Droit : les nombreuses forces et quelques faiblesses de la place parisienne
Le droit peut-il être facteur d’attractivité pour une métropole ? Sans aucun doute selon l’association Paris Ile-de-France Capitale Économique, qui vient de publier un ouvrage sur le sujet aux éditions Larcier. Dirigé par l’ancienne ministre Noëlle Lenoir, ce livre réunit les avis et les analyses des meilleurs spécialistes. Vingt propositions y sont aussi publiées pour renforcer la place parisienne face à ses concurrentes internationales. Car si « Paris/Île-de-France est sans conteste l’une des grandes places de droit dans le monde avec New York et Londres », affirme Noëlle Lenoir, « Il n’est pas de position acquise : la place doit sans cesse être confortée », précise Chloë Voisin-Bormuth, directrice générale de Paris Ile-de-France Capitale Économique.
Actu-Juridique : Pourquoi le cadre juridique d’une métropole est-il si important pour son attractivité ?
Chloë Voisin-Bormuth : Comprendre le lien entre droit et attractivité des métropoles nécessite une triple approche. La première relève de l’analyse économique classique qui envisage le droit comme un secteur économique dont le poids est à analyser en termes d’impact économique tant direct qu’indirect. À l’échelle de la France, une étude réalisée par Bruno Deffains pour Paris Place de Droit, en partenariat avec l’Association française des juristes d’entreprise et le Cercle Montesquieu, estime à plus de 360 000 les emplois directs de la profession et son poids économique à 44,3 milliards d’euros, soit 1,8 % du PIB français. Comme la pratique du droit est essentiellement urbaine, on peut tout à fait adopter une lecture par « place » et ainsi comparer les métropoles à l’échelle internationale sous l’angle du dynamisme de leur secteur du droit. Cette approche est d’autant plus intéressante que l’on connaît l’importance de la qualité et de l’efficacité de l’activité juridique pour les autres secteurs économiques : leur compétitivité dépend de la disponibilité et de l’accessibilité d’un nombre important de professionnels du droit, de leur excellence, de leur diversité et de leur spécialisation. Il s’agit là de la deuxième approche du lien entre droit et attractivité des métropoles, à une approche par service rendu. La dernière s’attache quant à elle au droit lui-même : dans une économie mondialisée qui leur laisse un large choix quant à leur lieu d’implantation ou quant à la loi applicable aux contrats internationaux, les entreprises sont particulièrement attentives aux cadres juridique et normatif qui leur sont offerts, à leur caractère favorable, mais aussi à leur stabilité, à leur prévisibilité et à leur efficacité. De ce fait, les différents systèmes de droit sont mis en concurrence à l’échelle internationale et sont évalués à l’aune de leur capacité à répondre aux enjeux et aux attentes des acteurs économiques. Dans une étude que nous faisons chaque année avec Choose Paris Region et OpinionWay, le Global Cities Investment Monitor, nous sondons chaque année des chefs d’entreprise pour comprendre ce qui motive leur installation dans une ville plutôt qu’une autre : la sécurité juridique est toujours placée parmi les critères principaux.
Actu-Juridique : Comment se situe Paris dans la compétition juridique internationale ?
Noëlle Lenoir : Paris/Île-de-France est sans conteste l’une des grandes places de droit dans le monde avec New York et Londres, bien sûr, et maintenant également Singapour, Dubaï, Amsterdam, Bruxelles et Francfort. Elle l’est d’abord par la qualité des avocats qui y exercent et le haut niveau de formation des magistrats et des professions juridiques comme les notaires. Ensuite, le droit français reste une référence, et ce, même s’il n’a plus l’influence qu’avait le droit napoléonien lorsqu’il a promu la codification, une formule malgré tout encore très prisée dans nombre d’États. À cet égard, le rapport du Conseil d’État publié en 2001 sur « l’influence internationale du droit français » me paraît toujours très pertinent. Il reste qu’il serait absurde d’opposer le droit français, voire le droit continental, à la Common Law. Il y a, à présent, une interpénétration qui est source d’enrichissement mutuel. En outre, le droit français, notamment dans la sphère économique, est largement déterminé par le droit de l’Union, tandis que l’influence de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur le droit pénal et la procédure pénale a été, et reste décisive. Souligner le rôle de Paris/Île-de-France comme l’une des places juridiques phares ne signifie pas élever des barrières pour empêcher toute interaction avec les systèmes de droit étranger.
