Crise sanitaire : « Les entrepreneurs ont été extrêmement responsables »

Publié le 04/12/2020

Avec le second confinement, depuis le vendredi 30 octobre 2020, les TPE-PME, entrepeneurs, indépendants sont frappés à nouveau par la crise sanitaire. Des entreprises touchées différemment en fonction de leurs activités. Pour les commerces franciliens reconnus comme non-essentiels, les difficultés commencent à s’accumuler même si les aides de l’État ont été prolongées et renforcées. Le président de la République Emmanuel Macron devrait annoncer, ce mardi 24 novembre, un allègement du confinement pour permettre la réouverture de ces commerces. Mais pour Bernard Cohen-Hadad, président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) Paris Île-de-France, la situation reste alarmante.

AJ : Quel regard portez-vous sur la conjoncture économique actuelle en Île-de-France ?

Bernard Cohen-Hadad : Aujourd’hui, après le confinement, le couvre-feu et le reconfinement, on est dans une situation assez problématique pour l’ensemble de nos entreprises surtout celles du commerce. Ces activités ne sont pas télétravaillables. Par exemple, on a 63 000 commerces à Paris. 43 000 sont actuellement fermés, de manière administrative. Cette situation nourrit non seulement à Paris mais aussi en Île-de-France une incompréhension de la part de beaucoup de nos entrepreneurs. Ils ne peuvent pas ouvrir tout simplement parce qu’on considère que leur activité n’est pas essentielle alors que d’autres peuvent le faire.  On avait une situation assez différente de celle vécue lors du premier confinement, y compris pendant le couvre-feu. Une grande déception naît de cette différence de traitement de beaucoup d’activités commerciales et économiques.

AJ : Cette situation peut-elle avoir des conséquences lourdes pour certaines sociétés ?

B.C.-H. : Oui et ce malgré un soutien sans précédent de l’État, à travers le prêt garanti par l’État, la mise en place du chômage partiel renforcé et le soutien des régions, via les fonds résilience, le prêt rebond et l’abondement du fonds de solidarité. De nombreuses entreprises sont dans une situation d’expectative, sans visibilité sur le carnet de commande. Elles font aussi beaucoup d’effort pour maintenir l’emploi. Il y a aussi des baux commerciaux qui restent à régulariser et à payer alors que l’activité est à zéro. En bref, il y a un grand doute sur l’avenir.

AJ : Quelles sont les principales problématiques auxquelles font face les TPE-PME franciliennes ?

B.C.-H. : Il faut distinguer deux choses. La première problématique, c’est de pouvoir reprendre une activité économique a minima, pour ne pas dire normale. C’est cela notre préoccupation. Aujourd’hui, les difficultés sont les fermetures administratives, le règlement de charges récurrentes comme les loyers, les frais occasionnés par du stock commandé dans des activités non périssables comme l’habillement, la maroquinerie ou l’ameublement. Il y a aussi les commandes faites à l’approche des fêtes.

« En Île-de-France, le consommateur joue, le plus possible, le jeu du commerce de proximité »

On voit que la période de Noël ne sera pas la même que les autres années. Déjà en 2019, la période avait été compliquée puisqu’on était en pleine grève des transports. On a été frappé de plein fouet en Île-de-France. Puis, il y a des problématiques d’ordre social. On a des salariés qui restent chez eux, qui parfois ne peuvent pas télétravailler, qui ne sont pas dans des situations heureuses car ils vivent dans des petits appartements. Enfin, on constate tout de même une solidarité des consommateurs quand les activités se poursuivent. En Île-de-France, le consommateur joue, le plus possible, le jeu du commerce de proximité.

AJ : Vous l’avez dit, il y a un effort de lÉtat sans précédent pour soutenir les entreprises…

B.C.-H. : Quand on a connu la crise de 2008, on ne peut pas faire la fine bouche aujourd’hui. Mais, il reste encore des trous dans la raquette. Il faut que les aides arrivent plus vite. Les délais de réponse doivent être améliorés et chaque entreprise doit avoir la possibilité de tirer la sonnette d’alarme pour avoir des aides qui correspondent à sa situation. Il ne suffit pas d’annoncer les mesures, de mettre en avant des numéros vert ou d’urgence, il faut de l’accompagnement. C’est ce que nous faisons à la CPME Île-de-France. On fait un travail de fourmi à travers nos cellules de crise depuis le mois de mars. Elles ont été réactivées dès la fin août parce qu’au-delà des annonces, il y avait un travail d’accompagnement à faire. Les entrepreneurs, indépendants, professions libérales ne sont pas des professionnels de l’aide publique. Ils n’ont pas l’habitude de quémander des aides.

