+). Il y a un tissage déjà très fort entre un certain nombre d’acteurs de terrain. La « cité éducative » de Chanteloup-les-Vignes s’est construite sur ce maillage. Elle l’a enrichi, renforcé et dynamisé. Concrètement, nous avons de nouveaux moyens qui nous ont permis par exemple de créer un partenariat avec l’école de commerce l’Essec. Des étudiants viennent dans notre collège pour coacher nos élèves.
C’est le cas aussi avec l’association « École et famille », qui a accompagné durant toute l’année, l’équipe enseignante à se questionner sur les relations avec les familles. Avec la « cité éducative », l’implication des familles a été intégrée à nos modes de fonctionnement. Nous avons notamment mis en place le carnet numérique. Avec le distanciel, il y avait un véritable avantage à sensibiliser les familles à avoir les informations de manière dématérialisée. Dans ce cadre-là, nous avons mis en place des formations destinées aux familles et dispensées par les enseignants. J’ai fait le bilan de cette année. Les enseignants ont fait des propositions pour aller plus loin dans la co-construction avec les familles, l’année prochaine. La confiance des familles contribue à la réussite des enfants.
AJ : Quels sont vos objectifs à travers ce projet de « cité éducative » à Chanteloup-les Vignes ?
C. A. : Le premier objectif est d’apprendre pour le long terme à ne plus travailler en tuyau d’orgues. Il faut aussi mettre l’enfant, son savoir-faire et sa réussite au cœur de tous les dispositifs et de tous les accompagnements des adultes. Nous pouvons notamment sortir de l’enseignement habituel de l’éducation nationale pour développer d’autres compétences. Il faut accompagner ce développement et utiliser ces autres compétences pour leur réussite. L’ensemble des partenaires, qui ont travaillé sur ce projet, ont ciblé deux champs.
« Nous pouvons sortir de l’enseignement habituel de l’Éducation nationale pour développer d’autres compétences »
D’abord celui du multilinguisme. Les enfants ont des capacités à acquérir et à travailler un certain nombre de langues, du fait de leurs origines, de leur mouvement et de leur famille. Il faut que ce soit encadrer, officiel et que cela serve un projet. Nous avons donc décidé de travailler sur l’essentiel des langues européennes pour qu’ils soient capables de les maîtriser.
Puis il y a la culture comme apprentissage, découverte de soi-même et des autres. Et nous avons sur notre territoire un cirque social avec une école de cirque. Cette activité couplée au théâtre permet à l’enfant de se développer, à l’enfant de travailler avec son corps et de se découvrir. C’est à partir de ce premier travail sur les usages que s’est construit ensuite le projet urbain. Un cahier des charges a été produit par les acteurs du territoire avec des recommandations architecturales.
« Un grand objectif : réduire les inégalités »
L. H. : Le grand objectif de la cité éducative, c’est de réduire les inégalités, notamment sur l’accès à la culture et sur la fracture numérique. Nous mettons des moyens supplémentaires en faveur des publics les plus fragiles, pour réussir. Des enfants peuvent bénéficier, par exemple, d’activités d’ouverture sur le monde et sur la culture. Par exemple, un de nos critères dans nos sélections de la programmation 2021, c’est sortir de Chanteloup-les-Vignes. Ce qui permet de réussir plus tard c’est d’avoir une ouverture sur le monde en sortant du quartier.
Pour les 16-25 ans, nous avons un axe important pour lutter contre le décrochage scolaire. Nous finançons le poste d’une référente des parcours lycéens, qui travaille avec les principales de collège et les lycées pour détecter de façon précoce les phénomènes d’absentéisme et les problèmes de comportement. Nous finançons avec la ville des dispositifs notamment des séances de coaching pour les élèves de terminale, assurées par une association. Nous avons créé des outils pour prévenir le décrochage scolaire, compléter et renforcer les actions menées à l’école et dans le périscolaire.
