Parcoursup devant le juge administratif

(À propos du jugement du tribunal administratif de Guadeloupe du 4 février 2019)
Publié le 15/05/2019

Alors que Parcoursup fait ses premiers pas après le décrié système APB (admission post-bac), plusieurs critiques ont été formulées et plusieurs contentieux ont été amorcés devant les juridictions administratives. L’enjeu tourne autour de la transparence du dispositif. Après que le Conseil d’État a rejeté le référé-liberté, le juge administratif de Guadeloupe vient de donner satisfaction à la demande de communication des algorithmes. Ce jugement demeure de première instance et il n’est pas certain que le juge administratif suprême le confirme.

L’utilisation d’algorithmes comme aide à la décision tend à se généraliser. Elle crée des défis au droit, qui doit s’adapter à ces innovations technologiques, tout en maintenant les principes régissant les domaines d’application de ces algorithmes. Selon le Larousse, un algorithme est « un ensemble de règles opératoires dont l’application permet de résoudre un problème énoncé, au moyen d’un nombre fini d’opérations ». Un algorithme peut être traduit, grâce à un langage de programmation, en un programme exécutable par un ordinateur. Les domaines d’application sont nombreux, certains n’en sont qu’au début du processus et des précisions juridiques sont immanquablement nécessaires. Tel est le cas du domaine de l’accès à l’enseignement supérieur, puisque le système dit Parcoursup fait usage d’algorithmes en tant qu’aide à la décision d’affectation des étudiants.

Le tribunal administratif de Guadeloupe a fait droit à une demande de communication des procédés algorithmiques utilisés par l’université des Antilles dans le cadre du processus Parcoursup1. L’union nationale des étudiants de France (UNEF) a été un acteur de la contestation du système Parcoursup, permettant l’affectation des bacheliers dans l’enseignement supérieur. Ainsi, une décision implicite est née le 18 août 2018 par laquelle le président de l’université des Antilles a refusé de communiquer au syndicat étudiant les procédés algorithmiques utilisés par l’outil d’aide à la décision dans le cadre du traitement des candidatures d’entrée en licence via la plate-forme Parcoursup, ainsi que le ou les codes sources correspondants.

Cette plate-forme, dont les premières applications sont récentes, puisque commencées en 2018, permet aux élèves de terminales – et étudiants souhaitant se réorienter – de remplir des fiches de vœux pour leur inscription à l’université, lesquelles sont transmises à leur établissement, qui émet des avis, transmet des informations, selon un calendrier et des modalités explicitées sur un site internet dédié2. Ce système fait suite au système APB (pour admission post-bac) qui avait fait l’objet d’une censure par la haute juridiction administrative. En effet, dans sa décision du 22 décembre 20173, le Conseil d’État juge que le législateur a admis qu’une restriction soit apportée au droit pour les candidats à une première année de licence ou de PACES à être inscrits dans l’établissement d’enseignement supérieur de leur choix situé dans leur académie, lorsque, dans les formations en tension, les candidatures excèdent les capacités d’accueil d’un établissement. Il rappelle également qu’aucun texte ni aucun principe ne fait obstacle à ce qu’un départage des candidats repose sur le tirage au sort.

Toutefois le Conseil d’État estime qu’un tel tirage au sort, sauf à méconnaître le caractère limitatif des critères fixés par l’article L. 612-3 du Code de l’éducation, ne peut intervenir qu’à titre exceptionnel pour départager un nombre limité de candidats. Par conséquent, le ministre devait fixer des modalités de mise en œuvre des trois critères prévus par cet article en n’ayant recours à un départage par tirage au sort qu’à titre exceptionnel, entre un nombre limité de candidats4.

Or le Conseil d’État constate que l’application de la circulaire a conduit, pour les inscriptions de l’année universitaire 2017-2018, à départager par tirage au sort dans un nombre important de formations en tension, les dernières places disponibles entre, à chaque fois, plusieurs centaines de candidats classés ex aequo sur la base des trois critères. Il juge par conséquent que les requérants sont fondés à demander l’annulation de la circulaire.

Des prises de position existent déjà sur le sujet. La commission d’accès aux documents administratifs avait été saisie du refus opposé par la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche à sa demande de communication par publication du code source de la plate-forme Parcoursup. La commission rappelle que dans son avis n° 20144578 du 8 janvier 2015, relatif au code source du logiciel simulant le calcul de l’impôt sur les revenus des personnes physiques développé par la direction générale des impôts, elle a estimé, après avoir rappelé qu’un code source est un programme informatique contenant les instructions devant être exécutées par un microprocesseur, que les fichiers informatiques constituant le programme sollicité en l’espèce, produits par l’Administration dans le cadre de sa mission de service public, revêtaient le caractère de documents administratifs au sens de l’article L. 300-2 du Code des relations entre le public et l’Administration. La commission souligne qu’elle a également considéré, dans son avis n° 20161990 du 23 juin 2016, relatif à l’algorithme développé par le ministère de l’Éducation nationale connu sous le nom d’admission post-bac dit APB, qu’un algorithme constituait également un document administratif au sens de ces dispositions5.

Par la loi n° 2016-1321 du 7 octobre 2016, le législateur a modifié l’article L. 300-2 du Code des relations entre le public et l’Administration, en ajoutant explicitement les codes sources à la liste des documents administratifs susceptibles d’être communiqués au titre du livre III de ce code. En réponse à la demande qui lui a été adressée, la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation a informé la commission que le code source sollicité était disponible sur le site internet framagit.org. Le document demandé ayant ainsi fait l’objet d’une diffusion publique, au sens de l’article L. 311-2 du Code des relations entre le public et l’Administration, la demande présentée était donc irrecevable6.

