Communication de pièces – secret des affaires
T. com. Paris, 1er juin 2016, no 2015013720
Le GIE les Indépendants, constitué en 1992, regroupe 130 radios locales et régionales pour permettre d’offrir aux annonceurs une audience cumulée comparable à celle des grandes radios nationales. Depuis 2009, la régie publicitaire de TF1 commercialise en exclusivité la publicité nationale de tous les membres du GIE. Fréquence Bretagne Sud (FSB), adhérente du GIE depuis 1996, en a été exclue à la fin de 2011 puis réadmise le 1er novembre 2015.
Estimant que son exclusion avait été fautive et lui avait causé préjudice en la privant, entre 2012 et octobre 2015, des recettes publicitaires qu’elle aurait dû obtenir de TF1 Publicité, FSB a assigné le GIE réclamant 631 000 € de dommages-intérêts. En cours d’instruction, FSB demande au tribunal d’ordonner la communication des redditions de compte de différentes radios membres du groupement en 2012, 2013, 2014 et 2015.
Le tribunal, avant dire droit, déboute FSB de ses demandes de communication aux motifs suivants :
« Attendu que FSB demande au tribunal d’ordonner, sous astreinte, au GIE de produire les chiffres d’affaires obtenus de la régie de publicité de TF1 par 6 de ses membres sur la période 2012 à 2015 ;
Que l’article 11 du Code de procédure civile prévoit que « si une partie détient un élément de preuve, le juge peut lui enjoindre de le produire » ; que l’article 146-2 du Code de procédure civile dispose qu’« une mesure d’instruction ne peut être ordonnée sur un fait que si la partie qui l’allègue ne dispose pas d’éléments suffisants pour le prouver. En aucun cas une mesure d’instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l’administration de la preuve ».
Attendu que FSB soutient qu’elle aurait besoin pour évaluer le préjudice qu’elle aurait subi du fait de son exclusion du GIE, selon elle fautive, de connaître les recettes de publicité qu’ont pu obtenir les adhérents du groupement pendant la période de son exclusion ; que cependant elle connaît d’une part les recettes qu’elle a perçues avant son exclusion et d’autre part celles depuis sa réintégration ainsi que l’évolution relative de son audience de 2011 à 2016 ; qu’elle est donc à même d’extrapoler son préjudice qui correspond à la perte de chance de réaliser des recettes grâce au contrat cadre du GIE avec TF1 ;
Attendu surtout que le GIE fait valoir qu’il est tenu de respecter la confidentialité sur des informations qui concernent ses adhérents ;
Attendu que l’article 10 du règlement intérieur stipule la confidentialité des échanges entre le GIE et ses adhérents et quant à tout ce qui a trait au Groupement et à son fonctionnement ; que FSB soutient que cet article n’imposerait cette obligation de confidentialité qu’aux adhérents mais pas au GIE lui-même ; que cependant il serait pour le moins paradoxal que le GIE impose une obligation à ses membres qu’il ne respecte pas lui-même ; qu’au surplus certaines des informations demandées sont directement couvertes par le secret des affaires ; qu’en effet, le GIE regroupe des radios qui sont en concurrence ; qu’une partie des recettes des adhérents va dépendre des tarifs de chaque radio, du nombre de messages qu’elle diffuse, des pénalités que peut lui imposer TF1, de l’évolution de son audience…
Attendu qu’un certain nombre des radios dont FSB demande à connaître les recettes publicitaires sont ses concurrentes directes et qu’aucune d’entre elles n’est dans la présente instance ; que le GIE produit une attestation du président de Resonance qui indique : « les redditions de compte, que TF1 Publicité lui adresse mensuellement, contiennent des informations confidentielles qui ne concernent strictement que Resonance » ; qu’ainsi au moins un des membre du GIE s’oppose à ce que des informations le concernant soient communiquées à FSB ;
Attendu que les informations dont il est demandé communication au GIE sont relatives à ses adhérentes et que le GIE les a reçues pour leur compte ; que le chiffre d’affaire publicité perçu par un membre du GIE ne concerne que lui et n’est pas communiqué par le GIE à ses autres adhérents ; qu’au surplus, pour la période demandée, FSB n’était plus membre du GIE et n’a donc a fortiori pas à connaître des informations concernant ceux qui étaient membres pendant cette période ; que la confiance entre les membres d’un GIE et celui-ci est un élément central du bon fonctionnement d’un groupement de concurrents ; que la communication par celui-ci à un tiers, ce qu’est FSB vis-à-vis du GIE pendant la période 2012 à octobre 2015, entacherait à l’évidence cette confiance ;
Attendu qu’il résulte des éléments ci-dessus que les pièces dont il est demandé communication par FSB sont, non seulement couvertes par le secret des affaires, mais de surcroît concernent des tiers à la présente affaire qui sont les concurrentes de FSB ; qu’il existe donc un empêchement légitime à ordonner cette communication ».
En conséquence, le tribunal rejettera la demande de communication forcée de pièces de FSB.