Zoom sur les difficultés liées aux « vieux » PEL
L’épargne réglementée occupe une place particulière dans l’épargne des Français. Avec un encours global de près de 834 milliards d’euros, elle constitue l’un des éléments principaux de la stratégie d’épargne de la quasi-totalité des ménages. Pour autant, tous les produits proposés n’échappent pas à la controverse. Ainsi, par un rapport rendu public le 5 septembre 2022, la Cour des comptes recommande de réfléchir à un moyen de diminuer la rémunération des PEL ouverts avant mars 2011, qui rapportent 3,15 % net en moyenne, taux fixe garanti à vie. Des pistes sont alors envisagées par la Cour ; observons-les.
1. Le plan épargne logement (PEL) est un compte d’épargne réglementé. Il sert à constituer une épargne (durant un délai de 15 ans au maximum) destinée à l’achat d’un bien immobilier ou au financement de travaux. L’épargne accumulée permet ainsi d’obtenir un prêt à des conditions avantageuses et, dans certains cas, une prime d’État. Les règles applicables varient suivant la date d’ouverture du plan.
2. Observons le droit actuel1. Il n’y a pas de condition pour ouvrir un PEL ; il est possible de le faire même si le client est mineur. En revanche, il est interdit de détenir plusieurs PEL en même temps. Pour ouvrir un PEL, il est simplement nécessaire de signer un contrat écrit avec l’établissement bancaire et de verser le montant minimum requis. Au minimum, le versement initial est de 225 € et le versement annuel de 540 €. Le montant maximum pouvant être versé sur le PEL est de 61 200 €. La durée minimale « de vie » de ce plan épargne logement est de quatre ans et il peut être alimenté pendant dix ans. Passé ce dernier délai, il n’est plus possible d’effectuer des versements, mais le PEL continue de produire des intérêts pendant cinq ans (d’où la durée globale de quinze ans). Le taux d’intérêt du PEL est de 1 % depuis le 1er août 2016. Ces intérêts sont capitalisables. Les intérêts ainsi perçus sont néanmoins soumis à l’impôt sur le revenu (12,8 %) et aux prélèvements sociaux (17,20 %). Les conditions du retrait et ses conséquences dépendent du moment où il est effectué. Par exemple, après quatre ans, tout retrait effectué sur un PEL entraîne la fermeture du plan. Dans un tel cas, le retrait n’entraîne pas de pénalités.
3. Notre attention sera cependant attirée ici sur les PEL les plus anciens, c’est-à-dire ceux qui ont été ouverts avant mars 2011. Ils présentent en effet des caractéristiques notables. D’une part, ils rapportent aujourd’hui, selon leur millésime, de 2,50 % à 7,50 % pour les plus anciens. Ce taux serait de 4,51 % en moyenne (soit 3,15 % net). D’autre part, et surtout, ces PEL continuent de produire des intérêts sans qu’une période maximum (dite « phase d’attente ») soit prévue (cinq ans à l’heure actuelle). Leurs titulaires peuvent donc les conserver tant qu’ils le souhaitent.
4. Ces particularités peuvent surprendre, alors que le PEL n’a pas vocation à être un pur produit d’épargne. En effet, rappelons que ce produit a d’abord été conçu pour accompagner les Français vers la propriété immobilière. Dit plus simplement, le PEL a pour but d’être débloqué : le capital accumulé est susceptible de se transformer en apport, tandis que son titulaire accède à un crédit immobilier à taux préférentiel.
5. Par conséquent, avec la baisse des taux que nous avons connue jusqu’en décembre 2021, ces vieux PEL « surrémunérés » sont devenus particulièrement attractifs, et ce d’autant plus que le prêt PEL a perdu tout intérêt par rapport aux taux du marché. Finalement, les personnes qui en détiennent un n’ont aucun avantage à le solder. En outre, tout retrait partiel étant interdit, ils sont encouragés à ne pas toucher à cette épargne.
6. Le 5 septembre dernier, la Cour des comptes à rendu public un rapport : « L’épargne réglementée (2016-2021). Observations définitives ». Celui-ci reprend alors un certain nombre de critiques à l’égard des PEL ouverts avant mars 2011 (I), tout en proposant différentes mesures de nature à mettre un terme aux difficultés observées (II).
I – Les critiques faites aux PEL antérieurs à mars 2011
7. Le succès des vieux PEL est incontestable. Selon la Banque de France, ils pèseraient aujourd’hui autour de 108 milliards d’euros.
8. Ils n’échappent pourtant pas à la critique. Le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, parle publiquement d’« anomalie » lorsqu’il les évoque. De même, en 2021, Olivier Garnier, le directeur général de la même Banque de France, déclare que ce vieux PEL, avec son « taux de 4,5 % quasiment garanti à vie, (…) pèse sur le financement de l’économie française et ne bénéficie qu’aux épargnants qui ont ouvert un PEL et ne s’en sont pas servis depuis »2.
