Les obligations spécifiques du banquier qui recommande le recours au prêt : quelles perspectives pour les prêts en devises et pour les prêts structurés ?

Publié le 14/09/2018

Le banquier qui recommande le recours à un prêt ou à telle formule de financement, est tenu d’une obligation de conseil et doit en conséquence orienter son client vers la solution qui correspond le mieux à sa situation et à ses objectifs. Cette solution affirmée par la chambre commerciale de la Cour de cassation, pourrait ouvrir de nouvelles perspectives aux emprunteurs ayant contracté des prêts structurés ou des prêts en devises, généralement recommandés par leur banquier.

Notre droit a développé, à l’égard des banquiers, dispensateurs de crédit, divers devoirs et obligations qui visent à favoriser une prise de décision éclairée de la part de leurs clients. Il s’agit de devoirs, lorsqu’ils prennent leur source dans la loi, ou dans la jurisprudence. On parlera d’obligations lorsque le comportement attendu du banquier a été contractuellement prévu par les parties1. Qu’il s’agisse de devoirs ou d’obligations, on peut opérer un classement en fonction des exigences imposées à ce professionnel. Existent ainsi le devoir et l’obligation d’informer, qui consistent à transmettre une donnée brute, le devoir et l’obligation d’expliquer, qui imposent une véritable pédagogie visant à personnaliser l’information en considération de la situation ou des objectifs de son destinataire, sans que son débiteur ait à prendre position sur l’opportunité de l’opération envisagée et, enfin, les devoirs et obligations de mise en garde qui, du fait qu’ils portent sur un risque certain ou probable de non-remboursement, imposent une dissuasion2. La question s’est évidemment posée de savoir si l’on devait ajouter à cette liste un devoir de conseil qui consisterait à présenter les avantages et inconvénients de différentes solutions possibles, afin d’orienter son créancier vers celle qui correspondrait le mieux à ses intérêts. Par un arrêt rendu le 13 janvier 2015, la chambre commerciale de la Cour de cassation a considéré qu’un tel devoir ne pouvait qu’être imposé par le législateur3, ce qui n’empêche pas les parties de convenir d’une obligation de conseil. À ce propos, il ne faut sans doute pas négliger l’hypothèse dans laquelle le banquier prend l’initiative de recommander le recours à un prêt ou à telle formule de financement : dans ce cas, s’ajoute au prêt une prestation particulière qui engendre une obligation de conseil dont la mauvaise exécution est source de responsabilité. C’est l’enseignement majeur qu’il faut tirer d’un arrêt rendu par la chambre commerciale de la Cour de cassation le 7 février 20184. En l’espèce, l’associé, fondateur d’une société, avait à titre personnel, souscrit deux emprunts auprès d’une banque : le premier était destiné à recapitaliser la société ; le second, à apurer par anticipation, le prêt et le compte courant débiteur consentis à celle-ci par cette même banque. Ce double engagement avait été motivé par la volonté de l’emprunteur d’éviter d’éventuelles sanctions qu’il craignait voir prononcer, en sa qualité de gérant de fait, dans le cadre d’une procédure collective. Ces deux prêts lui avaient été proposés : la banque avait indiqué qu’elle n’entendait plus financer l’activité de la société en raison de la situation économique et financière de celle-ci. Afin de garantir le second prêt, la banque avait obtenu, de la sœur de l’emprunteur, un cautionnement hypothécaire portant sur l’un de ses immeubles. La garante, attachée territoriale, n’avait aucun lien particulier avec la société dont elle n’était pas associée. Cette société a finalement fait l’objet d’une liquidation judiciaire. La défaillance de l’emprunteur a conduit ce dernier ainsi que la garante, à développer plusieurs arguments. En particulier, ont-ils fait valoir que la banque avait manqué à son devoir de les mettre en garde contre les risques « excessifs » de non-remboursement du crédit. Les juges du fond5 et la Cour de cassation l’ont admis, en jugeant que la situation de la société ne pouvait qu’engendrer la défaillance de l’emprunteur et que ce dernier, tout comme la caution, pouvaient légitimement ignorer les risques auxquels ils s’exposaient. C’est toutefois un autre point qui constitue l’intérêt majeur de cet arrêt : en effet, la Cour de cassation a considéré que l’initiative, prise par la banque, de recommander le recours au prêt, avait fait naître une prestation