Nouvelle proposition de loi pour lutter contre certaines fraudes aux opérations de paiement

Publié le 30/04/2025
Nouvelle proposition de loi pour lutter contre certaines fraudes aux opérations de paiement
Vadym/AdobeStock

Un groupe de députés a déposé en février 2025 une proposition de loi à l’Assemblée nationale visant, d’une part, à créer un fichier national pour répertorier les IBAN douteux et, d’autre part, à élargir l’accès au Fichier national des chèques irréguliers. Cette étude reprend les nouveautés envisagées.

1. L’Observatoire de la sécurité des moyens de paiement (OMSP) a publié, le 10 septembre 2024, son rapport annuel sur l’année 2023. Or, ce dernier est riche en enseignements. Si le montant de la fraude aux paiements est légèrement inférieur à 1,2 milliard d’euros en France, les techniques de fraude ne cessent d’évoluer, les escrocs s’adaptant sans cesse à l’évolution des mesures de protection mises en place, par exemple au développement de l’authentification forte1.

2. En conséquence, et alors que l’état du droit européen tarde à évoluer en la matière (le nouvel ensemble DSP3/RSP devrait être adopté ces prochains mois), un groupe de députés d’Ensemble pour la République2 a déposé à l’Assemblée nationale, le 4 février 2025, une proposition de loi « contre les fraudes aux moyens de paiement scripturaux »3 visant à instaurer un fichier national des IBAN douteux et à modifier le droit applicable au Fichier national des chèques irréguliers (FNCI).

3. En effet, selon l’exposé des motifs, cette fraude aux moyens de paiement « constitue un enjeu crucial de justice économique et sociale ». Dès lors, renforcer l’arsenal législatif contre ces pratiques frauduleuses est jugé essentiel « pour protéger l’ensemble de la population, en particulier les citoyens les plus vulnérables, contre des risques souvent difficiles à détecter et des préjudices fastidieux à réparer ». Observons alors les évolutions envisagées par cette proposition de loi.

I – L’instauration d’un fichier national des IBAN « douteux »

4. Le rapport annuel de l’OMSP, rendu public en septembre 2024, permet de constater qu’en 2023 les fraudes concernant les virements bancaires sont restées stables (-0,5 %, soit 312 millions d’euros), mais aussi que près de la moitié de ces fraudes (48 %) sont des « arnaques aux faux IBAN ».

5. Pour mémoire, l’IBAN (« International Bank Account Number ») est l’identifiant international du compte bancaire auprès d’une institution financière dans un pays donné. Il est constitué au maximum de 34 caractères alphanumériques, qui comprennent le code du pays où est tenu le compte, le numéro de compte national (BBAN pour « Basic Bank Account Number ») et une clé de contrôle. Si le compte est détenu en France, il possède 27 caractères et commence par « FR ». L’IBAN d’un compte est traditionnellement indiqué sur le relevé d’identité bancaire (RIB).

6. Une recherche rapide sur les sites juridiques recessant la jurisprudence notable témoigne du fait qu’un contentieux, concernant des substitutions frauduleuses d’IBAN, est en train de se développer4.

7. La proposition de loi a donc pour ambition de créer, par son article premier, un fichier national des IBAN douteux centralisé à la Banque de France. Ce fichier pourrait ainsi être consulté par les prestataires de services de paiement (établissements de crédit, établissement de paiement et établissement de monnaie électronique) qui dans le même temps l’alimenteraient.

