Un intervenant peu connu en matière de délivrance de crédits : l’indicateur

Quelques dispositions juridiques mentionnent, en matière de crédit, le cas de l’indicateur qui peut jouer un rôle en la matière. Qui est-il ? Quelles sont ses missions ? Peut-il voir sa responsabilité civile retenue dans certaines circonstances ? Cette contribution revient sur l’ensemble de ces interrogations.
1. Les parties intéressées par une opération de crédit sont, a priori, bien connues. D’abord, nous trouvons l’emprunteur, qui sera selon les cas une personne physique ou une personne morale. Souvent, la personne physique en question aura la qualité de consommateur au sens de l’article liminaire du Code de la consommation1.
2. Le prêteur, ensuite, sera soit un établissement de crédit2, soit une société de financement3. En effet, il convient de rappeler qu’un monopole légal existe en matière de délivrance de crédits au bénéfice de ces deux catégories d’établissements. À défaut de relever de l’un de ces cas (ou des quelques dérogations légales envisagées en la matière4), le prêteur accordant des concours à titre habituel5 pourra être poursuivi pour violation du délit d’exercice illégal de la profession de banquier, et se voir infliger des sanctions pénales6. Des condamnations ainsi sont prononcées parfois7.
3. En outre, une autre personne est susceptible de s’interférer dans cette relation emprunteur/prêteur : il s’agit de l’intermédiaire en opérations de banque et en services de paiement (IOBSP). Cette hypothèse vise la personne qui exerce à titre habituel, contre une rémunération, l’intermédiation en opérations de banque et en services de paiement. Il fait ainsi le lien entre un professionnel de la banque et l’un de ses futurs clients.
4. Parmi les IOBSP, notre droit distingue quatre catégories. Il en va ainsi, tout d’abord, avec les courtiers en opérations de banque et en services de paiement (COBSP), qui exercent en vertu d’un mandat émanant d’un client. Relèvent, notamment, de cette catégorie les courtiers en crédit. Ensuite, il convient de citer les mandataires des établissements de crédit ou de paiement, dont le statut varie en fonction de l’exclusivité de leur mandat. Le mandataire exclusif, comme son nom l’indique, est obligé de travailler de façon exclusive avec le mandant concerné (MEOBSP). A contrario, le mandataire non exclusif peut se voir délivrer plusieurs mandats d’établissements différents (MOBSP). Enfin, constituent une dernière catégorie les mandataires d’intermédiaires qui exercent, quant à eux, en vertu d’un ou plusieurs mandats émanant des professionnels des trois autres catégories précitées (MIOBSP). Ces intermédiaires font aujourd’hui l’objet d’un cadre législatif précis, figurant aux articles L. 519-1 et suivants du Code monétaire et financier.
5. Mais c’est encore un autre protagoniste qui retiendra notre attention ici : l’indicateur. La référence à ce dernier peut surprendre alors qu’il ne s’agit pas d’une catégorie de professionnels expressément envisagée par le droit. Les dispositions juridiques y faisant référence demeurent ainsi exceptionnelles8. De même, il est rare qu’il soit visé par la jurisprudence9.
I – Présentation de l’indicateur
6. Qui sont ces indicateurs ? D’une façon générale, il s’agit de personnes communiquant simplement une information utile au demandeur de crédits, ou au prêteur, afin de leur permettre de se rencontrer et, éventuellement, de conclure une convention de crédit.
7. Le cas de ces indicateurs est quelque peu précisé par l’article R. 519-2 du Code monétaire et financier. Deux cas sont envisagés au 2° de cet article. Reprenons-les successivement.
8. En premier lieu, sont des indicateurs : « les personnes dont le rôle se limite, contre rémunération ou à titre gratuit, à indiquer un établissement de crédit, une société de financement, un établissement de paiement, un établissement de monnaie électronique qui fournit des services de paiement, un intermédiaire en opérations de banque et en services de paiement, un intermédiaire en financement participatif, une entreprise d’assurance dans le cadre de ses activités de prêts ou une société de gestion dans le cadre de ses activités de gestion de FIA mentionnées à l’article L. 511-6 à des personnes intéressées à la conclusion d’une opération de banque ou d’un service de paiement, sans remise de documents autres que publicitaires se rapportant à l’opération de banque ou au service de paiement et mis à leur disposition » par l’un des professionnels précités.
