La notion d’opération de crédit

Publié le 26/01/2023
Fiscalité
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L’irruption de nouveaux intervenants et concurrents sur le marché du crédit remet en selle le débat sur la notion d’opération de crédit dans la zone monétaire ouest-africaine. La conception actuelle, fondamentalement limitée à la mise à disposition de fonds, se révèle dépassée et invite à envisager une conception pragmatique susceptible de rendre compte, de manière objective et concrète, de toutes les techniques bancaires et extra-bancaires de financement des besoins de l’existence et des activités génératrices de revenus. Une telle perception peut avoir pour inconvénient de diluer le concept ; toutefois, l’enjeu de demain semble être l’accès au micro-crédit que les plateformes mobiles peuvent dynamiser, sans pour autant méconnaître la complexité de la régulation face à l’éclatement des actes et à la diversification des dispensateurs de crédit.

L’affirmation selon laquelle « tout prêt est une opération de crédit, toute opération de crédit ne se ramène pas à un prêt »1 sonne comme un précepte juridique universel – encore d’actualité –, en ce sens qu’elle suscite davantage d’intéressants débats, non encore tranchés dans les grands systèmes bancaires et financiers contemporains2 et dans les droits dérivés3. Cette position authentique constitue un stimulant réflexif sur la notion d’opérations de crédit en droit togolais4 et, plus largement, dans la zone ouest-africaine où elle semble toujours être incertaine, car confrontée à des évolutions nouvelles complexes et contradictoires.

Dans cet environnement juridique hétéroclite5, il est indéniable que la notion d’opération de crédit n’est pas ignorée par législateur. L’article 6 de la loi uniforme n° 2009-019 du 7 septembre 2009 portant réglementation bancaire dans l’Union monétaire ouest-africaine (UMOA) énonce, sans ambages, que « constitue une opération de crédit, pour l’application de la présente loi, tout acte par lequel une personne, agissant à titre onéreux : 1) met ou promet de mettre des fonds à la disposition d’une autre personne ; 2) prend, dans l’intérêt de celle-ci, un engagement par signature tel qu’un aval, un cautionnement ou une garantie ». Sont également des opérations de crédit, par assimilation, selon le texte précité, « le crédit-bail et, de manière générale, toute opération de location assortie d’une option d’achat ».

Cette législation est une reprise à l’identique de l’article L. 313-1 du Code monétaire et financier français6. Toutefois, à la différence du droit français qui consacre des dispositions spéciales au consommateur dans le Code de la consommation7, aucune disposition nationale ou communautaire dérogatoire dédiée au crédit à la consommation n’existe dans l’Union8. Sous cette réserve, la législation bancaire constitue une véritable amélioration des éléments notionnels précédemment contenus dans l’article 5 de la loi-cadre du 24 avril 1990 portant réglementation bancaire dans l’UMOA. Celui-ci procédait plutôt par énumération : « Sont considérées comme opérations de crédit les opérations de prêt, d’escompte, de prise en pension, d’acquisition de créances, de garantie, de financement de ventes à crédit et le crédit-bail ».

Seulement, dans les deux hypothèses textuelles précitées, le législateur semble limiter l’opération de crédit, à titre principal, à la mise à disposition de fonds rémunérée et, subsidiairement, aux opérations assimilées, notamment le crédit-bail et la vente à réméré. Une telle conception, dont l’objectif principal vise la préservation du monopole bancaire, paraît restrictive. Au fil du temps, elle se révèle inadaptée, insatisfaisante, voire dépassée, car le marché actuel de crédit est devenu très mouvant et expose, de gré ou de force, à la concurrence de nouveaux intervenants et de nouveaux produits, notamment les crédits entre particuliers sur internet9 ou par téléphonie, avec pour socle la monnaie électronique10. L’adoption, par la banque centrale de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO), d’un cadre réglementaire applicable à la monnaie électronique en zone UMOA (instruction n° 008-05-2015) a sans doute permis le développement d’une diversité de services financiers de base, mais elle a également créé de nouveaux besoins de crédit.

