Le pouvoir normatif des collectivités territoriales métropolitaines

Publié le 21/06/2017

L’organisation administrative de la République française est décentralisée. La décentralisation du pouvoir normatif ne cesse d’y gagner du terrain. Les collectivités territoriales métropolitaines bénéficient de pouvoirs normateurs juridiquement affirmés. Bien que cette affirmation soit ancienne et renouvelée, l’effectivité de la puissance normative locale demeure réellement aléatoire. En effet, non seulement l’expérimentation normative, mais également le pouvoir réglementaire local, sont largement verrouillés. La pauvreté des bases constitutionnelles et la faiblesse de garanties juridictionnelles en sont les raisons principales. Le processus décentralisateur s’en trouve, dans son ensemble, affecté.

Décentraliser un État connu pour sa forte tradition centralisatrice, n’est pas une affaire aisée. Y parvenir nécessite du temps, beaucoup de temps. Tel est d’autant plus le cas lorsqu’il s’agit de la décentralisation du pouvoir normatif. L’exemple français en est la parfaite illustration.

La décentralisation se définit, pour reprendre le professeur Dominique Roux, « comme le transfert par l’État de compétences et de pouvoirs de décision au profit d’autres personnes morales de droit public, juridiquement distinctes de lui et qui disposent d’une certaine marge d’autonomie tout en restant sous son contrôle »1. Dès lors, dans un État décentralisé, les autorités locales disposent d’une liberté de décision, c’est-à-dire d’un pouvoir normatif. Il s’agit de la capacité d’édicter des normes, des règles générales de droit et des décisions créant des droits et obligations à l’égard de leurs destinataires et auteurs. Cette normativité est principalement réglementaire, mais aussi législative. Si la réglementation et la législation, les objets de cette étude, ne sont pas l’unique mode de création du droit, elles en sont les moyens privilégiés. Elles expriment, en quelque sorte, la normativité la plus commode ou répandue2.

Ainsi, la portée de la décentralisation paraît être intimement liée à la question de la production de la norme. La compétence normative, plus particulièrement réglementaire, constitue même l’essence, le noyau dur ou la clé de voûte de la décentralisation. En 1982, Charles Eisenmann faisait très justement remarquer qu’il ne suffisait pas de constater que les textes mettent les communes, départements et régions en situation de « décider librement », dans la limite de la loi et du pouvoir réglementaire étatique : le fait que ces derniers aient « le pouvoir de poser des décisions » ne signifie point qu’ils jouissent « d’un vrai pouvoir de décision »3. Plus précisément encore, en 2002, Jean-Éric Schoettl, récemment repris à l’identique par la haute juridiction administrative4, rappelait que « les compétences confiées par la loi aux autorités décentralisées ne se réduisent pas à la capacité d’effectuer des opérations matérielles, de passer des contrats ou de prendre des décisions individuelles. L’exercice de la compétence transférée réside souvent dans le pouvoir de fixer des règles générales »5. En ce sens également, dans un rapport intitulé Refonder l’action publique locale, il avait été relevé que « la décentralisation consiste à confier aux collectivités territoriales un pouvoir réglementaire local de plein exercice »6.

Force est toutefois de constater que, pendant longtemps, les autorités étatiques ont eu tendance « à instrumentaliser l’action des autorités locales, à retenir à son profit les pouvoirs d’impulsion et d’initiative, transférant aux collectivités locales des missions d’exécution et de gestion »7. Ce faisant, elles ont traité « les collectivités locales comme des acteurs mineurs incapables par eux-mêmes de promouvoir l’intérêt général »8.

En réalité, cette marginalisation du rôle des autorités locales date dans l’histoire juridique française. L’article 46 de la loi du 19 juillet 1791 énonçait déjà qu’« aucun corps municipal ne pourrait faire de règlement ». La raison en ressort clairement du discours de Sieyès à l’Assemblée nationale constituante sur l’organisation du pouvoir législatif et la sanction royale du 7 septembre 1789 : « Tout est perdu, si nous nous permettons de considérer les municipalités qui s’établissent, ou les districts, ou les provinces, comme autant de républiques unies seulement sous le rapport de force ou de protection commune. Au lieu d’une administration générale, qui, partant d’un centre commun, va frapper uniformément les parties les plus reculées de l’empire ; au lieu de cette législation, dont les éléments fournis par tous les citoyens se composent en remontant jusqu’à l’Assemblée nationale, chargée seule d’interpréter le vœu général (…), nous n’aurons plus dans l’intérieur du royaume, hérissé de barrières de toute espèce, qu’un chaos de coutumes de règlements, de prohibitions particulières à chaque localité »9.

La préoccupation principale de l’époque était ainsi de rassembler la France et de faire face à un éventuel éclatement de son État. Ce qui va se traduire par une affirmation répétée des principes d’indivisibilité et d’unité de la République dans tous les grands textes10. La conséquence en sera, pour une partie de la doctrine, l’unité du pouvoir normatif dont le monopole revient aux autorités étatiques. En 1983, le doyen Favreau notait que le « principe de l’indivisibilité de la République (…) interdit de diviser la source normative ou de porter atteinte en quelque sorte au monopole normatif du législateur et de l’exécutif nationaux »11. Plus récemment, MM. Mathieu et Verpeaux soulignaient que « l’indivisibilité signifie, dans un État unitaire, l’unité du pouvoir politique et au-delà, du pouvoir de créer du droit. L’indivisibilité est celle du ‘‘pouvoir normatif’’ qui ne peut émaner que de l’État »12.

Cette vision, défendable au XIXsiècle, n’est pourtant plus adaptée au XXIsiècle. Elle a été particulièrement mise à mal par la réalité des choses. Le caractère indivisible et unitaire de l’État n’a plus la même carrure ou a perdu beaucoup de son éclat. Car les besoins, enjeux et spécificités locaux ne peuvent plus passer inaperçus. L’évolution du droit, non seulement national comparé ou français, mais aussi européen, l’illustre.

Le droit européen, basé lui-même sur la décentralisation du pouvoir, réserve naturellement une place importante aux collectivités locales, et notamment à leur autonomie. La Charte européenne de l’autonomie locale, entrée en vigueur le 1er septembre 1988 et ratifiée par la France le 17 janvier 2007 en est la concrétisation. Il ressort de l’article 3-1 de cette charte que les autorités décentralisées devant bénéficier des moyens d’exercer et de gérer effectivement les affaires publiques, ne doivent pas être reléguées à de simples agents des autorités étatiques : « Par autonomie locale, on entend le droit et la capacité effective pour les collectivités locales de régler et de gérer, dans le cadre de la loi, sous leur propre responsabilité et au profit de leurs populations, une part importante des affaires publiques ». De même, conformément à l’article 4-4, les compétences confiées à ces autorités doivent être « pleines et entières ».

S’agissant du droit national comparé, les exemples italien et espagnol sont les plus probants. Ils prouvent à quel point le partage de la compétence normative, même initiale, est envisageable dans un État qualifié d’unitaire. En Italie où le caractère indivisible de la République est affirmé13, le pouvoir législatif est, sur le fondement de l’article 117 de la Constitution, attribué aux autorités locales : « dans toutes les matières qui ne sont pas expressément réservées à la législation de l’État, le pouvoir législatif échoit aux régions ». Quant au pouvoir réglementaire, il est accordé non seulement aux régions dans les matières dans lesquelles elles légifèrent ou par délégation, dans les matières étatiques, mais également aux communes et provinces pour l’exécution de leurs fonctions. De la même manière, en Espagne où le caractère indivisible de la patrie est affirmé14, « les communautés autonomes » interviennent, sur le fondement des articles 148 et 149 de la Constitution, dans le cadre, à la fois, de leurs compétences exclusives et des lois étatiques qu’elles peuvent compléter. Ce qui leur permet de légiférer dans des domaines divers, tels que l’aménagement du territoire, l’urbanisme, l’environnement, le commerce extérieur, la santé et l’hygiène, etc.

S’agissant du droit national français, l’on parle de plus en plus d’un « droit à la différence »15, d’une différenciation territoriale, d’un ordre juridique territorialisé16 ou simplement d’un nouveau modèle de gouvernance publique consistant en une mise en œuvre locale souple ou flexible des politiques publiques. Et l’on sait à quel point « l’autonomie d’une politique publique s’évalue à l’aune des ressources juridiques, financières et organisationnelles qui peuvent être mobilisées par les acteurs pour la mettre en œuvre »17. La réussite de ce modèle est donc, en grande partie, tributaire de l’étendue de la décentralisation des pouvoirs normateurs. D’autant que celle-ci est une source, non seulement d’efficacité, mais également de démocratisation de l’action publique. Elle prône tout simplement une meilleure participation et, donc, une responsabilité des autorités locales dans les affaires publiques.

À ce stade, l’on peut déjà noter qu’en France, les progrès réalisés en matière de décentralisation sont, depuis quelques décennies, salutaires. Les acquis en sont nombreux et dont les principaux sont essentiellement l’œuvre des actes dits I, II et III de la décentralisation. C’est-à-dire, d’une part, la loi n° 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions, qui a notamment reconnu les régions, attribué l’exécutif de département et de région aux conseils général et régional et supprimé, du moins partiellement, la tutelle administrative. D’autre part, la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République, qui a notamment consacré le caractère décentralisé de l’État français, le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales et l’expérimentation normative. Enfin, la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe) qui a étendu les prérogatives des régions et renforcé leur pouvoir normatif.

Désormais, les principes d’indivisibilité18, d’égalité et de décentralisation, mentionnés dans le même dispositif (l’article 1er de la Constitution), bénéficient de la même valeur constitutionnelle. Mais la question de leur compatibilité est plus délicate. Concrètement, la compatibilité de la décentralisation du pouvoir normatif se pose bien moins avec l’indivisibilité qu’avec l’égalité. En effet, on vient de le voir, la décentralisation, qui n’est en principe qu’une modalité d’organisation administrative d’un État unitaire, ne saurait remettre en cause l’indivisibilité de ce dernier. La raison en est expliquée par la doctrine. Au premier abord, « l’indivisibilité de la République serait censée faire du pouvoir initial un monopole de l’État. Cette position ne saurait pourtant être partagée, car elle consiste à tirer une conclusion erronée d’une interprétation, au demeurant exacte, de la notion d’indivisibilité de la République : l’indivisibilité de la République interdit bien de diviser la source normative, mais elle ne fait pas obstacle à une pluralité de titulaires du pouvoir normatif initial »19. En effet, « un système juridique donné, composé de différents niveaux de production de normes, conserve toujours une unité dès lors que la “compétence de la compétence”, par essence indivisible, reste entre les mains de l’entité supérieure (centrale ou fédérale) »20.

En revanche, l’interaction entre égalité et décentralisation paraît bien plus réelle et plus délicate à appréhender. La première est peu ou prou affectée par la seconde. Le phénomène de la « territorialisation du droit » qu’implique la décentralisation le démontre. Comme le note le professeur Jean-Bernard Auby, la décentralisation a « la nature d’un mécanisme générateur de pluralisme juridique. (…) Là où il y a décentralisation, il y a nécessairement un certain degré de territorialisation du droit. [Ou encore], la décentralisation correspond toujours à un certain pluralisme normatif »21. Par conséquent, la décentralisation, qui introduit nécessairement de la diversité, révèle le caractère utopique ou chimérique de l’uniformité territoriale pure du droit. Sans oublier que le recours à la différenciation a été largement validé par le juge constitutionnel lui-même. Par exemple, en 1985, il a considéré que la loi pouvait autoriser des traitements territorialement différenciés, dans l’intérêt que soient prises en compte des situations différentes22 ; en 2012, il a estimé que toute différence de traitement qui résulterait de la variation des règles locales, d’une collectivité territoriale à l’autre, n’était pas constitutive d’une rupture d’égalité23. Il s’ensuit que la conciliation entre égalité et décentralisation du pouvoir normatif, bien que délicate en pratique, est juridiquement rendue possible. La première n’interdit pas la seconde. La seconde ne remet pas catégoriquement en cause la première. En tout état de cause, la décentralisation ne doit pas être seulement perçue comme un instrument de différentiation, mais également et, surtout, comme un facteur d’unité. Car, elle constitue « une façon de rattacher l’inéluctable diversité territoriale du droit à l’unité du système juridique. C’est par elle que la diversité des situations concrètes sur le territoire national peut à la fois s’exprimer dans une pluralité de statuts, sans s’éloigner des normes fondamentales communes »24.

Au vu de ce qui précède, le fait que les collectivités locales, désormais territoriales, bénéficient, dans un État décentralisé comme la France, des prérogatives normatives paraît une évidence. Cela est de l’ordre naturel des choses. Autrement dit, un État ne peut être considéré comme véritablement décentralisé sans décentralisation du pouvoir de décision. La question est maintenant d’en apprécier l’effectivité ou la réalité juridique. Nous allons voir que si, dans le système juridique actuel en France métropolitaine, le pouvoir normatif local est juridiquement affirmé – il s’agit d’une affirmation ancienne et renouvelée – (I), il n’en demeure pas moins que cette affirmation reste réellement précaire – qu’il s’agisse du pouvoir réglementaire ou législatif (II). Le processus décentralisateur s’en trouve, dans son ensemble, affecté.

I – L’affirmation juridique du pouvoir normatif des collectivités territoriales métropolitaines

En France métropolitaine, l’affirmation juridique des pouvoirs normateurs locaux est, non seulement ancienne (A), mais également aujourd’hui, suite aux évolutions quelque peu récentes, renouvelée (B).

