Loi Littoral et énergies renouvelables : les ratés de la loi EnR du 10 mars 2023

Publié le 18/04/2023
Maison au bord de la mer
Rolf/AdobeStock

La récente loi du 10 mars 2023 sur les énergies renouvelables prévoit de nouvelles dérogations à la loi Littoral, en vue de favoriser le développement de ces énergies (à terre et en mer). Son écriture parfois laborieuse et ses problèmes d’articulation avec les textes antérieurs mettent à mal l’intelligibilité même du dispositif.

L. n° 2023-175, 10 mars 2023, relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, NOR : ENER2223572L

La loi n° 2023-175 du 10 mars 2023, relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, a franchi sans surprise le cap du Conseil constitutionnel1. Sa lecture ne laisse planer aucun doute sur la volonté d’assouplir le cadre juridique applicable à l’implantation (entre autres) d’éoliennes et d’ouvrages de production d’énergie solaire, y compris sur le territoire des communes riveraines de la mer.

Dans cette optique, le législateur a institué de nouvelles dérogations à la loi Littoral du 3 janvier 1986, dont l’écriture laisse toutefois perplexe au regard du caractère parfois peu lisible du texte voté par le Parlement.

Énergie solaire

En premier lieu, il faut évoquer l’apport de l’article 37 de la loi du 10 mars 2023 en matière d’énergie solaire, permettant – notamment – d’implanter des panneaux photovoltaïques en échappant au fameux principe de la loi Littoral dit de l’extension de l’urbanisation en continuité des zones déjà urbanisées2. Le Conseil d’État a récemment rappelé l’état du droit applicable avant la loi nouvelle : l’implantation de panneaux photovoltaïques constitue une extension de l’urbanisation ne pouvant dès lors être autorisée que si elle est située en continuité avec une agglomération ou un village existant3

Ainsi, « par dérogation à l’article L. 121-8 [du Code de l’urbanisme], les ouvrages nécessaires à la production d’énergie solaire photovoltaïque ou thermique peuvent être autorisés sur des friches définies à l’article L. 111-26. La liste de ces friches est fixée par décret, après concertation avec le Conservatoire de l’espace littoral et des rivages lacustres prévu à l’article L. 322-1 du Code de l’environnement et avis des associations représentatives des collectivités territoriales concernées »4.

Reconnaissons que la nouvelle dérogation, de manière générale, paraît relativement bien cadrée. D’une part, si la notion de « friche », définie à l’article L. 111-26 du Code de l’urbanisme5, n’est certes pas d’une clarté à toute épreuve, elle est sans doute préférable à celle (encore plus floue) de « terrains dégradés », et le Conservatoire du littoral est utilement associé à l’établissement de la liste décrétale à venir aux fins de recenser les friches éligibles. D’autre part, l’autorisation accordée par le préfet devra être (classiquement) précédée de l’avis (simple) de la Commission départementale de la nature, des paysages et des sites et ne pourra être délivrée que si le projet en cause n’est « pas de nature à porter atteinte à l’environnement, notamment à la biodiversité ou aux paysages et à la salubrité ou à la sécurité publiques, en fonctionnement normal comme en cas d’incident ou d’accident ». En ce sens, la loi précise que l’instruction de la demande s’appuiera sur une étude fournie par le pétitionnaire.

On voit donc que l’installation de panneaux solaires en discontinuité des zones déjà urbanisées est conditionnée par un certain nombre de paramètres liés à la protection de l’environnement, sachant que le législateur a également intégré l’objectif de renaturation des friches, dans le cadre d’une forme de « bilan coûts-avantages » : « S’agissant des friches, il appartient au pétitionnaire de justifier que le projet d’installation photovoltaïque ou thermique est préférable, pour des motifs d’intérêt général, à un projet de renaturation, lorsque celui-ci est techniquement réalisable »6. La mise en œuvre de ces dispositions ne sera pas aisée et risque de contrarier certains projets.

