Rappel de la rigueur du délai de forclusion applicable aux opérations de paiement non autorisées

Publié le 17/02/2023
Finance
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Il ressort de l’article L. 133-24 du Code monétaire et financier que l’utilisateur de services de paiement doit signaler à son prestataire de services de paiement une opération de paiement non autorisée ou mal exécutée au plus tard dans les 13 mois suivant la date de débit sous peine de forclusion, à moins que le prestataire de services de paiement ne lui ait pas fourni les informations relatives à cette opération de paiement.

Par ailleurs, la responsabilité contractuelle de la banque ne peut être engagée que si l’appelant démontre non seulement une faute de la banque, mais encore que cette faute lui aurait causé directement un préjudice certain.

CA Metz, 7 juill. 2022, no 21/00949

1. Le droit des services de paiement découle, dans notre pays, de l’ordonnance n° 2009-866 du 15 juillet 20091 qui trouve, elle-même, sa source dans la directive n° 2007/64/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007 concernant les services de paiement dans le marché intérieur (dite DSP 1)2. L’état du droit applicable, qui a connu quelques évolutions du fait de la transposition des dispositions de la directive (UE) n° 2015/2366 du 25 novembre 2015 concernant les services de paiement dans le marché intérieur (dite DSP 2)3 par l’ordonnance n° 2017-1252 du 9 août 20174, est très favorable aux utilisateurs de services de paiement.

2. Attention cependant : il présente tout de même quelques dispositions plus strictes, et notamment un délai de forclusion assez bref de 13 mois5, qui peut parfois se révéler problématique pour les clients de banque. Une décision de la cour d’appel de Metz du 7 juillet 2022 en témoigne.

3. En l’espèce, le 1er mars 2010, un plan d’épargne logement (PEL) avait été souscrit auprès de la banque X par M. et Mme I. pour le compte de leur fille, alors mineure. Or, le 7 novembre 2011, les fonds figurant sur ce PEL, soit de 32 689,39 €, avaient été transférés sur le compte courant ouvert au nom de l’intéressée. Puis, le lendemain, un virement d’un montant de 32 800 € avait été fait, au débit de ce même compte courant, au profit de la société GCS.

4. Devenue majeure à partir du 1er mars 2012, Melle I. avait, par courriers des 8 janvier 2015 et 11 mars 2015 puis par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 3 juillet 2015, sollicité la restitution par la banque d’une somme de 32 800 € augmentée des intérêts au taux légal. La banque n’ayant pas donné suite à ces demandes, l’intéressée l’avait assignée devant la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Metz.

5. Par jugement rendu le 16 mars 2021, la chambre commerciale du tribunal judiciaire de Metz avait déclaré irrecevable pour cause de forclusion l’action de Melle I. à l’encontre de la banque X et l’avait condamnée à payer à cette dernière la somme de 1 500 € en application des dispositions l’article 700 du Code de procédure civile.

6. Pour se déterminer ainsi, le tribunal avait relevé qu’aux termes des dispositions de l’article L. 314-1 du Code monétaire et financier, le virement constitue une opération de paiement et que, dès lors, le délai de forclusion prévu à l’article L. 133-24 même code est applicable aux virements au débit effectués les 7 et 8 novembre 2011 sur les comptes de Melle I. alors que cette dernière était mineure et n’avait pas la capacité légale de donner ordre de virement. L’intéressée avait alors interjeté appel.

7. Ses critiques étaient multiples. D’abord, elle soutenait que sa demande était recevable, et considérait que la forclusion prévue à l’article L. 133-24 du Code monétaire et financier n’était pas applicable, dans la mesure où le prestataire de service de paiement, la banque X, ne démontrait pas lui avoir fourni les informations relatives à l’opération de paiement. Melle I. considérait encore que les relevés mensuels du PEL et du compte ouverts à son nom produits par l’établissement de crédit étaient insuffisants à démontrer la transmission des informations relatives à l’opération de paiement au titulaire du compte ou à ses représentants légaux. Elle précisait que la banque ne justifiait ni de l’envoi effectif ni de leur réception par elle-même ou par ses représentants légaux lorsqu’elle était mineure.