A – L’ancienneté du pouvoir normatif local

Les collectivités territoriales disposent, depuis très longtemps, d’une liberté normative, notamment dans son aspect réglementaire. C’est un pouvoir varié dans le temps et l’espace. Il est, désormais, consacré par les textes (1) et la jurisprudence (2).

1 – Une consécration textuelle

La possibilité laissée aux autorités normatrices locales d’adopter des règles générales et impersonnelles, anciennement reconnue par les textes, a une double facette. Elle peut être générale ou particulière.

Le premier cas de figure consiste à reconnaître aux autorités décentralisées une clause générale de compétence qui signifie que la collectivité doit « traiter toute affaire ayant un lien avec son territoire »25. Autrement dit, la collectivité dispose d’une compétence générale à régler spontanément et, de manière permanente, tout besoin administratif de sa population. Dans un premier temps, cette compétence avait été, plus ou moins explicitement, reconnue au département. Par exemple, le décret du 15 mars 1791 confiait déjà au conseil de département le soin « de délibérer sur tout ce qui intéresse l’ensemble du département, de fixer d’une manière générale tant les règles générales de l’administration que les moyens d’exécution ». Quant à lui, l’article 46-28 de la loi du 10 août 1871 donnait à la même autorité le pouvoir de statuer « généralement sur tous les objets d’intérêt départemental ». Par la suite, mais plus clairement encore, la clause générale de compétence a été reconnue à la commune et ce, sur le fondement de l’article 61 de la loi du 5 avril 1884 relative à l’organisation municipale, actuellement codifié à l’article L. 2121‐29 du CGCT : « Le conseil municipal règle, par ses délibérations, les affaires de la commune ». Un dispositif identique, certes, on le verra plus bas, récemment mis à mal, sera intégré au même code en faveur des départements et régions, suite à la loi 2 mars 1982 précitée (les articles 23 et 59).

Le second cas de figure consiste à reconnaître aux autorités locales une compétence réglementaire d’intervenir dans des domaines spécifiques et variés. Le pouvoir de police municipale en est l’exemple le plus ancien. Ce pouvoir est détenu par le maire depuis la Révolution et plus précisément, sur le fondement de l’article 50 de loi du 14 décembre 1789 relative à l’organisation des communes du royaume de France. Selon ce dispositif, parmi « les fonctions propres au pouvoir municipal » relevant du maire, se trouvaient celles « de faire jouir les habitants des avantages d’une bonne police, notamment de la propreté, de la salubrité, et de la tranquillité dans les rues, lieux et édifices publics ». Le maire en a conservé l’exercice avec la loi du 5 avril 1884 relative à l’organisation municipale (l’article 97), actuellement codifié aux articles L. 2122-24 et L. 2212-1 du CGCT. Ce pouvoir de police est dorénavant détenu également par le président du conseil départemental – l’article L. 3221-4 du même code. De même, les articles L. 2131-2, L. 3131-2 à 3 et L. 4141-2 à 3 qualifient clairement de réglementaires certains actes émis par les communes, les départements et régions, notamment, concernant les deux premiers, dans l’exercice de leur pouvoir de police.

Par ailleurs, l’exercice du pouvoir réglementaire local avait été textuellement reconnu dans le domaine de la fonction publique. Tel a été le cas de la loi du 5 avril 1884 ou de la loi du 12 mars 1930 relative au personnel municipal et, par la suite, de la loi du 26 janvier 1984 relative à la fonction publique territoriale. Il ressort de ces textes, notamment des articles 88 de la loi de 1984, que les collectivités sont compétentes pour fixer certaines règles relatives aux régimes indemnitaires. De même, en matière de frais de représentation, plus particulièrement, celui du logement de fonction, un tel pouvoir est reconnu par la loi n° 90-1067 du 28 novembre 1990. Plus concrètement, l’organe délibérant fixe, entre autres, la liste des emplois pour lesquels un logement de fonction peut être attribué.

De surcroît, en droit de l’urbanisme, les collectivités peuvent élaborer des documents à caractère réglementaire. L’exemple-type en est le plan d’occupation des sols mis en place avec la loi d’orientation foncière du 30 décembre 1967, mais décentralisé avec la loi du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l’État26 et, enfin, remplacé par le plan local d’urbanisme depuis la loi du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement durable. Le constat est parfaitement résumé par Henri Jacquot et François Priet : « le droit de l’urbanisme a très largement anticipé le mouvement actuel de “spatialisation” du droit qui permet l’adaptation de la règle à un espace déterminé. Il s’est appuyé jusqu’à présent sur la technique du zonage qui consiste à découper l’espace en zones affectées à des usages différents. L’aménagement urbain nécessite en effet une spécialisation plus ou moins poussée des espaces »27.

En outre, les collectivités territoriales disposent du pouvoir d’élaborer leurs règlements intérieurs. Ces derniers fixent par exemple, conformément aux des articles L. 2121-19, L. 3121-20 et L. 4132-20 du CGCT, la fréquence et les règles de présentation et d’examen des questions ayant trait aux affaires de la collectivité que le conseil municipal, départemental ou régional a le droit d’exposer oralement. En la matière, la compétence propre de ces collectivités est confirmée et le législateur lui-même ne peut y porter atteinte. C’est ce qui ressort d’une décision du Conseil constitutionnel de 1999 : « en imposant aux débats de la commission permanente le principe de la publicité, plutôt que de laisser au règlement intérieur du conseil régional, le soin de déterminer cette règle de fonctionnement, le législateur a restreint la libre administration d’une collectivité territoriale au point de méconnaître les dispositions de l’article 72 de la Constitution »28.

Outre les textes, la jurisprudence reconnaît, depuis assez longtemps aux autorités décentralisées, la faculté d’exercer des prérogatives normatives.

2 – Une consécration prétorienne

Les juges, administratif en 193629 et constitutionnel en 198630, ont admis l’exercice du pouvoir réglementaire par une autorité de l’État autre que le Premier ministre. Cette solution a été étendue au profit des collectivités territoriales. L’affirmation juridique, en l’occurrence jurisprudentielle, de la possibilité pour ces collectivités de prendre des règles d’application de la loi est incontestable.

D’une part, concernant la jurisprudence administrative, la position la plus intéressante est dégagée de l’arrêt Syndicat communautaire d’aménagement de Cergy-Pontoise de 1985 qui a admis aux autorités locales la capacité de prendre les mesures nécessaires à l’organisation interne des services publics : lorsqu’une loi ne renvoie pas à un décret d’application, c’est-à-dire, dans le silence de la loi, « il appartient à l’organe de la collectivité locale ou de l’établissement public, compétent pour organiser les services de cette collectivité ou de cet établissement, de fixer les règles d’application de la loi »31. En l’espèce, étaient en jeu les modalités d’organisation des services locaux et, plus précisément, celles de l’élection des représentants du personnel de la collectivité au sein des comités d’hygiène et de sécurité. L’arrêt Commissaire de la République du département de Seine et Marne de 1990 a, de la même manière, admis que la collectivité puisse fixer la durée hebdomadaire du travail de son personnel : « ainsi, un conseil municipal peut légalement porter de 35 heures à 39 heures la durée hebdomadaire du travail des agents communaux »32. Par la suite, l’arrêt Commune de Longjumeau de 1998 est venu reconnaître aux mêmes autorités, le pouvoir d’encadrer l’exercice d’une compétence qui leur était attribuée par une disposition réglementaire. En l’espèce, celle-ci conférait, certes sur le fondement d’un texte législatif, aux communes la possibilité de proposer à un organisme HLM des candidats à l’attribution d’un logement. Il a été jugé que ces communes avaient « la faculté de définir, par voie de dispositions de portée générale, les orientations ou règles sur la base desquelles elles entendent formuler ces propositions »33. Enfin, il a été considéré, dans l’arrêt Commune de Mons-en-Barœul de 2001, que le conseil municipal disposait, certes sur le fondement de la clause générale de compétence, du pouvoir d’« instaurer une aide sous forme d’allocation sous condition de domicile et de revenus affectée en priorité à l’apurement des sommes dues aux divers organismes publics ou concessionnaires intervenant en matière d’habitation dans la commune »34.

D’autre part, concernant la jurisprudence constitutionnelle, il a été jugé qu’il appartenait au législateur d’attribuer aux collectivités locales la compétence de mise en œuvre de la loi. Cette capacité locale de mettre en œuvre la loi est ainsi reconnue dans quasiment toutes les matières : en matière de fonction publique territoriale35, d’urbanisme36, de logement37, fiscale38, ou d’action sociale39. L’affirmation la plus récente est dégagée de la célèbre décision Corse, du 17 janvier 2002, où le Conseil constitutionnel a considéré que les dispositions des articles 21 et 72 de la Constitution « permettent au législateur de confier à une catégorie de collectivités territoriales le soin de définir, dans la limite des compétences qui lui sont dévolues, certaines modalités d’application d’une loi »40.

Au vu de ce qui précède l’on constate que la décentralisation du pouvoir normatif est juridiquement affirmée, tantôt textuellement, tantôt jurisprudentiellement. Cette affirmation est ancienne. Elle a été même, plus récemment, renouvelée.

B – Le renouvèlement du pouvoir normatif local

Depuis quelques années, l’affirmation de la liberté normative locale est renouvelée. La révision constitutionnelle du 28 mars 2003 en a été le facteur principal. Les progrès de cette réforme sont d’une importance capitale. En effet, nombreux sont dorénavant les principes constitutionnels qui, non seulement consolident les pouvoir normateurs locaux, mais également les consacrent explicitement : une double consolidation (1) et consécration (2) constitutionnelle sera ainsi mise en exergue.

1 – Une double consolidation constitutionnelle

La liberté normative des collectivités locales est, désormais, doublement consolidée. En d’autres termes, deux principes devenus constitutionnels sont de nature à épauler, appuyer ou renforcer les compétences normatives locales.

Le premier est le principe de la subsidiarité normative. En vertu du deuxième alinéa de l’article 72 de la Constitution, les collectivités territoriales « ont vocation à prendre les décisions pour l’ensemble de leurs compétences qui peuvent le mieux être mises en œuvre à leur échelon ». Il en résulte que la prise de décision doit être conférée aux autorités locales à chaque fois que celles-ci sont le mieux placées pour intervenir. Comme le souligne le professeur Bertrand Faure, « dans un État unitaire, la subsidiarité appelle ainsi un régime de décentralisation comme un ordre naturel des choses, l’action centralisée de l’administration de l’État étant appelée à être seconde »41. Il convient de rappeler qu’historiquement, la substance même du pouvoir normatif est liée à l’apparition d’une répartition des compétences, dans la mesure où l’acte normatif ne constitue qu’un procédé d’accomplissement des missions confiées. D’où l’importance de la nouvelle règle de répartition des compétences consacrée par le principe de subsidiarité. Et c’est le législateur lui-même qui apprécie, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, les compétences devant être localement fixées. Le principe de subsidiarité peut ainsi servir de fondement à la sanction juridictionnelle lorsque, par exemple, la loi n’a pas choisi l’autorité la plus appropriée à agir42. Cette association des autorités locales à la prise de décision dans les domaines qui les concernent a un double avantage : elle constitue un gage de pluralité et de démocratie de proximité ; elle permet de réduire les coûts des interventions. Au fond, la consécration constitutionnelle de ce principe constitue d’un côté, « une invitation lancée au législateur de repenser l’intervention des pouvoirs publics dans son ensemble, de transférer davantage de responsabilités aux autorités locales, [et d’un autre côté, elle exprime] la volonté du pouvoir constituant de situer désormais la réflexion juridique nationale dans le cadre des standards européens et de concevoir [l’]organisation administrative comme une imbrication de la construction européenne »43.

Le second est le principe de « collectivité chef de file ». Selon le cinquième alinéa de l’article 72 précité, « lorsque l’exercice d’une compétence nécessite le concours de plusieurs collectivités territoriales, la loi peut autoriser l’une d’entre elles ou un de leurs groupements à organiser les modalités de leur action commune ». Ce principe n’est certes pas nouveau, car la notion de « chef de file » est apparue dans la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d’orientation pour le développement et l’aménagement du territoire. Mais le fait que ce principe soit dorénavant intégré dans la Constitution est de nature à renouveler ou à renforcer les prérogatives normatives locales. En ce sens, le professeur Jean-Bernard Auby relevait qu’« il paraît assez évident que la compétence ‘‘pour organiser les modalités d’action commune’’ doit nécessairement inclure peu ou prou la possibilité de poser des normes réglementaires »44. D’autant que son objet est de « remédier au brouillage des compétences en permettant à une collectivité d’orienter l’action de l’ensemble des collectivités concernées par l’exercice d’une même compétence »45. Et c’est au pouvoir législatif lui-même d’en donner l’autorisation. À ce titre, le Conseil constitutionnel a jugé qu’il appartenait au législateur d’organiser « les conditions dans lesquelles les communes peuvent ou doivent exercer en commun certaines de leurs compétences dans le cadre de groupements »46. Ainsi, depuis la loi n° 2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles (MAPTAM), codifiée à l’article L. 1111-9 du CGCT, sont devenus chef de file, la région en matière d’aménagement du territoire et de développement durable, d’environnement et de transport, le département en matière d’action sociale et de solidarité et la commune en matière de services de proximité, de développement et de mobilité durable. Concernant la région, ce rôle de chef a été réaffirmé par la loi NOTRe du 7 août 2015 (l’article L. 4251-12 du même code, entré en vigueur le 1er janvier 2016) : « la région est la collectivité territoriale responsable, sur son territoire, de la définition des orientations en matière de développement économique ».

