Vers un renforcement du droit tendant à l’inclusion bancaire ?

Publié le 26/06/2023
Vers un renforcement du droit tendant à l’inclusion bancaire ?
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Depuis plusieurs années, les établissements de crédit se voient obligés de mettre en œuvre diverses règles favorables aux clients, afin de privilégier l’inclusion bancaire et ainsi réduire au maximum les risques de désocialisation liés à l’exclusion bancaire. Or une proposition de loi cherchant à renforcer l’état du droit en la matière vient d’être adoptée par le Sénat. Cette contribution revient sur les évolutions envisagées par ce texte, tant concernant le droit au compte qu’à l’égard du droit régissant la clientèle économiquement fragile. Si certaines mesures sont particulières à chacune de ces hypothèses, d’autres leur sont communes.

1. Le droit bancaire s’est enrichi, depuis quelques années, d’une nouvelle notion : « l’inclusion bancaire ». Cette notion n’est pas aisée à définir. Elle se caractérise, avant tout, par ses objectifs. D’abord, elle tend à permettre à tous l’accès à des services bancaires indispensables, si possible à moindre coût. Ensuite, elle cherche à prévenir ou à traiter les premiers signes de fragilité financière. Enfin, elle a pour ambition de faciliter le financement de projets pour des personnes exclues du crédit bancaire « classique ».

2. Ainsi, l’inclusion bancaire est constituée de l’ensemble des règles ayant pour but d’éviter qu’un individu ne se retrouve exclu des services bancaires minimums : ouverture d’un compte, utilisation d’une carte de paiement et, sous certaines conditions1, bénéfice de microcrédits.

3. Ce souci de favoriser l’inclusion bancaire est important. Il apparaît, en effet, qu’une personne « débancarisée » est une personne qui risque de se retrouver, à très court terme, désocialisée. Il est ainsi « nécessaire » aujourd’hui, pour toute personne, de pouvoir effectuer les opérations bancaires les plus élémentaires, et notamment réaliser des paiements à l’aide d’un instrument dédié. Il convient de rappeler, sur ce point, que le droit de payer en espèces (pièces et billets) demeure limité par différents seuils peu élevés2.

4. Certaines des obligations participant à cette inclusion sont anciennes (tel le droit au compte et aux services bancaires de base3), mais d’autres sont beaucoup plus récentes. Citons, notamment, le cas de la reconnaissance de la catégorie des « clients fragiles », c’est-à-dire les clients de banque commençant à connaître des difficultés financières (et répondant à ce titre à certains critères objectifs et subjectifs4). Les établissements bancaires sont ainsi tenus de les détecter au sein de leurs portefeuilles de clients et de leur octroyer certains droits supplémentaires5. À l’heure actuelle, plus de 4 millions de personnes relèvent de cette catégorie6.

5. Les pouvoirs publics sont aujourd’hui très attachés à cette idée d’inclusion bancaire. Les articles L. 312-1-1 A et L. 312-1-1 B du Code monétaire et financier, créés par la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires7, en témoignent. Le premier prévoit ainsi que l’Association française des établissements de crédit et des entreprises d’investissement (AFECEI) doit adopter une charte relative, justement, à l’inclusion et à la prévention du surendettement. Ce texte, adopté en 20148 et modifié en 20209, prévoit un certain nombre de mesures tendant à renforcer l’accès aux services bancaires et services de paiement et à en faciliter l’usage, mais aussi des règles intéressant la prévention du surendettement ou la formation des personnels. Le contrôle du respect de cette charte est assuré par le superviseur des banques, c’est-à-dire l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR)10. Le contenu de ce document ne saurait donc être négligé.

6. L’article L. 312-1-1 B, pour sa part, dispose qu’un Observatoire de l’inclusion bancaire (OIB) doit être créé auprès de la Banque de France afin de collecter des informations sur l’accès aux services bancaires des personnes physiques n’agissant pas pour des besoins professionnels, sur l’usage que ces personnes font de ces services bancaires et sur les initiatives des établissements de crédit en la matière. Cet Observatoire est également chargé de définir, de produire et d’analyser des indicateurs relatifs à l’inclusion bancaire visant notamment à évaluer l’évolution des pratiques des établissements de crédit dans ce domaine. Cet OIB a été mis en place en 201411. Son rapport annuel est riche en enseignements12.

7. On ne sera donc pas surpris de constater la volonté de certains parlementaires de renforcer encore un peu plus le droit applicable en la matière. Nous en avons aujourd’hui une nouvelle illustration avec la proposition de loi visant à renforcer l’accessibilité et l’inclusion bancaires13 adoptée par le Sénat en première lecture le 3 mai 2023, et désormais soumise à l’Assemblée nationale.