En réalité, il existe bien des opérations sur les marchés bancaire et financier, à savoir les locations financières non assorties d’option d’achat, ainsi que des opérations sur titres financiers (des contrats financiers et des dérivés de crédit)11, qui apparaissent comme des constructions issues de la pratique et qui n’ont cure des cadres préconçus. Elles revendiquent tout de même la qualification d’opérations de crédit12. Elles rencontrent, en revanche, des difficultés persistantes à se retrouver dans la notion classique. Le domaine d’application des règles relatives au crédit à la consommation n’est pas, lui non plus, d’une grande précision ; mieux, il est indéterminé. En droit français, par exemple, dans cet imbroglio normatif, la Cour de cassation a dû indiquer la voie, dans un arrêt remarqué du 7 mars 2018, en décidant que pouvait constituer une opération de crédit à la consommation la commercialisation de forfaits téléphoniques associés à celle de téléphone mobile13. Dans un second arrêt rendu dans la même affaire le 16 mars 2022, la même Cour approuve la cour de renvoi d’avoir effectivement retenu cette qualification14. L’ultime malaise porte sur le fait que les opérateurs de téléphonie ne sont pas des établissements de crédit et ne relèvent pas de la règlementation bancaire ou financière. On sait d’ailleurs que certaines activités sont dites réglementées et passibles de sanctions, lorsqu’elles sont suspectes, notamment en matière financière. La récente décision n° CM/07/09/2021 du 23 septembre 2021, portant adoption de la loi uniforme relative aux infractions boursières sur le marché financier régional de l’UMOA, renforce cette conviction.

Pour rendre compte de la situation, devenue pragmatique, mais confuse et très préoccupante pour le régulateur15, l’analyse économique de l’opération de crédit se contente des critères souples fondés sur la prestation du prêteur, la confiance justifiant le risque et l’absence de spéculation pour circonscrire l’opération. Cette démarche économique n’emporterait pas totalement l’adhésion juridique, parce qu’elle est jugée parfois imprécise.

Il reste que les opérations de crédit sont empreintes d’une hétérogénéité16 et ne se laissent pas facilement dompter dans une conception légale statique17. Au surplus, la diversité et le dynamisme des acteurs et des moyens de crédit, l’avènement de la fintech et le besoin d’adaptation des activités bancaires et financières à la digitalisation obligent à revenir sur la question de l’étendue et du contenu de la notion d’opération de crédit. Elle invite à admettre la porosité des frontières conceptuelles et à reconnaître d’abord que l’opération de crédit a un contenu (un objet et une cause), qu’elle soit traditionnelle ou nouvelle, nommée ou innommée, et quelle que soit sa forme. Elle crée ensuite des obligations à la charge des parties, peu importe la qualité du cocontractant (professionnel ou consommateur). L’opération est donc un acte juridique qui obéit largement aux critères nouveaux de définition du contrat, c’est-à-dire un accord de volontés destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations18.

Toutefois, les acteurs (créditeur et crédité), les techniques et les modalités opératoires étant variables, donc pluriels, les actes ou les procédés de crédit se déroulent non plus seulement dans le cadre bancaire mais aussi et, de plus en plus, dans des cadres extra-bancaires, pour atteindre certaines opérations d’assurance19 et boursières. Le changement certain de paradigme économique, favorisé par le décloisonnement et surtout la dérégulation progressive20, impose une approche structurelle et fonctionnelle plus nuancée du montage contractuel.

À cet égard, l’opération de crédit peut être envisagée comme un contrat, irréductible à un modèle exclusif, qui permet à une personne d’accorder sa confiance à une autre en lui consentant, par divers moyens, les ressources dont elle a besoin pour financer son existence ou son activité21. Cette approche, renouvelée et inclusive22, peut permettre de considérer aussi les opérations de crédit comme des formes complexes de contrats de financement, parfois interdépendantes, étendues à certaines activités du marché financier.

Ainsi entendue, l’opération de crédit est un contrat qui s’affranchit de la mise à disposition de fonds rémunérée. Elle s’enrichit de la figure de contrat de service bancaire ou financier fondé essentiellement sur le risque pour se voir reconnaître ou s’affermir, d’une manière neutre et générale, les attributs d’un engagement contractuel financier. L’évolution souhaitée peut avoir pour inconvénient de diluer le concept d’opération de crédit. Elle induit néanmoins des implications non négligeables relativement au régime fiscal de certaines opérations, actuellement soumises à la TVA à 18 % dans certains États membres de l’UMOA23, pour bénéficier désormais du régime applicable aux services financiers, plus favorable aux distributeurs de crédit.

