Proposition de loi cherchant à encadrer la clôture des comptes bancaires

De longue date, notre droit encadre la clôture des comptes de dépôt ouverts aux personnes physiques n’agissant pas pour des besoins professionnels par les établissements de crédit. Or l’Assemblée nationale a adopté le 13 mars dernier en première lecture, avec modifications, une proposition de loi qui souhaite renforcer l’état du droit en la matière afin de prévoir de nouvelles mesures de protection au bénéfice du client.
1. Il y a quelques années, deux établissements de crédit avaient été accusés de faire « le grand ménage » au sein de leur clientèle, et ainsi de clôturer (pour des raisons différentes) un nombre important de comptes bancaires. Il s’agissait d’ING et de N261. Une question s’était alors posée : ces établissements pouvaient-ils agir de la sorte ?
2. Il convient de rappeler, à titre préalable, que les opérations de banque sont des contrats comportant un intuitu personae marqué, dans la mesure où elles reposent avant tout sur la confiance entre les parties. En conséquence, il est acquis de longue date que le banquier doit avoir la liberté de rompre son contrat (droit de résiliation) si celui-ci est à durée indéterminée, ne serait-ce qu’en raison de la prohibition des engagements perpétuels2.
3. Le compte bancaire n’échappe pas à cette logique élémentaire du droit des contrats. Il existe certes un « droit au compte »3, mais pas d’obligation pour le banquier de conserver un client ad vitam aeternam. Il est donc logiquement admis que le banquier peut clôturer un compte bancaire à durée indéterminée moyennant le respect d’un préavis raisonnable.
4. Cette situation peut résulter d’une évolution de la politique de risques de l’établissement le conduisant, par exemple, à se séparer des certains clients fragiles du fait de ses propres difficultés, ou encore de sa stratégie commerciale, une banque pouvant souhaiter se spécialiser sur certaines catégories de clients.
5. Mais que prévoit le droit en la matière ? Plusieurs situations peuvent être distinguées : comptes de dépôt ouverts aux personnes physiques n’agissant pas pour des besoins professionnels, comptes préalablement ouverts grâce à la procédure du droit au compte, autres comptes, situation relevant de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme (LCB-FT), etc.4
6. Nos propos se limiteront à l’hypothèse de base, c’est-à-dire la clôture, par la banque, des comptes de dépôt ouverts aux personnes physiques n’agissant pas pour des besoins professionnels. Celle-ci est, en effet, encadrée de longue date par l’article L. 312-1-1, V, du Code monétaire et financier. Or, cette disposition est aujourd’hui concernée par une proposition de loi5.
7. Observons, alors, le régime actuel de la clôture du compte de dépôt (I) avant de présenter les évolutions envisagées par la proposition de loi en question (II).
I – État du droit actuellement applicable à la clôture du compte de dépôt
8. Il convient ici de se référer à l’article L. 312-1-1 du Code monétaire et financier qui vient régir spécifiquement les comptes de dépôt des personnes physiques n’agissant pas pour des besoins professionnels.
9. En effet, depuis l’ordonnance n° 2009-866 du 15 juillet 2009, relative aux conditions régissant la fourniture de services de paiement et portant création des établissements de paiement6, cette disposition encadre la résiliation de la convention de compte de dépôt par les parties, et notamment par le professionnel de la banque. Ce passage est entré en vigueur le 1er novembre 2009.
10. Ainsi, aux termes de l’alinéa 3, du V, de cet article, « l’établissement de crédit résilie une convention de compte de dépôt conclue pour une durée indéterminée moyennant un préavis d’au moins deux mois, fourni sur support papier ou sur un autre support durable »7. La disposition se poursuit en indiquant que les frais régulièrement imputés pour la prestation de services de paiement ne sont dus par le client qu’au prorata de la période échue à la date de résiliation de la convention de compte de dépôt. S’ils ont été payés à l’avance, ces frais sont remboursés au prorata.
11. Il ressort donc de ce qui précède que la banque est, en principe, tenue au respect d’un délai de préavis de deux mois au minimum lorsqu’elle souhaite clôturer un compte. Celui-ci interviendra après une notification de la banque à son client de son souhait de rompre la relation contractuelle.
12. Quelques observations s’imposent à la vue de cet encadrement juridique. D’une part, et à la différence du droit applicable à la rupture de compte ouvert grâce à la procédure du droit au compte8, les motifs de la rupture ne sont pas limitativement énumérés par la loi. Un banquier, lassé des incidents de paiement répétés de son client, pourra mettre un terme à la relation contractuelle s’il le souhaite. D’autre part, aucune obligation de motivation n’est ici requise9. Dit autrement, la banque respectant son délai légal de deux mois n’a pas à justifier la rupture en question à son client.
