Aperçu de la réglementation applicable aux gestionnaires de crédits

La directive n° 2021/2167 sur les gestionnaires de crédits et les acheteurs de crédits a mis en place un cadre européen applicable à ces acteurs. Cette directive impose notamment aux gestionnaires de crédits d’obtenir un agrément, délivré en France par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution. Cette directive a été transposée en droit français en décembre 2023 et est entrée pleinement en application depuis le 29 juin 2024.
PE et Cons. UE, dir. n° 2021/2167, 24 nov. 2021, sur les gestionnaires de crédits et les acheteurs de crédits : http://data.europa.eu/eli/dir/2021/2167/oj
Introduction. La gestion des prêts non performants (PNP) est structurante pour la gestion du risque systémique ainsi que pour la gestion du risque de crédit des établissements, permettant à ces derniers de rationaliser leurs charges (coûts administratifs, coût de recouvrement, provisionnement, etc.). C’est dans ce contexte, couplé au risque accru de défaillances d’entreprise liées à la pandémie du Covid-19, que le législateur européen a adopté le 24 novembre 2021 la directive n° 2021/2167.
Cette directive met en place un cadre harmonisé européen applicable aux gestionnaires de crédits, avec notamment pour objectifs :
• l’amélioration des conditions de vente de crédits à des tiers ;
• l’apport de solutions permettant de traiter le risque lié à l’accumulation de PNP au bilan des établissements ;
• le développement d’un marché secondaire européen de PNP1.
Cette directive a été transposée en France par l’intermédiaire de l’ordonnance n° 2023-1139 du 6 décembre 20232 et le décret n° 2023-1211 du 20 décembre 20233. Les nouvelles obligations découlant de cette transposition sont applicables en France métropolitaine ainsi qu’en Nouvelle-Calédonie, dans les îles Wallis-et-Futuna et en Polynésie française.
Une période transitoire est prévue par la réglementation européenne afin de permettre aux entités qui opèrent déjà de s’adapter aux exigences imposées par la directive n° 2021/21674. Celles-ci sont autorisées à poursuivre ces activités de gestion de crédits dans leur État membre d’origine jusqu’au 29 juin 2024, la date à laquelle un agrément de gestionnaire de crédits leur est nécessaire pour exercer.
I – Champ d’application de la réglementation sur les gestionnaires de crédits
Types de prêts soumis à la réglementation. La nouvelle réglementation s’applique aux prêts octroyés par un établissement de crédit ou une société de financement dont plus de 90 jours se sont écoulés après une échéance de remboursement sans que l’emprunteur n’ait procédé au paiement ou bien que des éléments indiquent que son remboursement sera improbable (c’est notamment le cas de retards de paiement de plus de 30 jours sur une période probatoire5). Les crédits connexes aux opérations de paiement octroyés par des établissements de paiement ou les créances qui ne sont pas des prêts n’entrent pas dans le champ d’application de la nouvelle réglementation.
Les entités entrant dans le champ d’application de la nouvelle réglementation. La directive n° 2021/2167 s’applique (i) aux gestionnaires de crédits et (ii) aux acheteurs de crédits.
Un gestionnaire de crédits est défini comme « toute personne morale qui, dans le cadre de son activité commerciale, gère et fait exécuter les droits et les obligations liés aux droits du créancier au titre d’un contrat de crédit non performant, ou au contrat de crédit non performant lui-même, pour le compte d’un acheteur de crédits, et qui exerce au moins une ou plusieurs activités de gestion de crédits »6.
L’acheteur de crédits est quant à lui défini comme « toute personne physique ou morale, autre qu’un établissement de crédit, qui achète les droits que détient un créancier au titre d’un contrat de crédit non performant, ou le contrat de crédit non performant lui-même, dans le cadre de l’exercice de ses activités commerciales ou professionnelles, conformément au droit national et au droit de l’Union applicables »7.
Les établissements en dehors du champ d’application de la nouvelle réglementation. Le législateur européen a exclu les établissements de crédit du champ d’application de la directive n° 2021/2167 car ils « exercent des activités de gestion de crédits dans le cadre de leurs activités normales. Ils ont les mêmes obligations à l’égard des contrats de crédit qu’ils ont eux-mêmes émis qu’à l’égard de ceux qu’ils ont achetés à un autre établissement de crédit (…) [Ils] sont déjà réglementés et surveillés, l’application de la présente directive à leurs activités de gestion ou d’achat de crédits entraînerait [dès lors] une duplication inutile de leurs coûts d’agrément et de mise en conformité »8.