La commission avait aussi été saisie du refus opposé par le président de l’université d’Aix-Marseille à sa demande de communication, de préférence par voie électronique, des procédés algorithmiques utilisés par l’outil d’aide à la décision dans le cadre du traitement des candidatures d’entrée en licence via la plate-forme Parcoursup ainsi que leurs codes sources. La commission rappelle alors que par la loi du 8 mars 20187, relative à l’orientation et à la réussite des étudiants, le législateur a décidé de soumettre l’inscription dans une formation du premier cycle dispensée par un établissement public de l’enseignement supérieur, à une procédure nationale de pré-inscription, Parcoursup, codifiée au I de l’article L. 612-3 du Code de l’éducation. À ce titre, le législateur a prévu, d’une part, que la communication du code source des traitements automatisés utilisés pour le fonctionnement de la plate-forme Parcoursup mise en place dans le cadre de la procédure nationale de pré-inscription, s’accompagnait de la communication du cahier des charges présenté de manière synthétique et de l’algorithme du traitement8, et d’autre part, s’agissant de l’examen des candidatures par les établissements d’enseignement supérieur qui fait l’objet de la présente demande, qu’« afin de garantir la nécessaire protection du secret des délibérations des équipes pédagogiques », « les obligations résultant des articles L. 311-3-1 et L. 312-1-3 du Code des relations entre le public et l’Administration sont réputées satisfaites dès lors que les candidats sont informés de la possibilité d’obtenir, s’ils en font la demande, la communication des informations relatives aux critères et modalités d’examen de leurs candidatures ainsi que des motifs pédagogiques qui justifient la décision prise ». La commission prend acte, « tout en le déplorant »9, de ce que, par ces dispositions, le législateur a d’une part instauré un régime spécial d’accès, pour les candidats qui le demandent, aux procédés algorithmiques lorsque ceux-ci sont élaborés par les équipes pédagogiques chargées de l’examen des candidatures, et d’autre part a fait obstacle, pour ce type de documents administratifs, à l’obligation de publication en ligne prévue par l’article L. 312-1-3, ce qui exclut nécessairement le droit d’accès des tiers.

La commission estime toutefois, d’une part, que si ces dispositions du cinquième alinéa de l’article L. 612-3 du Code de l’éducation dispensent les établissements concernés de l’obligation de diffusion en ligne des règles définissant les principaux traitements algorithmiques utilisés dans l’accomplissement de leurs missions lorsqu’ils fondent des décisions individuelles par les établissements dispensant une formation d’enseignement supérieur, elles n’interdisent pas que ces établissements en assurent une diffusion spontanée. Elle estime également, d’autre part, que le droit d’accès spécial instauré par le législateur, au bénéfice des candidats qui en font la demande, aux informations relatives aux critères et modalités d’examen de leur candidature ainsi qu’aux motifs pédagogiques qui justifient la décision prise, doit leur permettre de connaître de façon complète et effective ces critères, modalités et motifs, ce qui peut inclure, le cas échéant, une information relative à un ou plusieurs éléments du traitement algorithmique. Sous ces réserves, la commission ne peut qu’émettre un avis défavorable à la demande.

Le jugement du tribunal administratif du 4 février 2019 apporte une réponse différente en enjoignant à l’université de communiquer des éléments demandés. La question se cristallise autour de la notion de souveraineté des jurys, traditionnelle en contentieux administratif, et de l’étendue de la communicabilité des critères d’affectation. L’argumentation du tribunal administratif tranche en faveur d’une acception large de la communicabilité des algorithmes (II), ouvrant une brèche potentielle à la souveraineté des jurys (I).

I – La traditionnelle souveraineté des jurys et le rejet des référés contre Parcoursup

La jurisprudence administrative est classique en matière de souveraineté des jurys d’examen et de concours (A). Les nouvelles technologies et l’avènement de procédés d’algorithmes en tant qu’aide à la décision n’ont, pour le moment, pas changé la donne, le Conseil d’État ayant rejeté les premiers recours effectués en urgence contre les modalités de fonctionnement du système Parcoursup (B).

A – La jurisprudence relative à la souveraineté des jurys

Si la jurisprudence traditionnelle en matière d’égalité d’accès aux concours est bien connue et constante depuis le célèbre arrêt Barel, la question de la souveraineté du jury a donné lieu à une jurisprudence constante. Par décisions des 3 et 7 août 1953, le secrétaire d’État à la présidence du conseil refusa cinq candidatures au concours d’entrée de l’École nationale d’administration (ENA). Quelques jours plus tard, la presse publiait un communiqué d’après lequel un membre du cabinet du secrétaire d’État avait déclaré que le gouvernement ne voulait accepter aucun candidat communiste à l’ENA. Les cinq intéressés saisirent le Conseil d’État de recours en annulation, en soutenant que l’autorisation de concourir leur avait été refusée uniquement en raison des opinions politiques qui leur avaient été imputées.

Le juge administratif considérait traditionnellement que des candidats, même s’ils remplissaient les conditions législatives et réglementaires, n’avaient pas de droit à concourir, et qu’il appartenait au ministre d’écarter, dans l’intérêt du service, ceux qu’il estimait incapables de remplir la fonction « selon l’esprit et le but en vue desquels la loi l’a instituée ». Ce pouvoir était soumis au contrôle minimum de l’erreur de droit, de l’inexactitude matérielle et du détournement de pouvoir.

