Prêt en devise : rappels des règles intéressant la prescription des différentes actions utiles
D’abord, la jurisprudence retient, de manière régulière, que le point de départ du délai de prescription de l’action en nullité absolue commence à courir le jour de la signature de l’acte supposé nul. Ensuite, la demande tendant à voir réputer non écrite une clause abusive sur le fondement de l’article L. 132-1 du Code de la consommation n’est pas soumise à la prescription quinquennale de l’article 2224 du Code civil. En outre, le point de départ du délai de prescription quinquennale de l’action, fondée sur la constatation du caractère abusif de clauses d’un contrat de prêt libellé en devise étrangère, en restitution de sommes indûment versées, doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses. Enfin, le délai de prescription de l’action en indemnisation d’un dommage résultant d’un manquement au devoir de mise en garde commence à courir, non pas à la date de conclusion du contrat de prêt, mais à la date de l’exigibilité des sommes au paiement desquelles l’emprunteur n’a pas été, n’est pas ou ne sera pas en mesure de faire face.
1. À partir du milieu des années 2000, certains établissements de crédit français se sont mis à consentir des prêts en devise. Pour la plupart d’entre eux, si les fonds étaient débloqués dans la devise choisie (principalement le franc suisse), le remboursement se faisait en euros. L’évolution des deux monnaies concernées était donc de nature à avoir une incidence directe sur le montant du remboursement du crédit. La banque BNP Paribas s’est notamment fait remarquer en la matière avec son célèbre produit « Helvet immo »1.
2. Or, ces prêts se sont finalement révélés préjudiciables à un grand nombre d’emprunteurs. Il est vrai qu’à l’occasion de la crise de la zone euro, le franc suisse a servi de valeur refuge pour les capitaux, ce qui a conduit à renforcer cette devise par rapport à l’euro. De surcroît, le 15 janvier 2015, la Banque nationale suisse (BNS) a choisi d’abandonner le taux plancher de conversion du franc suisse, fixé alors à 1,20 franc pour 1 euro. Ces deux évolutions ont eu pour conséquence de rendre les prêts en franc suisse particulièrement coûteux pour les emprunteurs.
De nombreuses actions en justice, de nature civile, ont alors été intentées par des investisseurs déçus. Après une période fortement favorable aux prêteurs2, la jurisprudence a dégagé, sous l’impulsion de la CJUE3, de nouvelles solutions nettement plus protectrices de la partie « faible »4. Des décisions sont régulièrement rendues en la matière.
3. Cependant, il est à noter qu’une autre forme de prêt immobilier en devise a été proposée, à la même époque, aux clients de banque : des prêts en franc suisse remboursables dans la même monnaie (dits « prêts remboursables en CHF »). Ces crédits ont été principalement souscrits par des frontaliers, travaillant en Suisse5. Or, du contentieux existe également à leur égard6. Une décision de la cour d’appel de Colmar, du 24 juillet 2024, en témoigne.
4. Le 16 juillet 2004, la banque X. avait octroyé à la SCI M. un prêt immobilier en devise, portant sur la contre-valeur en CHF (Franc Suisse) de 450 000 euros, à un taux d’intérêt annuel initial révisable de 1,680 % l’an, remboursable en différé d’amortissement de 177 mois. Ce prêt était destiné à financer l’acquisition de locaux à usage professionnel de 325 m², avec 12 parkings. Les intérêts étaient payables à terme échu et le remboursement du capital devait, quant à lui, s’effectuer en une seule fois. Le remboursement de ce prêt était garanti par l’engagement de caution solidaire de M. V., gérant de la société emprunteuse, par une hypothèque sur le bien financé et enfin par la mise en gage d’un contrat d’assurance vie.
5. Le 19 août 2020, la SCI M. avait réceptionné une mise en demeure, dans laquelle la banque X. lui indiquait que le prêt en question était arrivé à son terme le 11 février 2020, et que les sommes dues en capital, intérêts, frais et accessoires étaient immédiatement et de plein droit exigibles. En annexe, figurait un décompte arrêté au 19 août 2020, laissant apparaître un solde exigible, toutes sommes confondues, de 666 794,56 euros.