9. Certains points sont ici à souligner. D’abord, il découle de cet article, faute de précisions contraires, que l’indicateur peut être une personne physique comme une personne morale. Ensuite, et l’on y reviendra plus loin10, l’intervention peut se faire à titre gratuit ou à titre onéreux. En outre, la prestation prend la forme d’une « indication » concernant une entité, le plus souvent un établissement de crédit, susceptible de fournir le crédit attendu. On ajoutera que cette information peut être accompagnée de documents publicitaires si deux conditions sont cumulativement réunies : d’une part, les documents publicitaires doivent bien se rapporter à l’opération de banque visée et, d’autre part, ils doivent avoir été mis à leur disposition par le professionnel concerné. Aucun autre document ne saurait, en revanche, être admis. Il en va logiquement ainsi de tout document conventionnel.
10. En second lieu, sont également des indicateurs : les personnes dont le rôle se limite à transmettre à l’un de ces mêmes professionnels « les coordonnées d’une personne intéressée à la conclusion d’une opération de banque ou de services de paiement ». Ainsi, dans cette hypothèse, l’intéressé ne transmet pas l’information utile au demandeur de crédit, mais au professionnel à même de proposer un concours. L’indication portera, ici, sur les coordonnées de la personne intéressée par l’opération de crédit.
II – Qualité distincte des IOBSP
11. Mais peut-on dire que l’indicateur est un intermédiaire en opérations de banque et en services de paiement (IOBSP)11 ? Une réponse négative s’impose. En effet, l’article R. 519-2 du Code monétaire et financier envisage un certain nombre d’hypothèses dans lesquelles les intéressés ne peuvent pas être qualifiés d’IOBSP au sens de l’article L. 519-1 et ne sont pas soumis, en conséquence, aux obligations légales pesant sur ces intermédiaires. Or, cet article vise justement les indicateurs12 ; ce ne sont donc pas des IOBSP13.
12. En conséquence, les indicateurs ne sauraient se voir opposer la limite de l’article L. 519-6 du Code monétaire et financier, qui interdit à tout IOBSP apportant son concours à l’obtention ou à l’octroi d’un prêt d’argent, « de percevoir une somme représentative de provision, de commissions, de frais de recherche, de démarches, de constitution de dossier ou d’entremise quelconque, avant le versement effectif des fonds prêtés ». Les indicateurs ont donc droit à percevoir une rémunération dès l’indication donnée.
13. À ce sujet, l’article R. 519-5, II, du même code précise que l’encadrement légal et règlementaire de la rémunération des IOBSP « ne fait pas obstacle au versement d’une commission d’apport aux indicateurs mentionnés au 2° de l’article R. 519-2 ». Ce passage suscite l’interrogation. Il laisse penser que la rémunération en question (ici une commission d’apport d’affaires) n’est versée que si le contrat est finalement signé.
III – Responsabilité civile de l’indicateur
14. L’indicateur peut-il voir sa responsabilité civile retenue dans l’exercice de son activité ? D’abord, l’intéressé n’étant pas l’établissement prêteur, il ne saurait se voir imposer un quelconque devoir de mise en garde. Pour mémoire, ce dernier constitue le devoir, pour le professionnel dispensateur de crédits, d’alerter son client sur les éventuels risques d’endettement excessif de l’opération de crédit envisagée, lorsque l’intéressé n’est pas suffisamment connaisseur en la matière, c’est-à-dire s’il apparaît comme non averti14.
15. Ensuite, il est également acquis que, l’indicateur n’étant pas un courtier en crédit15, il n’est pas tenu, comme ce dernier, d’une obligation de conseil. On rappellera que cette dernière découle de plusieurs alinéas de l’article R. 519-28 et de l’article R. 519-29 du Code monétaire et financier16. Concrètement, cette obligation se divise en plusieurs phases s’imposant au courtier ou à son mandataire : à titre préalable, analyser un nombre suffisant de contrats offerts ; puis analyser objectivement le marché du crédit ; détecter les besoins du client ; recommander ou proposer un contrat adapté aux besoins précités ; proposer au client les services, opérations ou contrats les plus appropriés ; préciser au client les raisons qui motivent les propositions en question ; indiquer au client comment ont été prises en compte les informations recueillies auprès de lui. Bien évidemment, l’indicateur ne saurait se voir imposer une obligation analogue, son intervention se limitant à la transmission d’une information, voire la remise d’un document publicitaire.