Par l’affaire Barel, le Conseil d’État a jugé que l’Administration peut, pour apprécier dans l’intérêt du service si les candidats présentent les garanties requises pour l’exercice des fonctions auxquelles l’ENA donne accès, tenir compte de faits et de manifestations contraires à la réserve que doivent observer ces candidats. En revanche, elle ne saurait, sans méconnaître le principe de l’égalité d’accès de toutes les Françaises et tous les Français aux emplois et fonctions publics inscrit dans la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789, écarter quelqu’un de la liste des candidats en se fondant exclusivement sur ses opinions politiques. Le Conseil d’État a ainsi refusé de traiter l’opinion communiste comme différente d’une autre opinion politique et de considérer que l’appartenance au parti communiste serait incompatible avec l’appartenance à la fonction publique, contrairement à la position prise à l’époque par certaines démocraties occidentales. Ce faisant, il confirmait avec éclat sa jurisprudence classique sur la liberté d’opinion des fonctionnaires, qui n’est qu’une application particulière de l’alinéa 5 du préambule de la constitution de 1946, selon lequel « nul ne peut être lésé, dans son travail ou son emploi, en raison de ses origines, de ses opinions et de ses croyances ».

Par la suite, le Conseil d’État a renforcé son contrôle sur les décisions de refus d’admission à concourir, exerçant un contrôle normal qui l’amène à censurer toute erreur dans la qualification juridique des faits10.

La décision du 28 mai 1954 est également remarquable en ce qu’elle précise les règles relatives à la charge de la preuve et les pouvoirs d’instruction du juge administratif. La procédure d’instruction devant la juridiction administrative a un caractère inquisitoire ; le demandeur n’a pas la charge de la preuve mais doit seulement se montrer précis et réunir, à l’appui de ses allégations, tous les moyens de preuve dont il peut disposer. Le juge peut rejeter comme telle une requête trop imprécise ; il se doit en revanche d’ordonner des mesures d’instruction pour compléter le dossier lorsque la requête comporte un ensemble de présomptions sérieuses. En l’espèce, le Conseil d’État, considérant que les requérants se prévalaient à l’appui de leur allégation de circonstances et de faits précis constituant de telles présomptions, a fait usage de son pouvoir d’exiger de l’Administration la production de tous documents susceptibles d’établir la conviction du juge pour demander la production des dossiers constitués sur la candidature de chacun des requérants. Il a ensuite déduit du refus de l’Administration de déférer à cette demande et de l’ensemble des circonstances de l’affaire que l’allégation des requérants, quant au motif du refus qui leur avait été opposé, devait être regardée comme établie11.

De manière plus récente, alors que le contentieux administratif en matière d’examens et de concours est classique, la jurisprudence a été amenée à apporter des éléments complémentaires, notamment via une affaire jugée en 2017 par le Conseil d’État12. Une candidate à un examen professionnel organisé par le centre de gestion des Bouches-du-Rhône avait contesté devant le tribunal administratif l’absence de son nom sur la liste des candidats admis alors qu’elle avait obtenu une moyenne de 10,25 sur 20. En effet, le jury de l’examen professionnel avait fixé un seuil d’admission correspondant à la note de 11 sur 2013.

Le centre de gestion ayant rejeté le recours gracieux de la candidate, celle-ci a saisi le tribunal administratif. Le tribunal administratif de Marseille a d’abord rejeté sa requête mais la cour administrative d’appel a annulé le jugement de première instance en enjoignant à la présidente du centre de gestion de se prononcer à nouveau sur les droits de la candidate. Par la suite, le centre de gestion s’est pourvu en cassation auprès du Conseil d’État.

Le Conseil d’État estime que le jury d’un examen professionnel peut, dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation des mérites des candidats et après examen des résultats des épreuves, arrêter un seuil d’admission supérieur au seuil minimal fixé par arrêté prévoyant les modalités d’organisation de l’examen professionnel. L’autorité organisatrice de l’examen peut informer les candidats du seuil d’admission correspondant à la moyenne des notes en dessous de laquelle aucun d’entre eux n’a ainsi pu être admis.

Le point important de cet arrêt rendu en chambres réunies est le suivant : « En jugeant que la détermination de la note minimale exigée des candidats pour être admis à l’issue des épreuves d’un examen professionnel est un élément de l’organisation de cet examen et que le jury de l’examen professionnel d’accès au grade d’attaché professionnel n’était pas compétent pour fixer cette note sans rechercher au préalable si ce jury ne s’était pas borné, dans l’exercice de son pouvoir souverain d’appréciation des mérites des candidats, à arrêter, après examen des résultats des épreuves, un seuil d’admission supérieur au seuil minimal fixé par la réglementation de l’examen, la cour a commis une erreur de droit ».

Le Conseil d’État aligne ainsi les pouvoirs du jury d’un examen professionnel sur ceux qu’il reconnaît à celui d’un concours14, contrairement à certaines décisions plus anciennes15. Dans le premier, le Conseil d’État jugeait que « considérant qu’aux termes de l’article 5 de l’arrêté du ministre de la Culture du 29 mai 1985 qui organise en application de l’article 7 du décret du 20 novembre 1980 un concours pour le recrutement de six architectes en chef des monuments historiques, “Pour être déclarés admissibles aux épreuves du second degré les candidats doivent obtenir un minimum de 200 points sur 400” ;

Considérant qu’en fixant à un niveau supérieur au total de 200 points, le nombre de points nécessaire pour être déclaré admissible le jury n’a fait qu’user des pouvoirs que lui conféraient les dispositions précitées ; que les dispositions de l’article 7 de l’arrêté selon lesquelles “lorsque tous les candidats ont subi les épreuves du second degré, le jury dresse par ordre de mérite la liste des candidats admis” ne s’opposaient pas à ce que le jury refuse de déclarer admissibles des candidats ayant obtenu plus de 200 points aux épreuves du premier degré ; que M. X qui n’avait obtenu que 219 points à ces épreuves alors que le total de points du dernier admissible s’élevait à 223,5, n’est pas fondé, alors même qu’il n’avait obtenu aucune note éliminatoire, à soutenir que le jury a méconnu le règlement du concours ou l’égalité des candidats en ne le déclarant pas admissible aux épreuves du second degré ; qu’il n’est pas fondé à demander l’annulation des décisions du ministre de la Culture des 15 décembre 1985 et 25 février 1986 refusant de provoquer une nouvelle délibération du jury du concours ». Les exceptions ne peuvent être que limitées. Ainsi, le haut conseil avait été amené à préciser « qu’il n’appartient pas au juge administratif de contrôler l’appréciation portée par le jury sur les prestations des candidats à un concours sauf si les notes attribuées sont fondées sur des considérations autres que la seule valeur de ces prestations ou si l’interrogation du candidat porte sur une matière étrangère au programme ; que Mme A. n’établit pas davantage que le jury aurait fondé son appréciation sur un motif autre que ceux tirés de l’examen des connaissances professionnelles de la candidate, de ses capacités d’adaptation et de ses aptitudes à l’encadrement »16.