6. Or, faisant valoir que l’opération était désastreuse pour elle, s’étant vu prêter la somme de 450 000 euros en capital et devant rembourser la somme de 654 235,94 euros en capital, soit 204 235,94 euros de plus que le montant qu’elle s’était vue mettre à disposition, hors les intérêts contractuels du prêt, qui avaient été remboursés tous les trimestres, la SCI M. avait tenté de trouver un accord sur cette question, en adressant plusieurs lettres par l’intermédiaire de son conseil à la banque X., en vain.
7. La SCI avait alors fini par faire assigner la banque devant la chambre civile du tribunal judiciaire de Strasbourg. Plusieurs critiques lui étaient faites. La banque, pour sa part, avait saisi le juge de la mise en état, soutenant que les demandes de la SCI étaient irrecevables, notamment pour être prescrites.
8. Dans son ordonnance en date du 9 octobre 2023, le juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Strasbourg avait : déclaré irrecevables, car prescrites, les demandes en nullité ; rejeté la fin de non-recevoir tirée de la prescription de l’action en responsabilité ; et enfin déclaré sans objet la fin de non-recevoir tirée de la prescription, opposée aux demandes visant à faire réputer non écrites les clauses alléguées d’abusives et en restitution subséquente des intérêts, la SCI M. n’ayant pas qualité à se prévaloir des dispositions du Code de la consommation afférentes à cette action.
9. Par une déclaration faite au greffe, en date du 20 octobre 2023, la SCI M. avait interjeté appel de cette ordonnance. Par une déclaration faite au greffe en date du 6 novembre 2023, la banque X. s’était constituée intimée.
10. La cour d’appel de Colmar s’est alors prononcée par une décision du 24 juillet 2024. Elle confirme, à cette occasion, l’ordonnance du juge de la mise en état du tribunal judiciaire de Strasbourg7.
11. Sa décision, particulièrement bien motivée, retient l’attention. La cour d’appel y rappelle plusieurs solutions notables concernant la prescription applicable à diverses actions en justice.
I – Sur la fin de non-recevoir tirée de la prescription de la demande de nullité du contrat pour inobservation du droit économique
12. Les prêts en devise remboursables dans la monnaie étrangère présentent une grosse lacune juridique. Les clauses envisageant comme monnaie de paiement une devise étrangère ne sont pas admises par notre droit pour les opérations internes, c’est-à-dire chaque fois que l’opération concernée n’a pas un caractère international. Cette solution, d’origine jurisprudentielle8, se retrouve, depuis la réforme du droit des contrats du 10 février 20169, à l’article 1343-3 du Code civil10.
13. On ne sera donc pas surpris de constater, concernant les prêts en franc suisse remboursables dans cette même devise, l’existence de nombreuses décisions des juridictions du fond11, mais aussi de la Cour de cassation12, ayant eu l’occasion de faire part de leur hostilité à une telle clause de remboursement. Ainsi, pour la haute juridiction, en présence d’un prêt portant sur la contre-valeur en francs suisses d’une certaine somme en euros et dont le remboursement doit obligatoirement s’effectuer dans cette devise soit par l’utilisation de devises préalablement disponibles sur le compte devises de l’emprunteur, soit par l’achat de devises nécessaires par le biais de son compte en euros, il convient de considérer que la monnaie de paiement est le franc suisse et qu’en conséquence une telle clause devait être frappée de nullité, l’emprunteur n’ayant plus la faculté d’acquitter sa dette en monnaie légale.
14. Cependant, tous les prêts concernés n’ont pas pu être annulés sur ce fondement : les règles relatives à la prescription ont vocation à s’appliquer en la matière. L’arrêt sélectionné en témoigne.
15. La SCI M. faisait valoir que le contrat de prêt indexé sur le cours du franc suisse était nul et de nullité absolue, car portant atteinte au cours légal de la monnaie.
16. Mais quel encadrement juridique devait ici s’appliquer ? La cour d’appel nous l’indique. Elle commence par observer que le contrat de prêt liant les parties avait été conclu au mois de juillet 2004. La relation contractuelle était donc soumise aux dispositions du Code civil relatives aux relations contractuelles avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016.