16. Par ailleurs, une faute pourrait-elle être caractérisée dans le fait de transmettre l’une des indications prévues par l’article R. 519-2 du Code monétaire et financier ? Dans la mesure où il ne s’agit que d’information générale (indiquer le nom d’un établissement prêteur ou les coordonnées d’une personne intéressée à la conclusion d’une opération de crédit), nous peinons à l’imaginer. En outre, quand bien même une telle faute serait relevée, il faudrait qu’elle occasionne un préjudice à une personne pour que cette dernière puisse faire engager la responsabilité civile de l’indicateur fautif.
17. Finalement, seule une hypothèse pourrait être imaginée, selon nous, en présence de circonstances bien définies : il s’agit du délit d’usure. Pour mémoire, l’usure est le profit qui est retiré d’un prêt au-dessus d’un taux particulier, dit taux d’usure (ou seuil de l’usure), et qui n’est pas jugé admissible par une disposition légale. La notion du prêt usuraire est définie par l’article L. 314-6, alinéa 1er, du Code de la consommation17.
18. Or, aux termes de l’article L. 341-50 du Code de la consommation : « Le fait de consentir à autrui un prêt usuraire ou d’apporter à quelque titre et de quelque manière que ce soit, directement ou indirectement, son concours à l’obtention ou à l’octroi d’un prêt usuraire ou d’un prêt qui deviendrait usuraire au sens de l’article L. 314-6 du fait de son concours est puni d’un emprisonnement de deux ans et d’une amende de 300 000 euros »18.
19. Ainsi, est notamment constitutif de l’infraction le fait d’apporter « de quelque manière que ce soit » son concours à l’obtention ou à l’octroi d’un prêt usuraire. Un indicateur mettant en relation un emprunteur et un prêteur (comptant accorder un prêt usuraire) paraît a priori susceptible d’être poursuivi, de façon autonome, sur ce fondement.
20. Il convient, cependant, de tempérer ce risque. Le délit étudié est intentionnel. Il est donc nécessaire que le prévenu ait eu la conscience et la volonté de commettre l’élément matériel de l’infraction. Surtout, dans le cas qui nous occupe, il conviendrait de démontrer que l’indicateur savait que le prêt en question serait usuraire. Ainsi, les personnes de bonne foi ne peuvent qu’échapper à la répression.
21. On précisera qu’il est particulièrement rare, aujourd’hui, que l’infraction en question soit retenue contre des prêteurs19. Il est vrai que les établissements de crédit, comme les sociétés de financement, ne risquent plus, désormais, d’accorder un prêt usuraire : leurs ordinateurs sont automatiquement bridés par les taux d’usure trimestriellement calculés par la Banque de France.
Notes de bas de pages
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1.
Aux termes du 1° de cet article, constitue un consommateur « toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole ».
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2.
C. mon. fin., art. L. 511-1, I. L’article renvoie à la définition prévue au « point 1 du paragraphe 1 de l’article 4 du règlement (UE) n° 575/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ». Or, ce dernier vise, notamment, le fait de « recevoir du public des dépôts ou d’autres fonds remboursables et octroyer des crédits pour son propre compte ».
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3.
C. mon. fin., art. L. 511-1, II. Il s’agit, pour mémoire, des personnes morales, autres que des établissements de crédit, qui effectuent à titre de profession habituelle et pour leur propre compte des opérations de crédit dans les conditions et limites définies par leur agrément. Relèvent de cette hypothèse : Cetelem, Cofidis, Sofinco, etc.
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4.
J. Lasserre Capdeville et a., Droit bancaire, 4e éd., 2024, Dalloz, Précis, nos 1687 et s.
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5.