8. Plus précisément, il est envisagé d’ajouter au Code monétaire et financier un article L. 521-6-1. Ainsi, aux termes de son I : « Afin d’améliorer la prévention, la recherche et la détection des fraudes en matière de paiements, un fichier national enregistre des déclarations comportant les coordonnées bancaires des comptes que les prestataires de services de paiement, définis au I de l’article L. 521-1 et établis ou exerçant en France, estiment frauduleux ou susceptibles d’être frauduleux en se fondant sur les analyses réalisées dans le cadre de leurs dispositifs internes de lutte contre la fraude. Ce fichier centralise en outre les éléments caractérisant la fraude ou la suspicion de fraude affectant les comptes de paiement déclarés ». Le premier alinéa du II précise que « les prestataires de services de paiement sont responsables de l’alimentation de ce fichier. Ils déclarent sous leur seule responsabilité les informations mentionnées au I et procèdent aux déclarations correctives dès que les raisons de soupçonner la fraude disparaissent. Les frais afférents à ces déclarations ne peuvent être facturés aux clients concernés ». L’alinéa 4 du même II indique encore que « l’inscription des coordonnées d’un compte de paiement au sein du fichier n’emporte pas d’interdiction systématique de réaliser des opérations de paiement impliquant ce compte ».

9. Un tel partage des IBAN douteux devrait alors permettre d’identifier et de bloquer rapidement les transactions frauduleuses. En effet, en centralisant de la sorte, au niveau national, la liste des comptes bancaires identifiés comme suspects, les établissements de crédit pourraient disposer d’une base commune pour détecter les arnaques avant même qu’elles ne se produisent et les bloquer en amont.

10. Cette solution devrait permettre d’anticiper les mesures qui seront envisagées par la future directive Services de paiement (DSP 3), mais aussi et surtout par le futur règlement sur les services de paiement (RSP), qui sont toujours en cours de négociation à Bruxelles. De la sorte, la France pourrait devenir, selon l’exposé des motifs, « un précurseur en matière de lutte contre la fraude aux moyens de paiement en Europe ».

11. La proposition de loi étudiée s’inscrirait, par conséquent, dans une tendance actuelle de sécurisation des transactions passées par la voie du virement. En effet, les obligations de vérification des prestataires de services de paiement vont bientôt se renforcer en la matière ; d’abord avec le virement instantané5, puis avec le virement classique6.

II – La modification du droit applicable au FNCI

12. Dans son dernier rapport annuel, l’Observatoire de la sécurité des moyens de paiement (OSMP) observe que lemontant des opérations frauduleuses par chèque continue à fléchir pour atteindre 364 millions d’euros (-8 % par rapport à 2022), cette régression s’expliquant en grande partie par la mise en place de mécanismes de prévention par les banques, conformément à la feuille de route de l’Observatoire, et notamment dedispositifs de blocage ou de temporisation des remises de chèques. Toutefois, compte tenu de la baisse continue des montants échangés par chèque (-13,4 %), le taux de fraude a rebondi en 2023 (0,078 %, contre 0,073 % en 2022).

13. Cette fraude est susceptible de prendre des formes diverses. Il peut s’agir, d’abord, de chèques contrefaits, c’est-à-dire de chèques sur lesquels ne figure pas la signature du titulaire du chéquier, et partant, du compte bancaire débité. Dans un tel cas, ce sera un tiers qui aura frauduleusement apposé sa signature sur le titre. La fraude peut, ensuite, prendre la forme de chèques falsifiés, qui se démarquent des précédents, car ils ont bien été signés par le tireur, mais certaines de leurs mentions, et plus particulièrement le montant du chèque et/ou le nom de son bénéficiaire, ont été frauduleusement rajoutées ou modifiées par un tiers7.

14. Deux évolutions sont alors envisagées par la proposition de loi. Elles concernent le FNCI. Pour mémoire, ce dernier est un fichier destiné à lutter contre la fraude au chèque. Il permet de détecter l’utilisation de chèques irréguliers en centralisant les coordonnées bancaires : de tous les comptes ouverts par des interdits d’émettre des chèques ; des comptes clos ; des oppositions pour perte ou vol de chèque ; des faux chèques. Il est consulté par les commerçants abonnés au service FNCI/VERIFIANCE qui l’utilisent pour vérifier la régularité des chèques qui leur sont remis en paiement d’un bien ou service. Le dispositif fonctionne par la lecture de la ligne codée en bas du chèque qui permet de vérifier la régularité du chèque.