Quoi qu’il en soit, la dérogation « énergie solaire » n’est pas, pour autant, à l’abri de toute critique au regard des impératifs fondamentaux de la loi Littoral : en effet, si elle n’est pas en soi injustifiable, elle ne saurait donner l’illusion d’une dérogation générale. Il eût été souhaitable de rappeler que lesdites installations nécessaires à la production d’énergie solaire demeuraient clairement proscrites dans les espaces remarquables du littoral (au sens de C. urb., art. L. 121-23) et dans la bande des 100 mètres (C. urb., art. L. 121-16)7. On sait que seuls des aménagements légers relevant des catégories limitativement listées par décret (C. urb., art. R. 121-5) sont admissibles dans les espaces remarquables et que les exceptions au principe d’inconstructibilité de la bande des 100 mètres ne concernent traditionnellement que les ouvrages liés aux services publics et aux activités économiques exigeant la proximité immédiate de l’eau.

Énergie renouvelable en mer

En second lieu et de manière beaucoup plus problématique, les dispositions exceptionnelles de l’article 66 de la loi EnR du 10 mars 2023 (contenues dans le titre IV : « Mesures tendant à l’accélération du développement des installations de production d’énergie renouvelable en mer »)8 soulèvent de sérieuses questions de lisibilité et de cohérence.

À ce sujet, le législateur a prévu une dérogation complexe (car assortie de quelques précautions) à l’ensemble de la loi Littoral au bénéfice des « ouvrages du réseau public de transport d’électricité » contribuant aux objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, de neutralité carbone et de développement des énergies renouvelables, en dehors des zones d’érosion devant être délimitées dans le cadre de la loi Climat et résilience9.

Il est précisé, s’agissant des lignes électriques, que celles-ci sont souterraines, « sauf si leur enfouissement s’avère plus dommageable pour l’environnement ou techniquement excessivement complexe ou financièrement disproportionné par rapport à l’installation de lignes aériennes ». Cela étant, dans la bande des 100 mètres et dans les espaces remarquables du littoral, le passage de lignes électriques devra répondre « à une nécessité technique impérative démontrée » et l’autorisation sera par ailleurs refusée en cas « d’atteinte excessive » à un site ou paysage remarquable au sens de l’article L. 121-23 du Code de l’urbanisme.

Intelligibilité de la loi EnR

Les interrogations ne manquent pas… D’une part, vient se greffer discrètement à ce dispositif déjà exceptionnel une « dérogation » supplémentaire, peu claire, visant les postes électriques, dont il faudra bien cerner la portée concrète10. D’autre part et malgré les conditions et limites posées par la loi, la possibilité (même restreinte) d’implanter des lignes électriques aériennes dans des espaces éminemment sensibles fait donc son entrée en droit du littoral…

Au-delà de l’opportunité du dispositif, on s’interroge sur son articulation avec les dispositions dérogatoires antérieures du Code de l’urbanisme relatives « à l’atterrage des canalisations et à leurs jonctions » (notamment issues des lois Grenelle 2 et Brottes), lesquelles n’ont été ni abrogées ni modifiées par la loi EnR du 10 mars 2023. Or, ces mesures, qui entendaient déjà faciliter l’implantation des ouvrages électriques liés aux parcs éoliens en mer en dérogeant à la loi Littoral, ne posent pas exactement les mêmes conditions que celles de la loi nouvelle…

En effet, les articles L. 121-17 et L. 121-25 du Code de l’urbanisme n’autorisent lesdites « canalisations et jonctions » dans les espaces remarquables et la bande des 100 mètres qu’en mode souterrain, après enquête publique, mais sans aller jusqu’à exiger de « nécessité technique impérative démontrée ». La loi du 10 mars 2023 exige pour sa part une telle nécessité mais autorise le mode aérien pour les lignes électriques, fût-ce à titre exceptionnel.