Outre sa double consolidation, le pouvoir normatif local bénéfice d’une double consécration constitutionnelle.

2 – Une double consécration constitutionnelle

Depuis la révision constitutionnelle de 2003, le pouvoir normatif local est doublement consacré. Il s’agit de la constitutionnalisation, non seulement du pouvoir réglementaire local, mais également et surtout, de l’expérimentation normative.

La première innovation consiste en la consécration constitutionnelle formelle du pouvoir réglementaire et ce, à l’ensemble des collectivités territoriales. Selon le troisième aliéna de l’article 72 précité, ces collectivités « s’administrent librement par des conseils élus et disposent d’un pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurs compétences ». Ce pouvoir réglementaire est, rappelons-le, la conséquence nécessaire du principe de libre administration des collectivités territoriales. En d’autres termes, la libre administration implique l’existence du pouvoir d’édicter des actes normatifs. Le lien entre ces deux éléments avait été établi par la jurisprudence constitutionnelle considérant que « pour s’administrer librement », les collectivités territoriales doivent être dotées « d’attributions effectives »47, ou exercer un certain pouvoir de décision48 ou même « certaines modalités d’application d’une loi »49. Rien d’illogique, car « si le principe de libre administration a un sens, c’est évidemment que les autorités locales doivent disposer de l’ensemble des moyens juridiques nécessaires à l’exercice de leurs fonctions légales ou, si l’on préfère, à l’exercice de leurs compétences, dans les conditions prévues par la loi »50. C’est dans ce cadre aussi que s’inscrivent les progrès de la récente loi NOTRe d’août 2015 qui reconnaît à la région, qualifiée de « leadership » territoriale51, un pouvoir réglementaire d’élaborer et d’adopter, sur son territoire, deux schémas : le schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires (SRADDET), codifié à l’article L. 4251-1 et suivants du CGCT ; le schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation (SRDEII), codifié à l’article L. 4251-12 et suivants du CGCT. Et c’est par le biais de ces schémas que la région va pouvoir, dans le domaine du développement économique, de l’aménagement du territoire et du développement durable, orienter et organiser l’action des autres collectivités territoriales. Au demeurant, la région devrait pouvoir véritablement endosser le rôle de « collectivité chef de file ». Ce qui semble constituer une avance considérable.

La seconde innovation, plus significative encore, consiste en la consécration constitutionnelle de l’expérimentation normative. Cette expérimentation, dont le but est d’adapter les textes à la réalité du terrain, permet, à la fois, une diversification des règles juridiques applicables et une amélioration de leur qualité. Il s’agit d’un outil remarquable d’évaluation préalable de l’opportunité et donc, de l’utilité et de l’efficacité d’une norme. Il a été mis en œuvre par étapes successives.

La première étape a eu lieu en 1987, en matière de transferts de compétences, où certains départements avaient testé un dispositif d’aide social et de réinsertion préfigurant ce qui deviendra le Revenu minimum d’insertion (RMI). Ensuite, cette expérimentation a connu de nouvelles applications, notamment avec la loi du 13 février 1997 relative au transfert de compétences liées à l’organisation des transports ferroviaires aux régions candidates et la loi du 27 février 2002 relative à la démocratie de proximité confiant aux régions de nouvelles compétences en matière portuaire, aéroportuaire et culturelle. Dans ce dernier texte par exemple, les régions se sont vu reconnaître la capacité à gérer, à titre expérimental et sur la base des accords conclus avec l’État, les ports maritimes d’État ou l’exploitation des ports de commerce. Les conditions de légalité ou les limites de ce procédé ont été fixées, à la fois, par la jurisprudence constitutionnelle52 et administrative53. Cette expérimentation dite étatique, qui doit être initiée par l’État, mais qui peut concerner les collectivités, a été, depuis la réforme de 2003, « institutionnalisée »54 ou constitutionnalisée à l’article 37-1.

La deuxième étape a été l’œuvre jurisprudentielle. Elle a eu lieu par la décision Corse précitée qui a admis aux autorités décentralisées la faculté d’adapter les règlements nationaux au contexte local. Mais si, dans cette affaire, l’exercice d’une compétence réglementaire expérimentale a été reconnu aux collectivités, le juge constitutionnel a réitéré sa position antérieure55 leur refusant toute possibilité de déroger, même provisoirement, à la loi ou de leur attribuer des compétences d’ordre législatif.

La dernière étape, la plus innovante, a eu lieu avec la révision constitutionnelle de 2003 (art. 72, al. 4) autorisant les collectivités à déroger, à titre expérimental, non seulement au règlement, mais aussi à la loi fixant l’exercice de leurs compétences : « les collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent, lorsque, selon le cas, la loi ou le règlement l’a prévu, déroger, à titre expérimental et pour un objet et une durée limités, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l’exercice de leurs compétences ». Les modalités d’exécution de ce dispositif sont dégagées de la loi organique n° 2003-704 du 1er août 2003, validée par le juge constitutionnel56 et transcrite dans le troisième chapitre du titre unique du livre 1er de la première partie du CGCT (CGCT, art. LO 1113-1 et s). Cette technique expérimentale d’élaboration de la norme, engagée par les collectivités, sous le contrôle de l’État, a ainsi acquis un statut constitutionnel. L’objectif en est, selon le rapport du Sénat, de rapprocher les collectivités territoriales françaises des collectivités européennes57. L’idée est que ces dernières puissent participer à l’élaboration du droit en étant « des lieux d’initiatives, de réforme et de débat public pouvant servir de référence pour l’élaboration de la norme nationale »58. L’on ne peut que se réjouir de la territorialisation du droit qui en résulterait, surtout que cela est de nature à lever les obstacles dus à l’unité du pouvoir normatif et l’indivisibilité de la République.

Il convient enfin de noter que c’est dans la continuité de ce mouvement de spécialisation du droit que s’inscrit également la capacité, reconnue récemment aux régions par la loi NOTRe d’août 2015 (CGCT, art. L. 4221-1), de proposer de modifier ou d’adapter des lois et des règlements. En effet, depuis cette loi, un ou des conseils régionaux peuvent proposer, non seulement des modifications, mais aussi des adaptations de dispositions législatives ou réglementaires en vigueur ou en cours d’élaboration et qui concernent les compétences, l’organisation et le fonctionnement d’une, de plusieurs ou de l’ensemble des régions. Les propositions adoptées par les conseils régionaux sont transmises au Premier ministre et au représentant de l’État dans les régions concernées. Ce dispositif est, à l’instar de ceux cités plus haut, de nature à favoriser la mise en place de règles spécialement adaptées aux spécificités géographiques, politiques ou financières locales.

En somme, la décentralisation des pouvoirs normateurs (réglementaire et législatif), est aujourd’hui juridiquement affirmée. Le caractère ancien et renouvelé de la reconnaissance juridique du pouvoir en question, par le droit positif d’ordre textuel et jurisprudentiel, est parmi ses caractéristiques les plus marquantes. L’on ne peut que se réjouir des progrès ainsi réalisés qui paraissent même aller au-delà des attentes. En effet, alors qu’on réclamait une consécration juridique claire et ferme d’une compétence réglementaire locale, les autorités décentralisées bénéficient désormais d’un pouvoir normatif législatif. Y parvenir n’a pourtant pas été chose aisée. Pour en comprendre l’enjeu même terminologique, il suffit de lire les débats au sein du Parlement français, plus précisément au sein du Sénat. En effet, certains sénateurs étaient défavorables même aux termes « pouvoir réglementaire » local, comme s’il n’avait jamais existé. Par exemple, lors des séances d’octobre 2002, le vice-président de la commission des lois, le sénateur Patrice Gélard, s’exprimait en ces termes : « l’expression “pouvoir réglementaire” ne convient pas pour les collectivités locales, mais on n’a pas réussi à en trouver une autre. Pourtant, ce n’est pas un réel pouvoir réglementaire. Le pouvoir réglementaire, c’est celui dont dispose le gouvernement ; sous l’autorité du Premier ministre »59. Avant d’ajouter le lendemain : « je regrette que l’on ait utilisé le même terme pour désigner deux choses différentes. En effet, le pouvoir réglementaire au niveau local, ce n’est pas la même chose que le pouvoir réglementaire au niveau national »60. Le sénateur Michel Charasse a immédiatement rétorqué : « j’ai déposé un amendement qui évite l’emploi des mots “pouvoir réglementaire” pour les collectivités locales et qui répond à votre préoccupation ! ». Une partie de la doctrine soutient toujours cette idée selon laquelle « l’expression de “pouvoir réglementaire” doit être réservée au seul pouvoir exécutif étatique exercé, sous la VRépublique, par le Premier ministre et le président de la République. Parce qu’ils expriment, directement ou indirectement, la souveraineté nationale, ces deux autorités ne peuvent être traitées comme de simples administrateurs. Les autres autorités administratives qui sont amenées à édicter des actes administratifs généraux se contenteraient quant à elles d’administrer et ne participent pas, sauf délégation, au “pouvoir réglementaire” »61. Si le souhait de ces sénateurs n’a pas été exaucé, ce qui est une bonne chose, la réticence qu’il exprime à l’égard des collectivités territoriales est, pour le moins que l’on puisse dire, surprenante. Cette réticence, qui est loin d’être justifiée ou fondée, pourrait très largement expliquer le caractère réellement précaire des pouvoir normateurs réservés à ces collectivités.

II – La précarité réelle du pouvoir normatif des collectivités territoriales métropolitaines

La décentralisation du pouvoir normatif local, que ce soit réglementaire (A) ou expérimental (B), demeure réellement précaire. L’affirmation juridique de son existence, telle qu’on l’a vue, n’a pas changé la donne. Dans l’un ou l’autre cas, c’est un pouvoir largement verrouillé.

A – Le verrouillage du pouvoir réglementaire local

Malgré certains progrès, le pouvoir réglementaire local n’occupe, dans la chaîne normative, qu’une place marginale. Il est doublement précaire : d’une part, en raison des difficultés liées à l’exigence d’une habilitation législative préalable (1) ; d’autre part, en raison des aléas liés à la prééminence du pouvoir réglementaire central (2). À cet égard, l’on constatera que le verrouillage de ce pouvoir est, non seulement textuel, mais aussi et surtout, jurisprudentiel.

1 – Les difficultés liées à l’exigence d’une autorisation législative préalable

Dans le système juridique français, le pouvoir réglementaire local doit avoir un fondement législatif. Or en pratique, la nécessité d’une base légale ou d’une médiation législative préalable est la cause de nombreuses difficultés.

En premier lieu, l’apport de la consécration formelle, dans la Constitution, du pouvoir réglementaire local paraît purement théorique ou, du moins, infime. Bien que difficile à admettre, cette consécration ne constitue pas une véritable garantie au profit des collectivités territoriales. Elle est loin d’être considérée comme une source directe de la compétence réglementaire locale. Celle-ci devant s’exercer dans les limites fixées par la loi, elle n’est toujours pas autonome. C’est ce qui ressort des articles 34 et 72 de la Constitution selon lesquels le législateur est compétent pour déterminer les principes de libre administration des collectivités territoriales, de leurs compétences, de leurs ressources, et si celles-ci disposent d’un pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurs compétences, c’est dans les conditions prévues par la loi. Et c’est en ce sens que les juges constitutionnel et administratif rappellent, tour à tour, que ce pouvoir « ne peut s’exercer en dehors du cadre des compétences qui lui sont dévolues par la loi »62 ou doit s’exercer « dans les bornes d’une compétence définie par la loi »63.

Le fait que l’exercice de la compétence réglementaire locale soit ainsi la conséquence nécessaire de l’intervention de la loi pourrait aboutir à plusieurs conséquences quelque peu contradictoires. La première est qu’on aurait pu penser que l’exercice d’une telle compétence ne saurait avoir lieu qu’en cas de présence d’une invitation législative expresse. Or, ce n’est pas ce qui ressort de la pratique. « En effet, [rappelle le juge du Palais-Royal] eu égard aux exigences des articles 34 et 72 de la Constitution, l’exercice d’un pouvoir réglementaire par les collectivités territoriales, pour l’exercice d’une compétence, devra être le plus souvent explicitement prévu par la loi et assorti par celle‐ci de l’encadrement approprié. Ce pouvoir peut cependant résulter implicitement des dispositions législatives attributives d’une compétence ou aménageant une compétence déjà attribuée. Un pouvoir réglementaire non expressément prévu peut être sous‐entendu par le législateur »64. La deuxième est que, face au texte d’habilitation, les collectivités décentralisées n’ont pas de marge de manœuvre. Elles doivent en effet respecter le texte tel qu’il a été rédigé. Elles ne peuvent pas, par exemple, y ajouter de nouvelles conditions65. La troisième est que la jurisprudence ne semble accepter aucune source infra-législative. À cet égard, il a été considéré qu’aucun décret autonome ne saurait « confier de sa propre initiative aux collectivités territoriales, le soin de fixer tout ou partie de ses modalités d’application : il doit y être habilité par la loi, car une telle possibilité touche à la libre administration des collectivités territoriales et à leurs compétences »66. Au demeurant, l’autorisation expresse du législateur est loin d’être un principe absolu. D’autant que l’on a déjà vu comment le juge administratif lui-même admet aux collectivités la compétence réglementaire et ce, indépendamment de la présence d’une quelconque médiation législative.

