Précisions sur une clause facilitant la rémunération des courtiers en crédit

Publié le 10/02/2025

Mandat

N’est pas déséquilibrée entre les droits et obligations des parties la clause qui ménage la garantie de rémunération du mandataire pour ses efforts pendant un temps limité, le mandat pouvant être dénoncé à tout moment par le mandant sous réserve d’un préavis d’un mois.

1. Un intermédiaire en opérations de banque et en services de paiement (IOBSP) est une personne qui exerce à titre habituel, contre une rémunération, l’intermédiation en opérations de banque et en services de paiement. Il fait ainsi le lien entre un professionnel de la banque et l’un de ses futurs clients.

2. Parmi les IOBSP, notre droit distingue plusieurs catégories et notamment celle des courtiers en opérations de banque et en services de paiements (COBSP), qui exercent en vertu d’un mandat émanant d’un client. Les courtiers en crédit relèvent de cette catégorie.

3. Pour mémoire, ce type de courtier est chargé de négocier, pour un emprunteur, les meilleures conditions de financement auprès des banques. Le principal intérêt pour le client de passer par un courtier est ainsi de tenter d’obtenir des taux plus bas ou une offre plus intéressante que ce que l’intéressé aurait obtenu seul face à son banquier. De surcroît, ce professionnel apportera sa connaissance technique dans le montage du prêt. Enfin, ce professionnel fera gagner du temps à son client en démarchant les banques à sa place et en l’aidant à faire jouer la concurrence.

4. Cette activité n’est cependant pas simple, car sa rémunération demeure conditionnée à un résultat concret1. En effet, l’article L. 519-6 du Code monétaire et financier interdit à toute personne physique ou morale qui apporte son concours, « à quelque titre que ce soit et de quelque manière que ce soit », directement ou indirectement, à l’obtention ou à l’octroi d’un prêt d’argent, de percevoir une somme représentative de provision, de commissions, de frais de recherche, de démarches, de constitution de dossier ou d’entremise quelconque, avant le versement effectif des fonds prêtés2. La violation de cette interdiction fait encourir à son auteur six mois d’emprisonnement et 7 500 € d’amende (37 500 € pour les personnes morales)3. Dit autrement, en cas d’échec de sa mission, le courtier ne sera pas rémunéré.

5. De surcroît, il peut arriver que le courtier soit lésé par le comportement de son mandant qui parvient à obtenir le crédit souhaité sans l’en informer. Le professionnel du courtage se retrouve alors privé de rémunération, alors pourtant qu’il a entamé le travail pour son client. Il est donc normal que ce courtier chercher à se protéger de la mauvaise foi du mandant par l’insertion de certaines clauses utiles dans le mandat. Tel était le cas en l’occurrence.

6. Le 22 mars 2019, M. X avait confié à la société P., courtier en opérations de banque et services de paiement, la mission d’étudier la faisabilité d’un projet d’obtention d’un financement professionnel pour un montant de 450 000 €. Puis, le 18 juillet 2019, les mêmes protagonistes avaient signé un contrat de mandat « recherche de financement, reconnaissance d’honoraires » en vue de trouver un financement professionnel aux fins de financer l’acquisition de murs professionnels pour un montant de 490 000 €. Ce financement devait intervenir au profit de la SCI A.

7. Or, une offre de prêt ayant été, semble-t-il, produite par la banque Y, la société P. avait adressé à M. X une facture d’un montant de 10 800 €. Celle-ci n’avait cependant pas été réglée, le client considérant que c’était lui qui avait trouvé l’offre de crédit en question.

8. Finalement, le 3 avril 2023, le tribunal judiciaire de Bayonne4 avait condamné solidairement M. X et la SCI A. à payer à la SAS P. la somme de 10 800 € avec intérêts au taux légal à compter du 17 février 2020. Dans sa motivation, le tribunal avait considéré qu’en raison de l’absence de réponse aux offres de prêt proposées à M. X, du flou entretenu par lui quant à l’offre de prêt de la banque Y et du refus de déférer à l’injonction de communiquer certains documents au juge de la mise en état, il résultait que celui-ci n’avait pas exécuté de bonne foi le contrat signé avec la société P.