II – Aperçu des principales mesures issues de la directive n° 2021/2167 applicables aux gestionnaires de crédits
Généralités. La directive n° 2021/2167 impose aux gestionnaires de crédits d’obtenir un agrément afin de prester leurs services et impose des exigences en matière de gouvernance, de contrôle interne, de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT)9 ou prudentielles. En outre, elle met en place un certain nombre d’obligations relatives à leurs pratiques commerciales.
Agrément. Afin de prester leurs services en France, les gestionnaires de crédits devront bénéficier d’un agrément. En France, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution a été désignée autorité compétente pour l’agrément et la supervision des gestionnaires de crédits en France.
La demande d’agrément des gestionnaires de crédits est accompagnée d’un certain nombre d’informations listées à l’article 7 de la directive n° 2021/2167 :
• les statuts de la société et la preuve du statut juridique du demandeur (son Kbis ou son certificat d’immatriculation) ;
• l’adresse de l’administration centrale du demandeur ou son siège statutaire ;
• l’identité des membres de l’organe de direction ou d’administration du demandeur ainsi que celles des personnes détenant une participation qualifiée10 et les preuves de leur compétence et de leur honorabilité11 ;
• la preuve que le demandeur a mis en place des dispositifs de gouvernance solides et des mécanismes de contrôle interne appropriés, y compris en ce qui concerne les procédures comptables et de gestion des risques ;
• la preuve que le demandeur a mis en place une politique appropriée assurant le respect des règles en matière de protection des emprunteurs et leur traitement équitable et diligent, notamment au regard de leur situation financière ;
• la preuve que le demandeur a mis en place des procédures permettant d’assurer l’enregistrement et le traitement des réclamations d’emprunteurs ;
• la preuve que le demandeur a mis en place des procédures de LCB-FT adéquates ;
• le cas échéant, la preuve de l’existence d’un compte séparé dans un établissement de crédit, conformément à l’article 6, paragraphe 2, point a), de la directive n° 2021/216712 ;
• tout accord d’externalisation visé à l’article 12, paragraphe 1, de la directive n° 2021/2167.
Régime transitoire. La réglementation européenne a encadré un marché existant, avec des acteurs déjà en place. Dans ce contexte, le législateur européen a prévu une clause de grand-père permettant aux entités exerçant sous l’empire d’un droit national de continuer à fournir leurs services jusqu’au 29 juin 2024. Les nouvelles entités sont, quant à elles, tenues d’obtenir un agrément depuis le 30 décembre 2023.
Passeport européen. La directive n° 2021/2167 a mis en place un cadre permettant aux gestionnaires de crédits de fournir leurs services au sein de l’Union européenne (passeport européen)13, permettant ainsi aux gestionnaires de crédits agréés de recouvrer des créances PNP auprès de débiteurs qui résident dans d’autres États membres. Le passeport européen permet ainsi aux gestionnaires de crédits d’avoir une activité transfrontalière tout en leur permettant de réduire les coûts liés à la conformité avec l’ensemble des droits des pays où ils opèrent.
Supervision. Les gestionnaires de crédits sont tenus de respecter de manière continue la réglementation applicable. Un cadre de surveillance desdits prestataires est ainsi mis en place par la directive14, dotant les autorités compétentes de pouvoirs en matière de surveillance, d’enquête et de sanctions (notamment l’interdiction de toute activité de gestion de crédits, le déclenchement d’inspections sur place et sur pièces, des sanctions administratives, la révocation des dirigeants, etc.15). Ils sont également tenus de s’acquitter d’une contribution forfaitaire fixée par arrêté du ministre de l’Économie, dans la limite de 10 000 €16.
Notes de bas de pages
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1.
PE et Cons. UE, dir. n° 2021/2167, 24 nov. 2021, cons. 9. À noter que, selon le considérant 5 de la directive susmentionnée, le Comité européen du risque systémique est chargé d’émettre des alertes macroprudentielles et des recommandations relatives au marché secondaire des PNP.
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2.