13. En outre, la jurisprudence est à l’origine de quelques précisions utiles. En premier lieu, le non-respect du délai précité n’entraînera la responsabilité du banquier que si le client parvient à démontrer l’existence d’un préjudice découlant de cette faute10. Le banquier fautif n’est donc pas automatiquement responsable en la matière. En second lieu, et de longue date, la jurisprudence considère que ne commet aucune faute susceptible d’ouvrir droit à des dommages-intérêts la banque qui clôture un compte en banque sans préavis, lorsque ce dernier présente un fonctionnement anormal ou que le client a un comportement gravement répréhensible11. Il en va notamment de la sorte, aujourd’hui, en cas d’incivilité grave du client à l’encontre de son banquier12.
14. Cet encadrement juridique, envisagé par l’article L. 312-1-1 du Code monétaire et financier, est-il pour autant suffisant ? Certains parlementaires considèrent que non, comme en témoigne une proposition de loi récente.
II – Propositions d’évolutions du droit applicable à la clôture du compte bancaire
15. Une proposition de loi visant à lutter contre les fermetures de comptes bancaires a été enregistrée à la présidence du Sénat le 8 avril 202413. Cette dernière est portée par le sénateur Philippe Folliot.
16. À l’origine, la proposition en question avait une ambition mesurée : simplement imposer à l’établissement de crédit qui résilie unilatéralement une convention de compte de dépôt de fournir « gratuitement au client les motifs de cette résiliation lorsque celui-ci en fait la demande expresse ». Une modification de l’article L. 312-1-1, V, du Code monétaire et financier était envisagée en ce sens.
17. Cette évolution est a priori de bon sens. La faculté de résiliation accordée par l’article L. 312-1-1 du Code monétaire et financier peut susciter chez le client une légitime incompréhension. Sans connaissance de la motivation, le client ne peut donc pas comprendre, ni tirer de leçons de ce qui a conduit la banque à clôturer son compte. Un développement de la transparence est donc utile.
18. Or, contre toute attente, le texte finalement adopté par le Sénat, le 9 octobre 2024, va notablement plus loin. Les nouveautés envisagées sont plus nombreuses et, surtout, plus importantes.
19. D’abord, le texte modifie l’article L. 312-1-1, V, pour qu’il envisage une période de quatre mois pour le délai de préavis applicable en cas de clôture d’un compte décidée par le banquier lorsque ce compte est détenu par un titulaire hors de France.
20. Ensuite, l’obligation de motivation est reprise, mais en l’adaptant à l’interdiction légale faite au banquier de communiquer au client que ce dernier a fait l’objet d’une déclaration de soupçon, auprès de TRACFIN, en matière de blanchiment d’argent ou de financement du terrorisme14. Cette situation peut, en effet, précéder la fermeture d’un compte.
21. Ainsi, après la première phrase du troisième alinéa du V de l’article L. 312-1-1, est insérée une phrase ainsi rédigée : « L’établissement de crédit motive gratuitement et par écrit, dans un délai de quinze jours ouvrés à compter de la réception de cette demande, sur support papier ou sur un autre support durable, la décision de résiliation, sauf lorsque cette motivation contrevient aux objectifs de sécurité nationale ou de maintien de l’ordre public »15.
22. On notera que la banque se devra d’être suffisamment réactive en la matière : un délai de quinze jours ouvrés lui est ainsi laissé pour répondre. De plus, cette motivation devra être effectuée sur un support papier ou sur un autre support durable. Une simple information verbale, par exemple par téléphone, ne sera donc pas suffisante.
23. En revanche, il est important de souligner que la motivation en question n’est pas de droit. D’une part, elle doit être nécessairement demandée par le client. L’article parlant de « réception de cette demande », on peut penser qu’elle devra être faite également sur support papier ou sur un autre support durable. D’autre part, même si ce formalisme est respecté, le banquier n’aura pas à motiver sa décision si cette explication va à l’encontre des interdictions évoquées précédemment en matière de lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (LCB-FT).
24. En outre, et surtout, la création d’un V bis à l’article L. 312-1-1 est envisagée afin d’encadrer les possibilités de clôture de compte par le banquier. Il est ainsi prévu que l’établissement de crédit ne puisse résilier une convention de compte de dépôt conclue pour une durée indéterminée si le motif de résiliation porte exclusivement sur l’un des critères expressément visés. Ceux-ci concernent :
- l’absence de rentabilité16 ;
- le refus par le client d’accepter une modification de la convention ;
- les montants de retraits sont jugés trop importants par l’établissement de crédit.
25. Cette évolution est importante. D’une part, elle pourrait empêcher les banques de clôturer un compte, et donc d’écarter un client, parce que celui-ci ne fait pas assez d’opérations et n’est donc pas assez rentable. Certains abus, dénoncés par des associations de consommateurs, pourraient donc disparaître.