En deuxième lieu, le degré de précision de la médiation législative considérée comme suffisante est largement aléatoire. En effet, pour que le règlement local puisse être validé, il faut que la loi d’habilitation préalable soit, d’un point de vue formel, quasi-exemplaire. Elle doit remplir un certain nombre d’exigences particulières. Premièrement, une précision jugée suffisante est exigée. Une disposition législative considérée comme imprécise, vague ou incomplète serait donc de nature à écarter toute compétence normative locale. C’est ce qu’il ressort de la jurisprudence administrative considérant qu’il appartient, non au pouvoir réglementaire local, mais au pouvoir réglementaire national de mettre en œuvre les dispositions législatives dès lors que celles-ci « ne sont pas suffisamment précises »67. En revanche, lorsque le texte législatif est regardé par le juge comme suffisamment précis pour ne pas nécessiter l’intervention des autorités nationales, sa mise en œuvre peut être laissée aux autorités locales68. Bien que ces deux positions jurisprudentielles ne concernent pas la même compétence susceptible d’être localement fixée (dans le premier cas, la loi attribuait aux collectivités la capacité de déterminer les emplois donnant droit à un logement de fonction, alors que dans le second cas, elle leur conférait le pouvoir de fixer le régime indemnitaire des personnels), il n’en ressort pas de critères précis de nature à expliquer la différence de solution retenue. Secondement, l’habilitation législative doit, lorsqu’elle attribue une compétence réglementaire locale, comporter des éléments matériels détaillés et supplémentaires. À ce titre, il a été relevé que « sans doute le législateur peut‐il attribuer à une catégorie de collectivités territoriales, une compétence locale et leur confier concomitamment un pouvoir réglementaire pour l’exercer. Mais une compétence locale, au sens du troisième alinéa de l’article 72 de la Constitution, ne peut se réduire au seul pouvoir, pour les collectivités territoriales, de fixer les modalités d’application de la loi, comme le ferait le décret d’application. Elle doit comporter des éléments matériels caractérisant leur implication et leur responsabilité effectives dans le domaine considéré (fourniture de services publics, fonction de contrôle et d’alerte, exécution de tâches de gestion, prise de décisions individuelles, vote de dépenses, passation de contrats et de marchés…) »69. Ce raisonnement démontre, au fond, une sorte de méfiance ou de prudence particulière à chaque fois que la mise en œuvre de la loi pourrait être localement fixée.

En troisième lieu, l’encadrement, d’ordre principalement constitutionnel, du champ d’intervention locale est inopportunément réducteur. Le législateur est loin de bénéficier d’une liberté totale de confier aux collectivités territoriales n’importe quel pouvoir réglementaire et dans n’importe quelle condition. Si cela n’est pas contestable en soi, les difficultés pratiques qui en résultent le sont moins. Trois cas de figures l’illustrent.

Le premier cas concerne l’exclusion de l’intervention normative locale du domaine des libertés publiques. Sur ce point, la jurisprudence constitutionnelle précise, depuis longtemps, que les conditions essentielles de mise en œuvre des libertés publiques et les garanties que celles-ci comportent ne peuvent dépendre des décisions de collectivités territoriales et, donc, varier sur l’ensemble du territoire70. Quant à elle, la jurisprudence administrative ne fait qu’entériner cette position en sanctionnant l’exercice du pouvoir réglementaire des collectivités territoriales dans le domaine des libertés publiques71. La solution ainsi retenue, considérée comme la conséquence logique du principe d’égalité, semble, de premier abord, s’imposer d’office dans un État unitaire décentralisé. En effet, « le pouvoir local ne peut distinguer là où la loi qu’il exécute ne le peut pas elle-même : la loi doit demeurer uniforme dans ses éléments comme dans ses modalités réglementaires d’exécution »72. Force est toutefois de constater que cette solution imposée comme un principe général selon lequel les libertés publiques doivent s’exercer de la même façon sur l’ensemble du territoire, ne tient pas dès lors qu’on se place sur des terrains, comme c’est le cas de la police administrative générale. En effet, conformément aux dispositions de l’article L. 2212-1 et suivants du CGCT, le maire peut, comme autorité décentralisée et non au nom de l’État, prendre des mesures justifiées par la protection de l’ordre public matériel : sécurité, tranquillité et salubrité publiques. L’intervention de la police municipale a même été prétoriellement rendue possible lorsque serait en cause l’ordre public immatériel, de nature purement subjective, en cas d’atteintes à la moralité publique73 et à la dignité humaine74. Dans l’un ou l’autre cas, les arrêtés du maire, dont la violation est pénalement sanctionnée75, peuvent porter, légalement ou illégalement, des atteintes à l’exercice des libertés publiques. Il en va ainsi par exemple des atteintes à la liberté de réunion ou de circulation76, etc. Et très logiquement, c’est le juge administratif qui a, au fur et à mesure, pris soin d’en fixer les conditions de légalité. Pour ce faire, il a été amené à mettre en place un contrôle de proportionnalité : les mesures prises doivent être nécessaires et ne peuvent guère être de portée générale et absolue77. Au demeurant, cela démontre que si les libertés publiques ne peuvent pas être parfaitement épargnées par la territorialisation du droit, les conditions de légalité en sont fixées par le juge. D’où la fragilité de l’argument selon lequel « on ne peut pas confier au juge, quelles que soient sa capacité et son ardeur au travail, le soin d’unifier 36 000, c’est le cas de le dire, 36 000 initiatives sur le fondement des seuls principes généraux »78.

Le deuxième cas concerne l’interdiction d’une quelconque tutelle d’une collectivité sur une autre. Ce principe constitutionnel constitue un frein à la mise en place d’un pouvoir hiérarchique au profit, notamment, de la région, censée jouer le rôle de « l’acteur dominant ». L’absence de rapport d’obéissance hiérarchique et de primauté ne crée en réalité pas de terrain propice à l’exercice des prérogatives normatives. L’interdiction de toute organisation pyramidale engendrant la suprématie d’une collectivité est surtout dégagée de l’œuvre prétorienne. En 2003, le Conseil d’État a regardé comme tutelle et qui devait, par ricochet, être interdite, toute « procédure d’autorisation ou de contrôle »79 d’une collectivité sur une autre. Quant au juge constitutionnel, il a, d’abord en 2008, considéré que si la notion de chef de file permettait à une collectivité d’organiser les modalités d’action commune de plusieurs collectivités, elle ne lui conférait pas un pouvoir de décision pour déterminer cette action commune80 ; ensuite en 2010, il a considéré, a contrario, que serait sanctionnée toute disposition législative confiant à la région la possibilité soit, « de substituer ses décisions à celles du département ou de s’opposer à ces dernières » soit, « de contrôler l’exercice de ses compétences »81. La conséquence en est que la portée normative des règles régionalement fixées est régie par une hiérarchie des normes particulière. En 2012, après avoir admis une sorte d’hiérarchisation des pouvoirs réglementaires locaux, le Conseil d’État a préconisé la règle de la compatibilité limitée dans les rapports entre les collectivités. Pour la haute juridiction, la collectivité inférieure doit disposer de toute possibilité d’« ajouter », de « préciser », d’« adapter » même des règles « dérogatoires à la norme fixée au niveau supérieur dès lors que la contrariété avec cette norme n’est pas assez grave pour en compromettre la cohérence ou en mettre en cause les options fondamentales »82. C’est dans ce cadre juridique précis que la loi NOTRe (CGCT, art. L. 4251-3 et L. 4251-17) est intervenue pour prévoir que l’opposabilité des règles fixées dans les deux schémas régionaux précités vis-à-vis des collectivités inférieures se réduit à une simple compatibilité ou prise en compte. Ce qui rend profondément précaire la possibilité laissée aux régions, dans le domaine du développement économique, de l’aménagement du territoire et du développement durable, d’orienter et d’organiser, dans le cadre des deux schémas, l’action des autres collectivités territoriales. En revanche, le fait que ces schémas soient soumis à l’approbation du préfet ne fait que renforcer la tutelle administrative exercée par l’État (qui est du domaine législatif) sur les collectivités territoriales83.

Le troisième cas concerne l’obligation de cantonner l’intervention des autorités décentralisées aux affaires purement locales. À cet égard, il a été récemment relevé qu’« il serait contraire aux articles 21 et 72 de la Constitution de confier aux collectivités territoriales le soin de fixer des règles d’application d’une législation étrangère aux compétences locales, et ce, alors même que cette législation ne serait pas sans incidence sur leur fonctionnement, sur l’exercice de leurs compétences ou sur la vie locale »84. Ce principe ancien85 et qui paraît logique, est source de deux vicissitudes principales.

La première provient du fait que les autorités décentralisées françaises ne bénéficient toujours pas, contrairement à celles des pays voisins fédéraux ou régionaux, de compétences propres constitutionnellement fixées et, donc, protégées. D’où peut-être, l’absence de critères d’identification des « affaires locales ». Comme l’estimait M. Pontier en 1978, la notion d’« affaires locales » est très difficile à cerner86. Et le juge n’en donnant aucun contenu matériel n’en a qu’une conception finaliste, celle de l’intérêt local87 qui n’est pas moins difficile à définir. En réalité, pour reprendre M. Roux, « il n’existe pas d’affaires locales par nature. (…) C’est l’État-législateur qui va déterminer unilatéralement la ligne de partage entre les compétences nationales et les compétences locales »88. La présence des principes, telle que la clause générale de compétence ne change pas la donne. D’autant que n’ayant pas de valeur constitutionnelle89, elle est régulièrement mise à mal par les réformes successives, tantôt en la rétablissant, tantôt en la supprimant. Elle a par exemple été supprimée par la loi n° 2010-1563 du 16 décembre 2010 de réforme des collectivités territoriales avant d’être rétablie par la loi MAPTAM de janvier 2014 et puis, à nouveau supprimée par la loi NOTRe d’août 2015. En supprimant ainsi la compétence générale des régions et départements « à prendre en charge spontanément toute question d’intérêt local, le réformateur en limite désormais l’usage à leurs seules compétences expresses. Cette contradiction est parlante : dans l’esprit des réformateurs, le rapprochement, nécessaire et constant, entre les compétences décentralisées et le pouvoir réglementaire local ne se fait pas alors qu’il est évident que tout ce qui évoque le pouvoir réglementaire évoque les compétences décentralisées, et réciproquement »90. Il en va de même du principe de subsidiarité et ce, malgré sa consécration constitutionnelle à l’article 72. Ce principe est loin de pouvoir déterminer la nature des « compétences qui peuvent être mieux » à l’échelon local. Il s’agit d’un principe « largement virtuel »91 ou, du moins, aléatoire. Car, « il n’existe pas de présomption claire de compétence en faveur des collectivités territoriales »92. De plus, en ne sanctionnant que les erreurs manifestes d’appréciation, le Conseil constitutionnel n’y exerce qu’un contrôle restreint93. À ce jour, à notre connaissance, aucune censure dans ce sens n’a été prononcée. Or, une interprétation plus exigeante du principe de subsidiarité s’imposait. Surtout, on l’a déjà vu, la France a ratifié la Charte européenne de l’autonomie locale dont l’article 4-4 précise que les compétences dont disposent les collectivités locales doivent être « pleines et entières ».

La seconde provient du recours à une modalité d’administration peu favorable à l’opposition traditionnelle entre affaires locales et affaires nationales, qui est celle de l’administration contractuelle. Alors qu’on utilise, de plus en plus fréquemment, l’instrument contractuel pour déterminer les compétences locales et nationales, ce dernier est loin de garantir une sorte d’équilibre dans les rapports entre l’État et les collectivités. Bien au contraire. Le Conseil d’État lui-même a pris soin de rappeler dans son rapport public de 1993, Décentralisation et ordre juridique, que le système était davantage « sous le signe des rapports de force, et d’une certaine opacité, que sous celui du droit et de la transparence ». Vingt-trois ans plus tard, la doctrine arrive au même constat : l’utilisation du procédé contractuel constitue « un substitut à la tutelle. (…) L’État s’efforce de continuer de déterminer les objectifs à atteindre, ceux-ci ne se déterminent pas sur des considérations de stricte légalité ou de partage de pouvoir. En ce sens, l’usage généralisé du contrat entre personnes publiques est le révélateur de l’impossible désengagement de l’État en dépit des progrès continus de la décentralisation. Il ne peut être présenté sans illusion trompeuse comme l’instrument d’une transformation des rapports au sein de l’Administration, ceux-ci continuant d’être déterminés par un principe centralisateur. Ce principe est inévitable dans la mesure où le contrat consiste à rattacher les initiatives à un centre. Ce dernier fait nécessairement figure de loi commune par laquelle l’État peut reprendre le commandement. Le recours au contrat apparaît finalement comme le correctif d’un système administratif figé au sein duquel il tente, par sa base consensuelle, de masquer à la vue de tout un État qui concentre en son sein les moyens d’information et de financement et impose des charges aux collectivités. D’ailleurs, la nature proprement contractuelle de la plupart de ces contrats demeure encore contestée en ce qu’ils obéissent à des principes qui tendent à s’écarter de l’autonomie de la volonté »94.

Outre ces difficultés liées à l’exigence d’une habilitation législative préalable, les aléas liés à la prééminence du pouvoir réglementaire national constituent une autre source de précarité de la décentralisation réglementaire.

2 – Les aléas liés à la prééminence du pouvoir réglementaire central

La fragilité du pouvoir réglementaire local vis-à-vis du pouvoir réglementaire central est incontestable. Le caractère secondaire, subordonné, résiduel ou subsidiaire du premier par rapport au second en témoigne. La prééminence du premier sur le second est due, non seulement à la position textuelle, mais aussi et surtout, à la pratique jurisprudentielle.