Ord. n° 2023-1139, 6 déc. 2023, relative aux gestionnaires de crédits et aux acheteurs de crédits. Notons que « les spécificités du marché français ont [été] préservées dans le cadre de la transposition. Les avocats, les notaires et les commissaires de justice, lorsqu’ils se livrent à des activités de gestion de crédits dans leur cadre de leur profession, ne seront pas concernés par ces dispositions, de même que les prêteurs qui font déjà l’objet d’un agrément et d’une surveillance » (Rapp. au président de la République relatif à l’ordonnance n° 2023-1139 du 6 décembre 2023 relative aux gestionnaires de crédits et aux acheteurs de crédits, 7 déc. 2023).
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3.
D. n° 2023-1211, 20 déc. 2023, relatif aux gestionnaires de crédits et aux acheteurs de crédits.
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4.
PE et Cons. UE, dir. n° 2021/2167, 24 nov. 2021, cons. 24.
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5.
PE et Cons. UE, règl. n° 575/2013, 26 juin 2013, art. 47 bis, par renvoi de PE et Cons. UE, dir. n° 2021/2167, 24 nov. 2021, art. 3.
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6.
PE et Cons. UE, dir. n° 2021/2167, 24 nov. 2021, art. 3, 8. Les activités de gestion de crédits sont une des activités suivantes : « a) la perception ou le recouvrement auprès de l’emprunteur, conformément au droit national, des paiements dus liés aux droits d’un créancier au titre d’un contrat de crédit ou au contrat de crédit lui-même ; b) la renégociation avec l’emprunteur, conformément au droit national, de toute clause ou condition liée aux droits de créancier au titre d’un contrat de crédit, ou au contrat de crédit lui-même, conformément aux instructions données par l’acheteur de crédits, lorsque le gestionnaire de crédits n’est pas un intermédiaire de crédit au sens de l’article 3, point f), de la directive 2008/48/CE ou de l’article 4, point 5), de la directive 2014/17/UE ; c) la gestion des réclamations liées aux droits du créancier au titre d’un contrat de crédit ou au contrat de crédit lui-même ; d) l’information adressée à l’emprunteur concernant toute modification des taux d’intérêt ou des frais ou concernant les paiements dus liés aux droits du créancier au titre d’un contrat de crédit ou au contrat de crédit lui-même » (PE et Cons. UE, dir. n° 2021/2167, 24 nov. 2021, art. 3, 9).
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7.
PE et Cons. UE, dir. n° 2021/2167, 24 nov. 2021, art. 3, 6
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8.
PE et Cons. UE, dir. n° 2021/2167, 24 nov. 2021, cons. 23.
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9.
L’assujettissement à la LCB-FT est une option laissée à la main des États membres puisque l’article 5 de la directive n° 2021/2167 précise que « le demandeur a mis en place des procédures adéquates de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme lorsque les dispositions nationales transposant la directive (UE) 2015/849 désignent les gestionnaires de crédits comme des entités assujetties aux fins de la prévention du blanchiment de capitaux et du financement du terrorisme et de la lutte contre ces phénomènes ». En France, « il a été décidé [d’]aligner [le régime de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme des gestionnaires de crédits] sur celui applicable aux autres prestataires de services supervisés en France, ce qui assurera un niveau important de vigilance et facilitera la mise en œuvre de ce suivi » (Rapp. au président de la République relatif à l’ordonnance n° 2023-1139 du 6 décembre 2023 relative aux gestionnaires de crédits et aux acheteurs de crédits, 7 déc. 2023).
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10.
Une participation qualifiée est entendue par référence à PE et Cons. UE, règl. n° 575/2013, 26 juin 2013, art. 4, § 1, pt 36.
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11.
Pour les actionnaires qualifiés, PE et Cons. UE, règl. n° 575/2013, 26 juin 2013, art. 5, § 1, pt d), vise seulement l’honorabilité.
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12.
C’est sur ce compte séparé ouvert dans les livres d’un établissement de crédit que tous les fonds reçus des emprunteurs doivent être versés et conservés jusqu’à leur transmission à l’acheteur de crédits concerné.
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13.
PE et Cons. UE, dir. n° 2021/2167, 24 nov. 2021, art. 13. Sur la notion de passeport européen, v. A. Aranda Vasquez, « Les PSAN peuvent-ils bénéficier du passeport européen ? », Actu-Juridique.fr, 13 janv. 2022, n° AJU002s3
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14.
PE et Cons. UE, dir. n° 2021/2167, 24 nov. 2021, art. 21.
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15.
PE et Cons. UE, dir. n° 2021/2167, 24 nov. 2021, art. 22 et 23.
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16.
C. mon. fin., art. L. 612-20.
Référence : AJU013r8
