À La Défense, un nouveau modèle à inventer

Publié le 13/12/2024
À La Défense, un nouveau modèle à inventer
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Le premier centre d’affaires européen doit se réinventer pour ne pas perdre en attractivité. Fini la dalle de béton, le tout bureau, il va falloir insuffler de la vie et des étudiants entre les tours, et vite ! Ce sont les conclusions d’une étude menée par le cabinet Deloitte.

Le 1er octobre dernier, l’Aude, l’Association des utilisateurs de La Défense, réunissait près de 250 décideurs publics et privés du quartier d’affaires. Avec un taux de vacance des bureaux de 19 % (contre 5 % avant le Covid) et des projections à 39 % en 2034, le quartier d’affaires est acculé et doit prendre des décisions radicales pour éviter de se laisser mourir à petits feux en laissant des tours obsolètes sur le plan de la qualité de vie au travail et sur le plan environnemental.

L’association a missionné le cabinet Deloitte pour travailler sur le devenir du quartier qui génère chaque année 410 millions d’euros de recettes fiscales. L’évolution structurelle de la vacance des bureaux a été étudiée et mise en relation avec la baisse d’investissement privée et publique au sein du Grand Paris passant de 21 % en 2019 (avant Covid) à 8 % en 2024. Une baisse particulièrement malvenue sachant que 37 % du parc a été construit avant 2000 et n’a pas encore été rénové. 1,5 million de mètres carrés qui tomberont en obsolescence avant 15 ans. Problème ? La valeur du prix du mètre carré d’une tour à réhabiliter entièrement est passée de 6 400 à 233 en réhabilitation et 88 en reconversion à cause de l’explosion du prix des matériaux entre autres. Le risque est réel, selon les experts, que les propriétaires qui souhaitent réhabiliter les espaces préfèrent garder leurs tours vides en attendant des jours meilleurs ce qui pourrait faire un effet domino…

L’une des pistes envisagée ? Ajouter de la mixité, végétaliser le béton, renforcer la présence de l’enseignement supérieur et assouplir les règles de reconversion des tours pour intégrer plus de logements dans cet empire du tertiaire. Entretien avec l’administrateur de l’Association des utilisateurs de La Défense (Aude), Cédric de Lestrange.

Actu-Juridique : Pouvez-vous nous rappeler quel est le rôle de l’Association des utilisateurs de La Défense ?

Cédric de Lestrange : En tant que président d’Axe Immobilier, je travaille à La Défense et réfléchis à la métamorphose des grandes métropoles européennes. Il était à mon sens logique d’appartenir à l’Association des utilisateurs de La Défense, créée en 2002. Notre conseil d’administration compte une dizaine d’acteurs économiques du quartier (dont Total, Saint Gobain, Groupama, Axe immobilier, Société Générale, BNP Paribas…) et la présidente, Katayoune Panahi, vient d’être nommée directrice de cabinet au ministère des Transports. Avec 66 membres, l’Association représente l’ensemble des parties prenantes de La Défense (85 % des surfaces de bureaux et commerces de La Défense et 88 % des salariés). Cela va des très grandes multinationales aux PME et aux écoles, nous avons également tout un écosystème qui fait vivre le quartier, des foncières, des asset managers, des commercialisateurs, des facility managers, des entreprises de coworking. Nous sommes aussi en lien avec des entités qui sans être membres de l’Aude en sont indissociables : les écoles, les lieux de culte, les hôtels, les commissariats de police, les commerçants de La Défense… C’est une agglomération miniature, La Défense, et on représente tout ça !

AJ : Le taux de vacance de bureau mentionné par le cabinet Deloitte est-il la conséquence directe du Covid ou bien les raisons sont un peu plus compliquées ?

Cédric de Lestrange : En 2019, on savait qu’il y avait déjà un problème. Plusieurs indices nous laissaient penser que se profilait une crise structurelle en ce qui concerne le taux de vacance. La Défense fonctionne par cycle : le niveau de vacance acceptable est 5 à 8 %. Nous sommes depuis plusieurs années au-dessus de 15, ce qui est dangereux. La vacance Covid ne s’est pas résorbée. En 2013, par exemple, 4 tours étaient sorties de terre donc il y avait mathématiquement un taux de vacance impressionnant qui s’est résorbé au bout de quatre ans. Mais désormais nous ne pouvons plus compter sur le même mécanisme : les entreprises ont désormais besoin de moins de mètres carrés avec le télétravail. La plupart des entreprises de La Défense ont des accords de télétravail plutôt généreux avec leurs salariés.

AJ : La Défense est-elle une géante aux pieds d’argile, comme semble le suggérer l’étude menée par Deloitte ?