En effet, la Constitution reconnaît clairement l’existence d’une compétence réglementaire étatique générale : l’article 21 confère au Premier ministre un pouvoir réglementaire de droit commun exercé, soit pour assurer l’application des lois, soit à titre autonome. En raison de ce fondement constitutionnel, aucune habilitation n’est nécessaire pour autoriser le pouvoir réglementaire étatique à intervenir et aucune limite législative ne saurait en principe lui être imposée. La donne est différente, on l’a déjà vu, pour le pouvoir réglementaire local : malgré sa consécration constitutionnelle dans l’article 72, ce pouvoir n’est pas autonome ou initial : il doit être habilité par le législateur et respecter les normes nationales. Ces pouvoirs réglementaires (national et local) sont donc de nature différente. Pour que les collectivités bénéficient d’un pouvoir réglementaire local du même rang que celui détenu par le gouvernement, plus précisément par le Premier ministre, une modification de l’article 21 de la Constitution s’imposait. Il aurait fallu ajouter une autre limite à celle, unique, que cet article contient et relative au respect du pouvoir réglementaire conféré par l’article 13 au président de la République ; celle relative au respect du pouvoir réglementaire local de l’article 72. Sur ce point, l’amendement du Sénat au mois d’octobre 2002, a été rejeté95. Plus récemment, dans le cadre de la loi NOTRe, une autre tentative, certes bien différente, a échoué. Dans la première lecture du projet à l’assemblée nationale cette fois-ci, la reconnaissance aux régions d’un pouvoir réglementaire d’application des lois avait été prévue en ces termes : « sous réserve du pouvoir réglementaire du Premier ministre prévu à l’article 21 de la Constitution, la région est compétente pour adopter les mesures d’application des lois concernant l’exercice de ses compétences en cas de non-renvoi au pouvoir réglementaire de l’État ou en complément de celui-ci ». La suppression de cette disposition en deuxième lecture au Sénat a été saluée par la doctrine, car elle « s’avérait particulièrement en retrait par rapport au droit positif déjà existant »96.

Ainsi, en matière d’application de la loi, la compétence réglementaire de principe est réservée aux autorités normatrices centrales. La jurisprudence constitutionnelle et administrative ne fait que suivre la ligne tracée par les textes. Deux décisions du Conseil constitutionnel sont souvent citées en premier lieu. Selon la première de 1986, les dispositions de l’article 21 de la Constitution « confèrent au Premier ministre, sous réserve des pouvoirs reconnus au président de la République, l’exercice du pouvoir réglementaire à l’échelon national »97. Selon la seconde de 1987, « en vertu de l’article 34 de la Constitution, la loi détermine les principes fondamentaux de la libre administration des collectivités locales, de leurs compétences et de leurs ressources ; qu’il appartient au pouvoir réglementaire [en l’espèce national], dans le respect des principes posés par la loi, d’assurer leur mise en œuvre »98. D’ailleurs, le juge constitutionnel avait, quelques années auparavant, considéré que la fonction publique territoriale elle-même ne reconnaissait pas de pouvoir réglementaire local et, donc, admis que le statut de cette fonction puisse être complété par la voie du décret99. En la matière et pour la même raison, le Conseil d’État a reconnu la compétence du gouvernement pour définir les fonctions que seraient appelés à exercer les membres des différents cadres100 ou pour l’aménagement du temps de travail101.

La reconnaissance d’un tel pouvoir réglementaire national général n’est nullement de nature à créer un terrain propice à la décentralisation réglementaire. Bien au contraire. Les effets fâcheux en sont nombreux.

La portée limitée des mesures réglementaires susceptibles d’être localement fixées en est la première conséquence. À cet égard, rappelons que le juge constitutionnel a, dès 1989, subordonné la possibilité pour le législateur de confier à d’autres autorités que le Premier ministre, le soin d’édicter les normes d’application de la loi « à la condition que cette habilitation ne concerne que des mesures à portée limitée tant dans leur champ d’application que dans leur contenu »102. Cette solution, régulièrement réitérée depuis103, a été en quelque sorte appliquée aux autorités décentralisées par la décision Corse de 2002 : le législateur peut « confier à une catégorie de collectivités locales le soin de définir, dans la limite des compétences qui lui sont dévolues, certaines modalités d’application d’une loi ». Le pouvoir d’adoption conféré aux collectivités ne peut donc concerner que certaines modalités d’application de la loi et non toutes104.

L’impossibilité pour les autorités locales de contrarier ou d’exclure le pouvoir gouvernemental en est la deuxième conséquence. Cela ressort également, de manière claire, de la décision Corse considérant que l’attribution aux collectivités du « soin de définir (…) certaines modalités d’application d’une loi » n’a « ni pour objet, ni pour effet de mettre en cause le pouvoir réglementaire d’exécution des lois que l’article 21 de la Constitution attribue au Premier ministre ». Ce faisant, le Conseil constitutionnel fait écho de l’avis du Conseil d’État de 2001 sur le projet de loi qui subordonnait la constitutionnalité de la dévolution d’un pouvoir réglementaire local à l’exigence qu’elle « ne porte pas atteinte à la compétence qui appartient au Premier ministre d’édicter des règles nationales applicables à l’ensemble du territoire »105. Plus généralement, l’arrêt Commune de Longjumeau de 1998 avait admis la capacité des collectivités, en l’occurrence des communes, de prendre des mesures de portée générale, « à condition qu’aucune atteinte ne soit portée par ces dispositions à l’ensemble des prescriptions législatives et réglementaires en vigueur »106.

Le fait que la théorie de l’habilitation gouvernementale implicite puisse prévaloir sur celle de l’habitation législative expresse en est la troisième conséquence. En réalité, la volonté du législateur, c’est-à-dire l’« autorité de chose légalement décidée »107, laissant aux autorités locales une certaine liberté normative, peut être clairement neutralisée ou remise en cause. Plusieurs jurisprudences l’illustrent.

Par exemple, il arrive que le juge administratif écarte une compétence réglementaire législativement confiée aux autorités décentralisées au profil des autorités centrales. Pour ce faire, le juge se fonde sur la compétence de droit commun reconnue en la matière, à ces dernières : « si, par ces dispositions, le législateur a donné compétence aux départements pour organiser et gérer les services de la protection maternelle et infantile dont il a défini les principales missions, il doit être regardé comme ayant réservé à l’État, en vertu des dispositions de l’article 72 de la Constitution, le soin de fixer les normes minimales d’activité de ces services, celles relatives à leur encadrement et les exigences de qualification des personnes qu’ils emploient ; que, dès lors, le Premier ministre, qui exerce le pouvoir réglementaire aux termes de l’article 21 de la Constitution, était compétent pour fixer par le décret attaqué les règles à établir “par voie réglementaire” en vertu des textes précités »108.

Par ailleurs, il arrive que le juge administratif subordonne l’exercice du pouvoir réglementaire local, même expressément prévu par le législateur, à l’intervention du pouvoir réglementaire étatique. Le dernier mot est de la sorte laissé au gouvernement. À cet égard, selon l’avis Préfet du Calvados de 1992, il appartient au pouvoir réglementaire national de mettre en œuvre les dispositions législatives dès lors que celles-ci « ne sont pas suffisamment précises pour que leur application soit possible avant l’intervention d’un décret en Conseil d’État déterminant notamment les conditions dans lesquelles elles doivent être mises en œuvre, pour l’ensemble des collectivités territoriales »109. Toutefois, comme le notait Charles Eisenmann en 1966, il n’y a de véritable décentralisation que « si et dans la mesure où les autorités locales reçoivent le pouvoir de passer des règles ou des normes d’espèce avec la liberté que leur laisse la législation sans être soumise à aucune volonté d’une autorité administrative d’État »110.

En outre, dans le même sens, l’intervention des autorités normatrices locales n’est pas regardée comme possible, même en cas d’absence de renvoi au décret par la loi, à chaque fois que ce décret est jugé indispensable ou nécessaire111. Cette position est également loin de convaincre. Ce faisant, le juge minimise l’apport, non seulement du principe de subsidiarité selon lequel les collectivités disposent du pouvoir « de prendre les décisions concernant l’exercice de leurs compétences », mais aussi de la consécration constitutionnelle du pouvoir réglementaire local lui-même.

Enfin et plus concrètement, l’intervention du pouvoir réglementaire local ne se libère de toute contrainte ou de tout obstacle qu’en cas d’abstention du pouvoir réglementaire national112. Leur pouvoir réglementaire n’étant qu’« un dernier degré de concrétisation de la norme »113 ou ne consistant qu’à fixer « des normes modestes, au bout de la chaîne normative »114, les autorités décentralisées territoriales ne jouent qu’un rôle palliatif afin de remédier aux lacunes décrétales ou d’éviter tout risque de vide juridique. Cette gradation dans les possibilités de compléter réglementairement la loi est très préjudiciable aux collectivités. Elle est de nature à freiner ou réduire considérablement leur capacité d’user des moyens normatifs infra-législatifs. Au demeurant, si la véritable décentralisation passait « par celle du pouvoir réglementaire » comme le préconisait une partie de la doctrine en 1983115, la France ne pourrait toujours pas en 2016, être considérée comme un État décentralisé.

Au total, l’on constate que les difficultés liées à l’exigence d’une habilitation législative préalable et les aléas liés à la prééminence du pouvoir gouvernemental rendent fondamentalement précaire la décentralisation réglementaire. Ce n’est en réalité pas tant le respect que le pouvoir réglementaire local doit aux lois et règlements qui pose véritablement problème. Cela va, en quelque sorte, de soi dans un État unitaire décentralisé. Le problème provient de la ligne qui en est tracée, de manière stricte, par les textes et la jurisprudence. D’une part, la Constitution ne reconnaît aucune autonomie au pouvoir réglementaire local. Or, dans un État véritablement décentralisé, cette autonomie, vis-à-vis du pouvoir réglementaire étatique, est indispensable ou « cardiale. (…) Il est certain qu’un tel pouvoir présenterait l’incommensurable avantage de mettre fin au mouvement de recentralisation généré par la production normative de l’État »116. Cette centralisation réglementaire rend la décentralisation inhibée, non-aboutie, voire même, d’une certaine manière, une coquille vide. La conclusion logique serait de leur laisser un pouvoir de droit commun d’application des lois de décentralisation. D’autre part, le pouvoir réglementaire local est loin de bénéficier d’une véritable protection juridictionnelle. Le raisonnement prétorien laisse entendre que les autorités décentralisées « sont incapables de s’aligner sur le droit de l’État, qu’elles sont ainsi incapables de connaître le droit, de le comprendre, ou tout simplement d’être raisonnable »117. La doctrine l’a très justement relevé : le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État sont bien plus centralisateurs que décentralisateurs118. Pour équilibrer la balance, le juge, notamment constitutionnel, pourrait se refuser à suivre, de manière trop stricte, les textes, refuser toute intervention gouvernementale dès lors que le législateur renvoie l’application des lois aux collectivités locales ou encore contrôler les lois renvoyant beaucoup trop souvent au pouvoir réglementaire étatique au détriment de ces dernières. Ce faisant, il pousserait le Conseil d’État, qui se trouve au cœur de l’appareil administratif de l’État, à changer de jurisprudence. Le constat est identique en ce qui concerne l’expérimentation normative qui ne paraît pas moins précaire.

B – Le verrouillage de l’expérimentation normative

On a déjà vu l’importance de l’expérimentation normative qui produit une décentralisation, non seulement réglementaire, mais aussi et surtout législative. Or, si la possibilité de l’immixtion des autorités décentralisées, à titre expérimental, dans les deux domaines est aujourd’hui indéniable, elle demeure doublement précaire : en raison, d’une part, de son encadrement étroit (1) et, d’autre part, de son régime juridique incohérent (2). L’on constatera qu’à l’instar du pouvoir réglementaire local, l’expérimentation normative est largement subordonnée ou partielle.

1 – L’encadrement étroit de l’intervention locale expérimentale

La marge de manœuvre laissée aux collectivités dans le cadre de l’expérimentation normative est infime. Nombreuses sont les conditions et restrictions, validées d’ailleurs par le Conseil constitutionnel119, prévues par les textes : l’alinéa 4 de l’article 72 de la Constitution et l’article LO 1113 du CGCT. En raison de la lourdeur de sa procédure et la limitation de ses solutions, l’expérimentation se trouve largement verrouillée.

D’abord, la méthode d’expérimentation est soumise à une habilitation législative ou décrétale. Sans autorisation préalable, les autorités locales ne peuvent pas déroger, sur ce fondement, aux dispositions législatives ou réglementaires. En d’autres termes, « entre la décision d’expérimenter et l’expérimentation elle-même s’intercale »120 obligatoirement une loi ou un décret. Et ce texte d’habilitation doit préciser l’objet de la dérogation, les cas dans lesquels celle-ci peut être entreprise et les caractéristiques des collectivités concernées.

Ensuite, la technique d’expérimentation est matériellement limitée, à la fois, dans son objet et dans le temps. D’une part, la dérogation ne peut porter sur les conditions d’exercice d’une liberté publique ou d’un droit constitutionnellement garanti. La raison en est simple. Les conditions essentielles d’exercice de tels liberté et droit devant être les mêmes sur l’ensemble du territoire, leur exercice ne saurait être subordonné aux décisions des autorités locales121. On l’a déjà vu, cette position ne convainc pas parfaitement. D’autre part, la dérogation ne peut excéder la durée de neuf ans : cinq ans comme durée initiale, trois ans de prorogation possible, un an de prorogation à la suite du dépôt du projet ou d’une proposition de loi visant à prolonger, maintenir ou abandonner l’expérimentation. D’ailleurs, pour le Conseil constitutionnel, c’est cette limitation dans le temps qui justifie une dérogation au principe constitutionnel d’égalité122.