Chloë Voisin-Bormuth : Dans une étude réalisée pour Paris Ile-de-France Capitale Économique, Bruno Deffains et Hugues Bouthinon-Dumas ont établi le tout premier classement des places juridiques à l’échelle internationale. Il en ressort que si Paris n’est classée première sur aucun des critères retenus, elle fait néanmoins toujours partie du peloton de tête quand d’autres places se sont spécialisées. Ce profil équilibré lui permet de se placer en deuxième place du classement consolidé juste après Washington D.C. et avant Bruxelles, Londres et New York. Ce classement, s’il est le reflet de l’excellence du secteur et peut susciter à juste titre la fierté, ne doit pas oblitérer le fait que dans un secteur aussi concurrentiel, il n’est pas de position acquise : la place doit sans cesse être confortée.
Actu-Juridique : Quels sont les principaux avantages de la place juridique parisienne ?
Noëlle Lenoir : J’admets que l’anglais étant devenu la lingua franca, nous avons perdu l’avantage sur Londres et New York. Mais les avocats d’affaires à Paris parlent tous anglais, c’est un prérequis. Les magistrats le parlent de plus en plus, surtout dans les jeunes générations. Cela dit, nous avons d’autres avantages : d’abord, d’être au cœur de l’Union européenne et d’être un pays fondateur familiarisé de longue date avec le droit de l’Union qui régule le marché sous tous ses aspects, tant économiques que de RSE. Nous sommes également une des places d’arbitrage les plus en vue avec depuis 1923 la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre de commerce internationale, dont le siège est à Paris. Or Paris est une place d’arbitrage dont la spécificité est d’être vraiment internationale : y sont accueillis des arbitres de toutes nationalités et de toutes cultures juridiques. C’est un formidable atout à l’heure de la mondialisation. Enfin, pour ne finir que sur un exemple parmi d’autres, notre droit anticorruption et les institutions qui le font respecter, comme l’Agence française anticorruption et le Parquet national financier, sont considérés comme des modèles.
Chloë Voisin-Bormuth : Je compléterais le propos de Noëlle en soulignant qu’une des grandes forces de Paris est sa qualité de hub : un hub qui concentre naturellement les professionnels du droit, les cabinets internationaux, les institutions juridiques du pays et celles ayant une dimension internationale, un héritage fort de la centralisation française ; mais Paris tire aussi sa force d’être un hub de transports qui en facilite l’accessibilité. Il s’agit d’une porte ouverte sur le monde et au monde, qui fait de Paris une place qui peut servir par exemple de base arrière aux cabinets internationaux pour déployer leurs activités au-delà du territoire de Paris. Paris est enfin un hub qui concentre l’ensemble du spectre des pouvoirs : les pouvoirs juridique, économique, politique, institutionnel, diplomatique et culturel. La place juridique parisienne se trouve ainsi au cœur de flux de différentes natures qui la nourrissent et la font rayonner.
Actu-Juridique : A contrario, quelles sont les principales pistes d’amélioration que vous avez ciblées ?