8. Par ailleurs, Melle I. faisait valoir que la banque X avait manqué à ses obligations contractuelles en effectuant deux virements, l’un du compte épargne sur son compte courant et l’autre de son compte courant sur celui d’une entité tierce, sans ordre, avant de clôturer le compte. Elle observait, à ce sujet, que la banque ne justifiait pas de l’identité du donneur d’ordre, et qu’à supposer qu’il s’agissait de la société CGS, elle n’était pas son administrateur légal. Elle faisait valoir en outre que la banque ne justifiait pas avoir respecté les règles relatives à la libération des fonds présents sur un PEL, pour un motif qui serait relatif au financement d’une acquisition, d’une construction, ou de travaux. Elle soutenait encore que le virement avait été fait de la seule initiative de la banque X vers la société CGS qui détenait les comptes, et que compte tenu du montant en litige un écrit aurait été établi si un ordre de virement avait été passé par un représentant de l’enfant.

9. La cour d’appel de Metz se prononce alors par une décision du 7 juillet 2022. Cette dernière est riche en enseignements tant à propos de la recevabilité de la contestation du virement de 32 800 € (I), qu’à l’égard de la contestation de la clôture du PEL et du virement du solde au crédit du compte courant (II).

I – Sur la recevabilité de la contestation du virement de 32 800 €

10. Il est rappelé, par la décision de la cour d’appel, que, selon l’article L. 133-24 du Code monétaire et financier, l’utilisateur de services de paiement doit signaler, sans tarder, à son prestataire de services de paiement une opération de paiement non autorisée ou mal exécutée et au plus tard dans les 13 mois suivant la date de débit sous peine de forclusion « à moins que le prestataire de services de paiement ne lui ait pas fourni ou n’ait pas mis à sa disposition les informations relatives à cette opération de paiement conformément au chapitre IV du titre 1er du livre III ».

11. Dès lors, une telle information avait-elle été donnée en l’espèce ? Il résultait des recherches d’archives produites par la banque X qu’elle avait édité des relevés de compte mensuels concernant le PEL et le compte courant ouverts au nom de Melle I., et qu’elle avait porté en compte, sur les relevés des mois de novembre 2011, d’une part le virement du solde PEL de 32 689,39 € clôturé le 7 novembre 2011, qui avait été porté au crédit du compte courant à la même date, et, d’autre part, le virement de 32 800 € au débit du compte courant et au profit de la société GCS, en date du 8 novembre 2011.

12. De plus, dans sa lettre du 8 janvier 2015 sollicitant la clôture de son PEL, Melle I. indiquait qu’elle ne recevait plus de relevés bancaires depuis le mois de janvier 2012, ce qui indique qu’elle en recevait avant cette date.

13. En outre, dans lettre du 11 mars 2015, l’intéressée indiquait n’avoir aucune réponse de la banque depuis sa lettre du 8 janvier 2015, et demandait expressément à la banque X de clôturer le PEL et de lui envoyer par chèque « les sommes dues, soit 32 800 € ». Or, les juges messins observent que la somme de 32 800 € ne correspondait pas au montant que Melle I. détenait en PEL, mais au montant du virement opéré au débit de son compte courant et au profit de la société GCS en date du 8 novembre 2011. Dès lors, l’intéressée « ne pouvait avoir connaissance de ce montant que par la consultation d’une copie de l’ordre de virement concerné détenue par ses parents, ou par la consultation de son relevé de compte courant du mois de novembre 2011 ».