Appliquée à l’usage d’algorithmes dans le cadre des inscriptions des lycéens – ou des étudiants souhaitant une réorientation –, cette jurisprudence pourrait conduire à de nouvelles précisions. Pour le moment, en tout cas, le Conseil d’État a rejeté les référés formés contre la plate-forme Parcoursup.

B – Le rejet des référés formés contre la plate-forme Parcoursup

Deux décisions lues le 20 février 2018 par le Conseil d’État avaient rejeté les référés-suspension introduits contre Parcoursup. Et sa mise en œuvre. En effet, le 5 février 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, le groupe communiste, républicain, citoyen et écologiste (CRCE), le syndicat national de l’enseignement supérieur – fédération syndicale unitaire (SNESUP-FSU), la fédération de l’éducation, de la recherche et de la culture – CGT (FERC-CGT), l’UNEF et l’union nationale lycéenne (UNL), avaient demandé au juge des référés du Conseil d’État, statuant sur le fondement de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative, de suspendre l’exécution de l’arrêté du 19 janvier 2018 de la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation autorisant la mise en œuvre d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé Parcoursup.

Le Conseil d’État17 avait alors jugé d’une part que l’arrêté litigieux, dans son article 1er, autorise le traitement de données, avec pour seule finalité le recueil des vœux des étudiants dans le cadre de la gestion de la procédure nationale de pré-inscription dans une formation du premier cycle de l’enseignement supérieur pour l’année universitaire 2018-2019 et, d’autre part, selon son article 4, les informations et données à caractère personnel relatives aux étudiants ainsi que celles relatives à la traçabilité des accès ne seront conservées que jusqu’au 2 avril 2018 et seront supprimées après cette date à moins que leur utilisation dans le cadre de la procédure nationale de pré-inscription soit expressément autorisée par la réglementation en vigueur à cette date. Il juge alors que, se conformant sur ces points aux exigences émises par la commission nationale de l’informatique et des libertés (Cnil) dans sa délibération n° 2018-011 du 18 janvier 2018, la ministre de l’Enseignement, de la Recherche et de l’Innovation a ainsi conféré à ce traitement un caractère temporaire et limité à la pré-inscription des futurs étudiants.

Rappelant que l’article L. 612-3 du Code de l’éducation subordonne l’inscription dans un établissement d’enseignement supérieur à la sollicitation d’une pré-inscription ; que la plate-forme Parcoursup a été accessible aux futurs étudiants dès le 22 janvier, afin que ceux-ci procèdent à leur enregistrement et à la saisie de leurs vœux, le Conseil d’État souligne alors que la suspension de l’exécution de l’arrêté litigieux aurait pour effet d’interrompre cette procédure nationale de pré-inscription, ce qui entraînerait de graves perturbations, tant pour les futurs étudiants que pour les autorités académiques et pourrait avoir pour effet, compte tenu du « caractère extrêmement contraint du calendrier », de compromettre le bon déroulement du début de l’année universitaire 2018-2019 dans le premier cycle de l’enseignement supérieur. Le haut conseil en déduit qu’il existe un intérêt public à ce que l’exécution de l’arrêté litigieux ne soit pas suspendue. Exerçant son traditionnel contrôle de proportionnalité, le Conseil d’État juge que la suspension de l’exécution de l’arrêté litigieux porterait dès lors à l’intérêt général, qui s’attache au bon déroulement de la procédure de pré-inscription, une atteinte excédant les inconvénients qu’invoquent les requérants et dont, eu égard notamment au caractère limité du traitement autorisé par l’arrêté litigieux, la gravité n’est pas établie18.