15. La première évolution envisagée concerne l’alimentation du fichier par le banquier. L’article 2 de la proposition de loi cherche à compléter le droit applicable au FNCI figurant à l’article L. 131-84 du Code monétaire et financier en y inscrivant la prise en compte des chèques contrefaits ou falsifiés, deux catégories distinctes des chèques faux (déjà visés par le FNCI).

16. L’article en question devrait ainsi avoir le contenu suivant : « Le tiré qui a refusé le paiement d’un chèque pour défaut de provision suffisante, qui a clôturé un compte sur lequel des formules de chèque ont été délivrées, qui a enregistré une opposition pour perte ou vol de chèques, qui a procédé au rejet d’un chèque pour falsification ou contrefaçon ou qui a pris connaissance de la falsification ou de la contrefaçon de chèques ou de formules de chèques ou de formules de chèque en avise la Banque de France ».

17. Les dispositions réglementaires correspondantes devraient également être modifiées dans un second temps afin d’encadrer le formalisme applicable en la matière, et notamment le délai à respecter pour en aviser la Banque de France, et ainsi permettre une mise à jour plus rapide du fichier et une détection accrue des fraudes.

18. Selon l’exposé des motifs de la proposition de loi, « cette mesure est d’autant plus importante que les faux chèques sont souvent utilisés pour régler des dettes envers l’État, comme des amendes ou des impôts ». Dès lors, renforcer la traçabilité de ces paiements contribuerait également « à la sécurisation des finances publiques ».

19. La seconde évolution envisagée concerne l’information du banquier lui-même. En l’état actuel de la réglementation, la banque qui encaisse le chèque ne peut pas consulter ce fichier : elle verse donc l’argent sur le compte du bénéficiaire, et c’est seulement lorsqu’elle demande à la banque émettrice de se faire payer qu’elle découvre si le chèque était valable ou non. Il est donc prévu la possibilité pour les banquiers de consulter les données du FNCI lors de la remise d’un chèque au paiement.

20. L’article 3 de la proposition de loi prévoit d’attribuer le contenu suivant à l’article L. 131-86 du Code monétaire et financier : « La Banque de France assure l’information de toute personne qui, lors de la remise d’un chèque pour le paiement d’un bien ou d’un service, souhaite vérifier la régularité, au regard du présent chapitre, de l’émission de celui-ci.

21. La Banque de France assure également l’information du banquier qui, lors de la présentation du chèque au paiement, souhaite vérifier la régularité, au regard du présent chapitre, de l’émission de celui-ci.

22. L’origine de ces demandes d’information donne lieu à enregistrement ».

23. Cette possibilité de consultation par le banquier devrait alors permettre de retarder l’encaissement du chèque au crédit du compte.

24. Cette évolution pourrait se révéler importante. De longue date, nous critiquons8 l’usage consistant pour le banquier présentateur à inscrire, dès la réception d’un chèque, le montant de ce dernier au crédit du compte du bénéficiaire9. L’opération peut alors s’analyser en une « avance sur encaissement », c’est-à-dire une facilité de caisse. Or, le danger de cette inscription immédiate apparaît lorsque le chèque s’avérerait, par la suite, contrefait, falsifié, sans provision ou faisant l’objet d’une opposition. Dans ces cas, en effet, le banquier présentateur sera en droit de demander le remboursement de l’avance précitée à son client10. Une consultation préalable du FNCI par cet établissement de crédit pourrait donc éviter un certain nombre de déconvenues aux bénéficiaires des chèques concernés.

25. Pour conclure cette présentation, on peut considérer que les évolutions envisagées par la proposition de loi sont opportunes. Il semble d’ailleurs, d’après la presse11, que les rédacteurs de ce texte ont mené un travail conjoint avec le Trésor, mais aussi la Banque de France.