8. Observons les mesures envisagées par ce texte, à la suite des suppressions et modifications apportées par les sénateurs14. Deux situations peuvent être distinguées. En effet, certaines mesures ne concernent que le droit au compte ou que le droit régissant la clientèle fragile, alors que d’autres sont prévues de la même façon pour ces deux situations. Dit autrement, des mesures particulières (I) et des mesures communes (II) peuvent être relevées dans cette proposition de loi15.

I – Les mesures particulières au droit au compte ou au droit régissant la clientèle fragile

9. Observons, successivement, les dispositions s’adressant spécifiquement au droit au compte (A) et celles intéressant uniquement le droit encadrant la clientèle économiquement fragile (B).

A – Les mesures relatives au seul droit au compte

10. Pour protéger les personnes se trouvant dans une situation bancaire délicate, et dès lors risquant l’exclusion bancaire, la loi « bancaire » du 24 janvier 198416 a posé le principe d’un droit au compte. L’article L. 312-1 du Code monétaire et financier prévoit ainsi l’intervention de la Banque de France afin de désigner un établissement de crédit qui sera dans l’obligation d’ouvrir un compte à la personne qui en est dépourvue et qui en a fait la demande.

11. Cet encadrement a été notablement renforcé au fil du temps. Par exemple, depuis une loi du 29 juillet 199817, un certain nombre de « services bancaires de base » (SBB), définis par l’article D. 312-5-1 du Code monétaire et financier, doivent également être fournis au bénéficiaire du droit au compte. Ces services sont, pour l’article D. 312-6, fournis « sans contrepartie contributive » de la part du bénéficiaire. Le superviseur des banques, l’ACPR, veille d’ailleurs au respect de cette exigence18.

12. Or, et alors même que ce droit relatif au compte a été nettement amélioré en 202219, la proposition de loi étudiée envisage encore des modifications en la matière. Il convient de citer l’article 8 de la proposition, qui a été ajouté par voie d’amendement. Il prévoit deux évolutions notables.

13. En premier lieu, l’article envisage de remplacer dans le quatrième alinéa de l’article L. 312-1, III, du Code monétaire et financier les mots « de l’ensemble des pièces qui lui sont nécessaires à cet effet » par les mots « des pièces requises mentionnées au premier alinéa du présent III ».

14. Cette évolution est de bon sens. D’abord, elle permet de faire le lien entre les différents alinéas du III de l’article. De plus, et surtout, elle confère au pouvoir réglementaire le soin de décider quelles sont les pièces utiles ici. En effet, le premier alinéa du III vise les « pièces requises par arrêté ». Il ne serait donc plus possible pour une banque voulant retarder l’ouverture du compte, alors qu’elle a été désignée par la Banque de France, de demander au « client imposé » la production d’un grand nombre de pièces et justificatifs.

15. En second lieu, le même article 8 de la proposition indique qu’après la même deuxième phrase de l’alinéa 4 du III de l’article L. 312-1 sont insérées trois phrases ainsi rédigées : « Le défaut de transmission des pièces complémentaires requises par l’établissement de crédit dans le cadre des obligations mentionnées à la section 3 du chapitre Ier du titre IV du livre V du présent code ne saurait faire obstacle à l’ouverture du compte. Dans ce cas, conformément au II de l’article L. 561-8, l’ouverture de ce compte ne peut être considérée comme constitutive de l’établissement d’une relation d’affaires avant la réalisation de la première opération sur le compte. Les pièces mentionnées sont transmises à l’établissement de crédit au plus tard avant la réalisation de cette première opération ».

16. Selon nous, une erreur de plume s’est glissée ici. Il s’agit, en réalité, de la section 3 du chapitre Ier du titre VI (et non pas IV20) du livre V du présent code, c’est-à-dire les dispositions relatives à la lutte contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme (LCB-FT). Cette section vise, plus particulièrement, les obligations de vigilance à l’égard de la clientèle. Il en découle alors que si le client ne fournit pas toutes les pièces utiles pour la LCB-FT, mais qu’il transmet celles qui sont exigées pour l’ouverture du compte, cette dernière doit nécessairement avoir lieu.

17. La banque peut-elle alors mettre un terme à la convention de compte ? Une réponse négative s’impose ici. Certes, l’article L. 561-8, I, du Code monétaire et financier déclare qu’aucune relation d’affaires ne peut se poursuivre si le banquier ne peut pas satisfaire à ses obligations en matière de vigilance. Or, le passage ajouté nous précise que la simple ouverture du compte n’est pas constitutive, en elle-même, de l’établissement d’une relation d’affaires tant qu’aucune opération n’a été effectuée sur le compte en question. Dit autrement, à défaut d’opération passée, le compte doit être maintenu.