Par ailleurs, la demande d’expérimentation est soumise à un contrôle strict. Elle est triplement examinée : par le représentant de l’État, le ministre chargé des Collectivités territoriales et le gouvernement. Si le premier transmet la demande, accompagnée de ses observations, au ministre chargé des Collectivités, le dernier vérifie que les conditions légales sont remplies. De là, « la maîtrise de l’État sur le choix de l’expérimentation et des autorités expérimentatrices est presque totale : bien que rattachés à la libre administration, aucun droit d’initiative des collectivités n’est reconnu officiellement ou exceptionnellement par la loi organique, les parlementaires craignant de “partager” leur droit d’initiative législative avec les autorités locales »123. Le volontariat mis en avant par la réforme étant ainsi considérablement encadré, il est plus judicieux d’évoquer un droit à demander une expérimentation plutôt qu’un droit à l’expérimentation124.

En outre, l’expérimentation est soumise à des modalités d’évaluation précises : soit, la prolongation ou la modification de l’expérimentation pour une durée maximale, soit le maintien et la généralisation des mesures prises à titre expérimental, soit enfin l’abandon de l’expérimentation. La décision en revient également aux autorités centrales (le législateur ou le gouvernement) qui disposent ainsi d’un pouvoir de vie et/ou de mort sur les actes expérimentaux.

Il convient enfin de rappeler que la portée limitée du mécanisme expérimental avait été préconisé dès le départ. Cela ressort parfaitement du rapport de l’Assemblée nationale sur le projet de loi constitutionnelle relatif à l’organisation décentralisée de la République : « la loi intervient aujourd’hui dans des domaines qui ne relèvent pas de l’article 34 ; les habilitations que le législateur sera amené à autoriser relèveront formellement de dispositions législatives, mais, sur le fond, concerneront dans la grande majorité des cas des dispositions à caractère réglementaire. La généralisation de l’expérimentation permettra ainsi aux collectivités territoriales de retrouver des compétences dont l’exercice relève actuellement de façon indue de l’État »125.

En somme, l’on constate que tout passe par les autorités étatiques. Celles-ci sont omniprésentes. L’habilitation législative ou gouvernementale est nécessaire, non seulement pour le déclenchement de l’expérimentation, mais aussi pour son issue. Ce qui n’est pas sans effets sur l’effectivité du mécanisme de l’expérimentation. Les obstacles quasi-insurmontables de la procédure en question sont la cause d’un bilan décevant, du moins mitigé. L’application rarissime du procédé en est l’illustration : à ce jour, à notre connaissance, ce dernier n’a été mis en œuvre que deux fois. Elle est pour l’instant cantonnée au domaine des aides sociales : la loi n° 2006-1666 du 21 décembre 2006 (l’article 142) relative au revenu de solidarité active et la loi n° 2013-312 du 18 avril 2013 (l’article 28, actuellement, CGCT, art. L. 2224-12-1) autorisant la pratique de tarifications modulées de l’eau selon les revenus. Le déroulement de la première mise en œuvre est très révélateur. Le revenu de solidarité active pouvait, dans certains départements volontaires et à titre expérimental, se substituer au revenu minimal d’insertion. Bien que l’adhésion à la démarche soit importante, car 34 départements ont été au total autorisés à procéder à l’expérimentation (D. n° 2007-1392, 28 sept. 2007), le RSA a été généralisé par la loi n° 2008-1249 du 1er décembre 2008 sur l’ensemble du territoire. La généralisation est alors intervenue avant même qu’aucun bilan ne soit tiré de la pratique expérimentale. L’incohérence du régime juridique des actes expérimentaux en est un autre élément d’insatisfaction.

2 – L’incohérence du régime juridique de l’acte local expérimental

Le régime juridique des actes pris sur le fondement de l’expérimentation normative paraît très particulier. Ce qui est la cause d’une certaine précarité.

Avant toute chose force est de constater que, sur le régime juridique de ces actes, le texte constitutionnel principal – l’article 72 – n’apporte aucune précision. Ce texte ne fait que consacrer le contrôle de légalité en énonçant que « dans les collectivités territoriales de la République, le représentant de l’État, représentant de chacun des membres du gouvernement, à la charge des intérêts nationaux, du contrôle administratif et du respect des lois ». En revanche, certaines dispositions de la loi organique du 1er août 2003 transcrite au CGCT, contiennent des précisions quelque peu claires. Alors que l’article LO 1113-3 n’utilise que le terme d’« actes à caractère général et impersonnel », l’article LO 1113-4 prévoit que « le représentant de l’État peut assortir un recours dirigé contre un acte pris [sur le fondement de l’expérimentation normative] d’une demande de suspension ; cet acte cesse alors de produire ses effets jusqu’à ce que le tribunal administratif ait statué sur cette demande. Si le tribunal administratif n’a pas statué dans un délai d’un mois suivant sa saisine, l’acte redevient exécutoire ». Il s’ensuit que les actes expérimentaux, soumis au contrôle administratif exercé par l’autorité préfectorale, ne sont susceptibles de recours que devant le juge administratif. Si l’exercice de ce contrôle juridictionnel sur les actes émis au titre de l’expérimentation réglementaire ne pose aucun problème, il paraît juridiquement difficile de l’admettre pour les actes issus de l’expérimentation législative. La logique juridique militait en faveur d’un raisonnement inverse : intervenant dans le domaine législatif, ces actes devaient relever du contrôle du juge constitutionnel. Il faut le dire, d’une « inspiration ultra-marine », la solution retenue consiste « à préserver le mythe de la loi »126. La solution ainsi adoptée, qui n’est pas un fait anodin, est la source de plusieurs paradoxes.

En premier lieu, au vu de ce qui précède, les actes expérimentaux doivent être considérés comme des actes administratifs règlementaires ou, au mieux, comme « actes législatifs »127 pour les distinguer ainsi des véritables lois. Mais dans ce cas, comment admettre que ces actes administratifs puissent déroger à des lois ? En d’autres termes, « comment admettre qu’un acte soit soumis à des normes qu’il peut dans le même temps écarter » ? Il s’agit d’une approche pour le moins schizophrénique puisqu’elle exige d’admettre le dédoublement du régime juridique de ces actes qui peuvent se hisser au rang législatif pour modifier des dispositions législatives, mais retombent ensuite, comme « une énorme baudruche », au rang réglementaire s’agissant de leur régime contentieux »128. Un tel raisonnement n’est donc pas sans affecter la cohérence de certains principes bien sacrés, telle que la hiérarchie des normes.

En second lieu, en vertu de l’article LO 1113-4 précité, le représentant de l’État peut, à l’appui de son recours, demander la suspension de l’acte litigieux. Une fois cette demande formulée, cet acte est automatiquement suspendu et ne redevient exécutoire qu’à l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la saisine de la juridiction. Cela ne convainc pas non plus. D’abord, la suspension automatique de l’acte contesté, certes déjà prévue dans d’autres hypothèses129, est de nature à porter atteinte au caractère exécutoire des actes administratifs, considéré comme « la règle fondamentale du droit public »130. Et le fait que la durée de la suspension soit limitée à un mois n’enlève rien à une telle incohérence. Sans oublier que le Conseil constitutionnel lui-même avait déjà sanctionné une suspension automatique d’une durée de trois mois en raison de l’atteinte qu’elle porte au caractère exécutoire des actes locaux131, même s’il a, par la suite, implicitement admis une telle suspension dont la durée était de 10 jours132. Ensuite, pour prononcer la suspension des actes même émis à titre de l’expérimentation normative, aucune précision n’est apportée non plus. Le seul élément de réponse, soumis par le Conseil constitutionnel, est que « l’article LO 1113-4 soumet aux règles du droit commun le recours du représentant de l’État contre les actes d’une collectivité territoriale pris dans le cadre d’une expérimentation et organise un régime de suspension de ces actes »133. L’on sait que, s’agissant des conditions de fond du référé-suspension de droit commun d’un acte administratif individuel ou réglementaire, les dispositions de l’article 521-1 CJA exigent deux conditions : l’urgence et le doute sérieux134. Mais en matière de déféré préfectoral, l’auteur du recours bénéficiant d’un régime favorable, la suspension de l’acte est soumise à une seule condition : l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité de cet acte135. Le dispositif de l’article LO 1113-4 CGCT ne suit explicitement ni l’un ni l’autre cas. L’on sait également que, s’agissant de la nature et de la durée des mesures susceptibles d’être prises, le juge peut, dans le régime de droit commun, suspendre un acte dans un délai raisonnable et les mesures ainsi prises sont provisoires par nature. Rien d’illogique, car l’intervention du référé a pour objectif de figer les situations, le temps que le juge du fond statue. Dans le domaine de l’expérimentation normative, il est impossible de concevoir une suspension illimitée.

Au total, si en France métropolitaine, le pouvoir normatif, y compris dans le domaine de la loi, est incontestablement décentralisé, il reste fondamentalement précaire. Les progrès réalisés en la matière s’avèrent, pour l’instant, purement théoriques. L’absence d’efficacité de l’expérimentation normative locale est due à son encadrement très strict et à l’incohérence du régime juridique de ses actes. Il s’agit d’un instrument rigide, incomplet et ambigu. Le chemin à parcourir demeure encore long, surtout que les autorités étatiques sont omniprésentes et à tous les stades. Il en ira probablement de même concernant la capacité, reconnue aux régions par la loi NOTRe d’août 2015, de proposer de modifier ou d’adapter des lois et des règlements. La raison principale en est qu’il ne s’agit que de simples propositions qui n’ont aucun effet contraignant. Celles-ci ne lient en effet en rien les autorités centrales. Ces dernières ne sont d’ailleurs soumises à aucun délai déterminé afin de délivrer une quelconque réponse qui aurait même été probablement considéré comme inconstitutionnel136.