26. D’autre part, l’évolution précitée interdirait la clôture employée par la banque pour pousser le client à accepter une modification du contrat, et notamment une hausse de la tarification bancaire. Sur ce point, une incohérence est cependant à relever avec le IV du même article L. 312-1-1 qui prévoit que « si le client refuse la modification proposée », l’établissement (vraisemblablement, car le sujet de la phrase n’est pas clair) « peut résilier la convention de compte de dépôt sans frais, avant la date d’entrée en vigueur proposée de la modification ». Le législateur devra, au cours d’une seconde lecture, résoudre cette contradiction entre les deux alinéas de l’article L. 312-1-1 du code.
27. Enfin, des retraits trop importants de la part du client, qui viendraient de la sorte assécher son compte en banque, ne pourraient plus, selon la modification envisagée, justifier la rupture en question.
28. La proposition de loi sera-t-elle adoptée ? Connaîtra-t-elle encore beaucoup de modifications ? Il est, bien évidemment, impossible de répondre à ces interrogations. Pour l’heure, il revient simplement à l’Assemblée nationale de se prononcer, à son tour, en première lecture. Néanmoins, ce texte a déjà pour intérêt d’attirer l’attention sur quelques lacunes du droit applicable aux comptes de dépôt ouvert aux personnes physiques n’agissant pas pour des besoins professionnels.
29. L’article L. 312-1-1 du Code monétaire et financier a connu, depuis sa création par la loi MURCEF du 11 décembre 200117, de multiples évolutions. Cela n’est certainement pas terminé…
Notes de bas de pages
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1.
Les Échos, « Fermeture de compte : des banques sommées de s’expliquer », 14 janv. 2022, p. 30, par R. Gueugneau et Y. Duvert.
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2.
C. civ., art. 1210, al. 1er.
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3.
C. mon. fin., art. L. 312-1.
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4.
J. Lasserre Capdeville, « La clôture de compte décidée par la banque : rappel de droit applicable », JCP E 2022, nos 17-18, 1173.
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5.
Sénat, prop. L. n° 519, 8 avr. 2024, visant à lutter contre les fermetures abusives de comptes bancaires.
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6.
Ord. n° 2009-866, 15 juill. 2009 : JO, 16 juill. 2009.
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7.
L’article est moins exigeant concernant la rupture décidée par le client. En effet, ce dernier « peut résilier la convention de compte de dépôt à tout moment, sauf stipulation contractuelle d’un préavis qui ne peut dépasser trente jours ».
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8.
J. Lasserre Capdeville, M. Storck, M. Mignot, J.-P. Kovar et N. Éréséo, Droit bancaire, 4e éd., 2024, Dalloz, Précis, n° 854.
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9.
CA Rennes, 12 mai 2023, n° 20/03095 : LEDB juill. 2023, n° DBA201o7, obs. J. Lasserre Capdeville. Cette situation permet à certains établissements de crédit de se séparer discrètement de clients dont le compte est jugé insuffisamment productif. Une exception existe, cependant, lorsque le compte a été ouvert en utilisant la procédure du droit au compte, J. Lasserre Capdeville, M. Storck, M. Mignot, J.-P. Kovar et N. Éréséo, Droit bancaire, 4e éd., 2024, Dalloz, Précis, n° 854.
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10.
CA Douai, 17 juin 2021, n° 20/00101 : LEDB sept. 2021, n° DBA200g0, obs. J. Lasserre Capdeville.
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11.
CA Paris, 30 juin 2011, n° 08/05638 : LEDB sept. 2011, n° 116, p. 3, obs. J. Lasserre Capdeville – CA Paris, 9 déc. 2016, n° 15/14172 – Plus ancien, Cass. com., 14 févr. 2006, n° 04-16.464.
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12.
J. Lasserre Capdeville, « Quel droit contre les incivilités bancaires ? », RD bancaire et fin. 2021, focus 80, p. 4.
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13.
V. supra, note n° 5.
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14.
C. mon. fin., art. L. 561-18. Une amende de 22 500 euros (112 500 euros pour les personnes morales) est encourue en cas de violation de cette interdiction de révélation, C. mon. fin., art. L. 574-1.
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15.
Nous retrouvons ici une rédaction comparable à celle prévue par l’article L. 312-1 du Code monétaire et financier pour les personnes bénéficiaires du droit au compte.
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16.
Un décret pris sur avis du Comité consultatif du secteur financier (CCSF) devra déterminer les conditions d’application de cette hypothèse.
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17.
L. n° 2001-1168, 11 déc. 2001, portant mesures urgentes de réformes à caractère économique et financier : JO, 12 déc. 2001.
Référence : AJU016w5