particulière s’ajoutant à l’opération de prêt elle-même. Le terme de recommandation est défini par le dictionnaire Larousse comme un conseil appuyé. Il figure dans plusieurs textes de droit bancaire et financier qui, bien que n’étant pas applicables à l’espèce jugée, peuvent permettre d’en délimiter l’objet. En matière de crédit, l’ordonnance du 25 mars 20166 a introduit dans le Code de la consommation, un article L. 313-13 qui définit le service de conseil comme la fourniture de recommandations personnalisées, en ce qui concerne un ou plusieurs contrats de crédit. La fourniture d’un tel service oblige le banquier à tenir compte, non seulement de la situation financière de son client, mais encore de ses besoins. Le même terme est également utilisé par l’article L. 533-13-I du Code monétaire et financier (CMF) qui impose certaines règles au prestataire qui fournit un conseil en investissement, ou une prestation de gestion de portefeuille pour le compte de son client. Cet article impose de mener une analyse permettant de recommander les services d’investissement, ou les instruments financiers, en adéquation avec deux éléments objectifs, la situation financière de l’investisseur, sa capacité à subir des pertes, et deux subjectifs : la finalité qu’il poursuit et sa tolérance aux risques. Si l’on considère que les besoins visés par l’article L. 533-13 du CMF sont déterminés en fonction des objectifs exprimés et que la capacité à subir des pertes est intimement liée à la situation financière, on peut s’accorder pour affirmer que la recommandation implique de tenir compte d’éléments subjectifs, c’est-à-dire la finalité poursuivie par le client de la banque et les besoins qui en résultent, et d’éléments objectifs impliquant de tenir compte de la situation financière du destinataire de la recommandation et de sa capacité à subir des pertes. Il ne s’agit donc pas simplement de mettre en garde l’emprunteur contre le risque certain ou probable de non-remboursement auquel il s’expose, mais bien, en considération de ces éléments, à la fois objectifs et subjectifs, de lui fournir un conseil appuyé en l’éclairant sur les conséquences, à la fois juridiques et financières, de l’opération qui lui est proposée. En l’espèce, l’emprunteur, en se substituant aux engagements de la société, entendait améliorer la situation de celle-ci, avec comme objectif, d’échapper à d’éventuelles condamnations en raison de fautes de gestion qu’il aurait commises. Non seulement la banque s’était bien gardée de lui révéler une situation irrémédiablement compromise qui empêchait tout redressement de la société, mais encore aurait-elle dû attirer son attention sur les conséquences juridiques de la poursuite de l’activité déficitaire : il lui appartenait, à ce titre, d’alerter l’emprunteur du risque de voir sa responsabilité engagée dans le cadre d’une action en comblement de passif et de voir prononcer une faillite personnelle à son égard. Cette obligation de fournir un conseil adapté à la situation et aux objectifs de l’emprunteur, lorsque la banque recommande le recours au prêt, pourrait avoir d’importantes conséquences sur de nombreux contentieux en cours, notamment ceux relatifs aux prêts en devises, proposés à certains particuliers, et ceux, structurés, contractés par des personnes morales de droit public. La plupart de ces prêts ont été conclus sur la base de recommandations formulées par les banques. Pour l’heure, certaines décisions montrent que l’action intentée par les emprunteurs pour obtenir leur annulation ou la responsabilité des banquiers les ayant consentis se heurte à certains obstacles. En particulier, et sauf exception, les financements mis en place, n’incluent pas d’instrument financier7. C’est ce qui a été jugé par la CJUE à propos des prêts en devises8, ou par la chambre commerciale de la Cour de cassation, à propos du taux d’intérêt dont les modalités de calcul, dans une seconde phase d’un prêt « structuré », étaient connues dès l’origine : faute de nécessité d’une nouvelle manifestation de volonté des parties, la qualification de contrat d’option9 devait être écartée. En l’absence d’instrument financier, l’opération litigieuse se limite à un prêt et le devoir de mise en garde qui incombe au prêteur ne s’impose, en droit commun, que si l’emprunteur est « non averti » des risques auxquels l’opération l’expose. Les arrêts rendus par la chambre commerciale montrent que la qualification d’emprunteur « averti » est loin d’être exclue10.

