Convention en vue d’obtention de crédit d’impôt – violation de la loi du 31 décembre 1971 – nullité pour cause illicite
T. com. Paris, 9 mars 2016, no 2013038199
La société Groupe Altax a conclu avec la société DTrois, en 2010 et en 2012, deux contrats en application desquels Altax devait étudier la possibilité pour DTrois de bénéficier d’avantages fiscaux. Altax ayant réussi à faire obtenir à DTrois deux crédits d’impôts, l’un au titre des métiers d’art et l’autre en faveur de la recherche, a émis deux factures établies conformément aux modalités de rémunérations prévues aux contrats. Ces deux factures sont demeurées impayées.
Pour s’opposer à la demande de paiement d’Altax de 86 733 €, DTrois soulève la nullité des deux conventions dont les prestations de nature juridique ne pouvaient être rendues par Altax sans violer la loi du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions juridiques.
À titre subsidiaire, dans l’hypothèse où la nullité des conventions serait prononcée, Altax sollicite la condamnation de DTrois à lui payer la même somme au titre de l’enrichissement sans cause, à défaut pour DTrois de rembourser à l’État les crédits d’impôts obtenus.
Le tribunal rejette l’ensemble des demandes d’Altax aux motifs suivants :
« Sur la nullité des contrats :
« Attendu que D3 soutient que les deux conventions qu’elle a conclues en 2010 puis en 2012 sont nulles car Altax ne pouvait pas sans violer la loi de 1971 portant réforme de certaines professions juridiques rendre les prestations objet des contrats : qu’en effet l’objet de ces contrats consiste à titre principal à lui fournir une consultation juridique qui n’est pas l’accessoire de son activité principale et qu’ils se trouvent donc par là même frappés d’illicéité ;
Attendu qu’aux termes de l’article 1131 du Code civil, l’obligation reposant sur une cause illicite ne peut avoir aucun effet ;
Attendu que selon l’article 54 de loi du 31 décembre 1971, modifié par la loi du 7 avril 1997, « Nul ne peut directement ou par personnes interposées à titre habituel donner des consultations juridiques ou rédiger des actes sous seing privé pour autrui s’il n’est titulaire d’une licence de droit ou s’il ne justifie, à défaut d’une compétence juridique appropriée à la consultation et à la rédaction d’actes en matière juridique, qu’il est autorisé à pratiquer conformément aux articles 56 à 66 » ; que les personnes mentionnées aux articles 56, 57 et 58 sont réputées posséder cette compétence juridique ; que pour les personnes exerçant une activité professionnelle réglementée mentionnées à l’article 59, cette compétence résulte des textes les régissant ;
Attendu que l’article 60 de la loi précitée dispose que les personnes qui exercent une activité non réglementée et qui justifient d’une qualification reconnue par l’État sous forme d’un agrément, donné pour la pratique du droit à titre accessoire, peuvent dans les limites de cette qualification donner des consultations juridiques relevant directement de leur activité principale et rédiger des actes sous seing privé qui constituent l’accessoire nécessaire de cette activité ;
Attendu qu’il est constant qu’Altax ne fait pas partie des personnes mentionnées aux articles 56, 57 et 58 de la loi précitée et n’exerce pas une activité professionnelle réglementée au sens de l’article 59 de cette loi ; qu’elle justifie en revanche bénéficier de l’agrément ministériel du 19 décembre 2000 modifié prévu par l’article 54 précité en ce qu’elle est qualifiée par l’OPCQM, organisme professionnel de qualification des conseils en management, depuis 2005 dans le domaine « finances-audit-conseil et gestion des risques financiers et d’assurance » ; qu’elle peut donc, dans les limites de cette qualification, donner des consultations juridiques à titre accessoire, dès lors que celles-ci relèvent directement de son activité principale agrée d’audit, et rédiger des actes sous seing privé en constituant l’accessoire nécessaire ;
Attendu que la licéité des contrats conclus entre les parties dépend de la nature des prestations fournies ; que l’objet des contrats de 2010 et 2012, intitulé tous les deux « convention générale crédits d’impôt », figurait dans son article 1, dont le titre est « Mission », qui stipule qu’« Altax s’engage à effectuer pour le compte de l’entreprise signataire une étude sur les possibilité d’obtention de crédits d’impôts et/ou de statut fiscal avantageux ainsi qu’un suivi de la demande correspondante déposée auprès de l’administration fiscale. La mission se déroulera en 3 étapes : étude d’éligibilité au regard des critères du Code général des impôts, … mise en place du dispositif Crédits d’impôts consistant en la présentation à l’administration fiscale du dossier de demande et/ou d’une déclaration rectifícative pour l’impôt sur les sociétés et/ou d’une réclamation contentieuse» ; l’article 3 précisait que parmi les obligations d’Altax il était stipulé que cette dernière « défendra le rapport d’audit devant l’administration fiscale » ;