Notes de bas de pages

  • 1.
    M. Vasseur, Institutions bancaires, 4e éd., 1985-1986, Dalloz, fasc. I-A, p. 74.
  • 2.
    Sur le malaise à saisir l’étendue de la notion d’opérations de crédit pour leur appliquer un régime, v. G. Ripert et R. Roblot, Traité de droit des affaires, t. 3, Opérations bancaires et contrats commerciaux, par P. Delebecque, N. Binctin et L. Andreu, 18e éd., 2018, LGDJ, nos 220 et s., EAN : 9782275036595 ; D. Legeais, Opérations de crédit, 2018, LexisNexis, p. 1, n° 1 ; J.-L. Rives-Langes et M. Contamine-Raynaud, Droit bancaire, 6e éd., 1995, Dalloz, n° 388 ; T. Bonneau, Droit bancaire, 12e éd., 2017, LGDJ, p. 59, n° 58, EAN : 9782275049373 ; W. Sanbar et H. Bouchetemble, Droit des opérations bancaires et financières transfrontalières, 2013, RB édition.
  • 3.
    K. Tchangai, Droit bancaire et développement économique de l’ouest africain, thèse, 1992, Poitiers, p. 2 et s. : l’auteur soutient, avec raison, que le droit bancaire, tel que mis en œuvre dans les États membres de l’UMOA, constituerait aussi un frein aux financements d’investissements productifs et rentables et une source d’échec du système bancaire.
  • 4.
    S. Kpotsra, Les garanties du crédit aux entreprises togolaises, t. 11, 1993, Annales de l’UB, série Droit-Économie, p. 37 et s.
  • 5.
    Au confluent de plusieurs instruments normatifs : réglementation des opérations bancaires, des opérations d’assurances, des opérations boursières, réglementation des instruments de crédit, garanties du crédit (sûretés et garanties financières).
  • 6.
    C. mon. fin., art. L. 313-1 : « Constitue une opération de crédit, tout acte par lequel une personne, agissant à titre onéreux met ou promet de mettre des fonds à la disposition d’une autre personne ou prend, dans l’intérêt de celle-ci, un engagement par signature tel qu’un aval, un cautionnement ou une garantie. (…) Sont assimilées à des opérations de crédit, le crédit-bail et, de manière générale, toute opération de location assortie d’une option d’achat. »
  • 7.
    En droit français, l’article L. 311-1-6° donne des opérations de crédit la définition suivante : « C’est une opération ou un contrat par lequel un prêteur consent ou s’engage à consentir à l’emprunteur un crédit sous la forme d’un délai de paiement, d’un prêt, y compris sous forme de découvert ou de toute autre facilité de paiement similaire, à l’exception des contrats conclus en vue de la fourniture d’une prestation continue ou à exécution successive de services ou de biens de même nature et aux termes desquels l’emprunteur en règle le coût par paiements échelonnés pendant toute la durée de la fourniture ».
  • 8.
    I. Zoungrana, Réflexions autour de la protection des consommateurs de la zone UEMOA dans sa perspective d’intégration économique communautaire : Étude comparative avec le droit européen (Français), thèse, 2016, Perpignan, p. 8 ; S. A. Adjita, Contribution à la protection juridique du consommateur dans les pays en voie de développement (exemple particulier des pays d’Afrique), thèse dactylogaphiée, 1996, Clermont-Ferrand I, p. 2 et s.
  • 9.
    Les plateformes électroniques constituent un hub qui permet de mettre en relation les personnes désireuses de prendre part au financement d’initiatives en crowdfunding et les promoteurs de projets à la recherche de financement : v. T. Granier et N. Chapier-Granier, « Le financement participatif (crowdfunding), révélateur des limites actuelles du système bancaire et financier », in Le droit des affaires à la confluence de la théorie et de la pratique, Mélanges en l’honneur de Paul Le Cannu, 2014, Dalloz-LGDJ, p. 479 et s., spéc. p. 480, EAN : 9782275043364.
  • 10.
    BCEAO, Instruction n° 008-05-2015, régissant les conditions et modalités d’exercice des activités des émetteurs de monnaie électronique dans les États membres de l’Union monétaire Ouest Africaine (UMOA), « la monnaie électronique est une valeur monétaire représentant une créance sur l’établissement émetteur ». Dans la zone CEMAC, v. V.-D. O. Ngongang, La production du droit par les entreprises en Afrique. Le cas du droit de la monnaie mobile dans la sphère publique camerounaise-CEMAC, thèse, 2022, Université Côte-d’Azur, p. 1 et s. : l’auteure relève que le mobile money, encore qualifié de monnaie mobile, permettrait de rendre compte de la réalité du pluralisme juridique et des raisons de la genèse des foyers normatifs privés ainsi que de comprendre la coexistence de plusieurs ordres juridiques dans un espace.