Conclusion

Trente-quatre ans s’étant déjà écoulés depuis le commencement du processus décentralisateur contemporain en 1982, le bilan est quelque peu décevant. La référence à la décentralisation dans l’article 1er est plus symbolique que juridique. L’apport principal en est l’irréversibilité du processus et de la nature de l’organisation administrative de l’État. Au bout du compte, malgré les progrès réalisés, l’effectivité de la puissance normative locale reste largement aléatoire. En réalité, « de très belles constructions juridiques s’édifient parfois sur des bases lacunaires et désordonnées »137. La pauvreté des bases constitutionnelles et la faiblesse de garanties juridictionnelles en sont les raisons principales. La centralisation normative, c’est-à-dire, le monopole étatique du pouvoir législatif et réglementaire d’application des lois, est quasi-absolue. Or, si la centralisation législative va de soi dans un État unitaire décentralisé, tel est bien moins le cas de la compétence réglementaire. L’ordre des priorités devrait être bien fixé. D’abord, une véritable liberté réglementaire d’application de la loi devrait être reconnue aux autorités décentralisées. Ce qui n’est d’ailleurs pas sans garantie, car cette liberté sera encadrée, à la fois, par la loi – expression de la volonté nationale – et par le contrôle juridictionnel, notamment de légalité. Ensuite, des prérogatives législatives peuvent être attribuées aux mêmes autorités. Les deux étapes se suivent. La réussite de la seconde dépend de celle de la première. Y parvenir paraît comme une nécessité, surtout que l’enjeu est de taille, non seulement au plan national, mais également au plan européen. À l’échelle nationale, la création de personnes morales de droit public étant coûteuse, rien ne justifie la stricte limitation de leurs prérogatives normatives. À ce titre d’ailleurs, un rapport du Sénat de 2011 pointe du doigt à quel point « le pouvoir exécutif a sa part de responsabilité » dans les coûts que les collectivités territoriales supportent lorsque, par exemple, « il adopte un règlement plus exigeant que le texte qu’il s’agit d’appliquer » ou édicte des « règlements autonomes » « sans qu’un texte législatif l’y oblige »138. À l’échelle européenne, plus particulièrement au sein des institutions européennes, les collectivités territoriales françaises ne pourront pas avoir le même poids que celui des collectivités des autres États qui bénéficient de réels pouvoirs normatifs. En ce sens, il a été rappelé que les collectivités « ont obtenu un possible accès au Conseil de l’Union en lieu et place d’un membre du gouvernement, lorsque l’ordre du jour est susceptible de les concerner. Mais dépourvues de compétence normative, les collectivités territoriales françaises ne bénéficient pas de cette faculté. C’est donc par l’intermédiaire du Comité des régions qu’est assurée leur représentation dans le processus décisionnel de l’Union »139.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Roux A., La décentralisation. Droit des collectivités territoriales, 2016, LGDJ, Systèmes, p. 5.
  • 2.
    Cela n’enlève rien à la force créatrice du droit des décisions individuelles produisant des effets juridiques aussi bien variés que particuliers. V. not. Auby J.-B., La décentralisation et le droit, 2006, LGDJ., Systèmes, p. 70 et s.
  • 3.
    Eisenmann C., Cours de droit administratif, t. I, 1982, LGDJ, p. 280.
  • 4.
    CE, sect. intérieur, avis, 15 nov. 2012, n° 387095.
  • 5.
    Schoettl J.-E., « Le Conseil constitutionnel et le statut de la Corse », AJDA 2002, p. 101 et s.
  • 6.
    Mauroy P., « Refonder l’action publique locale : un rapport au Premier ministre », 2000, La Documentation française, p. 58.
  • 7.
    Brisson J.-F., « Les nouvelles clefs constitutionnelles de répartition matérielle des compétences entre l’État et les collectivités locales », AJDA 2003, p. 529.
  • 8.
    Mercier M., Pour une République territoriale : l’unité dans la diversité, Rapport d’information, n° 447, 1999-2000, p. 505 : https://www.senat.fr/rap/r99-447-1/r99-447-11.pdf.
  • 9.
    Archives parlementaires, t. VIII, p. 593 ; Goût L., « Transferts de compétences et pouvoir normatif des collectivités territoriales. Splendeur et misère de la décentralisation sous la Ve République », LPA 10 juill. 2008, p. 51.
  • 10.
    Tels que les articles 1ers des Constitutions du 3 septembre 1791, du 22 août 1795, du 13 décembre 1799, du 27 octobre 1946 et du 4 octobre 1958. Il en allait de même du point II du Préambule de la Constitution du 4 novembre 1848.
  • 11.
    Favoreu L., « Les bases constitutionnelles du droit des collectivités territoriales », in Moderne F. (dir.), La nouvelle décentralisation, 1983, Sirey, p. 20.
  • 12.
    Mathieu B. et Verpeaux M., Droit constitutionnel, 2004, PUF, p. 680.
  • 13.
    L’article 5 de la Constitution italienne de 1947.
  • 14.
    L’article 2 du titre préliminaire de la Constitution espagnole de 1978.
  • 15.
    Pour reprendre le terme du président du Sénat, Poncelet C., Proposition de loi constitutionnelle, n° 402, Sénat, 2001-2002 : https://www.senat.fr/rap/l02-027/l02-0276.html.
  • 16.
    V. par ex., Caillosse J., « Oui, encore la différenciation ! Mais de quoi s’agit-il donc ? », Pouvoirs locaux 2012, n° 93, p. 45 ; Auby J.-B. et Renaudie O. (dir.), Réforme territoriale et différenciation(s), 2016, Berger-Levrault.
  • 17.
    Pasquier R., « Les régions dans la réforme territoriale : vers un fédéralisme à la française ? », AJCT 2016, p. 74.
  • 18.
    Si l’unité de l’État n’apparaît plus dans la Constitution de 1958, elle pourrait toujours s’exprimer par le principe de l’indivisibilité. Comme le précise Joyau M., « dépourvue de tout contenu normatif », l’unité de la République ne saurait consacrer le « monopole étatique du pouvoir normatif » : Joyau M., De l’autonomie des collectivités territoriales françaises. Essai sur la liberté du pouvoir normatif local, 1998, LGDJ, p. 96.
  • 19.
    Joyau M., De l’autonomie des collectivités territoriales françaises, op. cit., p. 100.
  • 20.
    Goût L., « Transferts de compétences et pouvoir normatif des collectivités territoriales. Splendeur et misère de la décentralisation sous la Ve République », art. préc., p. 60.
  • 21.
    Auby J.-B., La décentralisation et le droit, 2006, LGDJ., Systèmes, p. 10, 18 et 139.
  • 22.
    Cons. const., 17 juill. 1985, n° 85-189 DC, loi relative à la définition et à la mise en œuvre de principes d’aménagement, cons. 15 : JO, 19 juill. 1985, p. 8200.
  • 23.
    Cons. const., 20 avr. 2012, n° 2012-238 QPC, Société anonyme Paris Saint-Germain football [Impôt sur les spectacles], cons. 10 à 12 : JO, 21 avr. 2012, p. 7198.
  • 24.
    Auby J.-B., La décentralisation et le droit, op. cit., p. 144.
  • 25.
    Cons. const., 9 déc. 2010, n° 2010-618 DC, loi de réforme des collectivités territoriales, cons. 54 : JO, 17 déc. 2010, p. 22181.
  • 26.
    Il convient de rappeler qu’à l’origine, la gestion de l’urbanisme revenait aux autorités décentralisées. Et c’est la loi du 15 juin 1943 relative à l’urbanisme qui a transféré cette compétence à l’État. Il a fallu attendre la loi du 7 janvier 1983 pour que lesdites autorités se retrouvent à nouveau renforcées en la matière.
  • 27.
    Jacquot H. et Priet F., Droit de l’urbanisme, 7e éd., 2015, Dalloz, p. 18.
  • 28.
    Cons. const., 14 janv. 1999, n° 98-407 DC, loi relative au mode d’élection des conseillers régionaux et des conseillers à l’assemblée de Corse et au fonctionnement des conseils régionaux, cons. 26 : JO, 20 janv. 1999, p. 1028.
  • 29.
    CE, 7 févr. 1936, n° 43321, Jamart : Lebon, p. 172.
  • 30.
    Cons. const., 18 sept. 1986, n° 86-217 DC, loi relative à la liberté de communication, cons. 58 : JO, 19 sept. 1986, p. 11294.
  • 31.
    CE, 13 févr. 1985, n° 40756, Syndicat communautaire d’aménagement de Cergy-Pontoise : Lebon, p. 37.
  • 32.
    CE, 10 oct. 1990, n° 63761, Commissaire de la République du département de Seine-et-Marne : Lebon T., p. 617.
  • 33.
    CE, 5 oct. 1998, n° 172597, Cne de Longjumeau : Lebon T., p. 768.
  • 34.
    CE, 29 juin 2001, n° 193716, Cne de Mons-en-Barœul : Lebon, p. 298.
  • 35.
    Cons. const., 20 janv. 1984, n° 83-168 DC, Fonction publique territoriale, cons. 5 et s. : JO, 21 janv. 1984, p. 368.
  • 36.
    Cons. const., 17 juill. 1985, n° 85-189 DC, préc., cons. 7 et s.
  • 37.
    Cons. const., 29 mai 1990, n° 90-274 DC, Droit au logement, cons. 13. : JO, 1er juin 1990, p. 6518.
  • 38.
    Cons. const., 25 juill. 1990, n° 90-277 DC, Établissement d’impôts directs locaux, cons. 14 : JO, 27 juill. 1990, p. 902.
  • 39.
    Cons. const., 18 juill. 2001, n° 2001-447 DC, la prise en charge de la perte d’autonomie des personnes âgées et à l’allocation personnalisée d’autonomie, cons. 24 et s. : JO, 21 juill. 2001, p. 11743.
  • 40.
    Cons. const., 17 janv. 2002, n° 2001-454 DC, loi relative à la Corse, cons. 12 : JO, 23 janv. 2002, p. 1526.
  • 41.
    Faure B., Droit des collectivités territoriales, 4e éd., 2016, Dalloz, p. 527.
  • 42.
    Cons. const., 7 juill. 2005, n° 2005-516 DC, loi de programme fixant les orientations de la politique énergétique, cons. 12 : JO, 14 juill. 2005, p. 11589.
  • 43.
    Brisson J.-F., « Les nouvelles clefs constitutionnelles de répartition matérielle des compétences entre l’État et les collectivités locales », art. préc., p. 530 et s.
  • 44.
    Auby J.-B., La décentralisation et le droit, op. cit., p. 62.
  • 45.
    Brisson J.-F., « Les nouvelles clefs constitutionnelles de répartition matérielle des compétences entre l’État et les collectivités locales », art. préc., p. 538.
  • 46.
    Cons. const., 26 avr. 2013, n° 2013-303 QPC, intégration d’une commune dans un EPCI à fiscalité propre, cons. 4 : JO, 28 avr. 2013, p. 7398 – Cons. const., 21 oct. 2016, n° 2016-588 QPC, choix de l’EPCI de rattachement pour les communes nouvelles, cons. 6.
  • 47.
    Cons. const., 19 janv. 1988, n° 87-241 DC, loi portant statut du territoire de la Nouvelle-Calédonie, cons. 6 : JO, 21 janv. 1988, p. 1025.
  • 48.
    Cons. const., 8 juill. 2011, n° 2011-146 QPC, Dépt des Landes, cons. 5. : JO, 9 juill. 2011, p. 11978.
  • 49.
    Cons. const., 17 janv. 2002, n° 2001-454 DC, préc., cons. 12.
  • 50.
    Douence J.-C., « Élaboration du statut : compétence exclusive de l’État ou compétence partagée ? », Cahiers du CFPC, n° 13, oct. 1983, p. 13.
  • 51.
    Faure B., « Le leadership régional : nouvelle orientation du droit des collectivités territoriales ? », AJDA 2015, p. 1898.
  • 52.
    Cons. const., 28 juill. 1993, n° 93-322 DC, Statut des établissements publics à caractère scientifique, culturel et professionnel, cons. 8 et 9. : JO, 30 juill. 1993, p. 10750.
  • 53.
    CE, 29 juin 2001, n° 193716, Cne de Mons-en-Barœul, préc.
  • 54.
    Pour reprendre le terme utilisé par le professeur Pontier J.-M., « La loi organique relative à l’expérimentation par les collectivités territoriales », AJDA 2003, p. 1716.
  • 55.
    Cons. const., 19 juill. 1983, n° 83-160 DC, loi portant approbation d’une convention fiscale avec le territoire d’outre-mer de la Nouvelle-Calédonie et dépendances, cons. 9 et s. : JO, 21 juill. 1983, p. 2251.
  • 56.
    Cons. const., 30 juill. 2003, n° 2003-478 DC, loi relative à l’expérimentation par les collectivités territoriales, cons. 3 : JO, 2 août 2003, p. 13302.
  • 57.
    Longuet G., Rapport au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale sur le projet de loi organique, relatif à l’expérimentation par les collectivités territoriales, n° 408, 2002-2003 : https://www.senat.fr/rap/l02-408/l02-4081.pdf.
  • 58.
    Piron M., Rapport au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République sur le projet de loi organique (n° 855) relatif à l’expérimentation par les collectivités territoriales : JO, doc., Ass. nat., n° 955 : http://www.assemblee-nationale.fr/12/rapports/r0955.asp.
  • 59.
    Séance, 29 oct. 2002 : https://www.senat.fr/seances/s200210/s20021029/s20021029_mono.html.
  • 60.
    Séance, 30 oct. 2002 : https://www.senat.fr/seances/s200210/s20021030/s20021030_mono.html.
  • 61.
    Verpeaux M., « Pouvoir réglementaire », in Alland D. et Rolas S (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, 2012, PUF, p. 1180.
  • 62.
    Cons. const., 17 janv. 2002, n° 2001-454 DC, préc., cons. 13. Dans ce sens, v. Cons. const., 8 août 1985, n° 85-196 DC, loi sur l’évolution de la Nouvelle-Calédonie, cons. 9 et s. : JO, 8 août 1985, p. 9125 – Cons. const., 29 mai 1990, n° 90-274 DC, préc., cons. 12 et 13.
  • 63.
    CE, sect. intérieur, avis, 15 nov. 2012, préc.
  • 64.
    CE, sect. intérieur, avis, 15 nov. 2012, préc.
  • 65.
    CE, 14 nov. 1997, n° 149506, Centre de gestion dépt du Nord : Lebon T., p. 894.
  • 66.
    CE, sect. intérieur, avis, 15 nov. 2012, préc.
  • 67.
    CE, avis, 20 mars 1992, n° 131852, Préfet du Calvados : Lebon, p. 123 – CE, 12 avr. 1995, n° 132659, Région Languedoc-Roussillon, D.
  • 68.
    CE, ass., 2 déc. 1994, n° 148121, Cne de Cuers : Lebon, p. 522 – CE, 30 juin 1997, n° 137045, Ville de Vichy, D – CE, avis, 1er févr. 2006, n° 287656, Préfet du Puy-de-Dôme : Lebon, p. 33.
  • 69.
    CE, sect. intérieur, avis, 15 nov. 2012, préc.
  • 70.