Attendu que le 5 décembre 2011, un avenant intitulé « clause de garantie » prévoyait qu’Altax rembourserait le prix payé en cas de remise en cause par l’administration fiscale des crédits d’impôt obtenus suite à ses préconisations à condition notamment qu’« Altax ait été mise en mesure de présenter à chacun des stades de la procédure toute argumentation nécessaire pour contester le redressement » ; que ces stades recouvrent les phases de réclamation gracieuse, de précontentieux et de contentieux et peuvent être précédées d’une demande de rescrit consistant à solliciter l’administration pour qu’elle prenne position sur un point de droit ambigu ou non traité jusque-là ;
Attendu qu’il est établi qu’Altax a rempli sa mission dans les termes du contrat, qu’elle a examiné au vu de la nature de l’activité, des types de dépenses et d’investissements réalisés par la défenderesse pour déterminer si celle-ci était éligible à des crédits d’impôts, lesquels, quels étaient les dépenses déductibles et à quelle hauteur ; que pour mener une telle analyse elle a dû examiner chaque poste des dépenses de fonctionnement, d’investissements, d’amortissement et de recettes (déduction totale ou partielle de certaines subventions ou avances remboursables publiques — État, collectivités territoriales, Europe — des dépenses éligibles au crédit d’impôt) pour déterminer en fonction de la doctrine fiscale éclairée et précisée par la jurisprudence ce qui était déductible et à quelle hauteur ; que les circulaires de l’administration entrent dans un grand nombre de détails et sont différentes selon les secteurs (par exemple une rubrique vient d’apparaître récemment concernant les créateurs de mode pour préciser quelles dépenses de lancement de collections nouvelles sont éligibles) ;
Attendu qu’elle a rédigé le rapport devant servir de justification en cas de contrôle fiscal et en cas de contentieux et qu’elle a établi les déclarations fiscales à envoyer à l’administration ; qu’il en est effectivement résulté des réductions d’impôt ; qu’ainsi, contrairement à ce qu’Altax soutient, la prestation qu’elle a rendue a conduit à une prise de décision par sa cliente ; qu’en effet, l’objet et même la seule finalité de l’audit mené par Altax était pour D3 de déposer ou non une déclaration demandant à se voir restituer un ou des crédits d’impôts et de déterminer le montant de ses demandes ; que cette décision emportait de nombreuses conséquences avec notamment des allégements fiscaux plus ou moins importants et le risque d’un redressement fiscal voire d’un contrôle fiscal éventuellement suivi d’un contentieux ; que la prise de décision n’était même pas aléatoire ou hypothétique puisqu’il fallait à l’entreprise cliente décider si oui ou non elle déposait une déclaration et son montant ; qu’il est au demeurant constant que D3 a suivi les conseils d’Altax et a décidé de déposer les déclarations nécessaires afin de bénéficier de crédits d’impôts qu’elle a d’ailleurs effectivement obtenus ; qu’ainsi il est établi qu’il existe un lien direct et étroit entre la prestation d’Altax, concrétisée par la remise du rapport d’audit et des déclarations fiscales, et la prise de décision par la défenderesse d’envoyer ces dernières à l’administration fiscale ;
Attendu que pour réaliser ces travaux Altax a nécessairement dû procéder à une interprétation juridique personnalisée de la législation et de la réglementation applicables ainsi que de la doctrine administrative et de la jurisprudence transposable à la situation de D3 pour en déduire que cette société était éligible à un crédit d’impôt et déterminer son montant ; que la réalisation par Altax de cette analyse et de ce diagnostic, résultant de la confrontation des normes juridiques applicables aux informations et données fournies par la défenderesse, ne sont pas de simples conseils accessoires à un audit technique ou comptable ; qu’elles constituent en effet en elle-même une prestation à caractère juridique, correspondante à la définition de la consultation juridique telle au sens de la loi de 1971 précisée par la réponse ministérielle de 1992, ne relevant pas directement de l’activité principale d’Altax pour laquelle elle bénéficiait d’un agrément OPQCM ;
Attendu qu’il résulte des éléments ci-dessus qu’Altax n’était pas habilitée à fournir de telles prestations au regard des conditions posées par la combinaison des articles 54 et 60 de la loi du 31 décembre 1971 modifiée par la loi du 7 avril 1997 ;
Attendu que la contrepartie attendue par la défenderesse et déterminante de son engagement, lors de la signature des conventions de 2010 et 2012, résidait précisément et uniquement dans les prestations juridiques prohibées ; que, la cause du contrat étant donc illicite, il en résulte, en application de l’article 1131 du Code civil, que les conventions conclues entre Altax et la défenderesse sont nulles ce qui emporte l’anéantissement de toutes les obligations en résultant ;
En conséquence le tribunal prononcera la nullité pour illicéité des conventions conclues entre Altax et D3 les 9 novembre 2010 et 13 mars 2012 et déboutera Altax de ses demandes de paiement des honoraires .