26. Cette proposition de loi sera-t-elle adoptée ? Il est bien délicat de le dire au moment où nous écrivons ses lignes. Son examen n’a d’ailleurs pas encore été inscrit à l’ordre du jour. Cependant, selon la presse spécialisée12, la proposition en question pourrait être soutenue par Bercy. Si tel est le cas, tout devient alors possible…

Notes de bas de pages

  • 1.
    C. mon. fin., art. L. 133-4, f) et L. 133-44 ; J. Lasserre Capdeville, M. Storck, M. Mignot, J.-P. Kovar et N. Éréséo, Droit bancaire, 4e éd., 2024, Dalloz, Précis, nos 1483 et s.
  • 2.
    Cette proposition est à l’initiative de Daniel Labaronne, député de la 2e circonscription d’Indre-et-Loire, et membre de la Commission des finances.
  • 3.
    AN, prop. L. n° 884, 4 févr. 2025, proposition contre les fraudes aux moyens de paiement scripturaux ; pour des présentations, M. Heilmann, « Arnaques bancaires : une proposition de loi pour mieux lutter contre la fraude », Les Échos, 10 févr. 2025 ; R. Designolle, « Fraude bancaire : bientôt une nouvelle loi pour lister les IBAN frauduleux ? », MoneyVox, 10 févr. 2025.
  • 4.
    V. par ex., Cass. com., 1er juin 2023, n° 21-19.289 : Dalloz actualité, 6 juin 2023, obs. C. Hélaine ; RD bancaire et fin. 2023, comm. 167, obs. T. Samin et S. Torck ; CCE 2023, comm. 66, obs. E. Caprioli ; JCP E 2023, 1258, note J. Lasserre Capdeville ; LEDB juill. 2023, n° DBA201o8, obs. N. Mathey – CA Rennes, 9 juin 2023, n° 20/03320 – CA Riom, 13 déc. 2023, n° 22/01031 – Cass. com., 23 mai 2024, n° 22-18.098 – CA Douai, 20 juin 2024, n° 23/02479 – Cass. com., 15 janv. 2025, n° 23-15.437 – TJ Toulouse, 16 janv. 2025, n° 22/01790 ; pour une présentation, J. Lasserre Capdeville, « La substitution frauduleuse de RIB », RD bancaire et fin. mai-juin 2024, alerte 50.
  • 5.
    PE et Cons. UE, règl. n° 2024/886, 13 mars 2024 : JOUE, L. 2024/886, 19 mars 2024. Ce texte prévoit l’obligation pour les prestataires de services de paiement de vérifier la concordance entre l’IBAN et le nom du bénéficiaire fourni par le payeur afin d’alerter le payeur d’une éventuelle erreur ou fraude avant que le paiement ne soit effectué. Cette vérification de concordance est attendue, au plus tard, le9 octobre 2025 pour les PSP situés dans un État membre dont la monnaie est l’euro ; J. Lasserre Capdeville, « L’encadrement juridique du virement instantané », RD bancaire et fin. janv.-févr. 2020, étude 1, p. 15.
  • 6.
    Le futur règlement sur les services de paiement (RSP) devrait envisager l’obligation pour les prestataires de services de paiement de fournir à leurs utilisateurs des services de vérification de l’IBAN et du nom du bénéficiaire.
  • 7.
    J. Lasserre Capdeville, « L’encadrement juridique du risque de fraude en matière de chèque », RD bancaire et fin. janv.-févr. 2021, dossier 3.
  • 8.
    J. Lasserre Capdeville, « Un usage problématique en droit duchèque : l’avance sur encaissement », RD bancaire et fin. juill.-août 2020, dossier 25.
  • 9.
    Sur cet usage, Rép. com. Dalloz 2017, Vo Chèque. Transmission, nos 318 et s., par R. Bonhomme.
  • 10.
    Il recourra, en pratique, à la contrepassation.
  • 11.
    M. Heilmann, « Arnaques bancaires : une proposition de loi pour mieux lutter contre la fraude », Les Échos, 10 févr. 2025.
  • 12.
    R. Designolle, « Fraude bancaire : bientôt une nouvelle loi pour lister les IBAN frauduleux ? », MoneyVox, 10 févr. 2025.
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