Cindy Grenet : « L’industrie spatiale concerne notre vie de tous les jours »

Publié le 03/12/2024

Elle ne connaissait rien à l’industrie spatiale et vient pourtant de lancer une plateforme basée à Paris, Procureezy, pour répondre aux besoins des entreprises du secteur. Une audace repérée par le jury du concours Créatrice d’avenir, qui a choisi Cindy Grenet pour être finaliste du prix Mixité du concours Créatrice d’avenir. Rencontre.

Actu-Juridique : Comment a commencé votre vie professionnelle ?

Cindy Grenet : J’ai un début de parcours assez classique. Diplômée d’école de commerce, j’ai fait un début de carrière aux États-Unis et travaillé pendant 15 ans dans la tech, plus spécifiquement dans l’advertising tech, des plateformes digitales dont le business model repose sur la publicité. J’ai commencé comme commerciale, puis j’ai gravi les échelons peu à peu, jusqu’à atteindre des postes de direction. Dans mon milieu professionnel, j’étais entourée de développeurs, de data scientists. Moi, je vendais de la tech mais sans bien en comprendre les enjeux techniques. En 2021, j’ai décidé de faire le Wagon, une école qui forme les personnes qui veulent se spécialiser dans le domaine de la tech, au coding et à la programmation informatique. Cette école, française, a des campus dans le monde entier et propose des formations intensives de deux ou trois mois. S’y retrouvent des professionnels de tous horizons, avocats, architectes, cuisiniers, en voie de reconversion. Cette diversité de profils fait la richesse de l’école. Personnellement, je ne la fréquentais pas tant pour me reconvertir que pour approfondir mes connaissances. J’avais quand même en tête que cela pourrait m’être utile si je voulais un jour fonder ma propre start-up. Parler le même langage que les équipes tech serait alors essentiel. En sortant du Wagon, j’ai quitté le monde de l’advertising. Il m’avait été utile pour me mettre le pied à l’étrier mais j’aspirais, pour le reste de ma vie professionnelle, à une mission plus grande et plus utile que celle de vendre de la publicité.

AJ : Qu’avez-vous fait alors ?

Cindy Grenet : J’ai rejoint une société qui faisait de l’IA dans le domaine des télécoms. Je devais aller chercher d’autres secteurs d’activité. J’ai découvert des secteurs que je ne connaissais pas : l’énergie, la mobilité électrique, les machines industrielles. C’était très riche. En 2021, le sujet de l’IA commençait à être connu mais n’était pas aussi important qu’aujourd’hui. J’avais senti que cela serait une tendance forte. Je voulais explorer ce monde. Grâce aux compétences acquises lors de ma formation au Wagon, je pouvais échanger avec les data scientists et les développeurs. En 2023 des licenciements économiques de masse ont eu lieu dans le domaine de la tech. J’en ai fait partie. Cela a été le point de départ d’une réflexion. J’ai été à la rencontre d’entrepreneurs, fait de l’introspection. J’ai compris qu’il était temps de me lancer comme entrepreneuse.

AJ : Comment se sont passés vos débuts dans l’entrepreneuriat ?

Cindy Grenet : J’ai eu un premier projet d’entreprise qui proposait un service de vide-dressing dans les entreprises. L’idée était que les salariés d’une entreprise se revendent leurs vêtements entre eux, plutôt que d’aller sur Vinted. Ce projet a échoué car je ne me suis pas entendue avec mon associée. C’est classique : plus de 50 % des start-up échouent du fait de mauvaise entente ou d’incompatibilité entre fondateurs. J’ai ensuite suivi un programme de matching de cofondateurs, dont le but est de rencontrer le bon co-fondateur. J’avais besoin d’un associé avec un profil technique de développeur. Et puis, l’entrepreneuriat est pour moi une aventure humaine, je ne me voyais pas la vivre seule. J’avais comme atout une expérience de plus de 15 ans dans le numérique, un gros réseau dans la french tech. J’ai trouvé un partenaire belge, qui avait monté une boîte à New York et avait la culture très entrepreneuriale des Américains. Nous avions envie de réunir nos forces. Le programme de matching proposait plusieurs coachs et nous avons choisi un coach du Centre national d’études spatiales (CNES). Nous voulions dépoussiérer une industrie et nous sommes très vite intéressés au sujet de la logistique et des problèmes d’approvisionnement qui avait été mis en lumière pendant le Covid-19. Il nous a invités à explorer l’industrie spatiale qu’il connaissait bien.

AJ : Et ensuite ?

Cindy Grenet : Ce coach nous a ouvert son réseau. Nous avons commencé à discuter avec plus d’une cinquantaine d’entrepreneurs dans le new space. Nous imaginions l’industrie spatiale d’il y a 20 ans, structurée par des grosses entreprises historiques comme Airbus et Thalès. Nous avons découvert qu’il y a, dans le domaine spatial, un écosystème de start-up peu connues. Elles sont nées de l’hégémonie de Space X, qui a permis de faire baisser les coûts du spatial par 1 000. Un ingénieur peut aujourd’hui lancer une boîte dans le spatial en sortant d’école. Il y a deux décennies, il fallait être milliardaire, comme Jeff Bezos ou Elon Musk, pour y prétendre. En mettant au point des lanceurs en grande partie réutilisable, ils ont fait baisser les coûts de 80 % ! De jeunes entrepreneurs peuvent désormais se lancer sur ce marché.

