Revirement sur les effets de la liquidation judiciaire sur le compte courant

Publié le 16/12/2024
Revirement sur les effets de la liquidation judiciaire sur le compte courant
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Le compte courant non clôturé avant le jugement d’ouverture d’une procédure de liquidation judiciaire constitue un contrat en cours, de sorte qu’en l’absence de disposition légale contraire, les solutions prévues par l’article L. 641-11-1, I, alinéa premier, du Code de commerce lui sont applicables. L’ouverture ou le prononcé d’une liquidation judiciaire n’a donc pas pour effet d’entraîner la clôture du compte courant du débiteur. Le solde du compte n’étant alors pas devenu exigible, la caution n’en est pas tenue.

Cass. ass. plén., 11 sept. 2024, no 23-12.695

1. Le « compte courant » est un mécanisme de règlement global et simplifié des créances réciproques engendrées par une relation entre, le plus souvent, un banquier et son client. Ce mode de règlement simplifié dispense alors les parties de s’adresser des virements ou des paiements par cartes bancaires, chèques ou espèces pour régler les créances en question1.

2. Or, ces dernières semaines, le compte courant a donné lieu à plusieurs décisions de justice remarquées2, et notamment un revirement de jurisprudence par un arrêt de l’assemblée plénière de la Cour de cassation du 11 septembre 20243.

3. En l’espèce, la société A. avait ouvert un tel compte courant auprès de la banque X. Le 7 février 2018, la société B. s’était portée caution de tous les engagements de la société A. envers la banque à hauteur d’un montant de 150 000 euros.

4. Or, la société A. avait été mise en redressement puis en liquidation judiciaires les 11 juillet 2018 et 10 juillet 2019. La banque, après avoir déclaré une créance de 48 333,54 euros au titre du solde débiteur du compte, avait assigné en paiement la société B., c’est-à-dire la caution.

5. La cour d’appel de Grenoble avait cependant, par une décision du 19 janvier 20234, rejeté la demande de paiement de la banque, au motif que la convention de compte courant n’était pas résiliée et que le solde du compte courant n’était donc pas exigible. La banque X. avait alors formé un pourvoi en cassation.

6. Elle considérait, notamment, que le compte courant d’une société étant clôturé par l’effet de la liquidation judiciaire prononcée à l’égard de celle-ci, son solde était immédiatement exigible de la caution. Dès lors, en la déboutant de son action, au motif qu’elle ne justifiait pas de la résiliation de la convention de compte courant par le liquidateur et qu’en conséquence le solde du compte courant n’était pas exigible, la cour d’appel aurait violé, par refus d’application, l’article L. 643-1 du Code de commerce, dans sa version antérieure à celle issue de la loi n° 2002-172 du 14 février 2022, applicable au litige, et par fausse application l’article L. 641-11-1 du Code de commerce.

7. Observons alors la solution dégagée par la haute juridiction (I) et les effets de cette dernière pour les parties concernées (II).

I – La solution dégagée

8. L’assemblée plénière de la Cour de cassation ne se montre pas du tout sensible au moyen développé par la banque X. Elle commence par rappeler que selon l’article L. 641-11-1, I, alinéa premier, introduit dans le Code de commerce par l’ordonnance n° 2008-1345 du 18 décembre 2008, nonobstant toute disposition légale ou toute clause contractuelle, aucune indivisibilité, résiliation ou résolution d’un contrat en cours ne peut résulter du seul fait de l’ouverture ou du prononcé d’une liquidation judiciaire5. Ce texte, entré en vigueur le 15 février 2009, a ainsi transposé à la liquidation judiciaire les règles identiques résultant de l’article L. 622-13 du Code de commerce édictées pour la sauvegarde et rendues applicables au redressement judiciaire par l’article L. 631-14 de ce même code.

9. Ensuite, la Cour de cassation indique que, par une autre décision en date du 13 décembre 20166, elle avait eu l’occasion de déclarer que le compte courant d’une société est clôturé par l’effet de sa liquidation judiciaire et qu’en conséquence le solde de ce compte est immédiatement exigible de la caution. Cependant, par sa décision du 11 septembre 2024, l’assemblée plénière observe que cette dernière solution n’a pas été reprise par la jurisprudence ultérieure et a même suscité des critiques et des interrogations de la part de la doctrine7.

10. Elle estime alors que le compte courant non clôturé avant le jugement d’ouverture constitue un contrat en cours, de sorte qu’en l’absence de disposition légale contraire, les textes précités lui sont parfaitement applicables.

11. Un revirement de jurisprudence est donc opéré en la matière. Pour la haute juridiction, la solution dégagée par l’arrêt de 2016 doit être abandonnée. Il convient en conséquence de juger désormais que l’ouverture ou le prononcé d’une liquidation judiciaire n’a pas pour effet d’entraîner la clôture du compte courant du débiteur.