Une autre affaire, lue aussi le 20 février 201819, porte sur la mise en œuvre de Parcoursup. En effet, par une requête, enregistrée le 11 février 2018 au secrétariat du contentieux du Conseil d’État, solidaires étudiant-e-s – syndicats de luttes (SESL) et l’union nationale lycéenne – syndicale et démocratique (UNL-SD) demandaient au juge des référés du Conseil d’État, statuant sur le fondement de l’article L. 521-1 du Code de justice administrative, premièrement de suspendre l’exécution de la décision de la directrice générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle constituée de la partie publique du site internet parcoursup.fr, ainsi que la charte du 6 décembre 2017 pour une mise en œuvre partagée des attendus des formations et les éléments de cadrage national des attendus pour les mentions de licence y étant associés . La requête demandait aussi au juge des référés de suspendre l’exécution de la décision non publiée par laquelle la directrice générale de l’enseignement supérieur et de l’insertion professionnelle a instauré un portail destiné à recueillir les choix des candidats, afin de les sélectionner, sur la partie privée du site parcoursup.fr ; et enfin de suspendre l’exécution de l’arrêté du 19 janvier 2018 de la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation autorisant la mise en œuvre d’un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé Parcoursup. La base juridique du dispositif est la même que celle citée plus haut à propos de la précédente affaire, c’est-à-dire l’article L. 612-3 du Code de l’éducation. Pour soutenir qu’il y a urgence à suspendre les décisions litigieuses, les syndicats requérants font valoir que le dispositif Parcoursup instaure sans base légale une sélection à l’entrée de l’enseignement supérieur ; que sa complexité, qui rend nécessaire le recours aux services de conseillers privés, risque d’imposer aux futurs étudiants d’exposer en pure perte des dépenses importantes ; qu’il occasionne la collecte de données dangereuses et, enfin, qu’en mettant les futurs étudiants devant le fait accompli, il porte atteinte à la raison d’être du SESL. Le Conseil d’État souligne qu’il ressort des termes mêmes de l’arrêté du 19 janvier 2018 que, d’une part, selon son article 1er, le traitement de données qu’il autorise a pour seule finalité le recueil des vœux des étudiants dans le cadre de la gestion de la procédure nationale de pré-inscription dans une formation du premier cycle de l’enseignement supérieur pour l’année universitaire 2018-2019 et que, d’autre part, selon son article 4, les informations et données à caractère personnel relatives aux étudiants ainsi que celles relatives à la traçabilité des accès ne seront conservées que jusqu’au 2 avril 2018 et seront supprimées après cette date à moins que leur utilisation dans le cadre de la procédure nationale de pré-inscription ne soit expressément autorisée par la réglementation en vigueur à cette date ; que, se conformant sur ces points aux exigences émises par la Commission nationale de l’informatique et des libertés dans sa délibération n° 2018-011 du 18 janvier 2018, la ministre de l’Enseignement, de la Recherche et de l’Innovation a ainsi conféré à ce traitement un caractère temporaire et limité à la pré-inscription des futurs étudiants. Reprenant la motivation de la décision citée plus haut20, le Conseil d’État juge que la suspension de l’exécution des décisions contestées porterait ainsi à l’intérêt général, qui s’attache au bon déroulement de la procédure de pré-inscription, une atteinte excédant les inconvénients qu’invoquent les syndicats requérants et dont, eu égard notamment au caractère limité du traitement autorisé par l’arrêté du 19 janvier 2018, la gravité n’est pas établie ; qu’il en résulte que la condition d’urgence requise par l’article L. 521-1 du Code de justice administrative ne peut être regardée comme remplie ; que, par suite, sans qu’il soit besoin de se prononcer sur l’existence d’un doute sérieux quant à la légalité des décisions litigieuses.

II – La dialectique de la transparence et du secret

La question de la communication des algorithmes doit se lire au prisme de l’essence même du dispositif Parcoursup. Cette plate-forme permet aux lycéens, apprentis ou étudiants en réorientation qui souhaitent entrer dans l’enseignement supérieur, de se pré-inscrire, de déposer leurs vœux de poursuite d’études et de répondre aux propositions d’admission des établissements dispensant des formations de l’enseignement supérieur (licences, STS, IUT, CPGE, écoles d’ingénieurs…). C’est sur les bases juridiques de la communicabilité des documents et des restrictions qui y sont relatives (A) que la question de la communicabilité des critères des algorithmes doit se trancher dans un contexte juridique renouvelé (B).

A – Communicabilité de documents administratifs et restrictions spécifiques

La loi de 1978, dont plusieurs articles sont désormais codifiés dans le Code des relations entre le public et l’Administration, donne les bases juridiques de la communication des documents administratifs. Les évolutions technologiques ont conduit le législateur à moderniser la notion même de documents. Ainsi la loi du 7 octobre 2016 pour une république numérique ajoute la notion de « code source » à la liste de documents communicables. Il en résulte que l’article L. 300-2 du code précité dispose que « sont considérés comme documents administratifs, au sens des titres Ier, III et IV du présent livre, quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reçus, dans le cadre de leur mission de service public, par l’État, les collectivités territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit privé chargées d’une telle mission. Constituent de tels documents notamment les dossiers, rapports, études, comptes-rendus, procès-verbaux, statistiques, instructions, circulaires, notes et réponses ministérielles, correspondances, avis, prévisions, codes sources21 et décisions ».

Plusieurs bases juridiques peuvent faire pencher la balance en faveur de la communicabilité des critères des algorithmes utilisés dans l’aide à la décision d’affectation des étudiants. Selon l’article L. 311-1 du Code des relations entre le public et l’Administration, « sous réserve des dispositions des articles L. 311-5 et L. 311-6, les administrations mentionnées à l’article L. 300-2 sont tenues de publier en ligne ou de communiquer les documents administratifs qu’elles détiennent aux personnes qui en font la demande, dans les conditions prévues par le présent livre ». L’article L. 311-5 dispose, notamment, que les documents contenant des secrets protégés par la loi ne sont pas communicables.