Il est bien difficile, dans ces conditions, de rendre cohérent l’ensemble de l’édifice, qui contient à la fois des redondances et accessoirement des contradictions, sauf à considérer, de manière sans doute très artificielle, que « l’atterrage des canalisations et leurs jonctions » des articles L. 121-17 et L. 121-25 du Code de l’urbanisme relèvent d’un régime dérogatoire spécifique, dérogeant au régime général (lui-même dérogatoire) des « ouvrages du réseau public de transport d’électricité » du nouvel article L. 121-5-2…

Comprenne qui pourra ; l’esprit de la loi paraît insondable sur ce point. Les dossiers juridiques afférents à ces questions ne seront certainement pas simples à constituer et le contentieux n’en sera pas facilité. L’État devrait prendre le temps de la réflexion avant de s’approprier les multiples revendications des opérateurs économiques…

Finalement, sans même insister, dans un autre registre, sur les lacunes de la loi EnR s’agissant de l’évitement des aires marines protégées11, on conviendra que les nouvelles dérogations à la loi Littoral, relatives aux énergies renouvelables, posent singulièrement question au regard de l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, à l’heure où les pouvoirs publics ne cessent de vouloir simplifier et sécuriser le cadre juridique des énergies renouvelables.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cons. const., DC, 9 mars 2023, n° 2023-848.
  • 2.
    C. urb., art. L. 121-8 : « L’extension de l’urbanisation se réalise en continuité avec les agglomérations et villages existants ».
  • 3.
    CE, 17 févr. 2023, n° 452346, Sté Soleil Participatif du Narbonnais.
  • 4.
    C. urb., art. L. 121-12-1, I, lequel ajoute que « ces ouvrages peuvent également être autorisés sur les bassins industriels de saumure saturée ».
  • 5.
    « Au sens du présent Code [de l’urbanisme], on entend par “friche” tout bien ou droit immobilier, bâti ou non bâti, inutilisé et dont l’état, la configuration ou l’occupation totale ou partielle ne permet pas un réemploi sans un aménagement ou des travaux préalables. Les modalités d’application du présent article sont fixées par décret ».
  • 6.
    L’article L. 121-12-1, I, du Code de l’urbanisme ajoute en la matière que « cette démonstration peut tenir compte notamment du coût d’un tel projet de renaturation, des obstacles pratiques auxquels est susceptible de se heurter sa mise en œuvre, de sa durée de réalisation ainsi que des avantages que comporte le projet d’installation photovoltaïque ou thermique ».
  • 7.
    Ainsi que dans les zones exposées au recul du trait de côte (à l’horizon de 30 ans) de l’article L. 121-22-2, 1°, du Code de l’urbanisme.
  • 8.
    C. urb., art. L. 121-5-2.
  • 9.
    Ces zones d’érosion (à l’horizon de 30 ans et à un horizon compris entre 30 et 100 ans) sont définies à l’article L. 121-22-2 du Code de l’urbanisme.
  • 10.
    L. n° 2023-175, 10 mars 2023, art. 27, V, non codifié : « Par dérogation à l’article L. 121-5-2 du Code de l’urbanisme, la construction de postes électriques dans les espaces identifiés comme remarquables ou caractéristiques et dans les milieux identifiés comme nécessaires au maintien des équilibres biologiques en application de l’article L. 121-23 du Code de l’urbanisme peut être autorisée sur des sites dont la liste est fixée par décret, au regard des installations industrielles identifiées au I du présent article et de l’existence de ces espaces et ces milieux dans le périmètre du projet (…) Cette autorisation est subordonnée à la démonstration par le pétitionnaire que la localisation du projet dans ces espaces et ces milieux répond à une nécessité technique impérative ».
  • 11.
    L’article 56 de la loi du 10 mars 2023 affirme en effet que, pour l’élaboration de la cartographie des zones prioritaires pour l’implantation de parcs éoliens en mer, « sont ciblées en priorité des zones (…) situées dans la zone économique exclusive et en dehors des parcs nationaux ayant une partie maritime ». Le législateur fait ainsi fort peu de cas des zones Natura 2000 en mer et des parcs naturels marins…
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