12. Or, un constat est fait : « Après avoir énoncé à bon droit que le compte courant étant un contrat en cours, sa résiliation ne pouvait résulter de l’ouverture de la liquidation judiciaire, l’arrêt en a déduit exactement que la clôture du compte n’étant pas intervenue, le solde n’est pas devenu exigible, de sorte que la caution n’est pas tenue ». Dès lors, par ce motif, la cour d’appel avait légalement justifié sa décision.

13. Cette solution, conforme à la lettre de l’article L. 641-11-1, I, alinéa premier, du Code de commerce, emporte notre adhésion. Elle devrait avoir diverses conséquences pour les parties intéressées.

II – Les effets de la solution

14. Prenons, tout d’abord, l’hypothèse de la caution. Pour une jurisprudence bien établie, la caution du solde débiteur d’un compte courant ne peut être poursuivie par le créancier qu’après clôture du compte courant8.

15. Dès lors, dans notre cas, la caution ne sera tenue que du solde dégagé au jour de la résiliation de la convention9. Le montant de ce dernier ne sera d’ailleurs pas nécessairement identique à celui du solde provisoire déclaré par la banque au passif de la société cliente.

16. Concernant, ensuite, le banquier, d’autres effets sont à mentionner. Le compte courant va continuer à fonctionner, et ce même en cas de liquidation judiciaire.

17. Or, dans la quasi-totalité des cas, le compte courant est associé à une ouverture de crédit. On peut alors se demander si le liquidateur pourra continuer à utiliser cette ligne de crédit. Un courant doctrinal10 observe que cette situation créerait des dettes couvertes par les dispositions de l’article L. 641-1311, en tant que dettes nées de la continuation d’un contrat, éligibles comme telles au traitement préférentiel réservé aux créanciers postérieurs, ce qui « pourrait lui être reproché s’il ne parvenait pas ensuite à rembourser le banquier ». Néanmoins, il est noté que cette faculté laissée au liquidateur peut se révéler utile en cas de liquidation judiciaire avec poursuite d’activité.

18. Dans tous les cas, si le liquidateur ne prend pas l’initiative de résilier spontanément le contrat12, le professionnel de la banque pourra toujours rompre le concours en question sur le fondement de l’article L. 313-12 du Code monétaire et financier13. On rappellera d’ailleurs que le fait que l’entreprise bénéficiaire du crédit soit dans une situation irrémédiablement compromise permet au prêteur de prononcer immédiatement la clôture du concours sans avoir à respecter le délai de préavis légal de 60 jours.

19. On indiquera, pour terminer, que la poursuite d’une convention de compte en cours, en matière de redressement judiciaire, fait l’objet de certaines pratiques bancaires14. En effet, une distinction est traditionnellement opérée entre les opérations antérieures à l’ouverture de la procédure et celles qui lui sont postérieures15. Plus précisément, afin d’éviter de violer la prohibition des paiements de dettes antérieures prévue par l’article L. 622-7 du Code de commerce, un solde provisoire est établi. Il représente la position du compte à la veille du jugement d’ouverture. Ce solde permet d’isoler les opérations antérieurement conclues. Si ce solde est négatif, il convient de le déclarer au passif. Si, à l’inverse, il est créditeur, il est généralement versé à l’administrateur. Les remises nouvelles réalisées après l’ouverture du compte échappent à ce solde provisoire. Le compte continue de fonctionner, pour sa part, aux conditions contractuelles.