9. Il est vrai qu’avec 4,51 % en moyenne, l’argent de ces PEL est une ressource très onéreuse pour les banques. Elle pèse alors sur leur capacité à accorder des prêts compétitifs. Ainsi, fin 2020, les établissements de crédit ont dû provisionner 1,3 milliard d’euros pour assurer sa rémunération.
10. Fort de ce constat, la Cour des comptes considère, dans son rapport du 5 septembre 2022, que ces anciens PEL, utilisés comme épargne à long terme, ne remplissent plus leur objectif d’intérêt général de financement du logement3.
11. Elle y observe que ces mêmes PEL ont également un coût pour l’État, dans la mesure où ils sont exonérés d’impôt sur le revenu jusqu’à leur treizième anniversaire. La Cour estime alors à 411 millions d’euros le coût pour les finances publiques en 2022 de ces vieux PEL, « sans que l’État ne retire aucun retour financier ni ne flèche la ressource vers des emplois d’intérêt général comme c’est le cas pour les livrets réglementés »4.
12. Dès lors, l’institution recommande de réfléchir à un dispositif de suppression des caractéristiques propre à ces produits. Plusieurs propositions sont faites en ce sens. Reprenons-les ici successivement.
II – Les solutions proposées pour « corriger » la situation dénoncée
13. Une première solution serait, pour les banques, de modifier de manière unilatérale les contrats en question sur le fondement de l’article 1195 du Code civil5 qui reconnaît, depuis la réforme du droit des contrats6, la théorie de l’imprévision7.
14. Selon nous, cette proposition serait bien délicate à mettre en œuvre. D’abord, l’article précité ne peut fonder des modifications qu’en présence de certaines conditions (changement de circonstances imprévisible, exécution du contrat devenue excessivement onéreuse pour une partie, échec de la renégociation avec le cocontractant, etc.) qui ne paraissent pas réunies ici. Ensuite, toute modification unilatérale des contrats concernés par le banquier, à défaut de disposition légale ou conventionnelle en constituant le fondement, serait à coup sûr jugée fautive. Du contentieux apparaîtrait en la matière. Cela serait donc préjudiciable à la banque, tant en termes de responsabilité que d’image.
15. On rappellera, sur ce point, qu’en 2020, La Banque Postale avait tenté de clôturer certains de ces PEL, au motif qu’ils n’étaient pas alimentés depuis un compte chèque postal. La réaction des épargnants concernés avait alors été immédiate. Saisie par certains d’entre eux, une association de consommateurs, l’UFC-Que Choisir, avait porté l’affaire devant la justice8, contraignant la banque à faire « machine arrière »9. Il est vrai qu’une clôture opérée en dehors des hypothèses prévues par la loi ou la convention est de nature à faire engager la responsabilité du banquier10.
16. Une autre piste consisterait alors à privilégier une intervention législative en la matière. La Cour des comptes encourage ainsi à une modification légale, au nom de l’intérêt général, pour modifier le « cadre juridique des contrats en cours », afin de donner aux établissements bancaires la possibilité de modifier les termes des PEL anciens, ou encore pour prévoir dans le Code de la construction et de l’habitation un taux spécifique de rémunération des PEL échus11.
17. Ici la proposition paraît réalisable. Certes, en principe, la loi nouvelle ne peut pas être appliquée à la constitution et à l’exécution de situations juridiques antérieures à son entrée en vigueur12. Cependant, en dehors de la matière répressive, ce principe de non-rétroactivité n’a qu’une valeur législative. Dès lors, il est admis qu’une loi peut, par exception, être expressément rétroactive dès lors que l’intention du législateur de déroger au principe de non-rétroactivité apparaît de manière non équivoque13. Une mention expresse dans la loi est traditionnellement requise.
18. Cette évolution serait-elle pour autant heureuse ? Nous ne le pensons pas, surtout dans le contexte économique actuel. La France, comme la plupart des États dans le monde, connaît, depuis un an, un niveau d’inflation important. Ainsi, entre juillet 2021 et juillet 2022, cette inflation est passée de 1,5 % à 6,8 % avant de légèrement ralentir en août (6,5 %). Dès lors, un tel « cadeau » fait aux banques par le législateur alors que le pouvoir d’achat des Français se réduit notablement serait nécessairement mal perçu par la population.
19. D’autres solutions encore sont identifiées par la Cour des comptes, comme par exemple une négociation entre les banques et leurs clients pour clôturer les PEL, moyennant une indemnité « calculée en fonction de la perte de l’avantage pour ces derniers »14. Cette proposition, qui échapperait aux critiques développées précédemment, a nos faveurs.