14. Les magistrats en concluent, en conséquence, qu’il ressortait de l’ensemble de ces éléments sérieux et concordants que la banque X avait fourni sans tarder à Melle I., alors représentée par ses parents, les informations relatives aux opérations litigieuses survenues début novembre 2011 sur le PEL et sur le compte bancaire à son nom. Elle est donc fondée à se prévaloir du délai de forclusion prévu par l’article L. 133-24 du Code monétaire et financier. Le virement litigieux de 32 800 € ayant été opéré au débit du compte de l’appelante à la date du 8 novembre 2011, le délai de forclusion de 13 mois expirait le 8 décembre 2012. Or, il était constant que Melle I. n’avait fait assigner la banque que le 9 novembre 2015, soit largement après l’expiration du délai de forclusion.

15. Quid du droit commun de la prescription ? N’est-il pas susceptible de suppléer la prescription ainsi relevée ? Une réponse négative s’impose. Le Cour de justice de l’Union européenne a eu l’occasion, récemment, de déclarer qu’un utilisateur de services de paiement ne peut engager la responsabilité du prestataire de services de paiement sur le fondement d’un régime de responsabilité autre que celui prévu par les dispositions de la directive du 13 novembre 2007 concernant les services de paiement dans le marché intérieur (DSP 1), c’est-à-dire les articles L. 133-18 et suivants du Code monétaire et financier concernant les opérations de paiement non autorisées6. Cette solution est logiquement partagée, aujourd’hui, par la Cour de cassation7.

16. Or, la décision étudiée aborde cette question. Elle indique ainsi qu’il ressort de l’article L. 133-1 du Code monétaire et financier que seul le régime de responsabilité prévu par les articles suivants du même code, concernant les opérations de paiement que le titulaire du compte prétend ne pas avoir autorisées, sont applicables au litige. En conséquence, Melle I., qui n’avait pas respecté le délai de forclusion de 13 mois, ne peut se prévaloir du régime de responsabilité contractuelle s’agissant du virement de 32 800 € opéré au débit de son compte courant.

17. Le jugement est dès lors confirmé en ce qu’il avait déclaré la demande en paiement de la somme de 32 800 € de Melle I. irrecevable. Cette solution, parfaitement motivée, et en conformité avec le droit applicable, échappe selon nous à toute critique. Ce n’est pas le seul intérêt de l’arrêt.

II – Sur la contestation de la clôture du PEL et du virement du solde au crédit du compte courant

18. L’arrêt de la cour d’appel de Metz commence par observer que la forclusion évoquée précédemment n’est pas applicable à la contestation de la clôture du PEL et du virement du solde au crédit du compte courant. En effet, les dispositions de l’article L. 133-24 du Code monétaire et financier concernent uniquement les contestations d’opérations de paiement, que le titulaire du compte nie avoir autorisées. Dès lors, « tel n’est pas le cas de la contestation de la clôture du PEL ». La demande est, en conséquence, recevable. Mais est-elle fondée ?

19. Melle I. soutenait dans ses dernières conclusions que la banque avait engagé sa responsabilité contractuelle en procédant à la clôture du PEL sans respecter les règles relatives à la libération des fonds détenus en PEL, et en créditant son compte courant du solde du PEL.

20. Ici, une faute de la banque était, semble-t-il, susceptible d’être relevée. En effet, il convient de rappeler que l’épargne logement a pour objet de permettre aux souscripteurs ayant réalisé un effort personnel d’épargne préalable d’obtenir un prêt à taux bonifié afin de financer l’achat, la construction ou la rénovation de logements destinés à la résidence principale, ainsi que l’achat de logements neufs de loisirs ou de tourisme dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État. En application des dispositions de l’article L. 221-29 du Code monétaire et financier, l’épargne logement est régie par les articles L. 315-1 à L. 315-3 du Code de la construction et de l’habitation8. Or, en l’occurrence, la banque ne justifiait pas avoir respecté les règles relatives à la libération des fonds déposés sur un PEL, pour un motif qui serait relatif au financement d’une acquisition, d’une construction, ou de travaux.

21. Mais cette situation était-elle suffisante pour entraîner l’engagement de la responsabilité de l’établissement de crédit ? Une réponse négative s’impose ici. En effet, et les magistrats le rappellent très justement, la responsabilité contractuelle de la banque ne peut être engagée que si l’appelant démontre non seulement une faute de la banque, mais encore que cette faute lui aurait causé directement un préjudice certain.