La jurisprudence considère que le seul fait de constater que le prévenu a consenti plusieurs prêts successifs à une même société ne permet pas de retenir le caractère habituel de cet acte : au moins deux bénéficiaires différents sont attendus, Cass. crim., 2 mai 1994, n° 93-83.512 : Bull. crim., n° 158 ; JCP E 1995, I 463, n° 5, obs. C. Gavalda et J. Stoufflet – Cass. com., 3 déc. 2002, n° 00-16.957 : Bull. civ. IV, n° 182 ; D. 2003, p. 202, obs. A. Lienhard ; RTD com. 2003, p. 344, obs. D. Legeais ; JCP E 2003, 953, note B. Dondero ; RD bancaire et fin. 2003, comm. 58, obs. F.-J. Crédot et Y. Gérard ; Banque et droit 2003, n° 83, p. 55, obs. T. Bonneau – Cass. crim., 17 oct. 2007, n° 07-81.038 – Cass. com., 30 juin 2015, n° 14-14.443 – CA Agen, 14 déc. 2020, n° 18/01044 : Banque et droit 2021, n° 196, p. 70, obs. J. Lasserre Capdeville.
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6.
C. mon. fin., art. L. 571-3. L’auteur des faits encourt les peines de trois ans d’emprisonnement et de 375 000 € d’amende : J. Lasserre Capdeville, Rép. pén. Dalloz, vo Banque, 2018, nos 53 et s.
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7.
V. par ex., Cass. crim., 14 déc. 2016, n° 16-80.059 : Banque et droit 2017, n° 171, p. 66, obs. J. Lasserre Capdeville ; GPL 13 juin 2017, n° GPL297f6, obs. J. Morel-Maroger ; LEDB févr. 2017, n° DBA110h6, obs. N. Mathey – Cass. crim., 22 févr. 2017, n° 15-85.799 – Cass. crim., 11 juill. 2017, n° 15-86.556 – Cass. crim., 18 juill. 2017, n° 16-83.346 : Banque et droit 2017, n° 175, p. 70, obs. J. Lasserre Capdeville. Pour un cas de recel du produit de ce délit, Cass. crim., 20 mars 2019, n° 17-84.264 : Banque et droit 2019, n° 185, p. 72, obs. J. Lasserre Capdeville.
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8.
C. mon. fin., art. R. 519-2 – C. mon. fin, art. R. 519-5.
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9.
V. néanmoins, CA Paris, 17 nov. 2021, n° 18/21523.
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10.
V. § 12 et 13.
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11.
Sur cette notion, v. § 3 et 4.
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12.
JCl. Droit bancaire et financier, fasc. 135, nos 35 et 36, vo Intermédiaires en opérations de banque et en services de paiement. – Présentation et condition d’accès, 2025, J. Lasserre Capdeville.
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13.
D’ailleurs, dans la mesure où l’instauration du régime des IOBSP répond au besoin de créer un statut protecteur pour les clients, un auteur (E. Bouretz, Intermédiaire en opérations de banque et en services de paiement, en financement participatif. Agent lié. Quelle réglementation pour quel contrôle ?, 2018, Revue Banque, Droit, nos 213 et 214) considère que cette notion d’indicateur doit être interprétée restrictivement.
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14.
J. Lasserre Capdeville et a., Droit bancaire, 4e éd., 2024, Dalloz, Précis, nos 2075 et s.
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15.
Le courtier en crédit relève de l’une des catégories d’intermédiaire en opérations de banque et en services de paiement (IOBSP) : c’est un COBSP. Il est chargé de négocier, pour un emprunteur, les meilleures conditions de financement auprès des banques.
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16.
JCl. Droit bancaire et financier, fasc. 136, nos 73 et s., vo Intermédiaires en opérations de banque et en services de paiement. – Exercice de l’activité, 2025, J. Lasserre Capdeville.
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17.
Aux termes de ce dernier : « Constitue un prêt usuraire tout prêt conventionnel consenti à un taux effectif global qui excède, au moment où il est consenti, de plus du tiers, le taux effectif moyen pratiqué au cours du trimestre précédent par les établissements de crédit et les sociétés de financement pour des opérations de même nature comportant des risques analogues, telles que définies par l’autorité administrative (…) ».
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18.
Ce montant était de 45 000 € antérieurement à la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014.
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19.
Pour les dernières condamnations connues, CA Aix-en-Provence, 23 mars 2011, n° 2011/101 – Cass. crim., 3 mai 2012, n° 11-84.438 : LEDB nov. 2012, p. 8.
Référence : AJU017f5