17. Ensuite, elle rappelle que la jurisprudence retient, de manière régulière, que le point de départ du délai de prescription de l’action en nullité absolue commence à courir le jour de la signature de l’acte supposé nul. En l’occurrence, le contrat avait été conclu entre les parties le 16 juillet 2004.
18. En outre, au cas d’espèce, la cour observe que la simple lecture du contrat de prêt permettait à l’emprunteur de comprendre qu’il était indexé sur le franc suisse et devait être remboursé en cette devise. Il s’en déduisait alors que le délai de prescription avait bien commencé à courir le jour de la signature du prêt, soit le 16 juillet 200413.
19. Les demandes de la SCI M., tendant à voir déclarer nul le contrat liant les parties, telles que formulées dans l’assignation de 2021, sont donc manifestement irrecevables car prescrites, comme l’avait décidé le juge de la mise en état. Sa décision est alors logiquement confirmée sur ce point.
II – Sur les fins de non-recevoir visant l’action de la SCI fondée sur la législation portant sur les clauses abusives
20. Deux questions sont successivement traitées par l’arrêt : la prescription associée à l’action concernant le caractère abusif d’une clause (A) et celle intéressant l’action en restitution consécutive au prononcé de la nullité de la convention (B).
A – Prescription et clause abusive
21. Plusieurs difficultés étaient abordées ici. Le passage de l’arrêt sur l’imprescriptibilité de l’action fondée sur le droit des clauses abusives mérite d’être observé.
22. La cour d’appel de Colmar commence par rappeler l’état du droit applicable. Ainsi, s’agissant de l’action déclaratoire portant sur une clause qualifiée d’abusive, l’article 7, paragraphe 1, de la directive n° 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs14, prévoit que les États membres veillent à ce que, dans l’intérêt des consommateurs ainsi que des concurrents professionnels, des moyens adéquats et efficaces existent afin de faire cesser l’utilisation des clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs par un professionnel.
23. De plus, par deux importants arrêts du 10 juin 202115, la CJUE est venue préciser que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive n° 93/13, lus à la lumière du principe d’effectivité, doivent être interprétés en ce qu’ils s’opposent à une réglementation nationale soumettant l’introduction d’une demande par un consommateur aux fins de la constatation du caractère abusif d’une clause figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et ce consommateur à un délai de prescription.
24. Dès lors, pour les juges, la demande tendant à voir réputer non écrite une clause abusive sur le fondement de l’article L. 132-1 précité n’est pas soumise à la prescription quinquennale de l’article 2224 du Code civil16. L’action déclaratoire de la SCI M. était ainsi recevable.
B – Prescription et action en restitution
25. Par principe, la nullité du contrat donne lieu à des restitutions réciproques17. Toutefois, des questions ont pu se poser concernant les règles à appliquer aux procédures de restitution suivant le prononcé de la nullité des prêts en devise du fait de la présence en leur sein d’une clause abusive.
26. L’arrêt étudié rappelle que, concernant la recevabilité de l’action restitutoire en lien avec une clause abusive, l’article 2224 du Code civil énonce que les actions personnelles ou mobilières se prescrivent par cinq ans à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu, ou aurait dû connaître, les faits lui permettant de l’exercer.
27. Or, par les deux arrêts du 10 juin 2021 évoqués précédemment18, la CJUE a eu l’occasion de préciser que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive n° 93/13, lus à la lumière du principe d’effectivité, doivent être interprétés en ce qu’ils s’opposent à une réglementation nationale soumettant l’introduction d’une demande par un consommateur aux fins de la restitution de sommes indûment versées, sur le fondement de telles clauses abusives, à un délai de prescription de cinq ans, dès lors que ce délai commence à courir à la date de l’acceptation de l’offre de prêt de telle sorte que le consommateur a pu, à ce moment-là, ignorer l’ensemble de ses droits découlant de cette directive. De plus, et toujours pour ces deux décisions, les modalités de mise en œuvre de la protection des consommateurs prévue par la directive n° 93/13 ne doivent pas être moins favorables que celles régissant des situations similaires de nature interne (principe d’équivalence) ni être aménagées de manière à rendre en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par l’ordre juridique de l’Union (principe d’effectivité).