9. M. X et la SCI A. avaient alors interjeté appel. Ils prétendaient, notamment, que la clause 5.3 du mandat était abusive en ce qu’elle prévoyait une rémunération pour le courtier intermédiaire en crédit immobilier en l’absence de signature d’un contrat de prêt.

10. La décision de la cour d’appel attire alors l’attention. D’une part, elle considère que la clause en question n’était pas abusive (I), mais aussi, d’autre part, que le mandant n’avait pas exécuté de bonne foi le contrat de mandat signé avec la société P. (II).

I – L’absence de caractère abusif de la clause contestée

11. En l’espèce, il ressortait des pièces versées aux débats que M. X et la société P. avaient signé le 22 mars 2019 une lettre de mission par laquelle cette dernière devait faire une étude de faisabilité du projet de demande de financement professionnel en vue de réaliser une construction pour un montant de 450 000 €. Cette lettre de mission, sans contrepartie financière, avait une validité de trois mois, soit jusqu’au 22 juin 2019. La lettre de mission indiquait que, en contrepartie de la mission confiée à la société P., M. X s’engageait à ne procéder à aucun dépôt de dossier/demande de financement auprès de quelque établissement de crédit que ce soit, et ce pendant la durée de la présente lettre de mission.

12. À l’issue de la mission, il était également prévu que, dès lors que la société P. avait conclu à la faisabilité du projet d’obtention d’un financement professionnel, cette même société allait proposer aux clients la signature d’un mandat de représentation aux fins de constitution et de dépôt du dossier du client à des établissements bancaires. Ce contrat de mandat avait alors été signé entre les parties le 18 juillet 2019.

13. L’article 1 du mandat en question précisait que M. X, le mandant, confiait à la société P., le mandataire, la mission de le représenter, l’assister et le conseiller dans le cadre de la recherche et la négociation d’un ou plusieurs prêts professionnels pour un montant maximum de 540 000 € auprès d’un ou plusieurs établissements financiers sur le territoire métropolitain. Le mandant, pour sa part, s’engageait à fournir au mandataire tous les documents nécessaires à l’instruction de son dossier. Il l’autorisait encore à communiquer ces informations/documents aux établissements de crédit consultés.

14. Au titre de sa rémunération, il était prévu que le mandataire percevrait en contrepartie de sa mission une rémunération de 2 % du montant du/des financements professionnels négociés et obtenus, soit 10 800 €. Surtout, l’article 5.3. du mandat précisait que « cette rémunération sera due par le mandant au mandataire dès lors qu’un ou plusieurs organismes bancaires et/ou financiers aura émis une offre de crédit au mandant, que l’organisme bancaire et financier en question soit un établissement partenaire du réseau PRET PRO ou un établissement bancaire consulté directement par le mandant ».

15. Dès lors, en signant le mandat, M. X avait reconnu que l’intégralité de la rémunération du mandataire serait due à ce dernier, et ce même s’il décidait, de son propre chef, de démarcher directement ou indirectement des organismes prêteurs, et qu’un financement était obtenu de la sorte, c’est-à-dire en dehors de l’intervention du mandataire.

16. Mais cette dernière clause n’était-elle pas déséquilibrée et, partant, abusive ? M. X le prétendait. Il considérait plus précisément qu’elle allait à l’encontre de la règle prévue par l’article 1171 du Code civil depuis l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 20165.

17. Pour mémoire, il résulte de ce dernier que « dans un contrat d’adhésion, toute clause non négociable, déterminée à l’avance par l’une des parties, qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite »6. Cet article, qui sanctionne les clauses abusives dans les contrats ne relevant pas des dispositions spéciales des articles L. 442-6 du Code de commerce et L. 212-1 du Code de la consommation7, est de plus en plus souvent invoqué, en pratique, par les parties à un contrat conclu entre des professionnels8.