Sur la demande d’indemnisation d’ALTAX pour le préjudice subi :
Attendu qu’Altax subsidiairement demande que, si le tribunal prononçait la nullité des conventions, les parties soient remises dans l’état dans lesquels elles se trouvaient avant cette exécution ; qu’elle rappelle que selon la jurisprudence « lorsque cette remise en état est impossible la partie qui a bénéficié d’une prestation qu’elle ne peut restituer doit s’acquitter du prix correspondant à cette prestation » ; que dès lors, si la défenderesse ne restituait pas les crédits d’impôts dont elle a bénéficiés, elle devrait indemniser Altax du préjudice qui pourrait naître de l’inexécution ou de la nullité du contrat ; qu’il serait en effet selon elle anormal que D3 puisse bénéficier des fruits des contrats dont elle demande la nullité car elle bénéficierait ainsi d’un enrichissement sans cause ; qu’au surplus l’ordonnance du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve prévoit dans son article 1178 nouveau du Code civil que « un contrat qui ne remplit pas les conditions requises pour sa validité est nul. (…) Les prestations exécutées donnent lieu à restitution dans les conditions prévues aux articles 1352 à 1352-9 ; Indépendamment de l’annulation du contrat, la partie lésée peut demander réparation du dommage subi dans les conditions du droit commun de la responsabilité extracontractuelle » ; et dans son article 1352-8 que « La restitution d’une prestation de service a lieu en valeur. Celle-ci est appréciée à la date à laquelle elle a été fournie » ; Attendu que, certes cette ordonnance n’entrera en vigueur que le 1er octobre 2016, mais qu’elle ne fait en ce qui concerne la nullité d’un contrat parce qu’il n’est pas valide que reprendre une jurisprudence bien établie ».
Attendu qu’il n’y a pas d’enrichissement sans cause de D3 puisque cette dernière ne fait que bénéficier de la reconnaissance par l’État de son droit à un crédit d’impôt ; que la cause de l’enrichissement de la défenderesse, consistant en une réduction d’impôt, ne réside donc que dans l’application de la loi et de la réglementation fiscale ; que la demande d’Altax de condamner Artware à rembourser à l’État les crédits d’impôts à l’État ne repose sur aucune base légale et que, de surcroit, l’administration fiscale n’est pas dans la cause ;
Attendu de surcroît que, comme il a été vu ci-dessus, la prestation rendue par Altax était illicite et qu’elle ne saurait donc ouvrir un droit à une rémunération ; que le préjudice qu’a pu subir Altax en engageant des frais pour délivrer une consultation juridique ne résulte que de sa seule faute consistant à offrir des services que la loi lui interdisait de rendre ; que c’est donc à ses risques et périls qu’elle a engagé ces frais qui ne sont pas susceptibles, vu leur nature, de lui ouvrir un droit à réparation car elle est la seule responsable du préjudice qu’elle a pu subir ; qu’au surplus D3, n’ayant commis aucune faute, ne saurait être condamnée à payer des dommages et intérêts ;
Attendu surabondamment qu’Altax ne formule pas une demande de remboursement des seules dépenses qu’elle a directement exposées pour rendre la prestation de service et qu’au surplus elle ne produit aucun élément permettant d’en déterminer le montant ;
Attendu en outre que la nullité des conventions, ayant entraîné l’anéantissement de toutes les obligations pouvant en naître, la prestation, stipulées dans les contrats, est réputée ne pas avoir existé et qu’Altax ne saurait donc en tirer un droit à une indemnisation de quelque nature que ce soit ; qu’en effet lorsque la nullité d’un contrat est prononcée parce que sa cause était illicite, situation de nature différente des autres cas de nullité, la prestation rendue est viciée dès son origine par un motif d’ordre public et ne saurait donc ouvrir droit à réparation car à défaut ce serait méconnaître une règle législative impérative et cela permettrait à une entreprise de persister dans des offres interdites du fait de leur nature par la loi, en l’occurrence celle de 1971 réglementant l’exercice des professions ».
En conséquence le tribunal déboutera Altax de sa demande de dommages et intérêts et de sa demande de voir D3 restituer les crédits d’impôts.