B – Les mesures relatives au seul droit régissant la clientèle fragile

18. Depuis la loi n° 2013-672 du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaire21, une nouvelle catégorie juridique de clients de banque a fait son apparition : il s’agit des clients en situation de fragilité financière, dits plus classiquement « clients fragiles ». Or ces derniers, du fait de leur situation délicate, se sont vus reconnaître le bénéfice de droits spécifiques22. Ces droits tendent d’ailleurs à se développer.

19. Depuis le décret n° 2014-738 du 30 juin 201423, l’article R. 312-4-3 du Code monétaire et financier24 mentionne différents critères pour déterminer les « clients fragiles » en question. En premier lieu, des critères objectifs ont été prévus. Il en va ainsi, d’abord, avec les personnes au nom desquelles un chèque impayé ou une déclaration de retrait de carte bancaire est inscrit pendant trois mois consécutifs au fichier de la Banque de France centralisant les incidents de paiement de chèques25. Il convient de citer, ensuite, les personnes dont la demande tendant au traitement de leur situation de surendettement a été déclarée recevable en application de l’article L. 722-1 du Code de la consommation, ainsi que celles qui bénéficient de mesures de traitement de leur situation du surendettement. Dit autrement, les personnes dont le surendettement est relevé sont aussi, automatiquement, des clients dits « fragiles ». En second lieu, le I de l’article R. 312-4-3 prévoit la possibilité, pour le professionnel de la banque, de recourir à des critères subjectifs pour qualifier un client de personne en situation de fragilité financière. Selon cette disposition, la situation de fragilité du client titulaire d’un compte est appréciée par l’établissement teneur de compte à partir « de l’existence d’irrégularités de fonctionnement du compte ou d’incidents de paiement ainsi que de leur caractère répété constaté pendant trois mois consécutifs » et du « montant des ressources portées au crédit du compte »26. On compte, aujourd’hui, plus de 4 millions de clients fragiles27, et ce chiffre est en constante augmentation d’une année à l’autre28.

20. Une fois détectés par les services centraux des établissements de crédit, les clients fragiles bénéficient de droits supplémentaires, et notamment d’une offre « réservée » de produits et de services tendant à éviter que leur situation financière ne se détériore davantage le temps que leur cas soit traité par la banque. Or cette offre, qui prend des noms différents selon les établissements de crédit, ne doit pas dépasser les 3 € par mois29.

21. De même, d’autres avantages, plus directement liés à des frais et commissions, sont reconnus aux clients fragiles économiquement. Il en va ainsi, en premier lieu, avec les commissions d’intervention30. Pour mémoire, celles-ci ont pour objet de rémunérer la banque pour le service consistant à analyser la situation financière individuelle du client afin d’apprécier l’opportunité d’autoriser un paiement demandé par ce dernier malgré l’absence de provision. Il est alors prévu que les clients fragiles ayant accepté l’offre réservée bénéficient en la matière de seuils inférieurs à ceux prévus pour les « personnes physiques n’agissant pas pour des besoins professionnels » : 4 € par intervention et 20 € par mois31 (contre 8 et 80 €).

22. Par ailleurs, le 4 septembre 2018, la Fédération bancaire française (FBF) a publié sur son site internet un « bon usage professionnel »32 par l’intermédiaire duquel les professionnels de la banque se sont engagés à mettre en place, au bénéfice des seuls clients fragiles titulaires de l’offre spécifique, un plafond « global » pour différents frais liés aux incidents de paiement et aux irrégularités de fonctionnement du compte33. Des seuils de 20 € par mois et 200 € par an ont été ainsi prévus. Par la suite, le 11 décembre 2018, les banques ont renforcé leurs engagements au bénéfice des clients fragiles ayant, cette fois-ci, refusé l’« offre réservée ». À l’égard de ces derniers, un seuil de 25 € mensuel concernant les frais liés aux incidents de paiement a été instauré. Ces plafonds ont fini par être intégrés, par un arrêté du 16 septembre 202034, à la charte d’inclusion bancaire et de prévention du surendettement observée précédemment35.

23. Or la proposition de loi qui nous intéresse prévoit, à son tour, des évolutions en la matière. Observons ainsi son article 5. Deux modifications notables y sont prévues.

24. En premier lieu, une phrase est ajoutée à l’alinéa 2 de l’article L. 312-1-3 du Code monétaire et financier visant l’offre réservée : « La souscription de l’offre spécifique ne peut seule faire obstacle à l’ouverture ou au maintien d’une autorisation de découvert ».

