Précisions de l’ACPR à propos de situations entraînant des exemptions d’agrément
La position du superviseur des banques étudiée, qui se fonde sur les dispositions législatives et réglementaires issues de la transposition de la directive sur les services de paiement n° 2015/2366 (DSP2) et de la directive sur la monnaie électronique n° 2009/110 (DME2), a notamment pour objet de prendre en compte les orientations de l’Autorité bancaire européenne concernant l’exclusion relative aux « réseaux limités » au titre de la DSP2. Elle est riche en enseignements.
1. Une position de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) est traditionnellement décrite comme une analyse du superviseur, « de nature plus ponctuelle » qu’une notice ou une ligne directrice, permettant de clarifier le sens et la portée de certaines dispositions réglementaires1.
2. La position qui nous occupe vient remplacer une position plus ancienne (position 2017-P-012) « aux fins de prendre en compte les évolutions du marché, ainsi que les Orientations de l’Autorité bancaire européenne concernant l’exclusion relative aux “réseaux limités” au titre de la DSP2 publiées le 24 février 2022 »3. Elle a été rendue publique le 20 juillet 2022.
3. Celle-ci a notamment pour but de clarifier les critères permettant d’apprécier les exemptions à l’agrément d’établissement de paiement ou d’établissement de monnaie électronique pour la fourniture de moyens de paiement utilisés au sein d’un « réseau limité d’accepteurs » ou pour l’acquisition d’un « éventail limité de biens ou de services » telles que prévues aux articles L. 521-3, L. 525-5 et L. 525-6 du Code monétaire et financier4. Cette clarification est donc importante pour les acteurs de marché qui souhaiteraient vérifier si les services qu’ils fournissent peuvent entrer dans le cadre de l’une de ces dérogations.
4. On notera d’ailleurs que si cette question a suscité peu de jurisprudences5, plusieurs travaux doctrinaux s’y sont intéressés récemment6. Après avoir constaté que beaucoup d’entreprises bénéficiaient d’une telle exemption, l’Autorité bancaire européenne (ABE) a surtout été amenée à préciser ces notions7, et plus particulièrement, nous l’avons dit, par des orientations du 24 février 2022.
I – Les précisions données aux notions permettant de bénéficier d’une exemption
5. Le superviseur souligne, à titre préalable, que les exemptions d’agrément étudiées ne s’appliquent qu’aux moyens de paiement et/ou à la monnaie électronique utilisés pour l’acquisition de biens ou services non-financiers (qu’ils soient physiques ou numériques). Il en conclut que, dans ce contexte, certaines activités ne peuvent bénéficier d’une exemption d’agrément : tel est notamment le cas des plates-formes de dons aux organismes caritatifs pour lesquelles les dons ne représentent pas le paiement d’un bien ou d’un service8, ou encore des plates-formes de financement participatif « sous forme de dons ou de prêts pour lesquelles il a été considéré qu’elles se contentaient d’encaisser des fonds pour le compte des bénéficiaires, sans la moindre acquisition de biens ou de services sous-jacente ».
6. Ces indications figuraient déjà dans la position de l’ACPR du 25 octobre 2017. C’est également le cas de beaucoup des développements qui suivent.
A – Les précisions relatives à l’éventail limité de biens et/ou de services
7. L’ACPR déclare que pour accorder des exemptions, le critère de l’éventail limité de biens et services est apprécié, d’abord, « sous l’angle de l’appartenance des biens ou services à une “thématique” suffisamment précise pour ne pas se confondre avec un moyen de paiement “universel”, c’est-à-dire de portée générale ».
8. Dès lors, une offre thématique trop large, comme par exemple des « listes de mariage » ou des « listes de naissance » permettant de couvrir un éventail extrêmement large de biens ou services, ou appartenant à plusieurs offres thématiques, ne saurait bénéficier d’une exemption.
9. Le superviseur indique, ensuite, qu’un éventail limité de biens et/ou de services doit aussi comprendre des « biens et services fonctionnellement liés ». De quoi s’agit-il ? La position nous le dit : « Un lien fonctionnel peut être démontré en présence d’une catégorie spécifique de biens et/ou services ayant une finalité commune ». Cette notion s’apprécie alors « au regard de la connexité et de la complémentarité des biens et services susceptibles d’être acquis dans le cadre de l’exemption ».
10. Des illustrations sont données à travers certaines exceptions ayant été accordées par l’ACPR. Concernant les services, il en a été de la sorte pour des offres de co-voiturage, de location de véhicules, de livraison de repas, de réalisation de petits travaux de bricolage, etc. Concernant, à présent, la vente de biens, la position donne comme exemple les exemptions ayant pu être accordées pour des places de marché intervenant dans des domaines variés (vin, produits agricoles, billetterie événementielle…). Il importe peu, en revanche, que les biens ou services en question soient distribués par des canaux différents (physique et digital).