20. Qu’en pense la Fédération bancaire française ? Elle est pour l’heure prudente. Interrogée par des journalistes15, elle se déclare seulement « ouverte pour participer aux travaux que la Cour recommande aux pouvoirs publics (Direction générale du Trésor, Banque de France) afin de “mettre en place un dispositif permettant de réduire les avantages de taux dont bénéficient les PEL souscrits avant 2011” ».
21. Quid du pouvoir politique ? Y a-t-il en la matière une véritable volonté de l’exécutif de modifier les vieux PEL ? On peut en douter. Ainsi, le ministre de l’Économie, Bruno Le Maire, a simplement répondu, à la lecture du rapport de la Cour des comptes, qu’il avait « pris note » des recommandations de cette dernière, se contentant d’indiquer que le constat de la Cour sur les PEL « peut légitimement amener à s’interroger sur l’efficacité de l’allocation de cette épargne logement »16.
Notes de bas de pages
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1.
Le PEL est aujourd’hui régi est par les articles L. 315-1 à L. 315-6 du Code de la construction et de l’habitation, mais aussi les articles R. 315-25 à R. 315-33 du Code de la construction et de l’habitation.
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2.
V. Mignot, « Épargne logement : comment les banques espèrent casser le taux de votre vieux PEL », MoneyVox, 29 sept. 2022.
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3.
V. Mignot, « Plan Epargne Logement : les pistes de la Cour des comptes pour supprimer les privilèges des vieux PEL », MoneyVox, 6 sept. 2022 ; E. Lederer, « Les vieux PEL dans le collimateur de la Cour des comptes », Les Échos, 22 sept. 2022, p. 31 ; pour une autre critique, R. Gueugneau, « La Cour des comptes met en garde la Caisse des dépôts », Les Échos, 6 sept. 2022, p. 28.
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4.
C. comptes, rapp., L’épargne réglementée (2016-2021). Observations définitives, p. 67.
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5.
Aux termes de son premier alinéa : « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation ». De plus, pour l’alinéa suivant : « En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. À défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe ».
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6.
Ord. n° 2016-131, 10 févr. 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations : JO, 11 févr. 2016.
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7.
C. comptes, rapp., L’épargne réglementée (2016-2021). Observations définitives, p. 69.
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8.
« PEL Clôturés : La Banque Postale attaquée en justice par l’UFC-Que Choisir », MoneyVox, 31 mars 2021.
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9.
V. Mignot, « Affaire des PEL clôturés : La Banque Postale, sous pression, fait machine arrière », MoneyVox, 17 mars 2022.
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10.
V., par ex., Cass. com., 21 nov. 2000, n° 98-12741 : RD bancaire et fin. 2001, comm. 45, obs. F.-J. Crédot et Y. Gérard – CA Amiens, 9 mai 2017, n° 15/02984. Il en va différemment si la clôture est légitimée par le droit régissant la lutte contre le blanchiment d’argent, conformément aux stipulations des conditions générales du contrat : CA Bordeaux, 23 juin 2020, n° 18/02266. De même, il est acquis que la banque peut clôturer le PEL lorsque ce plan est arrivé à son terme ; les héritiers n’ont alors pas à être consultés : Cass. com., 19 janv. 2016, n° 14-12806 : LEDB mars 2016, n° 39, p. 2, obs. J. Lasserre Capdeville.
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11.
C. comptes, rapp., L’épargne réglementée (2016-2021). Observations définitives, p. 69. En retour, les banques s’engageraient à financier des chantiers prioritaires, comme la transition écologique et énergétique.
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12.
Selon l’article 2 du Code civil : « La loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif ».
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13.
Sur ce pouvoir du législateur, Cass. 1re civ., 22 févr. 2000, n° 97-22460 : Bull. civ. I, n° 53 – Cass. 1re civ., 20 juin 2000, n° 98-19319 : Bull. civ. I, n° 191. De même, pour le Conseil constitutionnel, la non-rétroactivité n’ayant pas en elle-même valeur constitutionnelle, le législateur peut en disposer : Cons. const., QPC, 18 déc. 1998, n° 98-404, cons. 5 – Cons. const., DC, 12 févr. 2015, n° 2015-710, cons. 6.
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14.
C. comptes, rapp., L’épargne réglementée (2016-2021). Observations définitives, p. 69.
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15.
V. Mignot, « Épargne logement : comment les banques espèrent casser le taux de votre vieux PEL », MoneyVox, 29 sept. 2022.
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16.
V. Mignot, « Plan Épargne Logement : les pistes de la Cour des comptes pour supprimer les privilèges des vieux PEL », MoneyVox, 6 sept. 2022.
Référence : AJU006k1