25. Cet ajout est particulièrement important. Beaucoup de banques considèrent en effet, en se fondant sur la charte d’inclusion bancaire et de prévention du surendettement36, que l’acceptation de l’offre réservée rend impossible l’octroi de nouveaux crédits et/ou le maintien des découverts autorisés antérieurs. Les établissements imposent ainsi, traditionnellement, la clôture de ces découverts. Cette situation expliquerait ainsi le faible succès de l’offre spécifique en pratique : 688 354 détenteurs de l’offre37 pour 4,1 millions de clients fragiles, soit moins de 17 %. Dès lors, un tel ajout à l’article L. 312-1-3 dudit code pourrait encourager les banques à permettre à leurs clients fragiles ayant accepté l’offre de conserver un découvert autorisé. Cela devrait « redynamiser » cette offre réservée et ainsi faciliter le traitement, par le banquier, de la situation de fragilité. Cette évolution emporte notre adhésion.

26. On notera que, dans sa version initiale, l’article en question prévoyait l’instauration automatique dans l’offre d’« une autorisation de découvert bancaire sans frais proportionnée à leurs revenus ». Cette proposition pouvait paraître particulièrement excessive : elle aurait contribué à reconnaître un droit au crédit (de surcroît à titre gratuit), alors que celui-ci n’est absolument pas admis à l’heure actuelle38. De plus, une telle proportionnalité aux revenus aurait été difficile à mettre en œuvre, les banques n’ayant pas nécessairement connaissance de l’ensemble des revenus de leurs clients (surtout s’ils sont multibancarisés). Cette solution aurait pu, enfin, se révéler dangereuse, car de nature à aggraver l’endettement des clients, par une accumulation de découverts, et donc à renforcer le risque de surendettement. Les sénateurs n’en ont logiquement pas voulu. L’autorisation de découvert est donc laissée à l’appréciation de la banque et reste productive d’intérêts.

27. En second lieu, il est prévu de remplacer le dernier alinéa de l’article L. 312-1-3, qui se contente d’indiquer que « les conditions d’application du présent article sont fixées par décret en Conseil d’État », par deux nouveaux alinéas. Selon le premier, « les critères pris en compte par les établissements de crédit pour caractériser une situation de fragilité au sens du deuxième alinéa sont transmis, chaque année, à l’Observatoire mentionné à l’article L. 312-1-1-B ». Il est ainsi attendu des banques qu’elles communiquent annuellement à l’Observatoire de l’inclusion bancaire des informations sur les critères subjectifs pris en compte. Celles qui usent de critères trop larges seront alors probablement « rappelées à l’ordre » par l’OIB. Cette transparence ne peut être que positive selon nous.

28. Le second alinéa prévu déclare, pour sa part, qu’« un décret en Conseil d’État détermine les conditions d’application du présent article et établit une liste exhaustive des critères susceptibles d’être retenus par les établissements de crédit pour caractériser une situation de fragilité au sens du deuxième alinéa ». Cette évolution envisagée est également à souligner. Elle est de nature à clarifier et encadrer les solutions applicables en la matière. Un décret dégagera ainsi les critères susceptibles d’être employés par les banques pour détecter les clients fragiles sans que celles-ci puissent en créer d’autres. L’uniformisation des pratiques est ici clairement recherchée par le législateur.

II – Les mesures communes au droit au compte et au droit régissant la clientèle fragile

29. La proposition de loi étudiée envisage des évolutions, identiques à ces deux cas de figure, concernant le montant des commissions d’intervention (A), mais aussi des autres frais « communs » (B).

A – Les évolutions intéressant le montant des commissions d’intervention

30. Cela a été dit précédemment39, les commissions d’intervention ont pour objet de rémunérer la banque pour le service consistant à analyser la situation financière individuelle du client afin d’apprécier l’opportunité d’autoriser un paiement demandé par ce dernier malgré l’absence de provision40. Concrètement, un conseiller bancaire évaluera si, au regard de la situation du solde et du montant ou de la nature du paiement, l’opération peut être exécutée alors qu’elle se situe en dehors du cadre de la convention unissant la banque à son client. Le paiement de la commission sera alors dû quelle que soit la décision du conseiller.

31. Il résulte du premier alinéa de l’article L. 312-1-3 du Code monétaire et financier que, concernant les personnes physiques n’agissant pas pour des besoins professionnels, celles qui souscrivent l’offre réservée aux clients fragiles et celles qui bénéficient du droit au compte assorti des services bancaires de base se voient appliquer des plafonds spécifiques, c’est-à-dire plus bas (4 € par intervention et 20 € par mois41) que ceux reconnus aux autres clients personnes physiques agissant dans une finalité autre que professionnelle (8 € par intervention et 80 € par mois42).

32. Or une protection supplémentaire est envisagée par l’article 4 de la proposition de loi étudiée. Le premier alinéa de l’article L. 312-1-3 du Code monétaire et financier est complété par une phrase rédigée de la façon suivante : « Ces plafonds spécifiques sont réduits de moitié lorsque la moyenne semestrielle des sommes portées chaque mois au crédit du compte est inférieure à un montant fixé par arrêté du ministre chargé de l’économie ». Ainsi, les bénéficiaires des services bancaires de base (SBB) ou les clients fragiles ayant accepté l’offre réservée effectuant peu de dépôts sur leur compte bancaire disposeront de seuils encore plus bas.