Selon l’article L. 300-2 du même code, ainsi qu’il a été cité plus haut, sont considérés comme documents administratifs, notamment les codes sources. Selon l’article L. 311-3-1 du même code, « sous réserve de l’application du 2° de l’article L. 311-5, une décision individuelle prise sur le fondement d’un traitement algorithmique comporte une mention explicite en informant l’intéressé. Les règles définissant ce traitement ainsi que les principales caractéristiques de sa mise en œuvre sont communiquées par l’Administration à l’intéressé s’il en fait la demande (…) ». Selon l’article L. 312-1-3 du même code, « sous réserve des secrets protégés en application du 2° de l’article L. 311-5, les administrations mentionnées au premier alinéa de l’article L. 300-2, à l’exception des personnes morales dont le nombre d’agents ou de salariés est inférieur à un seuil fixé par décret, publient en ligne les règles définissant les principaux traitements algorithmiques utilisés dans l’accomplissement de leurs missions lorsqu’ils fondent des décisions individuelles ». Selon l’article R. 311-1-1 créé par le décret du 14 mars 201722, la mention explicite prévue à l’article L. 311-3-1 indique la finalité poursuivie par le traitement algorithmique. Elle rappelle le droit, garanti par cet article, d’obtenir la communication des règles définissant ce traitement et des principales caractéristiques de sa mise en œuvre, ainsi que les modalités d’exercice de ce droit à communication et de saisine, le cas échéant, de la commission d’accès aux documents administratifs, définies par le présent livre. On rappellera ici l’avis du Conseil d’État publié sur la loi relative à la république numérique selon lequel « le Conseil d’État rappelle le principe selon lequel aucune décision administrative, y compris dans les exemples mentionnés dans l’étude d’impact du projet de loi, ne peut être prise sur le seul fondement d’un traitement automatisé de données. Il attire également l’attention sur la nature des informations prises en compte dans un traitement algorithmique qui, par leur précision, ne doivent pas non plus permettre à des usagers de se constituer un profil permettant de contourner les prescriptions qui seraient applicables aux opérateurs. Enfin, il lui a paru nécessaire, d’une part, de mentionner dans la loi elle-même les restrictions figurant au 2° de l’article L. 311-5 du Code des relations entre le public et l’Administration et, d’autre part, de prévoir un décret en Conseil d’État pour encadrer les modalités d’application de cette disposition »23.

Il ressort effectivement de cet ensemble de dispositions ce que l’on peut percevoir comme une présomption de communicabilité des algorithmes. Cependant, les règles spécifiques peuvent, dans certaines conditions et en fonction des exigences d’un domaine d’activité considéré, apporter des exceptions ou règles nécessaires au secteur concerné. En conséquence, ces dispositions relatives aux documents communicables doivent être lues au regard des dispositions dédiées du Code de l’éducation.

Selon le deuxième alinéa du I de l’article L. 612-3 du Code de l’éducation déjà cité plus haut à propos des référés rejetés par le Conseil d’État, « l’inscription dans une formation du premier cycle dispensée par un établissement public est précédée d’une procédure nationale de pré-inscription qui permet aux candidats de bénéficier d’un dispositif d’information et d’orientation qui, dans le prolongement de celui proposé au cours de la scolarité du second degré, est mis en place par les établissements d’enseignement supérieur (…) ».

B – La communicabilité des critères des algorithmes et le contexte juridique renouvelé

Le tribunal administratif analyse l’ensemble de ces dispositions en estimant que la combinaison des dispositions précitées sur la communication à un candidat ou la mise en ligne des traitements algorithmiques utilisés dans le cadre de la procédure de pré-inscription instituée par le deuxième alinéa du I de l’article L. 612-3 du Code de l’éducation fait l’objet d’un régime spécial dérogatoire aux articles L. 311-3-1 et L. 312-1-3 du Code des relations entre le public et l’Administration, en application des dispositions du cinquième alinéa du I de l’article L. 612-3 du Code de l’éducation. Selon ce dernier, en effet : « Afin de garantir la nécessaire protection du secret des délibérations des équipes pédagogiques chargées de l’examen des candidatures présentées dans le cadre de la procédure nationale de pré-inscription prévue au même deuxième alinéa, les obligations résultant des articles L. 311-3-1 et L. 312-1-3 du Code des relations entre le public et l’Administration sont réputées satisfaites dès lors que les candidats sont informés de la possibilité d’obtenir, s’ils en font la demande, la communication des informations relatives aux critères et modalités d’examen de leurs candidatures ainsi que des motifs pédagogiques qui justifient la décision prise ». Ce qui semble important ici, et au regard de l’affaire jugée par le tribunal de Guadeloupe, est la destination du propos aux candidats concernés, et en outre, aux candidats qui en feraient la demande. On se situe ici sur un terrain juridique, voire philosophique, de la motivation d’une décision. Or l’affaire jugée le 4 février 2019 ne concerne pas un étudiant en tant que tel, mais un syndicat étudiant. La position précitée de la commission d’accès aux documents administratifs distingue justement entre l’accès individuel de la demande de la publicité générale.

En réalité, c’est la culture de la souveraineté des jurys et de la spécificité de l’éducation qui sont au cœur de la réflexion. La question centrale est celle du curseur de la dérogation à la communicabilité de documents en lien avec la souveraineté de la sélection. Le tribunal souligne que ces dernières dispositions n’ont pas écarté celles de l’article L. 311-1 du Code des relations entre le public et l’Administration lorsqu’elles ne sont pas présentées par la personne ayant fait l’objet d’une décision prise à l’aide d’un traitement algorithmique et qu’elles ne tendent pas à la mise en ligne de ces traitements.

La conclusion du raisonnement du tribunal tient en ce que la communication à l’UNEF des traitements algorithmiques sollicités ne porte pas atteinte au secret des délibérations, protégé par l’article L. 612-3 du Code de l’éducation, puisque cette communication ne portera que sur la nature des critères pris en compte pour l’examen des candidatures, leur pondération et leur hiérarchisation, et non sur l’appréciation portée par la commission sur les mérites de chacune de ces candidatures. L’exécution du jugement implique nécessairement que le président de l’université des Antilles communique à l’UNEF les documents demandés par celle-ci par la délivrance d’une copie sur un support identique à celui utilisé par l’Administration ou compatible avec celui-ci, conformément aux dispositions de l’article L. 311-9 du Code des relations entre le public et l’Administration. Il y a lieu de lui enjoindre de procéder à cette communication dans le délai d’1 mois à compter de la notification du présent jugement, sous astreinte de 100 € par jour de retard.