11. Dans tous les cas, le lien fonctionnel en question doit être décrit par les entreprises dans leur déclaration d’exemption, ainsi que lors de l’actualisation annuelle de celle-ci.
12. Il convient néanmoins de souligner que cet examen du « lien fonctionnel » n’est pas un critère unique. En effet, au-delà de cette analyse, l’ACPR tient aussi compte, dans son évaluation, d’autres éléments : le volume et la valeur des opérations de paiement devant être réalisées à l’aide des instruments de paiement sur une base annuelle, le montant maximal à créditer sur les instruments de paiement, le nombre maximal d’instruments de paiement à émettre, et enfin les risques auxquels s’expose l’utilisateur en utilisant l’instrument de paiement.
B – Les précisions relatives au réseau limité d’accepteurs
13. Par l’intermédiaire de sa position, l’ACPR déclare qu’un réseau limité d’accepteurs « peut se composer indifféremment soit exclusivement de boutiques physiques, soit exclusivement de boutiques en ligne, soit d’une combinaison des deux ». Par ailleurs, il n’est pas nécessaire que le type de biens et de services proposés dans les boutiques en ligne soit lié au type de biens et de services proposés dans des boutiques physiques.
14. Dès lors, pour analyser l’éligibilité des instruments de paiement utilisés pour l’acquisition de biens ou services dans un « réseau limité d’accepteurs », l’ACPR tient classiquement compte de deux critères importants : d’une part, l’existence d’une marque commune (par exemple, une enseigne commune ou un nom commercial commun)9 et, d’autre part, l’étroitesse des relations commerciales. Dans ce dernier cas, des contrats doivent permettre d’établir un lien effectif entre l’émetteur du moyen de paiement et les accepteurs du réseau (par exemple, des contrats de franchise, de distribution exclusive, de concession, ou encore des licences de droits de propriété intellectuelle relatifs à des marques ou à des signes distinctifs ou à un savoir-faire). En revanche, l’ACPR tient à préciser que ce second critère ne saurait s’appliquer « aux réseaux constitués de commerçants inscrits sur une liste qui par nature a vocation à s’étendre »10.
15. Mais cela n’est pas tout. En effet, ici encore, d’autres critères objectifs peuvent être pris en compte par l’ACPR selon la taille et la spécificité du marché concerné : le périmètre géographique circonscrit, le nombre maximal envisagé de fournisseurs de biens et de services opérant au sein du réseau, le volume et la valeur des opérations de paiement devant être réalisées à l’aide des instruments de paiement sur une base annuelle, le montant maximal à créditer sur les instruments de paiement, le nombre maximal d’instruments de paiement à émettre, et enfin les risques auxquels s’expose l’utilisateur en faisant usage de l’instrument de paiement exempté. Tous ces critères peuvent être mobilisés individuellement ou simultanément comme « faisceau de preuve ».
Ainsi le bénéfice de l’exemption devra être écarté chaque fois que l’analyse objective du réseau d’acceptation du moyen de paiement selon ces critères permettra d’établir « qu’il est accepté dans plus d’un réseau limité, que le réseau d’accepteurs a vocation à s’étendre ou que le moyen de paiement a une vocation universelle ».
II – Les précisions données sur le régime applicable aux cas relevant d’une exemption
A – La protection des fonds reçus
16. Selon le considérant 13 de la directive n° 2015/2366 du 25 novembre 2015 concernant les services de paiement dans le marché intérieur (dite DSP 2), le régime de l’exemption d’agrément doit rester limité car « cette situation implique des risques plus importants et une absence de protection juridique pour les utilisateurs de services de paiement ».
17. Ce constat est bien réel. Les entreprises bénéficiant de l’exemption d’agrément échappent en effet à un certain nombre de règles, notamment celles relatives à la protection des utilisateurs de services de paiement (telles que définies dans les titres III et IV de la DSP 2), mais aussi celles portant sur la protection des fonds des utilisateurs des services de paiement et des détenteurs de monnaie électronique et enfin aux obligations relatives à la LCB-FT. C’est pourquoi, en cas de faillite d’une telle entreprise, les bénéficiaires des paiements ou, le cas échéant, les détenteurs de monnaie électronique ne disposent d’aucune garantie quant au remboursement de leurs fonds.
18. Dès lors, pour limiter ce risque, l’ACPR recommande aux entreprises concernées « d’isoler les fonds reçus pour le compte des utilisateurs sur un compte dédié afin de préserver la sécurité des moyens de paiement ainsi fournis ».
19. De façon encore plus stricte, lors de l’examen des exemptions d’agrément soumises à déclaration (c’est-à-dire lorsque le volume de paiements ou le volume de monnaie électronique en circulation est supérieur à un million d’euros11), l’ACPR vérifie l’existence d’un compte dédié. Ce dernier est donc nécessairement attendu dans un tel cas12.
20. On notera que d’autres méthodes de protection des fonds reçus, telles que le recours à l’assurance ou à une garantie, peuvent être préférées en fonction des situations.