28. Or, s’agissant de l’opposition d’un délai de prescription à une demande introduite par un consommateur, aux fins de la restitution de sommes indûment versées, sur le fondement de clauses abusives au sens de la directive n° 93/13, la CJUE a pu considérer que l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de cette directive ne s’opposent pas à une réglementation nationale qui, tout en prévoyant le caractère imprescriptible de l’action tendant à constater la nullité d’une clause abusive figurant dans un contrat conclu entre un professionnel et un consommateur, soumet à un délai de prescription l’action visant à faire valoir les effets restitutifs de cette constatation, sous réserve du respect des principes d’équivalence et d’effectivité19.
29. Ainsi, l’opposition d’un tel délai n’est pas en soi contraire au principe d’effectivité, pour autant que son application ne rende pas en pratique impossible ou excessivement difficile l’exercice des droits conférés par cette directive. En conséquence, un délai de prescription est compatible avec le principe d’effectivité uniquement si le consommateur a eu la possibilité de connaître ses droits avant que ce délai ne commence à courir ou ne s’écoule.
30. En outre, par un arrêt du 9 juillet 202020, la CJUE indique que l’article 2, sous b), l’article 6, paragraphe 1, et l’article 7, paragraphe 1, de la directive n° 93/13/CEE ainsi que les principes d’équivalence, d’effectivité et de sécurité juridique doivent être interprétés en ce sens qu’ils s’opposent à une interprétation juridictionnelle de la réglementation nationale selon laquelle l’action judiciaire en restitution des montants indûment payés sur le fondement d’une clause abusive figurant dans un contrat conclu entre un consommateur et un professionnel est soumise à un délai de prescription de trois ans qui court à compter de la date de l’exécution intégrale de ce contrat, lorsqu’il est présumé, sans besoin de vérification, que, à cette date, le consommateur devait avoir connaissance du caractère abusif de la clause en cause ou lorsque, pour des actions similaires, fondées sur certaines dispositions du droit interne, ce même délai ne commence à courir qu’à partir de la constatation judiciaire de la cause de ces actions.
31. Or, s’agissant du respect du principe d’équivalence, il est rappelé qu’en droit interne le délai de prescription des actions en restitution, consécutives à l’annulation d’un contrat ou d’un testament, ne court qu’à compter de cette annulation, que cette annulation résulte de l’accord des parties ou d’une décision de justice21. De même, concernant le principe d’effectivité, la cour d’appel estime qu’il serait « contradictoire de déclarer imprescriptible, l’action en reconnaissance du caractère abusif d’une clause et de soumettre la principale conséquence de cette reconnaissance, à un régime de prescription la privant d’effet ».
32. Il s’en déduit alors que le point de départ du délai de prescription quinquennale, tel qu’énoncé à l’article 2224 du Code civil, de l’action, fondée sur la constatation du caractère abusif de clauses d’un contrat de prêt libellé en devises étrangères, en restitution de sommes indûment versées, doit être fixé à la date de la décision de justice constatant le caractère abusif des clauses22. Dès lors, il y a lieu de déclarer l’action restitutoire de la SCI M. recevable.
33. Cette solution, parfaitement conforme à la jurisprudence de la CJUE, emporte notre conviction. Elle permet d’assurer une protection effective du consommateur, en lui laissant la possibilité de solliciter les restitutions consécutives à l’annulation du contrat.
III – Sur la recevabilité de l’action en responsabilité de la banque
34. Le devoir de mise en garde à la charge du banquier dispensateur de crédit doit être vu comme l’obligation pour le prêteur d’alerter son cocontractant non averti sur les risques d’endettement excessif de l’opération de crédit envisagée. La jurisprudence à l’origine de ce devoir l’impose lorsque deux conditions sont cumulativement réunies : d’une part, le crédit présente un risque d’endettement excessif ; d’autre part, le client est insuffisamment connaisseur en matière de crédit, c’est-à-dire non averti23.
35. Le manquement au devoir de mise en garde est perçu par les juges comme une perte de chance, pour l’intéressé, de ne pas contracter. L’idée est ainsi que si l’emprunteur non averti avait été correctement informé, il n’aurait probablement pas contracté24.
