Successions : vers un encadrement des frais bancaires ?

Une proposition de loi adoptée en première lecture prévoit d’exonérer de frais bancaires plusieurs catégories de successions dont les plus simples et celles des mineurs, ainsi que de plafonner les frais à 1 % du montant des encours. Son adoption pourrait aboutir dans le cadre des semaines transpartisanes.
Opaques, incompréhensibles, disproportionnés, imprévisibles, disparates…, les frais bancaires prélevés lors de la clôture du compte d’une personne décédée cumulent les griefs. Selon l’étude de l’association l’UFC-Que Choisir de février 2024, ces frais ont augmenté de 50 % en 12 ans. Avec un niveau moyen de 291 euros toutes banques confondues, ils sont deux à quatre fois plus élevés que chez nos voisins européens. Surtout, ils sont très variables d’un établissement à l’autre. L’étude a constaté que pour une succession de 20 000 euros ils peuvent s’élever de 80 à 527,50 euros.
Des frais de contrôle
En 2023, les banques auraient encaissé 200 millions d’euros au titre de ces frais qui représenteraient 1 % du total des frais bancaires. Ils couvrent les opérations suivantes : vérification de l’authenticité de l’acte de décès, gel des avoirs, déclaration à l’administration fiscale, éventuelle désolidarisation des comptes joints ou encore le transfert des fonds aux héritiers. En 2021, les pouvoirs publics avaient promis un accord de place qui est vite apparu illusoire. Le secteur ne s’autorégule pas, faute d’enjeu concurrentiel sur ce sujet. Dans ce contexte, les parlementaires se sont emparés du sujet,
La proposition de loi n° 309 (2021-2022) visant à encadrer les « frais bancaires de succession »déposée au Sénat le 4 janvier 2022 prévoyait que les frais bancaires et opérations facturées devaient être « en rapport avec les coûts réellement supportés » par les établissements. Plus récemment, deux amendements identiques, adoptés par le Sénat en janvier 2023 sur la proposition de loi n° 46 (2022-2023), tendant à renforcer la protection des épargnants, prévoyaient la gratuité pour les comptes inférieurs à 5 000 euros bénéficiant de la procédure de clôture simplifiée et instituaient, pour les autres cas, un plafonnement à 1 % du montant total des sommes détenues par l’établissement. Aujourd’hui, l’encadrement pourrait venir de la proposition de loi n° 374 de Christine Pirès Beaune, députée (PS) du Puy-de-Dôme (63), qui a déjà été adoptée en première lecture par les deux chambres.
Comptes de dépôts, livrets d’épargne : trois cas de gratuité
La proposition de loi a un champ assez large puisqu’elle intègre les comptes de dépôt, les comptes de paiement, les livrets, l’ensemble des produits d’épargne réglementée à l’exception des PEA. Pour l’ensemble de ces comptes, la loi interdit purement et simplement que des frais soient prélevés sur les successions dans trois cas.
Le premier concerne les successions les plus simples, c’est-à-dire lorsque l’héritier justifie de sa qualité d’héritier auprès de l’établissement teneur des comptes dans les conditions de la procédure de clôture des comptes simplifiée (par la production d’un acte de notoriété ou par la production d’une attestation signée de l’ensemble des héritiers), et que les opérations liées à la clôture ne présentent pas de complexité manifeste. Cette complexité s’apprécie au regard de l’absence d’héritiers légaux (mentionnés par l’article 734 du Code civil), du nombre des comptes et produits d’épargne à clôturer, de la constitution de sûretés sur lesdits comptes et produits ou, encore, à l’existence d’éléments d’extranéité, autant d’éléments « empêchant la réalisation de ces opérations dans un délai raisonnable », selon la proposition de loi.
En l’absence d’une telle complexité (qui reste à définir), la gratuité s’appliquerait quel que soit le montant des avoirs bancaires du défunt.
Le deuxième cas vise les successions « Lorsque le montant total des soldes des comptes et de la valorisation des produits d’épargne du défunt mentionnés au premier alinéa du présent article est inférieur au montant fixé par l’arrêté du ministre chargé de l’Économie mentionné au 2° de l’article L. 312‑1‑4 ». Ce texte renvoie au texte encadrant le paiement des frais funéraires par l’un des successibles, lesquels sont autorisés à puiser dans le compte du défunt pour faire face à ces dépenses à hauteur de 5 000 euros.
Enfin, le troisième cas de gratuité vise les comptes et produits d’épargne dont le détenteur est mineur à la date du décès. Le cas de parents qui s’étaient vu réclamer des frais de 138 euros pour clôturer le livret A de leur enfant de 8 ans décédé en mai 2021 avait ému l’opinion publique.
Cette mesure généraliserait une pratique encore inégale. Selon l’échantillonnage réalisé par l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution, cette gratuité est pratiquée par 5 établissements bancaires sur 12 étudiés (soit 42 %). Selon l’UFC-Que Choisir, qui se base sur les données recueillies sur le site Money Vox, 47 établissements sur 125 (soit 38 %), indiquent pratiquer une telle gratuité. D’après la Fédération bancaire française, l’ensemble des principaux acteurs du secteur bancaire appliquerait aujourd’hui la gratuité dans les cas où le défunt était mineur à la date du décès. Pour des raisons opérationnelles, cette gratuité pourrait, dans le cas de certains établissements, être appliquée par le biais d’un remboursement ultérieur au prélèvement des frais.
Des frais plafonnés à 1 %
Pour toutes les autres successions, le prélèvement des frais par l’établissement teneur des comptes et produits est autorisé. Toutefois, il ne pourra pas dépasser 1 % du montant total des soldes des comptes et de la valorisation des produits d’épargne.
La proposition prévoit que le barème et les modalités du calcul des frais seront fixés par un décret : « Un décret, pris après avis du Comité consultatif de la législation et de la réglementation financières, détermine les conditions d’application du 1° et les modalités de plafonnement des frais pouvant être prélevés en application du cinquième alinéa, dans la limite de 1 % du montant total des soldes des comptes et de la valorisation des produits d’épargne du défunt mentionnés au premier alinéa et dans la limite d’un montant fixé par le même décret. ».
Enfin, la proposition de loi prévoit la remise d’un rapport d’évaluation par le gouvernement au Parlement portant sur l’impact du dispositif d’encadrement sur l’évolution des frais bancaires sur succession après une année d’application. Ce rapport permettra d’apprécier si les critères retenus par voie réglementaire pour déterminer les cas dans lesquels les frais peuvent être prélevés dans les cas non couverts par la gratuité sont appropriés ou non.
Le parcours parlementaire de la proposition de loi a été suspendu par la dissolution de l’Assemblée nationale du 9 juin dernier. Son auteur, Christine Pirès Beaune, réélue à son siège par les élections législatives du 30 juin et 7 juillet 2024, se dit confiante, la présidente de l’Assemblée nationale (Yaël Braun-Pivet) s’étant elle-même montrée favorable à son réexamen dans le cadre des semaines transpartisanes.
Référence : AJU015s7