C’est donc une première interprétation juridictionnelle de la combinaison de dispositions générales sur la communication de documents. Elle fera sans doute l’objet de contestations et de nouvelles précisions jurisprudentielles. Si l’argumentation se comprend, par l’accent mis sur la nature objective des critères, pondération et hiérarchisation, mettant une nette distance entre la souveraineté du jury et les critères pris en compte, elle ne semble pas exempte de contre-arguments. Le premier qui apparaît est celui de lien – inhérent, inextricable – entre les critères des algorithmes et les décisions des commissions. En d’autres termes, une alternative à deux branches devrait se présenter en cassation : soit les critères de l’algorithme apparaissent comme de simples actes préparatoires, neutres en quelque sorte, et dans ce cas, le jugement du tribunal pourrait être conforté ; soit la nature même du dispositif Parcoursup se conçoit comme un processus à plusieurs détentes, impliquant les choix des lycées, le traitement informatisé et les décisions prises par les commissions, étant entendu et réitéré que les procédés informatiques ne se substituent pas aux décisions devant être prises au cas par cas, et dans ce deuxième cas, l’algorithme est partie intégrante de la décision. Une telle hypothèse conduirait à revenir à la fois au principe de souveraineté du jury, voire de la confidentialité des résultats retenus par chaque candidat intéressé.

La question demeure encore ouverte, le juge administratif suprême ne s’étant pas encore prononcé au fond nonobstant les décisions de référés citées plus haut. Le Défenseur des droits a donné récemment une lecture ouverte à la plus grande transparence. En effet, dans une décision du 18 janvier 2019, il recommande à la ministre en charge de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation : « de prendre les mesures nécessaires, sur le plan législatif et réglementaire, afin de rendre publiques toutes les informations relatives au traitement, y compris algorithmiques, et à l’évaluation des dossiers des candidats par les commissions locales des établissements d’enseignement supérieur en amont du processus de leur affectation dans les formations de premier cycle de l’enseignement supérieur, afin d’assurer la transparence de la procédure et de permettre aux candidats d’effectuer leurs choix en toute connaissance de cause ; de rappeler aux chefs des établissements d’enseignement supérieur la nécessité de définir de manière suffisamment précise les attendus locaux ; de prendre les mesures nécessaires afin de rendre effective la possibilité de mobilité géographique pour les candidats qui le souhaitent et de lever les obstacles qui pourraient s’y opposer, en particulier en Île-de-France, tout en conservant le souci d’offrir des formations de qualité sur l’ensemble du territoire ; de prendre toutes les mesures permettant de favoriser et d’harmoniser les pratiques d’accueil de candidats boursiers dans toutes les formations de l’enseignement supérieur afin d’atteindre l’objectif de mixité sociale figurant dans la loi ORE ; de mener une analyse approfondie concernant la situation de l’affectation des bacheliers technologiques et professionnels dans l’enseignement supérieur et de prendre les mesures nécessaires pour favoriser davantage leur accès dans les formations de leur choix ». Le Défenseur des droits rappelle enfin que le recours au critère du lycée d’origine pour départager les candidats en favorisant certains candidats ou en en défavorisant d’autres en fonction du lieu géographique dans lequel l’établissement est situé peut être assimilé à une pratique discriminatoire, s’il aboutit à exclure des candidats sur ce fondement.

Le Défenseur des droits demande à la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation de rendre compte des suites données aux recommandations ci-dessus dans un délai de 2 mois à compter de la date de notification de la présente décision. Cette décision du Défenseur des droits est citée par la rapporteure publique dans ses conclusions sur l’affaire ici commentée24. C’est dans ce qui peut ressembler à une brèche que la rapporteure publique25 s’engage. Le juge la suit. Dès lors que la combinaison des articles L. 612-3 du Code de l’éducation, précité et des dispositions des articles L. 311-3-1 et L. 312-1-3 du Code des relations entre le public et l’Administration ne vise que le secret des délibérations, le tribunal estime que la demande de l’UNEF, qui n’est pas un candidat, ne porte que sur des documents que la loi précitée sur le numérique, définit justement comme des documents communicables.

Cependant cette position ne semble pas aller de soi. En effet, comme le souligne à juste titre la rapporteure publique, ce qui justifie le refus de communicabilité, c’est le secret des délibérations des équipes pédagogiques chargées de l’examen des candidatures. Or en retenant que les critères des algorithmes, parce qu’ils sont objectifs et parce qu’ils ne sauraient, ce qui est couramment admis, se substituer à la décision des commissions à l’œuvre dans les établissements d’enseignement supérieur, sont communicable aux tiers – on dirait même en l’espèce, aux tiers intéressés, vue la fonction de l’UNEF – et font partie des documents communicables, le tribunal administratif ouvre une brèche implicite dans le principe de souverainetés des jurys. Car, s’il importe d’insister sur la circonstance que ces algorithmes ne sont qu’une aide à la décision et en aucun cas un préformatage en quelque sorte de la décision, il est difficile de nier, de manière objective, que ces critères sont partie intégrante du processus d’affectation des étudiants dans les filières demandées. À partir de cette observation, deux théories au moins sont envisageables : soit l’on suit le tribunal administratif et l’on considère que les critères des algorithmes sont détachables de la décision prise par chaque commission, sur chaque étudiant, et dans ce cas la notion même de souveraineté des jurys et de secret des délibérations devient inopérante ; soit l’on adopte une approche que l’on sera tenté de qualifier de plus réaliste sur les procédés issus du système Parcoursup, et dans cette hypothèse, les critères sont la première étape de la délibération des commissions et l’on comprend alors, dans ce cas que seule chaque personne, titulaire d’une décision la concernant, puisse demander à connaître le processus et les critères.