AJ : Comment travaillent les entrepreneurs du spatial ?

Cindy Grenet : Ils ont besoin d’aller chercher des composants et des fournisseurs. Avant, ces derniers étaient faciles à identifier car les acteurs étaient peu nombreux. Désormais, c’est plus dur. Des centaines et milliers d’acteurs arrivent chaque mois. Nous avons mis en place une plateforme qui répertorie ces fournisseurs, intégrant une plateforme d’achat collaborative basée sur l’intelligence artificielle, qui leur permet de lancer leur projet plus rapidement. Nous avons décidé de nous concentrer sur la chaîne de valeur européenne pour participer, à notre petite échelle, à un retour de l’Europe dans la course spatiale. Notre continent, qui a été pionnier dans ce domaine, notamment la France qui est une grande nation du spatial, lutte désormais pour rester dans le jeu… Tous les satellites sont lancés depuis les États-Unis, il n’y a pas de souveraineté. La course pour retrouver une souveraineté européenne côté lanceur est un défi auquel nous voulons participer.

AJ : C’est étonnant qu’un domaine de pointe comme l’industrie spatiale ne fonctionne pas avec les outils modernes…

Cindy Grenet : En effet, c’est une industrie très pionnière technologiquement mais qui, dans sa manière de faire des affaires, fonctionne à l’ancienne. Les fournisseurs ne mettaient pas la fiche de leur produit en ligne, il fallait les appeler pour récolter les informations. Les échanges entre fournisseurs et acheteurs se faisaient dans des salons, puis des rencontres avaient lieu jusqu’à la signature d’un contrat. Les jeunes ingénieurs sortis d’école s’étonnaient qu’il n’existe pas un « Amazon du spatial ». Nous avons apporté la digitalisation à une industrie vieillissante. Il est désormais possible d’acheter et de faire des essais sans discuter pendant des mois. Tout est sur notre plateforme, nous mettons les fiches produit à jour. Cela accélère les process.

AJ : Comment avez-vous fait votre place dans ce monde ?

Cindy Grenet : Nous n’avions pas de background particulier. Nous avons deux advisors de la société, dont l’un était le chef new space du Centre national d’études spatiales. Nous avons découvert ce milieu en discutant avec des ingénieurs, qui nous ont fait part de leurs problématiques et notamment de leurs difficultés à identifier les fournisseurs. Ces derniers évoluent. Nous avons pensé qu’une plateforme répertoriant toute la chaîne de valeur européenne serait une aide précieuse. Nous misons sur l’intelligence artificielle qui permet de trouver le composant qui correspond au cahier des charges technique du fournisseur. Nous avons développé la plateforme l’été dernier. Elle a été utilisée dès septembre. Nous avons déjà répertorié une vingtaine de fournisseurs qui nous ont rejoints et mettent leurs composants sur notre plateforme. L’objectif est d’en avoir 150 d’ici la fin de l’année.

AJ : Comment identifiez-vous les fournisseurs ?

Cindy Grenet : Nous les identifions en étant très présents dans les salons et dans les colloques, extrêmement nombreux dans cette industrie. Au bout de deux mois, j’étais déjà intervenante aux assises du Newspace, une grande conférence qui se tient à Paris. Cela nous a donné de la visibilité en France mais aussi auprès des acteurs européens. Nous sommes très actifs sur les réseaux sociaux. Nous sommes en relation avec le CNES qui répertorie les fournisseurs français. J’aime ce travail de réseau, ces rencontres qui en amènent d’autres. Cela a toujours été mon point fort.

AJ : Quelle est la place des femmes dans l’industrie spatiale ?

Cindy Grenet : Elle est très faible, 20 % à peine. Quand je suis rentrée dans la tech il y a 15 ans, c’était un monde essentiellement masculin, mais il a évolué. En arrivant dans l’industrie spatiale, j’ai retrouvé l’ambiance de la tech il y a dix ans : que des hommes dans les conférences, les rares femmes qui s’y retrouvent se sourient en signe de connivence immédiate tant elles sont en minorité. Une association, Space Women Alliance, se monte pour promouvoir la place des femmes dans le spatial. Je vais m’y impliquer fortement. Je suis mère d’une fille et d’un garçon que je veux inspirer en leur montrant que chacun peut travailler dans n’importe quelle industrie. Cette industrie a un impact très fort sur notre vie à tous. Nous avons tous du spatial dans notre vie de tous les jours, même si nous ne nous en rendons pas compte. Dès qu’on active le GPS de notre téléphone, on est en contact avec un satellite dans l’espace. Que seuls des hommes interviennent lors des tables rondes n’est pas représentatif de notre société. C’est une bonne chose qu’il y ait une catégorie mixité des métiers dans des concours d’entrepreneurs. Je suis fière de représenter l’industrie spatiale à l’occasion du concours Créatrices d’avenir.

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