AJ : Comment les aides de l’État ont été utilisées par les entreprises ?

B.C.-H. : Les premières demandes que nous avons eues au mois de mars à la cellule de crise, c’était sur l’accompagnement de l’arrêt ou de la suspension du travail. C’étaient des questions sur l’activité partielle, les congés, les vacances, les maladies. Dans les crises précédentes, ces choses-là n’avaient pas été pensées. Il y avait aussi le sujet de la mise en place du télétravail, fournir aux salariés des outils numériques, la formation des collaborateurs en période de confinement. Tout cela a été la priorité des demandes des entrepreneurs franciliens pour protéger le dialogue social et les salariés. Les salariés dans nos TPE-PME sont importants car on vit avec eux au quotidien et ils font vivre nos entreprises. La relation aux hommes et aux femmes, qui font tourner nos sociétés, a été importante durant cette période.

Puis ensuite, sont venues les questions sur le financement : connaître les aides auxquelles les entrepreneurs avaient droit ; si on n’a pas de besoin d’aide immédiat savoir si on pouvait en demander demain ; savoir aussi si les plafonds et les enveloppes seront maintenus.

« Les entrepreneurs ont été extrêmement responsables »

Les entrepreneurs ont été extrêmement responsables. Ils ont fonctionné de cette manière : on ne va pas demander un PGE si on n’en a pas besoin aujourd’hui, mais si demain on en a besoin, est-ce qu’il y aura le PGE ? On n’a pas besoin du fonds de solidarité aujourd’hui, mais si demain on en a besoin, est-ce qu’il y aura le fonds de solidarité ? C’est pour cela qu’on a demandé le maintien le plus longtemps possible des dispositifs, ainsi que le soutien des banques, avec le maintien des autorisations de découvert pour éviter d’asphyxier des PME.

AJ : Que pensez-vous des différentes transformations accélérées par cette crise au niveau digital et organisationnel ?

B.C.-H. : Je crois que la crise a eu pour effet de faire prendre conscience aux entrepreneurs que le numérique était un outil qui n’était pas uniquement à disposition des grands groupes. Je pense que le numérique dans les TPE-PME, y compris dans les commerces, correspond à plusieurs enjeux de développement commercial, de modification organisationnelle, de meilleure qualité de vie et de travail et de développement durable.

« La crise a eu pour effet de faire prendre conscience aux entrepreneurs que le numérique était un outil qui n’était pas uniquement à disposition des grands groupes »

La crise sanitaire nous a contraint de réagir par défaut. Elle nous a poussé à une réflexion en urgence alors qu’on a besoin de temps pour penser l’intégration du numérique dans nos entreprises. Cette réflexion nous a permis de mesurer, d’apprendre et de disposer d’outils qui avant étaient l’apanage des grands groupes ou des boards internationaux. Les PME-TPE peuvent faire des réunions virtuelles sur les plateformes numériques. Il y a une multitude de logiciels que l’on ne connaissait pas il y a un an et qui sont aujourd’hui à disposition de nos entreprises, pour des réunions, des contacts avec les clients, passer des commandes, créer un modèle, montrer un produit.

Cette révolution du numérique, d’accès et de mise à disposition de logiciels est quelque chose de positif. Là où nous avons encore besoin de réflexion, c’est de réordonnancer tout cela. Les entreprises doivent prendre le temps de structurer leurs offres commerciales sur des plateformes marchandes, de créer des vitrines commerciales et de s’approprier ces nouveaux outils.

AJ : Avez-vous des craintes pour les TPE-PME industrielles dans leur relation avec les grands groupes ?   

B.C.-H. : J’ai des craintes pour les sous-traitants, dans l’automobile et l’aéronautique en Île-de-France. Mais aussi les sous-traitants du secteur des travaux publics, qui sont indispensables. Même si un certain nombre de travaux ont repris, on n’est pas sur le volume d’activité qui était celui prévisible dans le contexte des Jeux Olympiques de 2024 et du développement des infrastructures de mobilité en Île-de-France.

« Il y a un risque que le savoir-faire des TPE-PME disparaissent »

Il y a un risque que le savoir-faire des TPE-PME disparaissent, que leurs salariés se retrouvent au chômage, repris ou non par des opérateurs et puis surtout que certains concurrents profitent de la situation difficile pour racheter des entreprises à une valeur réduite par rapport à la normale.

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