Créatrices d’avenir : « J’espère contribuer à donner envie à d’autres femmes de se lancer et de dépasser leurs peurs »
Après avoir travaillé dans des hôtels de luxe à l’autre bout du monde, Manon Montessuit se présente comme créatrice culinaire. Elle est devenue spécialiste du pâté en croûte, qu’elle travaille avec des produits de qualité et de proximité. Une spécialité qui lui a valu de remporter en 2023, le prix Artisanat du concours Créatrices d’avenir. Elle en est aujourd’hui une des ambassadrices pour le département des Hauts-de-Seine. Rencontre.
Actu-Juridique : Vous dites avoir un parcours atypique. Pourquoi ?
Manon Montessuit : J’ai commencé de manière classique par passer un bac scientifique, puis j’ai ensuite décidé de me tourner vers l’hôtellerie internationale. J’ai fait avant une licence en management hôtelier et touristique à Bruxelles dans une école assez connue dans le milieu de l’hôtellerie. Ce milieu m’a permis de voyager, de rencontrer des gens, de travailler dans des très beaux endroits : à Bora-Bora, au Vietnam, en Asie. En France, j’ai travaillé dans un espace qui accueillait des événements professionnels pendant quelques mois. J’étais responsable de l’événementiel et de la restauration, j’organisais la journée des visiteurs. Puis le Covid est arrivé. Comme nous accueillions 300 personnes par jour, nous sommes restés fermés 18 mois. Cela m’a permis de revenir à mes premières amours : la cuisine et le fait maison. J’achetais toujours du pâté en croûte chez le boucher. Quand je lui ai demandé sa recette, il a rigolé et m’a expliqué que ça prenait beaucoup de temps et qu’il ne le faisait pas mais l’achetait pour le revendre. J’y ai vu un challenge. J’ai essayé de le faire moi-même. Je me suis mis à en faire pour ma famille et mes amis pendant que mon entreprise était fermée. En septembre 2021, en reprenant mon travail, je ne me sentais plus à ma place. J’ai démissionné au bout d’une semaine et je me suis inscrite en CAP charcuterie.
AJ : Pourquoi ce changement de trajectoire ?
Manon Montessuit : J’avais envie d’apprendre, de faire ce que j’aime. J’ai pensé que j’aurais plus de légitimité pour vendre mes produits si je savais les faire. En plus, pour ouvrir ce type d’établissement, il fallait un diplôme. J’ai fait un CAP charcuterie en apprentissage pendant un an au CEPROC à Sceaux. Cela a été intense. En parallèle, j’ai participé à un concours organisé par un groupe hôtelier, Les collectionneurs, qui s’appelle maintenant Territoria. Je suis devenue vice-championne de France du pâté en croûte ! Ce titre me fait sourire. En juillet 2022, j’ai monté mon projet autour de l’apéritif, du pâté en croûte et de la charcuterie sans additif, avec des produits de saison issus de l’agriculture raisonnée. J’ai commencé à vendre ce produit aux professionnels qui préfèrent l’acheter à un prestataire car le faire eux-mêmes nécessiterait trop de temps et de main-d’œuvre. J’ai ouvert mon laboratoire en octobre 2022. Je partais vraiment de zéro, il fallait tout faire, y compris les travaux du local.
AJ : Comment avez-vous eu l’idée de postuler au Concours ?
Manon Montessuit : Quelqu’un m’a envoyé le lien vers le concours Créatrices d’avenir. Je ne me sentais pas légitime : beaucoup de projets me semblaient plus intéressants que ma production de pâté en croûte ! Je me suis quand même inscrite, et j’ai été étonnée de me retrouver dans la liste des finalistes des Hauts-de-Seine. J’ai pitché mon projet et j’ai gagné le prix Artisanat l’année dernière. C’était drôle et improbable.
AJ : Savez-vous ce qui a plu au jury ?
Manon Montessuit : Je suis une femme dans un milieu très masculin. J’ai à cœur de faire de bons produits, en respectant la terre et les producteurs avec lesquels je travaille et que je connais. Je ne fais pas des produits pour faire des marges mais parce que j’aime les travailler et mettre en avant les éleveurs. Le bien manger est une valeur qui a le vent en poupe. Savoir d’où viennent les produits qu’on mange, comment ils sont fabriqués, revenir au local : tout cela parle aux gens aujourd’hui et c’est ce que je mets en avant. Manger rassemble les gens ! Ce qui est plus difficile, c’est que la charcuterie est un milieu très masculin dans lequel il faut faire face à beaucoup d’adversité.
AJ : Comment se manifeste cette adversité ?
Manon Montessuit : J’ai plein d’anecdotes qui montrent que je ne suis pas la bienvenue. En plus de la fourniture de professionnels, je donne des cours de pâté en croûte à des particuliers, en m’adaptant à leur matériel et leurs cuisines non professionnelles. On fait le produit ensemble, on adapte la cuisson au four. La dernière fois que j’ai fait cela, mes clients se faisaient livrer le même jour des produits pour une fête par un traiteur charcutier. Nous n’étions pas en concurrence car je suis grossiste, pas traiteur ! Il a pourtant passé un quart d’heure à me prendre de haut, à tel point que mes clients en ont été mal à l’aise. Un autre exemple : je poste beaucoup mon travail sur Instagram, où je trouve un vrai échange : j’aime montrer mes produits et mes followers aiment les voir. Juste avant le concours Créatrices d’avenir, j’avais rencontré un professionnel plus âgé que moi avec lequel j’avais discuté à l’issue d’une réunion. Il s’était montré très encourageant. Mais deux semaines après l’ouverture de mon laboratoire, que j’avais relayée, il m’a envoyé par erreur une de mes stories qu’il voulait transférer à un de ses collègues. Il lui disait : « si elle réussit, je change de métier ». Cette phase est devenue la première de mon pitch devant le jury de Créatrice d’avenir. Je pense que cela aussi a plu au jury. Je vois bien que je dérange parce que je propose des produits haut de gamme, un an seulement après avoir ouvert mon laboratoire. Dans la charcuterie, une femme qui décide d’entreprendre, ce n’est pas dans l’ordre des choses. Et cela vaut aussi en dehors du milieu de la charcuterie : récemment, un banquier auprès duquel je sollicitais un crédit m’a suggéré de me mettre en couple pour diviser mon loyer par deux… On fait face à ce genre de remarques déplacées et à beaucoup d’adversité alors qu’on ne cherche pas à briller, simplement à faire ce qu’on aime.
AJ : Le concours vous a-t-il protégée de cette adversité ?
Manon Montessuit : Je ne dirais pas cela. En revanche cela donne une légitimité. Cela montre qu’on n’a pas juste un rêve, mais un vrai projet, approuvé par d’autres professionnels compétents qui ont une bonne connaissance de l’entreprise. Je suis fière d’être ambassadrice du concours, de représenter la femme entrepreneure. J’espère contribuer à donner envie à d’autres femmes de se lancer et de dépasser leurs peurs. Le but est d’inspirer d’autres femmes.
Référence : AJU015m3