K. B. : Ce sont d’abord les objectifs de l’Éducation nationale : conforter le rôle de l’école, promouvoir la continuité éducative et ouvrir le champ des possibles. Au niveau de mon établissement, il s’agit de promouvoir les innovations pédagogiques. Nous avons également sur la ville de Chanteloup un projet urbain avec la construction de la cité Simone Veil, qui va être aux portes du collège. Elle va aussi entraîner des transformations sur l’établissement. Il y aura notamment un bâtiment des coopérations avec notamment un laboratoire pédagogique et une salle des professionnels premier degré et second degré. Aujourd’hui, nous sommes en train progressivement de transformer nos pratiques. Quand le bâtiment sera construit, il sera le résultat des pratiques.
Nous souhaitons aussi lutter contre le déficit d’image de notre établissement classé en REP+. Du coup, les élèves manquent d’ambition car ils ne se sentent pas valoriser. Nous faisons beaucoup d’actions, nous modernisons nos pratiques et nous faisons de la communication pour travailler sur l’image du collège. Par exemple, nos élèves de 3e ont choisi un nom de promotion : Rosa Parks. L’idée est de cultiver la notion d’appartenance et de réussite collective. Enfin, il y a l’ouverture culturelle avec par exemple une classe cinéma qui a tourné deux courts-métrages cette année. Nous avons fait venir aussi une troupe de théâtre.
AJ : En quoi est-ce une nouvelle manière de fabriquer les politiques publiques ?
C. A. : Depuis de nombreuses années, des moyens étaient donnés aux écoles et aux collèges de nos territoires, à la commune et aux associations. Mais ces dispositifs et les acteurs concernés travaillaient les uns à côté des autres et pas ensemble. Il va falloir mettre en œuvre ce projet. Prenons un exemple : imaginons par rapport aux langues européennes que tout le travail se fasse en anglais. L’enfant de 3 ans aura à la fois les enseignants, les personnes du périscolaire à la cantine ou le mercredi et les associations qui partiront sur des projets communs avec la langue anglaise. L’idée c’est d’utiliser les compétences des enfants pour les amener vers un chemin de réussite. En faisant cette accompagnement transversal, l’objectif est d’arriver à développer de nombreuses compétences chez l’enfant.
L. H. : La coopération des acteurs est un des points forts de la cité éducative. L’idée est de travailler en réseau et de faire ensemble. À l’échelle locale, où chacun fait de son côté : l’Éducation nationale a ses dispositifs, la ville a ses actions dans le périscolaire. Finalement, il y a de nombreuses mesures mais nous ne faisons pas cela ensemble. L’enfant peut bénéficier de plein de choses sans forcément qu’il y ait du sens dans son parcours. L’idée c’est donc de faire ensemble pour rendre l’action publique plus efficace. Avec de la concertation entre les acteurs, l’enfant pourra bénéficier d’un accompagnement cohérent et complémentaire. Nous avons constaté la plus-value de la cité éducative lors de la crise sanitaire. Elle a permis aux acteurs de se connaître, de mobiliser des ressources et de trouver des solutions notamment lors du premier confinement. La cité éducative permet de se connaître et de se reconnaître et nous devons encore progresser sur le faire ensemble en 2022.
K. B. : C’est une belle occasion de partager, de faire du collectif différemment. Nous prenons des décisions et menons des actions réfléchies, engagées, portées et assumées par les trois entités. C’est une nouveauté. Que ce soit la politique de la ville, que ce soit l’Éducation nationale, nous avions l’habitude de porter des actions. Mais, nous ne co-construisions pas comme nous le faisons aujourd’hui. Le projet de « cité éducative » va multiplier par trois la volonté de réussir, la réflexion sur la prise de décision et l’implication sur le terrain. Cela bouscule nos pratiques notamment dans l’Éducation nationale. C’est l’occasion d’apporter des regards nouveaux sur notre manière de faire et c’est très enrichissant.
Référence : AJU234647