22. Or, l’intéressée n’alléguait pas de préjudice découlant directement de la faute qu’elle invoquait. Il est en outre observé que les pièces produites par l’intimée indiquaient que les fonds détenus en PEL ouvert au nom de Melle I. avaient été transférés sur le compte courant ouvert à son nom le jour même de la clôture du PEL, soit le 7 novembre 2011, à hauteur de 32 689,39 €. L’appelante n’alléguait et ne démontrait alors aucun préjudice résultant directement de cette clôture du PEL ayant entraîné concomitamment le versement de 32 689,39 € au profit de son propre compte courant.

23. La demande en dommages-intérêts formée à hauteur de 32 800 € le cas échéant pour clôture injustifiée du PEL et virement au profit de son compte courant n’est donc pas fondée pour les juges. Elle est alors rejetée.

24. Cette situation est difficilement contestable : une faute du banquier ne veut pas dire qu’il verra nécessairement sa responsabilité civile retenue par les juges. Un préjudice et un lien de causalité certain entre ce même préjudice et la faute relevée devront toujours être démontrés. À défaut, le professionnel de la banque fautif échappera à toute sanction. Il s’agit d’une solution « classique », même en doit bancaire9.

Notes de bas de pages

  • 1.
    JO, 16 juill. 2009 ; N. Mathey, « La réforme des services de paiement », RD bancaire et fin. 2010, étude 1.
  • 2.
    JOUE L. 319, 5 déc. 2007 ; F. Vanden Bosch et N. Mathey, « Le marché unique des services de paiement en Europe », RD bancaire et fin. 2007, dossier 18.
  • 3.
    JOUE L 337, 23 déc. 2015 – T. Verbiest et E. Corcos, « La directive révisée sur les services de paiement (DSP 2) », RD bancaire et fin. 2016, étude 17 ; P. Storrer et M. Roussille, « L’économie numérique à l’heure de la DSP 2 », Banque et droit 2016, n° 65, p. 67.
  • 4.
    JO, 10 août 2017 ; J. Lasserre Capdeville, « Nouvelle réforme des services de paiement : la « DSP 2 » est transposée », JCP G 2017, 923.
  • 5.
    Aux termes de l’article L. 133-24, alinéa 1er, du Code monétaire et financier : « L’utilisateur de services de paiement signale, sans tarder, à son prestataire de services de paiement une opération de paiement non autorisée ou mal exécutée et au plus tard dans les treize mois suivant la date de débit sous peine de forclusion à moins que le prestataire de services de paiement ne lui ait pas fourni ou n’ait pas mis à sa disposition les informations relatives à cette opération de paiement conformément au chapitre IV du titre 1er du livre III. »
  • 6.
    CJUE, 2 sept. 2021, n° C-337/20 : RD bancaire et fin. 2021, comm. 149, obs. T. Samin et S. Torck ; Europe 2021, comm. 383, obs. V. Bassani-Winckler ; Lexbase Hebdo 9 sept. 2021, n° 687, éd. Affaires, obs. J. Lasserre Capdeville ; LEDB oct. 2021, n° DBA200g5, obs. N. Mathey.
  • 7.
    Cass. com., 9 févr. 2022, n° 17-19441 : LEDB mars 2022, n° DBA200p4, obs. J. Lasserre Capdeville ; GPL 14 juin 2022, n° GPL437d1, obs. M. Roussille.
  • 8.
    Pour une étude du droit applicable, JCl. Banque – Crédit – Bourse, fasc. 230, nos 87 et s., P. Bouteiller et V. Douard.
  • 9.
    Par ex., v., en matière de droit au compte, J. Lasserre Capdeville, « La responsabilité civile du banquier et le droit au compte », in La responsabilité civile du banquier aujourd’hui, 2022, LexisNexis, Actualité, p. 11, nos 25 et s.
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