Cédric de Lestrange : Je crois à La Défense, je crois que c’est un joyau national. Nous avons collectivement beaucoup investi d’argent public dans son développement (avec l’arrivée d’Éole entre autres), beaucoup de carbone a été dépensé pour construire tant de béton. Il faut rentabiliser cet investissement et – maintenant que le modèle des quartiers d’affaires est en pleine mutation partout dans le monde – il ne faut pas laisser le quartier perdre de la valeur à cause d’une vacance importante des bureaux… Aujourd’hui, c’est l’endroit le mieux relié d’Île-de-France, avec 2,2 millions de personnes situées à moins de trente minutes de La Défense, en 2030 du Monde car la ligne 15 permettra à 4 millions d’usagers d’être à moins de trente minutes ! C’est un argument imparable pour vendre une ville et un mode de vie décarboné et ce joyau, il faut le polir et le travailler. Le cabinet Deloitte dresse un état des lieux et des perspectives qui suscitent évidemment de l’inquiétude mais qui nous invite à réagir : pour le taux de vacance des tours, par exemple, il établit une version à 2034 à 39 % de vacance en cas de statu quo empêchant la reprise des investissements et 12 % si les leviers du projet de territoire « scénario action » sont mis en œuvre !

AJ : Justement, pouvez-vous revenir sur les conclusions de la réunion qui s’est tenue le mois dernier avec 250 acteurs de La Défense qui n’étaient peut-être pas tous au même niveau d’information que les membres de l’Aude ?

Cédric de Lestrange : Nous avons passé beaucoup de temps sur le constat des experts qui ont réalisé un diagnostic scientifique détaillé, ce qui peut être considéré comme une sonnette d’alarme. L’image du cercle vicieux est particulièrement interpellante car elle rappelle les cycles des crises économiques : qui dit baisse d’activité de bureaux dit manque d’investissement privé dit moins de recettes de fonctionnement dit moins d’investissement public dit dégradation du quartier, etc. Bien sûr, nous avons insisté sur les solutions qui existent avec le projet majeur du Campus de l’innovation et de la connaissance, qui permettrait de redonner vie au quartier avec un super campus vivant et attractif, des écoles, des logements étudiants, la proximité avec tous les acteurs franciliens et les entreprises du CAC 40. L’idée c’est un peu de continuer ce qui a été fait avec le Campus Cyber installé dans la tour Eria depuis 2022 : rassembler dans un même lieu les acteurs publics et privés de la cyber-sécurité et des pôles de formation initiale et continue. C’est un modèle gagnant-gagnant pour les professionnels, les écoles et les étudiants. Le même type de modèle peut être déployé dans les domaines de la transition climatique, de l’IA, de l’efficacité énergétique… L’histoire de La Défense, c’est aussi l’histoire de la vitrine technologique et économique française. Si en prime c’est un lieu de vie dynamique porté par les étudiants, ce sera bon pour l’image, les commerçants, les propriétaires des tours car en transformant une partie minoritaire du parc de bureaux inutilisés à cause du télétravail et du changement de culture au travail, le marché sera plus viable, forcément.

AJ : En quoi est-ce compliqué de transformer des bureaux en logements dans des tours comme celles de La Défense ?

Cédric de Lestrange : Pour transformer il faut trois choses : un immeuble transformable car on ne doit plus désormais démolir pour reconstruire. À l’intérieur du boulevard circulaire, c’est assez peu transformable en logements mais c’est proche des transports. Ce sont ces espaces-là qui peuvent être des campus, des écoles. En dehors du boulevard, certains immeubles peuvent être reconvertis en logements privés ou étudiants. Le problème pour les propriétaires reste la décote qui forcément va exister. C’est pourquoi, le rapport a proposé des réformes pour permettre de viabiliser ces investissements : par exemple, la fiscalité encourage à démolir plutôt qu’à réhabiliter… Il faut tout repenser ensemble dans le cadre d’une task force d’investissements, comme cela a pu exister il y a quinze ans pendant les discussions sur Éole. Le risque c’est que l’inaction entretienne ce cercle vicieux.

AJ : En 2017, la plus grande salle de spectacle en Île-de-France, l’U Arena, a été ouverte en grande pompe (avec les Rolling Stones) en plein cœur de La Défense. Est-ce que cela a permis de dynamiser justement le quartier ?

Cédric de Lestrange : C’est un exemple très positif : il a montré aux yeux des gens que La Défense n’est pas seulement un ensemble de grandes tours mais aussi un lieu de vie. Il existe également un projet de grand parc sur la dalle qui serait financé par Paris et les Hauts-de-Seine. Avec ces 5 hectares supplémentaires d’espaces verts (la proportion de surfaces imperméables dans le quartier passerait de 70 % à moins de 40 % à terme, NDLR). L’objectif est de faire de La Défense le premier quartier d’affaires post-carbone au monde. Plus d’économie circulaire, également. Un urbanisme sur dalle c’est une ville par définition débarrassée de la voiture et piétonne. Il faut verdir et investir dans la qualité des espaces pour les personnes qui y vivent et y travaillent à toute heure. La salle de concert contribue à recréer de l’attractivité, les Jeux olympiques ont aussi apporté une vision plus humaine du quartier en faisant venir beaucoup de Français et d’étrangers.

AJ : Avez-vous l’espoir d’avoir été entendu en communiquant votre envie de créer une synergie pour sauver La Défense ?

Cédric de Lestrange : J’ai l’impression que la prise de conscience est générale. Nous n’avons en tout cas reçu aucune contestation sur la nécessité d’agir. Pour le Campus de la connaissance il va falloir créer une task force avec des partenariats publics et privés. J’ai espoir que cela fonctionne.

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