33. La mise en œuvre de cette proposition de « sous-plafonds » pour les commissions d’intervention nous paraît néanmoins, en l’état, délicate. D’abord, elle ne peut être employée qu’après avoir déterminé la moyenne semestrielle. Dès lors, que faire des frais supplémentaires éventuellement payés par le client au cours de ces six mois ? Par ailleurs, comment la banque s’assurera-t-elle, par la suite, que cette moyenne ne vient pas dépasser le montant fixé par l’arrêté ? Cette vérification sera-t-elle faite mensuellement ou tous les semestres ? Les difficultés et incertitudes pourraient être nombreuses ici. D’ailleurs, effectuer peu de dépôt auprès d’un établissement de crédit ne veut pas dire que le client concerné a peu de revenus. L’intéressé peut être, simplement, multibancarisé.

34. On notera ici que, à l’origine, l’article 4 de la proposition de loi prévoyait la modulation de la tarification des commissions d’intervention de façon proportionnelle aux revenus des intéressés. Les sénateurs ont, à juste titre selon nous, considéré que cette proportionnalité aurait été trop complexe à mettre en œuvre. Elle aurait notamment supposé la connaissance par la banque de l’ensemble des revenus de la personne. La mise en place de « sous-plafonds » au bénéfice des clients dont la situation financière est la plus délicate, basée sur le flux créditeur mensuel (qui lui est connu des banques) est donc une mesure de compromis.

B – Les évolutions concernant le montant des frais « communs »

35. L’article 6 de la proposition de loi prévoit d’ajouter un troisième alinéa à l’article L. 312-1-3 du Code monétaire et financier. Le contenu suivant est envisagé : « Sans préjudice du premier alinéa du présent article et des articles L. 131-73 et L. 133-26, ainsi que de l’article L. 262 du Livre des procédures fiscales, pour les personnes qui bénéficient du compte assorti des services bancaires de base ouvert en application de la procédure mentionnée au III de l’article L. 312-1 du présent code et celles qui souscrivent l’offre mentionnée au deuxième alinéa du présent article, les tarifs applicables aux frais et aux services bancaires faisant l’objet de la dénomination commune mentionnée au V de l’article L. 3147 sont plafonnés par opération dans des conditions fixées par décret ».

36. Voilà, ici également, une évolution notable. Cet alinéa a pour but de renforcer l’encadrement de la tarification bancaire profitant aux bénéficiaires des SBB et aux clients fragiles ayant accepté de souscrire l’offre de produits et services réservés.

37. Mais quels sont les tarifs concernés ? Sur ce point, on regrettera le manque de précisions de la disposition. En effet, l’alinéa ajouté vise simplement « les tarifs applicables aux frais et aux services bancaires faisant l’objet de la dénomination commune mentionnée au V de l’article L. 314-7 » qui lui-même renvoie à un décret. Ce dernier a été adopté en mars 201443 ; il est à l’origine de l’article D. 312-1-1 du Code monétaire et financier.

38. Or cette ultime disposition, et plus particulièrement son I (qui envisage les dénominations communes), est particulièrement large. Par exemple, son seul A répertorie les 12 services les plus représentatifs attachés à un compte de paiement (et donc les plus couramment facturés) : l’abonnement à des services de banque à distance ; l’abonnement à des produits offrant des alertes sur la situation du compte par SMS ; la tenue de compte ; la fourniture d’une carte de débit (plusieurs cas de figure) ; le retrait d’espèces ; la cotisation à une offre d’assurance perte ou vol de moyens de paiement ; le virement ; le prélèvement (plusieurs cas de figure) ; et enfin la commission d’intervention. Les B et C de ce même I, qui visent pour leur part les « autres services bancaires » et les « frais bancaires et cotisations », sont tout aussi longs.

39. Une limitation devrait néanmoins être apportée par voie réglementaire. La modification envisagée vise, en effet, des plafonds « par opération dans des conditions fixées par décret ». Il est vrai que cette limitation des frais doit prendre en compte celle existant déjà pour les SBB (qui sont gratuits44), pour l’offre réservée (limitée à 3 € par mois45) ainsi que le plafond « global » pour différents frais liés aux incidents de paiement et aux irrégularités de fonctionnement du compte profitant aux clients fragiles ayant souscrit l’offre particulière46.