L’arrêt du 7 mars 2018 invite néanmoins à porter la réflexion, non plus sur l’existence d’un instrument financier et l’application conséquente du CMF, ou sur l’admission d’un devoir de mise en garde lié à l’octroi du prêt, mais bien sur les effets de la recommandation formulée par la banque de recourir à ces formules de financement. La question pourrait alors se poser de savoir si ces dernières étaient bien adaptées à la situation et aux objectifs des emprunteurs qui les ont contractées. Les textes adoptés postérieurement à leur distribution pourraient à ce titre servir de référence. On rappellera notamment que l’article R 313-31 introduit au Code de la consommation par le décret n° 2018-229 du 30 mars 2018 impose, pour les prêts immobiliers en devises contractés par des consommateurs, que ces derniers déclarent percevoir plus de la moitié de leurs revenus dans cette devise, ou détenir un patrimoine financier, ou immobilier, dans cette même devise, au moins égale à 20 % du montant du prêt. On peut donc penser que ce type de financement ne serait pas adapté à la situation de l’emprunteur dans les autres cas. Il conviendrait par ailleurs de tenir compte de l’objectif de sécurité qui, développé à des fins commerciales, a généralement été poursuivi par les emprunteurs en les contractant. On pourrait également se référer à l’article L. 1611-3-1 du Code général des collectivités territoriales pour apprécier si les emprunts structurés contractés par ces dernières étaient bien adaptés à leur situation et aux objectifs d’intérêt général qu’elles doivent poursuivre.

Admettre l’existence d’une obligation de conseil, liée à la recommandation de recourir à ce type d’emprunts, pourraient évidemment avoir une autre conséquence. On sait, en effet, que le devoir de mise en garde qui résulte de la seule distribution du prêt, n’existe que dans la mesure où l’emprunteur est considéré comme non averti des risques auxquels son engagement l’expose. Il en va différemment de l’obligation de conseil. Celle-ci est essentielle à la recommandation : la qualité de son créancier ne détermine donc pas son existence, mais son exécution. Il n’importerait donc pas de se demander si l’emprunteur, à qui cette recommandation a été adressée, était ou non averti des risques auquel son engagement l’exposait. En revanche, il conviendrait de déterminer si la présentation de l’emprunt lui a été faite avec suffisamment de pédagogie, en considération de ses connaissances et de son expérience, pour lui permettre d’appréhender la correspondance de la formule proposée, à ses besoins et objectifs. Au final, cet arrêt du 7 février 2018 pourrait avoir une grande importance, bien plus que celle que l’on pouvait lui conférer en l’absence de publication au bulletin de la Cour de cassation.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Fabre-Magnan M., Droit des obligations : contrat et engagement unilatéral, 2016, PUF, n° 237.
  • 2.
    V. à ce titre nos articles « Du champ d’application du devoir de conseil du banquier », RTD com. 2011 p. 11 et « L’exécution de son devoir de conseil par le banquier », RTD com. 2013 p. 639.
  • 3.
    Cass. com., 13 janv. 2015, n° 13-25856 : Gaz. Pal. 17 mars 2015, n° 216s0, p. 22, note Moreil S. ; LPA 27 juill. 2015, p. 9 avec notre note.
  • 4.
    Cass. com., 7 févr. 2018, n° 16-12808 : RTD com. 2018, p. 175, obs. Legeais D.
  • 5.
    CA Nouméa, ch. civ., 22 oct. 2015, n° 14/00175.
  • 6.
    Pour une étude globale du texte : Lasserre-Capdeville J., « La réforme du crédit immobilier : une réforme de bon sens », JCP G 2016, doctr. 517.
  • 7.
    Il conviendra toutefois de réserver certaines hypothèses, en particulier celle de la conclusion d’un swap qui constitue un contrat d’échange au sens de l’article D. 211-1A du Code monétaire et financier.
  • 8.
    CJUE, 3 déc. 2015, n° C-312/14 : RTD com 2016, p. 170, obs. Legeais D.
  • 9.
    Cass. com., 28 mars 2018, n° 16-28210 : LEDB mai 2018, n° 5, p. 1, obs. Mathey N. ; LPA 4 juill. 2018, n° 137e0, p. 14 avec notre note. On notera que dans cette affaire, la commune emprunteuse soutenait avoir contracté un contrat d’option à des fins spéculatives pour en demander la nullité : la spéculation étant contraire à l’intérêt général qui limite sa liberté contractuelle.
  • 10.
    Cass. com., 29 mars 2017, n° 16-13050 (pour un directeur-adjoint d’une chambre de compensation et son épouse ex-directrice comptable et du personnel, considérés comme avertis dans l’affaire Helvet immo) ; Cass. com., 28 mars 2018, n° 16-28210, précité (le caractère averti de la commune est retenu à partir de plusieurs éléments : taille de la commune, capacité des organes de la collectivité emprunteuse ou l’expérience acquise en concluant d’autres emprunts…).
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