Noëlle Lenoir : La première piste d’amélioration concerne l’arbitrage. Nous sommes inquiets du développement d’une certaine jurisprudence qui restreint en fait la liberté des parties de s’en remettre à l’arbitrage, en ouvrant la possibilité de remettre en cause en justice des sentences arbitrales. Ce n’est pas conforme à la philosophie même de l’arbitrage. La seconde piste a trait à la protection à accorder aux avis juridiques des juristes d’entreprises qui devraient rester confidentiels, au même titre que le sont les consultations des avocats. Cette proposition doit aboutir. Certains avocats craignent une concurrence que l’on n’observe pourtant pas dans les autres pays européens (sans parler des États-Unis) qui tous reconnaissent le « privilège légal » des avis des juristes d’entreprises. Ce serait un moyen d’élever le statut et le prestige du droit dans l’entreprise et donc en France. Face à la judiciarisation de la vie des affaires, il nous semble qu’il faudrait par ailleurs élargir le champ de la Convention judiciaire d’intérêt public à d’autres infractions que la corruption ou les atteintes à l’environnement, car elle est un grand succès et une procédure très respectée à l’étranger. Enfin, un consensus paraît se dégager pour que les associations qui sont actives au contentieux pour moraliser la vie des affaires soient transparentes au niveau financier et extra-financier. Il s’agit d’éviter les mésaventures que vient de connaître le Parlement européen avec le scandale du Qatargate, avec tout le dommage réputationnel qui en résulte pour les institutions de l’Union.
Actu-Juridique : En la matière, Londres reste la référence ? Même après le Brexit ?
Noëlle Lenoir : La place juridique de Londres reste une grande place de droit. Historiquement, elle s’est constituée comme le support obligé de Londres comme place financière internationale. Les opérateurs financiers avaient besoin d’expertise juridique pour sécuriser leurs investissements et la vie des affaires de manière générale. Le Brexit a altéré le positionnement de Londres comme une des places juridiques mondiales, mais elle demeure néanmoins importante. Les cabinets d’avocats britanniques sont très internationaux, ils ont des bureaux aux quatre coins du monde et ils s’adapteront. Les juges britanniques ont une longue tradition d’excellence. Toutefois, il est vrai que Londres a perdu de son attractivité comme place financière et donc de droit après le Brexit.
Actu-Juridique : Peut-on réellement envisager que Paris supplante Londres un jour ?
Chloë Voisin-Bormuth : Notre tout premier classement des places juridiques place déjà Paris avant Londres ! Fait intéressant, il permet également de penser au-delà des logiques de concurrences pour réfléchir aux complémentarités possibles entre places. Si je me place cette fois du point de vue plus global de l’attractivité économique, notre classement des villes mondiales place encore Londres avant Paris. Paris supplante toutefois Londres sur les critères d’investissement ayant trait au droit (sécurité juridique et plus encore les services fondamentaux dont les services juridiques). C’est un signe très encourageant car il témoigne de la confiance accordée par les acteurs économiques internationaux au système de droit français.
Noëlle Lenoir : Chaque place de droit a ses particularités. Ce que je vois et qui est important pour notre attractivité juridique, est le fait que Paris/Île-de-France accueille l’Autorité bancaire européenne (ABE) et l’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF). La toute nouvelle juridiction européenne « unifiée » des brevets au niveau de la première instance a deux sièges, dont l’un à Paris et l’autre à Munich (où siège l’Organisation européenne des brevets). Cela pourrait être davantage valorisé, d’autant que nos banques françaises comptent parmi les plus grandes banques mondiales. Or l’on sait combien les problèmes juridiques nés des transactions financières et du commerce qu’elles génèrent sont multiples. Enfin, Paris offre un dispositif unique de résolution des litiges commerciaux internationaux du fait de la création de chambres internationales au tribunal de commerce et à la cour d’appel de Paris. Les parties peuvent s’exprimer, non seulement en français, mais aussi en anglais, italien et allemand, suivant des procédures adaptées. Le droit applicable peut être français ou étranger selon les stipulations du contrat et, à défaut, il peut même être choisi par les parties à l’ouverture de l’instance. C’est à mes yeux, l’une des réalisations judiciaires les plus inventives et emblématiques de ces dernières années en ce qu’elles traduisent la volonté de nos juridictions de s’adapter à un contexte économique de plus en plus internationalisé et complexe.
Référence : AJU007t1