Il s’agit là de possibles boîtes de Pandore et la plus grande prudence s’impose. D’ailleurs, d’autres domaines sont concernés par cet usage d’algorithmes. Ainsi, celui de la justice apparaît comme au moins – sinon davantage même – aussi sensible que celui de l’éducation. En effet, ces usages bousculent les acteurs du droit et induisent « un changement de paradigme », selon la première présidente de la cour d’appel de Paris dans son audience solennelle de rentrée en 2016. L’utilisation des données pourrait aboutir à des profils de juge ayant rendu tel ou tel type de décision. Le premier président de la cour d’appel de Rennes a, lui, souligné que la justice devra être en mesure « d’expliquer pourquoi la chambre A. et la chambre B. d’une même cour ne disent pas toujours la même chose sur un sujet de droit X ». Savoir s’il existe une récurrence dans les décisions prises par tel ou tel juge, c’est bien cela que permettent potentiellement ces algorithmes. Ce qui entraîne aussi toute une série de questionnements éthiques sur l’usage de ces big data. Ne serait-ce que parce que l’intérêt premier de ces innovations peut être perçu comme commercial.

La Cnil a lancé une consultation de plusieurs mois sur l’éthique des algorithmes26. Dans son rapport sur le sujet rendu public fin 2017, la Cnil résume ainsi sa philosophie : « Dans notre monde de plus en plus numérique, les algorithmes et l’intelligence artificielle sont partout : pour simuler l’évolution de la propagation de la grippe en hiver, pour recommander des livres à des clients, pour suggérer aux forces de police des zones où patrouiller en priorité, pour piloter de façon autonome des automobiles, pour élaborer automatiquement un diagnostic médical personnalisé, pour personnaliser un fil d’activité sur les réseaux sociaux, etc. Des tâches complexes, parfois critiques, sont ainsi déléguées à des systèmes de plus en plus autonomes à mesure que les techniques d’apprentissage propres à l’intelligence artificielle se développent. Ces usages multiples et croissants, indissociables des masses de données inédites à disposition dans tous les secteurs, soulèvent de nombreuses questions27 ».

Il y a, dans les algorithmes, en tant qu’aide à la décision, facteur de célérité du traitement de telle demande – administrative, en matière d’éducation notamment, juridictionnelle – sans doute des chances et des risques. SI la loi rappelle les grands principes, les modalités, elles, donnent lieu à une série d’interrogations que le juge devra clarifier. Le jugement du 4 février 2019 apporte une réponse tendant à une conception large de la communicabilité. Il reviendra au Conseil d’État de tracer les lignes jurisprudentielles de ce domaine encore en friche.

Notes de bas de pages

  • 1.
    TA Guadeloupe, 4 février 2019, n° 1801094, Union nationale des étudiants de France (UNEF).
  • 2.
    https://www.parcoursup.fr/
  • 3.
    CE, 4e-5e ch. réunies, 22 déc. 2017, nos 410561, 410641, 411913.
  • 4.
    Toutefois, estimant que l’annulation pourrait remettre en cause, pour l’année universitaire 2017-2018, toutes les décisions d’inscription dans les formations en tension de première année de licence ou de PACES qui ne sont pas devenues définitives, ce qui serait manifestement excessif pour le bon fonctionnement du service public de l’enseignement, le Conseil d’État juge que cette annulation ne produira ses effets qu’à compter de la prochaine rentrée universitaire : http://www.conseil-etat.fr/Actualites/Communiques/Admission-post-bac.
  • 5.
    http://cada.data.gouv.fr/20182193/.
  • 6.
    http://cada.data.gouv.fr/20182193/.
  • 7.
    L. n° 2018-166, 8 mars 2018, relative à l’orientation et à la réussite des étudiants.
  • 8.
    C. éduc., art. L. 612-3, II ; CADA, avis n° 20182093, 6 sept. 2018.
  • 9.
    https://www.cada.fr/20184400.
  • 10.
    CE, sect., 10 juin 1983, n° 34832.
  • 11.
    Conseil d’État 28 mai 1954, texte repris de la synthèse de l’analyse de l’arrêt sur le site du Conseil d’État : http://www.conseil-etat.fr/Decisions-Avis-Publications/Decisions/Les-decisions-les-plus-importantes-du-Conseil-d-État/28-mai-1954-Barel.
  • 12.
    CE, 12 mai 2017, n° 396335.
  • 13.
    http://fncdg.com/le-conseil-detat-confirme-la-souverainete-des-jurys-dexamens-en-matiere-de-seuils-dadmission/.
  • 14.
    CE, 7 nov. 1986, n° 77932, Muckenhirn.
  • 15.
    CE, 12 mai 1976, n° 97598, Demoiselle Tanguy.
  • 16.
    CE, 6e-1re ss-sect. réunies, 17 juill. 2009, n° 311972, inédit au recueil.
  • 17.
    CE, 20 févr. 2018, n° 417905.
  • 18.
    CE, 20 févr. 2018, n° 417905, pt 7.
  • 19.
    CE, 20 févr. 2018, n° 418029.
  • 20.
    CE, 20 févr. 2018, n° 417905.
  • 21.
    Souligné par l’auteur.
  • 22.
    D. n° 2017-330, 14 mars 2017, art. 1, relatif aux droits des personnes faisant l'objet de décisions individuelles prises sur le fondement d'un traitement algorithmique.
  • 23.
    https://www.legifrance.gouv.fr/Droit-francais/Les-avis-du-Conseil-d-Etat-rendus-sur-les-projets-de-loi/2015/Projet-de-loi-pour-une-Republique-numerique-EINI1524250L-09-12-2015.
  • 24.
    Pater B, concl. sous TA Guadeloupe, 4 févr. 2019, n° 1801094.
  • 25.
    Pater B, concl. sous TA Guadeloupe, 4 févr. 2019, n° 1801094.
  • 26.
    https://www.franceculture.fr/emissions/le-numerique-et-nous/justice-des-algorithmes-pour-prevoir-lissue-des-procedures.
  • 27.
    https://www.cnil.fr/en/node/24008.
X