40. Finalement, ce sont principalement les frais de gestion (voire les frais d’incidents pour les bénéficiaires de SBB puisqu’ils ne bénéficient pas des plafonds dégagés en 2018 pour les clients fragiles) qui devraient être affectés par cette évolution. On comprend alors quel est l’objectif du législateur ici : éviter un report de l’absence de frais liés aux SBB ou une tarification limitée pour l’offre réservée aux clients fragiles sur d’éventuels frais de gestion. Il aurait néanmoins été heureux de le dire expressément. Le droit y aurait gagné, selon nous, en clarté.

41. On notera qu’à l’origine la proposition de loi souhaitait, en plus, limiter les frais en question au « tiers des facturations appliquées par l’établissement de crédit », et prévoir des plafonds « par mois et par opération en fonction du revenu des personnes ». Or, pour les sénateurs, une telle limitation à un tiers des facturations paraissait porter une atteinte disproportionnée à la liberté contractuelle des établissements de crédit et semblait redondante avec les plafonds par mois et par opération proposés par ailleurs. Le plafonnement par mois était, lui aussi, jugé excessif dans la mesure où les frais bancaires mentionnés ici auraient inclus les frais de gestion. Cette dernière critique nous paraît moins convaincante.

42. Pour conclure cette étude, on peut dire que la proposition de loi étudiée, même modifiée par le Sénat, envisage des évolutions notables de nature à renforcer l’inclusion bancaire dans notre pays. L’admission, par son article 547, d’un découvert autorisé pour le client fragile ayant accepté l’offre réservée est, notamment, une solution particulièrement importante. Elle pourrait avoir des répercussions positives sur le nombre de clients acceptant l’offre réservée.

43. Toutes les dispositions ne sont cependant pas parfaites et des débats seront utiles devant le Parlement pour clarifier certaines règles ou fixer quelques limites. Tel devrait être le cas, en particulier, pour la solution posée par l’article 6 concernant le plafonnement des « tarifs applicables aux frais et aux services bancaires faisant l’objet de la dénomination commune »48.

44. Mais une ultime question se pose ici : cette proposition de loi sera-t-elle un jour adoptée ? Ça ne serait pas le premier texte, protecteur des intérêts des clients de banque, à rester « sans lendemain ». On peut, par exemple, citer une proposition de loi portant lutte contre l’exclusion financière et plafonnement des frais bancaires du 21 décembre 202149 dont tous les articles ont finalement été rejetés par la Commission des finances le 25 janvier 2022.