36. Or, sans surprise, les actions fondées sur un éventuel manquement à ce devoir sont encadrées par le délai de prescription25 de cinq ans envisagé par l’article 2224 du Code civil. Il n’est alors pas rare que des questions se posent sur ce délai, et plus particulièrement sur son point de départ. Tel était justement le cas dans notre affaire. L’action exercée par la SCI M. contre la banque X., pour un manquement à ce même devoir de mise en garde, n’était-elle pas prescrite ?
37. La cour d’appel de Colmar se fonde à nouveau sur l’article 2224 du Code civil. Elle note que le manquement d’une banque à son obligation de mettre en garde un emprunteur non averti, sur le risque d’endettement excessif né de l’octroi d’un prêt, prive cet emprunteur d’une chance d’éviter le risque qui s’est réalisé, la réalisation de ce risque supposant que l’emprunteur ne soit pas en mesure de faire face au paiement des sommes exigibles au titre du prêt.
38. Il en résulte alors, pour les juges alsaciens, que le délai de prescription de l’action en indemnisation d’un tel dommage commence à courir, non pas à la date de conclusion du contrat de prêt, ainsi que le soutenait en l’espèce la banque, mais à la date de l’exigibilité des sommes au paiement desquelles l’emprunteur n’a pas été, n’est pas ou ne sera pas en mesure de faire face.
39. La cour d’appel considère, en l’occurrence, que c’est à la date à laquelle était prévu le règlement du capital, soit en l’espèce le 11 février 2020, que devait commencer à courir le délai de prescription de cinq ans. L’action en responsabilité contractuelle engagée par la SCI M. n’est pas donc pas prescrite.
40. Cette solution échappe à la critique. Certes, il y a quelques années, plusieurs décisions remarquées de la chambre commerciale avaient eu l’occasion de dire que, dans la mesure où ce délai court à compter de la réalisation du dommage ou de la date à laquelle il est révélé à la victime, il doit, en matière de manquement par un banquier à son obligation de mise en garde, commencer à courir à compter du dommage, c’est-à-dire la perte de chance de l’emprunteur de ne pas contracter, qui se manifeste dès l’octroi des crédits26. Le point de départ était donc, pour cette jurisprudence de la chambre commerciale, la date de la convention. Cependant, la haute juridiction, et plus particulièrement sa chambre commerciale, a fait évoluer sa jurisprudence27. Désormais, elle considère que le délai de prescription de l’action en indemnisation du dommage résultant d’un manquement au devoir de mise en garde débute, non pas à la date de conclusion du contrat de prêt, mais à la date d’exigibilité des sommes au paiement desquelles l’emprunteur n’est pas en mesure de faire face28. Cette jurisprudence, confirmée à plusieurs reprises29, est logiquement partagée par la première chambre civile de la Cour de cassation30.
41. Elle se retrouve aujourd’hui, également, en cas de prêt in fine31. La date d’exigibilité des sommes au paiement desquelles l’emprunteur n’est pas en mesure de faire face concernera ainsi l’ultime échéance32.
42. L’arrêt qui nous occupe, et qui concernait sans le dire expressément un tel prêt in fine, reprend logiquement cette solution conforme à la lettre de l’article 2224 du Code civil. Cette jurisprudence, liée au point de départ du délai de prescription de l’action fondée sur un manquement au devoir de mise en garde du banquier, est donc aujourd’hui bien établie et logiquement préservée de toute idée de revirement.
Notes de bas de pages
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1.
D’autres établissements bancaires ont également proposé des prêts analogues. On peut ainsi citer Crédit Mutuel ou la banque Jyske Bank (d’origine danoise).
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2.
J. Lasserre Capdeville, « Prêt en devise. Synthèse de 18 mois de jurisprudence (janv. 2017-juin 2018) », JCP E 2018, 1488.
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3.