  • 11.
    En droit OHADA, l’article 744 de l’Acte uniforme du 30 janvier 2014, relatif au droit des sociétés commerciales et du groupement d’intérêt économique est dans l’embarras lorsqu’il énonce laconiquement que les sociétés anonymes émettent des valeurs mobilières ainsi que d’autres titres financiers et peuvent aussi conclure des contrats financiers, également dénommés « instruments financiers à terme », dans les conditions fixées par l’autorité compétente ; en droit de l’UMOA, il s’agit de l’autorité de régulation du marché financier.
  • 12.
    Pour une analyse de la doctrine autorisée, v. A. Couret, H. Le Nabasque, M.-L. Coquelet et a., Droit financier, 3e éd., 2019, Dalloz, p. 1069 et s., nos 1356 et s. ; T. Granier, « L’émergence d’un droit des marchés financiers en Afrique : l’exemple du marché financier régional de l’UEMOA », RDUA août 2010, numéro 00, p. 9.
  • 13.
    Cass. com., 7 mars 2018, n° 16-16645 : JCP E 2018, 1210, comm. D. Legeais ; Contrats, conc. consom. 2018, comm. 98, S. Bernheim-Desvaux ; JCP G 2018, 347, zoom N. Kilgus : le contrat par lequel un consommateur acquiert un téléphone portable peut être qualifié d’opération de crédit si le report du prix d’achat du mobile sur le prix de l’abonnement en cas d’acquisition d’un terminal mobile à un prix symbolique résulte de la majoration mensuelle du forfait imposée au consommateur de manière concomitante à la réduction substantielle du prix du mobile.
  • 14.
    Cass. com., 16 mars 2022, n° 19-18499 : Contrats conc. consom. 2022, n° 5, comm. 92, note S. Bernheim-Desvaux ; JCP E 2022, 1253, obs. N. Mathey.
  • 15.
    Par exemple, le règlement n° 02/2010/CM/UEMOA du 30 mars 2010, relatif aux fonds communs de titrisation de créances et aux opérations de titrisation, a créé un cadre juridique pour ce type d’opérations dans la zone couverte par le traité de l’Union économique et monétaire de l’Ouest africain, mais en pratique, des difficultés ont été relevées par les acteurs ; P. S. A. Badji, « La désintermédiation financière en droit communautaire OHADA et UEMOA : quels défis pour les établissements de crédit ? », in Rencontres multicolores autour du droit, Mélanges en l’honneur du professeur Deen Gibirila, 2021, Presses de l’université de Toulouse 1 Capitole, p. 357 et s.
  • 16.
    D. Martin, « Que sont les notions devenues ? », D. 2014, p. 164.
  • 17.
    BCEAO, rapport sur la situation de l’inclusion financière dans l’UEMOA au cours de l’année 2018, juill. 2019, p. 8 ; B. A. N’Guessan, Analyse comparée des évolutions du crédit et de l’activité économique dans l’UEMOA, document d’étude et de recherche BCEAO, n° DER/10/01, juin 2010, p. 4.
  • 18.
    Article 1011 du Code civil, issu de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, ratifiée par la loi n° 2018-287 du 20 avril 2018.
  • 19.
    S. Gossou, La distribution de l’assurance par banques, 2007, PUAM ; P.-P. Alipoé, La distribution des produits bancaires par les assureurs, thèse, 2011, Poitiers.
  • 20.
    D. Legeais, « Le montage financier à la recherche de son régime juridique », in Le droit des affaires à la confluence de la théorie et de la pratique, Mélanges en l’honneur de Paul Le Cannu, 2014, Dalloz-LGDJ, p. 693 et s., EAN : 9782275043364.
  • 21.
    D. Legeais, Opérations de crédit, 2018, LexisNexis, p. 11, n° 20.
  • 22.
    Sur l’inclusion financière, v. Déc. n° 012/24/06/2016/CM/UMOA, 24 juin 2016, portant adoption d’une politique et d’une stratégie régionale d’inclusion financière dans l’UEMOA et qui définit l’inclusion financière comme l’accès permanent des populations de l’UEMOA à une gamme diversifiée de produits et services financiers adaptés, à coûts abordables, et utilisés de manière effective, efficace et efficiente ; D. n° 2009-95, 2 oct. 2008, portant création et organisation de l’Observatoire de la qualité des services financiers (OQSF/Sénégal) ; D. n° 2016-1136, 21 déc. 2016, portant création, organisation et fonctionnement de l’Observatoire de la qualité des services financiers en Côte-d’Ivoire (OQSF-CI).
  • 23.
    Par exemple, les opérations de titrisation et les crédits téléphoniques (Flooz, Tmoney).
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