20. Ces pratiques sont-elles alors transposables au compte courant qui se poursuit alors que la société est en liquidation ? Selon nous, la procédure de liquidation judiciaire étant destinée à mettre fin à l’activité de l’entreprise ou à réaliser le patrimoine du débiteur par une cession globale ou séparée de ses droits et de ses biens, une réponse négative s’impose.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Sur ce compte courant, T. Bonneau, Droit bancaire, 15e éd., 2023, LGDJ, nos 502 et s., EAN : 9782275130590 ; J. Lasserre Capdeville, « Le paiement par l’intermédiaire du compte courant », in Le paiement, 2014, L’Harmattan, p. 217 et s.
  • 2.
    V. par ex. Cass. com., 11 sept. 2024, n° 23-11.534 : Lexbase Affaires, 18 sept. 2024, n° N0330B3M, obs. J. Lasserre Capdeville ; Dalloz actualité, 19 sept. 2024, obs. C. Hélaine ; LEDC sept. 2024, n° DCO202m3, obs. M. Zaffagnini ; Lexbase, 9 oct. 2024, n° N0475B3Y, note S. Piédelièvre. Cette décision portait sur l’étendue de l’annulation d’une convention de compte courant.
  • 3.
    Cass. ass. plén., 11 sept. 2024, n° 23-12.695 : D. 2024, AJ, p. 1573 ; JCP E 2024, n° 38, act. 699 ; LEDEN oct. 2024, n° DED202p2, obs. A. Cerati ; Dalloz actualité, 25 sept. 2024, obs. B. Ferrari ; Lexbase Affaires, 26 sept. 2024, n° 807, n° N0379B3G, note E. Le Corre-Broly ; LEDB nov. 2024, n° DBA202l5, obs. N. Mathey.
  • 4.
    CA Grenoble, 19 janv. 2023, n° 21/01643.
  • 5.
    Aux termes du I de l’article L. 641-11-1, « Nonobstant toute disposition légale ou toute clause contractuelle, aucune indivisibilité, résiliation ou résolution d’un contrat en cours ne peut résulter du seul fait de l’ouverture ou du prononcé d’une liquidation judiciaire ». La suite de l’article précise que « le cocontractant doit remplir ses obligations malgré le défaut d’exécution par le débiteur d’engagements antérieurs au jugement d’ouverture. Le défaut d’exécution de ces engagements n’ouvre droit au profit des créanciers qu’à déclaration au passif ».
  • 6.
    Cass. com., 13 déc. 2016, n° 14-16.037 : Bull. civ. IV, n° 156 ; Act. proc. coll. 2017, alerte 30, obs. F. Petit ; Rev. proc. coll. 2017, comm. 27, obs. C. Gijsbers ; Rev. proc. coll. 2017, comm. 64, obs. F. Reille ; LEDEN janv. 2017, n° DED110j1, obs. P. Rubellin ; BJE mars 2017, n° BJE114k2, note N. Borga ; Banque et droit 2017, n° 172, p. 33, obs. T. Bonneau ; RJ com. 2017, p. 356, obs. C. Lebel ; GPL 21 févr. 2017, n° GPL287k5, obs. M.-P. Dumont-Lefrand ; RTD civ. 2017, p. 196, obs. P. Crocq ; Dr. & patr. mensuel 2017, n° 269, p. 92, obs. A. Aynès – V. déjà sous l’empire de la loi n° 85-98 du 25 janvier 1985, Cass. com., 14 mai 2002, n° 98-21.521 : Bull. civ. IV, n° 83 ; Banque et droit 2002, n° 85, p. 42, obs. T. Bonneau – Cass. com., 19 mai 2004, n° 02-18.570 : Bull. civ. IV, n° 97 ; D. 2004, AJ, p. 1813, obs. A. Lienhard.
  • 7.
    V. plus particulièrement, F. Pérochon, « La continuation des concours bancaires en faveur d’une entreprise en difficulté », in E. Le Corre-Broly (dir.), Contentieux bancaire des procédures collectives, 2014, Bruylant, p. 54, n° 38. L’auteur relève en effet que la solution en question va à l’encontre « non seulement aux principes régissant la continuation des contrats en cours, mais aussi au texte clair de l’article R. 641-37 qui prévoit le maintien des comptes pendant six mois au moins, si bon semble au liquidateur, ou à l’administrateur s’il en a été désigné ».
  • 8.
    Cass. com., 16 avr. 1996, n° 94-14.250 : Bull. civ. IV, n° 119 – Cass. com., 16 déc. 2008, n° 07-21.764.
  • 9.
    Le banquier utilisera ici les dispositions de l’article L. 641-11-1, III, du Code de commerce. Il devra mettre en demeure le liquidateur judiciaire d’avoir à opter sur la continuation du compte bancaire. S’il n’y a pas de poursuite d’activité, logiquement, le liquidateur ne devrait pas opter pour la continuation du contrat et cela entraînera résiliation en question.
  • 10.
    E. Le Corre-Broly, Lexbase Affaires, 26 sept. 2024, n° 807, n° N0379B3G.
  • 11.
    Cet article liste les créances nées régulièrement après le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire, qui doivent être payées à leur échéance. Il en va notamment ainsi si elles sont nées « pour les besoins du déroulement de la procédure ou du maintien provisoire de l’activité autorisé en application de l’article L. 641-10 ».
  • 12.
    C. com., art. L. 641-11-1, III.
  • 13.
    Sur les règles applicables à cette rupture, J. Lasserre Capdeville, M. Storck, M. Mignot et a., Droit bancaire, 2024, Dalloz Précis, nos 1782 et s.
  • 14.
    Certaines attitudes n’échappent d’ailleurs pas à la critique, C. Delattre, « De quelques mauvaises pratiques bancaires », RD bancaire et fin. 2021, dossier 30.
  • 15.
    J. Lasserre Capdeville, « La continuation des contrats en cours : le cas des opérations de crédit », RD bancaire et fin. 2021, dossier 28, spéc. n° 9.
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