CJUE, 10 juin 2021, nos C-609/19 et C-776/19 à C-782/19, BNP Paribas Personal Finance : RD bancaire et fin. 2021, comm. 142, obs. A. Gourio et M. Gillouard ; RTD com. 2021, p. 641, obs. D. Legeais ; D. 2022, p. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ; JCP G 2021, 689, obs. D. Berlin ; JCP G 2021, n° 29, 816, note F. Picod ; Europe août 2021, comm. 312, obs. V. Bassani ; Lexbase Hebdo, juin 2021, n° 680, éd. Affaires, N° N7922BY3, obs. J. Lasserre Capdeville ; D. 2021, p. 2288, note C. Aubert de Vincelles ; D. 2021, p. 1890, obs. H. Synvet ; RDC sept. 2021, n° RDC200f8, note G. Cattalano ; RDI 2021, p. 650, note J. Bruttin ; Dalloz actualité, 9 juill. 2021, obs. J.-D. Pellier ; GPL 19 oct. 2021, n° GPL427q1, obs. A. Gouëzel.
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4.
J. Lasserre Capdeville, « Prêts en franc suisse et clause abusive : caractérisation et incidences », GPL 12 sept. 2023, n° GPL453l0.
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5.
J. Lasserre Capdeville, « Clause abusive et prêts en devise remboursables dans la monnaie », RLDC 2023, n° 220, p. 27.
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6.
V. not., Cass. 1re civ., 1er mars 2023, n° 21-20260 : Dalloz actualité, 10 mars 2023, obs. C. Hélaine ; RDI 2023, p. 351, obs. Bruttin ; JCP G 2023, nos 17-18, act. 541, note G. Cattalano ; Contrats, conc. consom. 2023, comm. 87, obs. S. Bernheim-Desvaux ; RJDA 2023, n° 404 ; RD bancaire et fin. 2023, comm. 68, obs. T. Samin et S. Torck ; RD bancaire et fin. 2023, comm. 73, obs. N. Mathey ; LEDC avr. 2023, n° DCO201l7, obs. C.-M. Péglion-Zika ; LEDB avr. 2023, n° DBA201j6, obs. J. Lasserre Capdeville. – V. également, CA Chambéry, 23 mars 2023, n° 21/00798. – CA Nîmes, 23 mars 2023, n° 21/03684 – CA Chambéry, 6 avr. 2023, n° 21/00823 – CA Chambéry, 27 avr. 2023, n° 20/01614.
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7.
Il en allait simplement différemment en ce qu’elle avait déclaré sans objet la fin de non-recevoir tirée de la prescription opposée aux demandes visant à faire réputer non écrites les clauses qualifiées d’abusives et en restitution subséquente des intérêts, au motif que la SCI M. n’avait pas qualité à se prévaloir des dispositions du Code de la consommation afférentes à cette action. L’arrêt étudié déclare ainsi le juge de la mise en état incompétent pour déterminer la nature de la qualité de professionnel ou non de la SCI M. Cette question, qui relève de la compétence du tribunal, ne peut constituer une fin de non-recevoir.
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8.
Cass. civ., 11 févr. 1873 : DP 1873, 1, p. 177. – D. Carreau et C. Kleiner, Rép. internat. Dalloz, Vo Monnaie, nos 124 et s.
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9.
JO, 11 févr. 2016.
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10.
Aux termes de cet article, « le paiement, en France, d’une obligation de somme d’argent s’effectue en euros ». Ce principe connaît cependant quelques exceptions visées par la même disposition.
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11.
Plusieurs décisions ont été rendues sur ce point par les cours d’appel de Metz, de Colmar et de Paris. V. par ex., CA Metz, 6 avr. 2017, nos 15/00427, 15/00417, 15/00418, 15/00409, 15/00419, 15/01666, 15/00423, 15/01662, 15/00416, 15/00425, 15/00451 et 15/00415 : LEDB juill. 2017, n° DBA110r9, obs. J. Lasserre Capdeville. – CA Metz, 6 avr. 2017, n° 15/01665 : LEDB mai 2017, n° DBA110n8, obs. J. Lasserre Capdeville. – CA Metz, 6 avr. 2017, nos 15/00428 et 15/00413 : GPL 13 juin 2017, n° GPL297k4, obs. M. Roussille.
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12.