B – L’information des utilisateurs
21. L’ACPR recommande aux établissements exemptés d’agrément de mentionner explicitement dans leurs conditions générales de vente et leurs conditions générales d’utilisation le cadre réglementaire dans lequel ils opèrent. De la transparence est ici requise.
22. De même, si les prestataires de services de paiement et les émetteurs de monnaie électronique sont en droit de fournir des services reposant sur des instruments de paiement exemptés, ne pouvant alors être utilisés que de manière limitée, le bénéficiaire de l’exemption « doit veiller à dissocier ses activités en fonction du statut en vertu duquel il exerce et s’assurer qu’il n’y a aucun risque de confusion pour les utilisateurs des instruments de paiement ». Une distinction claire doit donc être établie afin que ces derniers soient « informés qu’ils ne bénéficient pas de la protection des utilisateurs de services de paiement » prévue par le Code monétaire et financier.
23. L’ACPR est alors à même de prendre « toute mesure appropriée » si, lors de l’évaluation de la déclaration d’exemption, il s’avère notamment que la distinction entre les services de paiement et/ou la monnaie électronique réglementés et les services exemptés n’est pas suffisamment claire ou appropriée.
24. Enfin, s’il est parfaitement acquis que toute entreprise peut émettre plusieurs instruments de paiement exemptés et loger ces différents instruments sur le même moyen de paiement, c’est toujours à la « condition que chacun de ces instruments remplisse les exigences énoncées par la présente position, notamment en matière de restriction technique et contractuelle ou d’information des utilisateurs ». Cette dernière est donc essentielle ici encore.
Notes de bas de pages
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1.
A.-M. Moulin, « Le renouvellement des instruments juridiques en matière bancaire. La politique de transparence de l’Autorité de contrôle prudentiel », RD bancaire et fin. 2012, dossier 3, n° 9.
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2.
ACPR, position, n° 2017-P-01, 25 oct. 2017, relative aux notions de « réseau limité d’accepteurs » et d’« éventail limité de biens et services ». Pour une présentation succincte, Revue Banque déc. 2017, n° 814, p. 69, obs. J.-P. Kovar et J. Lasserre Capdeville.
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3.
ABE, orientations sur l’exclusion relative aux « réseaux limités » au titre de la DSP 2, 24 févr. 2022, EBA/GL/2022/02.
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4.
La position étudiée s’intéresse également à la dérogation à l’interdiction de chargement en espèces d’un support de monnaie électronique (prévue à l’article R. 561-16-1 du Code monétaire et financier), lorsque celui-ci est utilisé pour l’acquisition de biens et services dans un « réseau limité d’accepteurs » ou pour un « éventail limité de biens et services », aux fins d’exonération de certaines obligations de vigilance en matière contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme (LCB-FT).
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5.
V. néanmoins, Cass. com., 30 juin 2021, n° 19-21418 : JCP E 2021, 1499, n° 14, obs. A. Salgueiro ; GPL 19 oct. 2021, n° GPL427q0, obs. M. Roussille ; Banque et droit 2021, n° 198, p. 23, obs. P. Storrer ; Lexbase, Hebdo 8 juill. 2021, éd. Affaires, n° 683, n° N8202BYG, obs. J. Lasserre Capdeville.
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6.
V. not., M. Julienne, « L’exemption de réseau limité dans les services de paiement », JCP E 2022, n° 10, 1095, p. 37 ; E. Bouretz et L. Helfre-Jaboulay, « Encaissement pour compte de tiers. Qualification de services de paiement et possibles exemptions d’agrément », Banque et droit 2022, n° 204, p. 14.
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7.
EBA, consultation paper on draft Guidelines on the limited network exclusion under PSD2, 15 juill. 2021, EBA/CP/2021/28.
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8.
Il est néanmoins noté que les dons aux organismes caritatifs peuvent bénéficier d’une autre nature d’exemption telle que définie aux articles L. 521-3-1 et L. 525-6-1 du Code monétaire et financier.
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9.
Ainsi, des exemptions ont été accordées par l’ACPR pour des offres de cartes-cadeaux utilisables dans l’ensemble des points de vente d’une même enseigne.
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10.
Cette solution se retrouve au considérant 14 de la directive n° 2015/2366 du 25 novembre 2015 concernant les services de paiement dans le marché intérieur (dite DSP 2).
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11.
C. mon. fin., art. L. 521-3, II ; C. mon. fin., art. L. 525-6.
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12.
Le principe de cette exigence a été validé par le Conseil d’État : CE, 24 avr. 2013, n° 354957 : D. 2013, p. 2423, obs. H. Synvet ; LPA 17 juin 2013, p. 9, note J. Lasserre Capdeville ; Banque et droit 2013, n° 150, p. 15, obs. T. Bonneau ; RD bancaire et fin. 2013, comm. 147, obs. T. Samin ; Revue Banque juill.-août 2013, n° 762, p. 87, obs. J.-P. Kovar et J. Lasserre Capdeville.
Référence : AJU006c6