18. Pour les magistrats palois, la clause de rémunération en question ne visait pas une offre de prêt qui serait émise postérieurement à la résiliation du contrat. Seule la facturation était différée lors du déblocage des fonds, mais c’était la date de l’offre de prêt qui, si elle intervenait pendant la validité du mandat, déclenchait le droit à rémunération, même si elle était faite directement au mandant.

19. Il est ensuite noté que la société P. justifiait avoir démarché plusieurs établissements de crédits par les mails adressés au cours de l’été 2019, avec des liens pour accéder au dossier complet. Tel avait été le cas avec le Crédit Agricole (le 19 juillet 2019), la Banque Postale (le 25 juillet 2019), la Banque Populaire (le 1er août 2019), la Société Générale et enfin la Banque Courtois (le 4 septembre 2019). On précisera que la Société Générale avait émis une offre de prêt le 20 août 2019.

20. La cour d’appel de Pau ne relève alors aucun déséquilibre entre les droits et obligations des parties dans le mode de rémunération prévu par cette clause, qui ménageait « la garantie de rémunération du mandataire pour ses efforts pendant un temps limité, le mandat pouvant être dénoncé à tout moment par le mandant sous réserve d’un préavis d’un mois ». Cette dénonciation était d’ailleurs intervenue le 3 octobre 2019.

21. Cette solution emporte notre conviction. Une telle clause est de nature à permettre au courtier de se protéger le temps de l’exercice de son mandat contre un mandataire qui pourrait rechercher lui-même, en toute discrétion, un concours afin de s’éviter le paiement de la rémunération de l’intermédiaire en question.

22. Pour autant la solution retenue n’est pas générale. En effet, l’exclusion du caractère abusif de la clause découle, avant tout, de son caractère limité dans le temps. La solution ne vaut alors que durant le mandat, sachant que ce dernier peut être remis en cause par le mandant. Il ne saurait donc être admis que des courtiers envisagent une clause dépourvue de telles limitations.

II – L’exécution de mauvaise foi du contrat par le mandant

23. Cela a été dit9, la société P. pouvait justifier avoir démarché plusieurs établissements de crédits par les mails adressés au cours de l’été 2019. La Société Générale avait d’ailleurs fait une proposition d’offre le 20 août 2019.

24. Cependant, dans le même temps, le mandant s’était lui aussi mis en quête d’un crédit. En effet, alors que la lettre de mission signée le 22 mars 2019 d’une durée de validité de trois mois interdisait à M. P. de déposer un dossier ou une demande de financement auprès de quelque établissement de crédit que ce soit (jusqu’au 22 juin 2019), il était établi que, dès cette période, la banque V. avait été démarchée pour le financement envisagé et avait fait plusieurs offres non formalisées. Cela ressortait, notamment, d’un mail reçu par M. X de sa chargée de clientèle professionnelle du Crédit Agricole, Mme G., le 27 mars 2019.

25. Surtout, et cela a été évoqué précédemment, une clause du mandat signé le 18 juillet 2019 prévoyait, et ce jusqu’à sa résiliation produisant effet le 3 novembre 2019, que toute offre de prêt formalisée obtenue par la société P. ou même par M. X directement, devait déclencher le droit à rémunération de la première.

26. Par un mail du 13 septembre 2019, la société P. avait alors réclamé à Mme G. son offre de financement afin qu’elle puisse la comparer avec celle des autres partenaires bancaires. Or, cette information ne lui avait pas été transmise, ni par Mme G.10, ni par M. X.11

27. Finalement, pour tenter de s’opposer au paiement de la rémunération du mandataire, M. X avait produit 7 pages sur 10 d’un contrat de prêt édité le 28 novembre 2019 par la banque V. sans qu’il soit justifié, pour les juges palois, que cette offre était bien celle qui avait effectivement été acceptée par M. X.

28. Dès lors, de telles circonstances permettaient de « considérer que l’obtention finale du prêt selon les conditions envisagées avec la société P. avait bien eu lieu pendant la durée du mandat ouvrant droit à la rémunération de celle-ci, la résiliation du mandat ayant eu à l’évidence pour objectif pour M. X d’éviter de régler à son mandataire sa rémunération ». Il importait peu, de surcroît, que la signature du prêt et le déblocage des fonds aient été effectués après la résiliation de ce mandat.