V. en ce sens, Cass. 1re civ., 11 juill. 2018, n° 17-19873 : GPL 11 sept. 2018, n° GPL330t6, note J. Lasserre Capdeville. – Cass. 1re civ., 11 juill. 2018, n° 17-19874 – Cass. 1re civ., 11 juill. 2018, n° 17-19875 – Cass. 1re civ., 11 juill. 2018, n° 17-19890 – Cass. 1re civ., 11 juill. 2018, n° 17-19877 – Cass. 1re civ., 11 juill. 2018, n° 17-19878 – Cass. 1re civ., 11 juill. 2018, n° 17-19879 – Cass. 1re civ., 11 juill. 2018, n° 17-19880 – Cass. 1re civ., 11 juill. 2018, n° 17-19881 – Cass. 1re civ., 11 juill. 2018, n° 17-19882 – Cass. 1re civ., 11 juill. 2018, n° 17-19883 – Cass. 1re civ., 11 juill. 2018, n° 17-19884 – Cass. 1re civ., 11 juill. 2018, n° 17-19885 – Cass. 1re civ., 11 juill. 2018, n° 17-19886 – Cass. 1re civ., 11 juill. 2018, n° 17-19887 – V. également, Cass. 1re civ., 12 déc. 2018, n° 17-20.921 – Cass. 1re civ., 27 nov. 2019, n° 18-19678.
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13.
Il est encore précisé que par application combinée de l’article L. 110-4 du Code de commerce et de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, et plus particulièrement de ses dispositions de l’article 26, II, instituant les mesures transitoires, un délai de dix ans a commencé à courir à compter du 16 juillet 2004, délai qui a été ensuite ramené à cinq ans pour expirer le 19 juin 2013.
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14.
PE et Cons. UE, dir. n° 93/13, 5 avr. 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs : JOUE, L. 95, 21 avr. 1993.
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15.
CJUE, 10 juin 2021, nos C-609/19 et C-776/19 à C-782/19, BNP Paribas Personal Finance : RD bancaire et fin. 2021, comm. 142, obs. A. Gourio et M. Gillouard ; RTD com. 2021, p. 641, obs. D. Legeais ; D. 2022, p. 310, obs. R. Boffa et M. Mekki ; JCP G 2021, 689, obs. D. Berlin ; JCP G 2021, n° 29, 816, note F. Picod ; Europe août 2021, comm. 312, obs. V. Bassani ; Lexbase Hebdo, juin 2021, n° 680, éd. Affaires, N° N7922BY3, obs. J. Lasserre Capdeville ; D. 2021, p. 2288, note C. Aubert de Vincelles ; D. 2021, p. 1890, obs. H. Synvet ; RDC sept. 2021, n° RDC200f8, note G. Cattalano ; RDI 2021, p. 650, note J. Bruttin ; Dalloz actualité, 9 juill. 2021, obs. J.-D. Pellier ; GPL 19 oct. 2021, n° GPL427q1, obs. A. Gouëzel.
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16.
Cette solution est admise, depuis plusieurs années, par la Cour de cassation. V. not., Cass. 1re civ., 13 mars 2019, n° 17-23169 – Cass. com., 8 avr. 2021, n° 19-17997 – Cass. 1re civ., 30 mars 2022, n° 19-17996 : D. 2022, p. 974, note J. Lasserre Capdeville.
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17.
C. civ., art. 1178.
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18.
V. supra, n° 23.
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19.
CJUE, 9 juill. 2020, nos C-698/18 et C-699/18, Raiffeisen Bank et BRD Groupe Société Générale : Dalloz actualité, 3 sept. 2020, obs. J.-D. Pellier. – CJUE, 16 juill. 2020, nos C-224/19 et C-259/19, Caixabank et Banco Argentaria.
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20.
CJUE, 9 juill. 2020, nos C-698/18 et C-699/18, Raiffeisen Bank et BRD Groupe Société Générale.
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21.
Cass. 1re civ., 1er juill. 2015, n° 14-20369 – Cass. 1re civ., 28 oct. 2015, n° 14-17893 – Cass. 3e civ., 14 juin 2018, n° 17-13422 – Cass. 1re civ., 13 juill. 2022, n° 20-20738.