45. Néanmoins, en cette période de tensions sociales et d’inflation affectant notablement le pouvoir d’achat des Français, une amélioration des règles protégeant les clients de banque les plus faibles économiquement n’est pas impossible. L’inclusion a peut-être ici l’occasion de se renforcer, et les établissements de crédit de voir leur image progresser auprès du plus grand nombre en se soumettant encore un peu à leur fonction sociale50.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Il est important de souligner que le droit au crédit n’existe pas : J. Lasserre Capdeville, « Vers la reconnaissance d’un droit au crédit ? », RD bancaire et fin. 2019, dossier 9, p. 99.
  • 2.
    J. Lasserre Capdeville et a., Droit bancaire, 3e éd., 2021, Dalloz, Précis, nos 1021 et s. ; J. Lasserre Capdeville, « Vers un rétrécissement du droit de payer en espèces ? », Banque et droit 2008, n° 118, p. 6.
  • 3.
    V. infra, § 10 et s.
  • 4.
    V. infra, § 19.
  • 5.
    V. infra, § 20 et s.
  • 6.
    V. infra, § 19.
  • 7.
    L. n° 2013-672, 26 juill. 2013, de séparation et de régulation des activités bancaires : JO, 27 juill. 2013.
  • 8.
    A., 5 nov. 2014, portant homologation de la charte d’inclusion bancaire et de prévention du surendettement : JO, 13 nov. 2014.
  • 9.
    A., 16 sept. 2020, portant homologation de la charte d’inclusion bancaire et de prévention du surendettement : JO, 20 sept. 2020 ; JCP G 2020, n° 40, 1077, obs. J. Lasserre Capdeville.
  • 10.
    C. mon. fin., art. L. 312-1-1-A, al. 1. En cas de manquement, l’ACPR pourra prononcer une mise en demeure afin que l’établissement se mette en conformité avec la charte (C. mon. fin., art. L. 612-31). En outre, si cette mise en demeure vient à ne pas être respectée, une procédure devant la commission des sanctions du superviseur sera possible. (C. mon. fin., art. L. 612-39, al. 1).
  • 11.
    D. n° 2014-737, 30 juin 2014, relatif à l’Observatoire de l’inclusion bancaire : JO, 1er juill. 2014 – V. récemment, D. n° 2020-1565, 10 déc. 2020, relatif au fonctionnement de l’Observatoire de l’inclusion bancaire et de son conseil scientifique : JO, 12 déc. 2020.
  • 12.
    Pour le dernier en date, IOB, Rapport de l’Observatoire de l’inclusion bancaire 2021, Banque de France, 22 juin 2022.
  • 13.
    Sénat, prop. L., visant à renforcer l’accessibilité et l’inclusion bancaires, doc. 35, session ordinaire (2022-2023), 11 oct. 2022.
  • 14.
    Ceux-ci ont ainsi supprimé les articles 1, 2 et 7 de la proposition initiale. Celle-ci prévoyait ainsi de confier une nouvelle mission de couverture territoriale en distributeur automatique de billets à La Poste (art. 1) financée par un fonds alimenté par les banques (et notamment par une contribution versée par chaque établissement à l’origine d’une fermeture d’un DAB) chargé de garantir leur accès en moins de quinze minutes (art. 2). Ce dispositif a cependant été jugé inéquitable par les sénateurs et contre-productif. L’article 7, quant à lui, prévoyait une obligation pour l’ACPR de prononcer une sanction pécuniaire en présence de certains manquements. Or le superviseur doit rester souverain en la matière. Une autorité indépendante ne saurait renoncer, de la sorte, à son libre pouvoir de décision.
  • 15.
    On notera encore que l’article 3 de la proposition modifie l’article L. 312-1-1 A, alinéa 3, du Code monétaire et financier, visant la charte d’inclusion bancaire et de prévention du surendettement. Il est d’abord prévu d’y ajouter une référence aux associations de consommateurs agréées et aux associations et fondations à but non-lucratif assurant les actions de formation et de sensibilisation proposées aux clients fragiles. Ensuite, par un autre ajout à l’article, il est prévu que les banques devront à l’avenir fournir des informations sur le droit au compte, la procédure de traitement du surendettement, le microcrédit, l’exercice du droit d’accès aux fichiers gérés par la Banque de France et les moyens de la contacter.
  • 16.
    L. n° 84-46, 24 janv. 1984, relative à l’activité et au contrôle des établissements de crédit : JO, 25 janv. 1984, p. 380.
  • 17.
    L. n° 98-657, 29 juill. 1998, d’orientation relative à la lutte contre les exclusions : JO, 31 juill. 1998 ; J. Stoufflet, « Un élargissement du droit aux services bancaires », RD bancaire et fin. 1998, p. 153.
  • 18.
    ACP, 3 juill. 2013, n° 2012-09, Le Crédit Lyonnais : LEDB sept. 2013, n° 118, p. 7, obs. J. Lasserre Capdeville – ACPR, 11 avr. 2014, n° 2013-04, Société générale : Banque 2014, n° 773, p. 106, obs. J.-P. Kovar et J. Lasserre Capdeville ; LEDB juin 2014, n° 70, p. 1, obs. J.-P. Kovar – ACPR, 19 mai 2016, n° 2013-04, Société générale : Banque 2016, n° 798, p. 90, obs. J.-P. Kovar et J. Lasserre Capdeville.
  • 19.
    D. n° 2022-347, 11 mars 2022, relatif à la procédure du droit au compte : JO, 13 mars 2022 ; J. Lasserre Capdeville, « Nouvelles modifications réglementaires du droit au compte », JCP E 2022, n° 12, 261, p. 9.
  • 20.
    L’erreur figurait déjà dans l’amendement présenté par le groupe Écologiste, solidarité et territoires.
  • 21.
    L. n° 2013-672, 26 juill. 2013, de séparation et de régulation des activités bancaires : JO, 27 juill. 2013.
  • 22.