29. C’était donc à juste titre que le premier juge avait condamné M. X à payer à la société P. la somme de 10 800 € avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 17 février 2020 au titre de cette rémunération12. Le jugement est confirmé en toutes ses dispositions.

30. Cette décision de justice, claire et sans équivoque, est particulièrement importante pour les courtiers. Elle se montre favorable à ces derniers en validant le recours à une clause les protégeant le temps du mandat.

31. Il en découle qu’en présence d’une telle clause, il importe peu que le mandat de recherche signé entre le client et le courtier ait été résilié si une offre de financement est intervenue durant l’existence de ce même mandat. Plus précisément, le droit à rémunération naîtra dès qu’une banque aura émis une offre de crédit au mandant, et ce même si l’unique offre de financement est obtenue par ce seul mandant.

32. Ainsi, dans ce dernier cas, la prestation du mandataire lui donnant droit à une rémunération sera interprétée plus largement puisque pouvant se limiter, le cas échéant, à de simples démarches pour obtenir des offres de financement restées, pour leur part, sans suite.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Il en va cependant différemment si le courtier a conclu avec son client un contrat de prestation de conseil en crédit : J. Lasserre Capdeville, « Le courtier et le problème du “double mandat” », Lexbase Affaires 4 juill. 2024, n° 801.
  • 2.
    L’IOBSP doit d’ailleurs systématiquement rappeler à l’emprunteur cette interdiction : C. mon. fin., art. R. 519-26, al. 1.
  • 3.
    C. mon. fin., art. L. 519-6, al. 3. V. par ex., Cass. crim., 7 févr. 2001, n° 00-85.104. D’un point de vue civil, une facturation émise par un IOBSP avant le versement effectif des fonds peut encourir la nullité : CA Colmar, 7 juill. 2015, n° 13/04791.
  • 4.
    TJ Bayonne, 3 avr. 2023, n° 21/00389.
  • 5.
    J. Lasserre Capdeville, « Technique contractuelle : la clause déséquilibrée », RD bancaire et fin. 2021, n° 2, étude 6, p. 35.
  • 6.
    La suite de l’article précise que l’appréciation du déséquilibre significatif ne peut porter ni sur l’objet principal du contrat ni sur l’adéquation du prix à la prestation.
  • 7.
    Dans le cas qui nous occupe, le droit des clauses abusives n’était pas applicable. En effet, M. X était dirigeant de plusieurs sociétés, et notamment la SCI A., ayant pour objet l’acquisition, la restauration, la construction, et la gestion d’immeubles. Les faits concernaient ainsi un crédit professionnel.
  • 8.
    V. par ex., Cass. com., 26 janv. 2022, n° 20-16.782 : JCP E 2022, 1125, note G. Chantepie ; Contrats, conc. consom. 2022, comm. 40, obs. L. Leveneur ; JCP E 2022, 1253, n° 28, n° 9 et s., obs. N. Mathey ; LEDB mars 2022, n° DBA200q3, obs. J. Lasserre Capdeville – CA Versailles, 17 janv. 2023, n° 21/05731 – CA Paris, 14 juin 2023, n° 21/09467 – CA Douai, 30 nov. 2023, n° 22/02577 – CA Reims, 17 sept. 2024, n° 23/00787.
  • 9.
    V. supra, n° 19.
  • 10.
    Cette dernière indiquait par mail : « J’ai bien eu votre mail mais mon client est M. X. Je vous remercie de voir directement avec lui ».
  • 11.
    Celui-ci prétendait qu’il n’avait pas l’offre, et que Mme G. lui avait dit qu’elle « l’enverrait directement au notaire et qu’il faudra la signer là-bas ».
  • 12.
    De même, le mandat ayant prévu expressément la faculté de substitution de M. X par la SCI A. dont il était le gérant, et en l’absence des pièces produites sur la qualité de propriétaire de la parcelle et le bénéficiaire du prêt de financement pour la construction réalisée, celle-ci devait être condamnée in solidum au paiement de la rémunération due à la société P.
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