    Cons. const., 18 janv. 1985, n° 84-185 DC, loi modifiant et complétant la loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 et portant dispositions diverses relatives aux rapports entre l’État et les collectivités territoriales, cons. 18 : JO, 20 janv. 1985, p. 821 – Cons. const., 17 janv. 2002, n° 2001-454 DC, préc.
  • 71.
    CE, ass., 29 avr. 1994, n° 119562, Haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie : Lebon, p. 205.
  • 72.
    Faure B., « Le Conseil d’État et le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales. L’heure de vérité ? », AJDA 2013, p. 2242.
  • 73.
    CE, sect., 18 déc. 1959, Sté les Films Lutétia : Lebon, p. 693.
  • 74.
    CE, ass., 27 oct. 1995, Cne de Morsang-sur-Orge : Lebon, p. 372.
  • 75.
    V. C. pén., art. R. 610.
  • 76.
    CE, 19 mai 1933, Benjamin : Lebon, p. 541 – CE, 4 déc. 1974, Barrois : Lebon, p. 607.
  • 77.
    CE, ass., 22 juin 1951, nos 00590 et 02551, Fédération nationale des photos filmeurs : Lebon, p. 363. – CE, 8 déc. 1995, n° 115217, SA Comitex, inédit.
  • 78.
    Toutée H., concl., sur CE, avis, 20 mars 1992, n° 131852, Préfet du Calvados, « Date d’entrée en vigueur des textes relatifs à la fixation des régimes indemnitaires des fonctionnaires territoriaux », AJDA 1992, p. 294.
  • 79.
    CE, 12 déc. 2003, n° 236442, Dépt des Landes : Lebon, p. 503.
  • 80.
    Cons. const., 24 juill. 2008, n° 2008-567 DC, cons. 32 et 33, loi relative aux contrats de partenariat : JO, 29 juill. 2008, p. 12151.
  • 81.
    Cons. const., 9 déc. 2010, n° 2010-618 DC, préc., cons. 22.
  • 82.
    CE, sect. intérieur, avis, 15 nov. 2012, préc.
  • 83.
    La loi NOTRe impose des conditions strictes. Concernant l’élaboration du SRADDET, l’association et la consultation de multiples autorités, tel que le préfet de région, sont prévues à l’article L. 4251-5 et suivants du CGCT. Ce schéma est surtout soumis à l’approbation du préfet dont les modifications doivent être prises en compte par la région dans un délai de 3 mois (L. 4251-7). La démarche est quasi identique en cas d’éventuelles modifications futures du schéma (L. 4251-9). Il en va de même pour le SRDEII : l’exigence d’une approbation du préfet de région par arrêté ainsi qu’une prise en compte de ses éventuelles modifications sont prévues (L. 4251-16). Saisi d’une QPC sur ce pouvoir, le Conseil d’État s’est refusé à renvoyer la question soulevée par l’Assemblée des départements de France au Conseil constitutionnel en jugeant que « le législateur n’a pas privé de garanties suffisantes l’exercice de la libre administration des collectivités territoriales en soumettant le schéma » en question à l’approbation préalable du préfet « en vue d’assurer, sous le contrôle du juge, le respect de la légalité, notamment le respect des obligations internationales de la France, et des intérêts nationaux » ; la question n’était ni nouvelle ni sérieuse : CE, 20 mai 2016, n° 397364, Assemblée des départements de France, D.
  • 84.
    CE, sect. intérieur, avis, 15 nov. 2012, préc.
  • 85.
    C’est l’arrêt Chambre syndicale de commerce en détail de Nevers (CE, 30 mai 1930 : Lebon, p. 583) qui « a ouvert la voie à une conception locale de l’intérêt public » : Bordier D., « Les chassés-croisés de l’intérêt local et de l’intérêt national », AJDA 2007, p. 2189.
  • 86.
    V. Pontier J.-M., L’État et les collectivités locales. La répartition des compétences, 1978, LGDJ, p. 76 et s.
  • 87.
    V. par ex., CE, 29 juin 2001, n° 193716, Cne de Mons-en-Barœul, préc.
  • 88.
    Roux A., La décentralisation. Droit des collectivités territoriales, op. cit., p. 95.
  • 89.
    Cons. const., 9 déc. 2010, n° 2010-618 DC, préc., cons. 54. Tel ne devrait pas être le cas de la commune dont la clause générale de compétence est reconnue par une loi républicaine : l’article 61 de la loi du 5 avril 1884.
  • 90.
    Faure B., « Le leadership régional : nouvelle orientation du droit des collectivités territoriales ? », art. préc., p. 1899. Saisie d’une QPC sur la suppression de la clause générale de compétences des départements, la haute juridiction administrative l’a renvoyée au Conseil constitutionnel (CE, 20 juin 2016, n° 397366, Assemblée nationale des départements de France, D) qui a validé la suppression en estimant « que compte tenu de l’étendue des attributions dévolues aux départements par les dispositions législatives en vigueur, qu’il s’agisse de compétences exclusives, de compétences partagées avec d’autres catégories de collectivités territoriales ou de compétences susceptibles d’être déléguées par d’autres collectivités territoriales, les dispositions contestées ne privent pas les départements d’attributions effectives » : Cons. const., 16 sept. 2016, n° 2016-565 QPC, Clause de compétence générale des départements, cons. 6.
  • 91.
    Roux A., La décentralisation, Droit des collectivités territoriales, op. cit., p. 141.
  • 92.
    Roux A., La décentralisation, Droit des collectivités territoriales, op. cit., p. 141.
  • 93.
    Il a considéré qu’« il résulte de la généralité des termes retenus par le constituant que le choix du législateur d’attribuer une compétence à l’État plutôt qu’à une collectivité territoriale ne pourrait être remis en cause, sur le fondement de cette disposition, que s’il était manifeste qu’eu égard à ses caractéristiques et aux intérêts concernés, cette compétence pouvait être mieux exercée par une collectivité territoriale » : Cons. const., 7 juill. 2005, n° 2005-516 DC, préc., cons. 12.
  • 94.
    Faure B., Droit des collectivités territoriales, op. cit., p. 475 et s.
  • 95.
    Sénat, 30 oct. 2002 : JO débats, Sénat, 31 oct. 2002, p. 3307 : https://www.senat.fr/themas/nominative2002.pdf.
  • 96.
    Janicot L., « Le pouvoir normatif des régions », RFDA 2016, p. 664 et s.
  • 97.
    Cons. const., 18 sept. 1986, n° 86-217 DC, préc., cons. 58.
  • 98.
    Cons. const., 30 déc. 1987, n° 87-237 DC, loi de finances pour 1988, cons. 5 : JO, 31 déc. 1987, p. 15761.
  • 99.
    Cons. const., 20 janv. 1984, n° 83-168 DC, préc., cons. 6 et 19.
  • 100.
    CE, ass., 27 oct. 1989, n° 95511, Cottrel : Lebon, p. 218.
  • 101.
    CE, 9 oct. 2002, n° 238070, Fédération des personnels des services des départements et des régions CGT-FO : Lebon T., p. 791 – CE, 31 mars 2004, n° 242858, Syndicat Sindicatu di I travagliadori Corsi, inédit.
  • 102.
    Cons. const., 17 janv. 1989, n° 88-248 DC, Conseil supérieur de l’audiovisuel, cons. 15 : JO, 18 janv. 1989, p. 754.
  • 103.
    V. par ex., Cons. const., 5 août 2015, n° 2015-715 DC, loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, cons. 45 : JO, 7 août 2015, p. 13616.
  • 104.
    Or, de manière contradictoire, le juge administratif quant à lui estime qu’il revient à la loi de confier aux collectivités « le soin de fixer tout ou partie de ses modalités d’application » : CE, sect. intérieur, avis, 15 nov. 2012, préc.
  • 105.
    CE, avis, 3 févr. 2001, n° 365726, projet de loi « modifiant et complétant le statut de la collectivité territoriale de Corse ».
  • 106.
    CE, 5 oct. 1998, n° 172597, Cne de Longjumeau, préc.
  • 107.
    Faure B., Droit des collectivités territoriales, op. cit., p. 471.
  • 108.
    CE, 1er avril 1996, n° 141958, Dépt de la Loire : Lebon, p. 110.
  • 109.
    CE, avis, 20 mars 1992, n° 131852, Préfet du Calvados, préc. – v. aussi, CE, 27 nov. 1992, n° 129600, Fédération Interco CFDT : Lebon, p. 427 – CE, 12 avr. 1995, n° 132659, Région Languedoc-Roussillon, préc.
  • 110.
    Eisenman C., « Les structures de l’Administration », in Traité de science administrative, 1966, Mouton, p. 299.
  • 111.
    CE, ass., 2 déc. 1994, nos 148121, Cne de Cuers (1re espèce) et 147962, Préfet de la région Nord-Pas-de-Calais, préfet du Nord, (2e espèce) : Lebon, p. 522 – CE, 30 juin 1997, n° 137045, Ville de Vichy, D – CE, avis, 1er févr. 2006, n° 287656, Préfet du Puy-de-Dôme : Lebon, p. 33.
  • 112.
    CE, 10 juin 1988, n° 90306, Dépt de l’Orne c/ Gandon : Lebon, p. 233.
  • 113.
    Frier P.-L., « Le pouvoir réglementaire local : force de frappe ou puissance symbolique ? », AJDA 2003, p. 561.
  • 114.
    Chavrier G., Le pouvoir normatif local, enjeux et débats, 2011, LGDJ, Systèmes, p. 163.
  • 115.
    Bourjol M., « Les premières rencontres d’Angers », Cahiers du CFPC 1983, n° 13, p. V : Caillosse J., Les « mises en scène » juridiques de la décentralisation. Sur la question du territoire français, 2009, LGDJ, p. 75.
  • 116.
    Chavrier G., Le pouvoir normatif local, op. cit., p. 101.
  • 117.
    Chavrier G., Le pouvoir normatif local, op. cit., p. 129.
  • 118.
    Duffy-Meunier A., « Le Conseil constitutionnel est-il centralisateur ? Réflexions sur les rapports entre libre administration et décentralisation dans la jurisprudence constitutionnelle », in L’État dans ses relations avec les collectivités territoriales, 2011, LGDJ, LEJEP, p. 171 et s. ; Janicot L., « Le juge administratif est-il décentralisateur ? Réflexions à partir de quelques arrêts du Conseil d’État », in L’État dans ses relations avec les collectivités territoriales, op. cit., p. 200 et s.
  • 119.
    Cons. const., 30 juill. 2003, n° 2003-478 DC, préc.
  • 120.
    Brosset E., « L’impossibilité pour les collectivités territoriales françaises d’exercer le pouvoir législatif à l’épreuve de la révision constitutionnelle sur l’organisation décentralisée de la République », RFDC 2004, n° 60, p. 718.
  • 121.
    Cons. const., 18 janv. 1985, n° 84-185 DC, préc., cons. 18 – Cons. const., 17 janv. 2002, n° 2001-454 DC, préc., cons. 12.
  • 122.
    Cons. const., 16 juill. 2009, n° 2009-584 DC, cons. 38, loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires : JO, 22 juill. 2009, p. 1224.
  • 123.
    Chavrier G., Le pouvoir normatif local, op. cit., p. 79.
  • 124.
    Brisson J.-F., « Les nouvelles clefs constitutionnelles de répartition matérielle des compétences entre l’État et les collectivités locales », art. préc., p. 536.
  • 125.
    Clément P., rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale du Sénat sur le projet de loi constitutionnelle relatif à l’organisation décentralisée de la République, n° 376, 18 nov. 2002 : http://www.assemblee-nationale.fr/12/rapports/r0376.asp.
  • 126.
    Chavrier G., Le pouvoir normatif local, op. cit., p. 76. Ainsi, le pouvoir normatif local n’est que réglementaire. L’unique exception est celle du cas de la Nouvelle-Calédonie qui peut, dans certains domaines relavant du Parlement, prendre des « lois du pays » dont le contrôle relève de la compétence du Conseil constitutionnel. Pour le Conseil d’État, « les lois du pays constituent un véritable pouvoir législatif autonome » : CE, Collectivités territoriales et obligations communautaires, 2004, La Documentation française, p. 31.
  • 127.
    Gohin O., « Pouvoir législatif et collectivités locales », in Les collectivités locales, Mélanges en l’honneur de Jacques Moreau, 2003, Economica, p. 182.
  • 128.
    Brosset E., « L’impossibilité pour les collectivités territoriales françaises d’exercer le pouvoir législatif à l’épreuve de la révision constitutionnelle sur l’organisation décentralisée de la République », art. préc., p. 730.
  • 129.
    Tel est le cas en matière d’urbanisme, de marchés et de délégation de service public (CGCT, art. L. 2131-6) et des délibérations de l’Assemblée de Corse ayant pour objet d’adapter les dispositions réglementaires nationales aux spécificités de l’île (CGCT, art. L. 4423-1).
  • 130.
    CE, ass., 2 juill. 1982, nos 25288 et 25323, Huglo et a. : Lebon, p. 257 et 369.
  • 131.
    Cons. const., 20 janv. 1993, n° 92-316 DC, loi relative à la prévention de la corruption et à la transparence de la vie économique et des procédures publiques, cons. 57 : JO, 22 janv. 1993, p. 1118.
  • 132.
    Cons. const., 26 janv. 1995, n° 94-358 DC, loi d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire : JO, 1er févr. 1995, p. 1706.
  • 133.
    Cons. const., 30 juill. 2003, n° 2003-478 DC, préc., cons. 5.
  • 134.
    Pour une étude exhaustive sur cette procédure, v. Sayede Hussein A., Le juge administratif, juge du référé-suspension, 2014, PUAM.
  • 135.
    V. CGCT, art. L. 2131-6, L. 3132-1 et L. 4142-1.
  • 136.
    En 1991, le Conseil constitutionnel a jugé que « le législateur ne saurait, sans excéder la limite de ses pouvoirs, enjoindre au Premier ministre de donner une réponse dans un délai déterminé à une proposition de modification de la législation ou de la réglementation, émanant de l’organe délibérant d’une collectivité territoriale » : Cons. const., 9 mai 1991, n° 91-290 DC, cons. 50, loi portant statut de la collectivité territoriale de Corse : JO, 14 mai 1991, p. 6350.
  • 137.
    Auby J.-B., La décentralisation et le droit, op. cit., p. 98.
  • 138.
    « Ainsi, un décret exigeant des portes d’une largeur de 90 cm (supposant une mise aux normes lorsqu’elles n’en font que 89) est plus contraignant qu’une loi qui requiert simplement que les locaux soient accessibles aux personnes à mobilité réduite » : rapport d’information sur les normes applicables aux collectivités territoriales, Sénat, n° 317, 2010-2011, p. 9 et s. : https://www.senat.fr/rap/r10-317/r10-3171.pdf.
  • 139.
    Lamblin-Gourdin A.-S., « Des enjeux européens », in Hastings-Marchadier A. et Faure B. (dir.), La décentralisation à la française, 2015, LGDJ, Systèmes, p. 92.
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