    J. Lasserre Capdeville, « Une nouvelle catégorie de clients : les personnes en situation de fragilité financière », Banque et droit 2014, n° 158, p. 13 ; C. Kleiner, « La protection des clients fragiles », RD bancaire et fin. 2019, dossier n° 4, p. 81.
  • 23.
    D. n° 2014-738, 30 juin 2014, relatif à l’offre spécifique de nature à limiter les frais en cas d’incident : JO, 1er juill. 2014.
  • 24.
    Cet article a été légèrement modifié par le décret n° 2020-889 du 20 juillet 2020 : JO, 22 juill. 2020 ; JCP G 2020, n° 36, 954, obs. J. Lasserre Capdeville.
  • 25.
    Pour mémoire, ce fichier (FCC) liste l’ensemble des personnes auxquelles une banque a retiré la faculté d’émettre des chèques ou d’utiliser une carte bancaire, c’est-à-dire les « interdits bancaires ». Les interdits bancaires de plus de trois mois sont donc automatiquement des clients « fragiles ».
  • 26.
    Le passage précité donne, aujourd’hui, une illustration précise : lorsque le nombre des irrégularités de fonctionnement du compte ou les incidents de paiement est « supérieur ou égal à cinq au cours d’un même mois ». Dans ce cas, en effet, le client doit être considéré comme étant en situation de fragilité financière « pour une durée minimale de trois mois ». Néanmoins, cette solution n’est pas automatique ; il faut encore que le montant des ressources porté au crédit du compte soit inférieur à un seuil déterminé par les établissements concernés.
  • 27.
    Plus précisément, au 31 décembre 2021, 4,1 millions de particuliers relevaient de la catégorie des clients fragiles : Observatoire de l’inclusion bancaire, rapp. annuel 2021, p. 7.
  • 28.
    + 8 % par rapport au 31 décembre 2020.
  • 29.
    C. mon. fin., art. R. 312-4-3, IV. On notera que si les textes n’ont pas été modifiés sur ce point, en septembre 2022, l’ensemble des professionnels de la banque se sont engagés à ramener ce tarif à 1 € pour l’année 2023. J. Lasserre Capdeville, « Frais bancaires : nouveaux engagements des professionnels de la banque », JCP E 2022, act. 762.
  • 30.
    V. infra, § 30.
  • 31.
    C. mon. fin., art. R. 312-4-2. Notons que ces seuils sont également applicables aux bénéficiaires du droit au compte assorti des services bancaires de base (SBB) visés par l’article L. 312-1 du Code monétaire et financier.
  • 32.
    J. Lasserre Capdeville, « Le renforcement des droits des “clients fragiles” », RD bancaire et fin. 2020, focus 44, p. 3.
  • 33.
    Le « bon usage professionnel » vise ainsi : les commissions d’intervention ; les frais de lettre d’information préalable pour chèque sans provision ; les frais de lettre d’information pour compte débiteur non autorisé ; le forfait de frais par chèque rejeté pour défaut de provision ; les frais de rejet de prélèvement pour défaut de provision ; les frais de non-exécution de virement permanent pour défaut de provision ; les frais suite à notification signalée par la Banque de France d’une interdiction d’émettre des chèques ; les frais pour déclaration à la Banque de France d’une interdiction d’émettre des chèques ; les frais de déclaration à la Banque de France d’une décision de retrait de carte bancaire ; les frais d’opposition (blocage) de la carte par la banque.
  • 34.
    A., 16 sept. 2020, n° ECOT2020516A : JO, 20 sept. 2020 ; JCP G 2020, n° 40, 1077, obs. J. Lasserre Capdeville.
  • 35.
    V. supra, § 5. Les établissements de crédit sont néanmoins libres d’opter pour des seuils inférieurs en fonction, notamment, de leur « politique d’inclusion bancaire ».
  • 36.
    V. supra, § 5.
  • 37.
    Observatoire de l’inclusion bancaire, rapp. annuel 2021, p. 7.
  • 38.
    J. Lasserre Capdeville, « Vers la reconnaissance d’un droit au crédit ? », RD bancaire et fin. 2019, dossier 9, p. 99.
  • 39.
    V. supra, § 21.
  • 40.
    L’article D. 312-1-1, 12°, du Code monétaire et financier définit, quant à lui, cette commission comme la « somme perçue par l’établissement pour l’intervention en raison d’une opération entraînant une irrégularité de fonctionnement du compte nécessitant un traitement particulier ».
  • 41.
    C. mon. fin., art. R. 312-4-2. V. supra, § 21.
  • 42.
    C. mon. fin., art. R. 312-4-1.
  • 43.
    D. n° 2014-373, 27 mars 2014, relatif à la dénomination commune des principaux frais et services bancaire : JO, 29 mars 2014. Ce texte a été par la suite modifié par le décret n° 2018-774 du 5 septembre 2018 modifiant l’article D. 312-1-1 du Code monétaire et financier (JO, 7 sept. 2018), ainsi que par le décret n° 2018-1175 du 18 décembre 2018 pris en application de l’article L262 du Livre des procédures fiscales relatif à la saisie administrative à tiers détenteur (JO, 20 déc. 2018).
  • 44.
    C. mon. fin., art. D. 312-6.
  • 45.
    C. mon. fin., art. R. 312-4-3, IV.
  • 46.
    V. supra, § 22.
  • 47.
    V. supra, § 24 et s.
  • 48.
    V. supra, § 35 et s.
  • 49.
    AN, prop. L., 21 déc. 2021, portant lutte contre l’exclusion financière et plafonnement des frais bancaires, doc. 4852.
  • 50.
    Sur ces dernières, v. « Les fonctions sociales du banquier », RD bancaire et fin. 2019, dossiers 1 à 11, contribution de F. Villeroy de Galhau, T. de Ravel d’Esclapon, C. Kleiner, J. Fournier, N. Théry, C. Houin-Bressand, K. Magnier-Merran, J. Lasserre Capdeville, M. Storck et T. Bonneau.
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