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22.
Cass. 1re civ., 12 juill. 2023, n° 22-17030 : Lexbase Hebdo, 20 juill. 2023, n° 765, éd. Affaires, obs. J. Lasserre Capdeville. – J. Lasserre Capdeville, « Prêts en franc suisse et clause abusive : caractérisation et incidences », GPL 12 sept. 2023, n° GPL453l0.
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23.
J. Lasserre Capdeville et les étudiants du Master 2 de droit bancaire de Strasbourg, « Le banquier dispensateur de crédit et le devoir de mise en garde », RD bancaire et fin. 2023, dossier 3, p. 83. – J.-D. Pellier, « La responsabilité civile du banquier et le devoir de mise en garde », inLa responsabilité civile du banquier aujourd’hui, 2022, LexisNexis, Actualité, p. 87.
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24.
Cass. com., 20 oct. 2009, n° 08-20274 – Cass. com., 26 janv. 2010, n° 08-18354 – Cass. 1re civ., 11 sept. 2013, n° 12-15897.
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25.
M. Mignot, « La prescription des actions fondées sur un manquement à l’obligation de mise en garde par la banque de l’emprunteur », in Droit bancaire et procédure civile, 2024, LexisNexis, Actualité, p. 59.
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26.
Cass. com., 26 janv. 2010, n° 08-18354 : Bull. civ. IV, n° 21 ; D. 2010, AJ, p. 578, obs. V. Avena-Robardet ; D. 2010, p. 934, note J. Lasserre Capdeville ; JCP E 2010, 1153, note D. Legeais ; JCP E 2010, 354, note A. Gourio ; Banque et droit 5/2010, p. 21, obs. T. Bonneau ; Dr. et patr. sept. 2010, p. 108, obs. J.-P. Mattout – Cass. com., 3 déc. 2013, n° 12-26934, LEDB févr. 2014, n° 3, p. 2, obs. R. Routier.
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27.
M. Mignot, « La prescription des actions fondées sur un manquement à l’obligation de mise en garde par la banque de l’emprunteur », in Droit bancaire et procédure civile. Les clarifications utiles, 2024, LexisNexis, p. 59.
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28.
Cass. com., 22 janv. 2020, n° 17-20819 : LEDB mars 2020, n° DBA112z1, obs. J. Lasserre Capdeville ; RJDA 2020, n° 233 ; RD bancaire et fin. 2020, n° 2, comm. 22, obs. T. Samin et S. Torck.
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29.
Cass. com., 8 avr. 2021, n° 19-12693 : LEDB juin 2021, n° DBA200c0, obs. M. Mignot.
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30.
Cass. 1re civ., 5 janv. 2022, n° 20-18893 : LEDB févr. 2022, n° DBA200n5, obs. J. Lasserre Capdeville.
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31.
Pour mémoire, un prêt in fine dissocie le paiement des intérêts et le remboursement du capital. Le capital se rembourse en une seule fois, à échéance du prêt. Pendant toute la durée du prêt, l’emprunteur ne rembourse donc que les intérêts d’emprunt.
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32.
Cass. com., 25 janv. 2023, n° 20-12811 : LEDB mars 2023, n° DBA201i8, obs. M. Mignot ; Lexbase Hebdo 2 févr. 2023, n° 744, éd. Affaires, n° 4172BZK, obs. J. Lasserre Capdeville. – Cette solution est heureuse puisque la Cour de cassation considère, depuis quelques années, que l’action de l’emprunteur sur le fondement d’un manquement du banquier à son devoir de mise en garde n’est possible que lorsque l’intéressé n’a pas été mesure « de faire face au paiement des sommes exigibles au titre du prêt », Cass. com., 13 févr. 2019, n° 17-14785 : JCP G 2019, nos 9-10, 253, obs. J. Lasserre Capdeville ; LEDB avr. 2019, n° DBA112a6, obs. M. Mignot ; Banque et droit mai-juin 2019, n° 185, p. 22, obs. T. Bonneau. Ainsi, dit autrement, il faut que l’emprunteur se soit effectivement retrouvé dans l’incapacité de rembourser l’ultime échéance.
Référence : AJU015l8