Contrats

Distribution sélective – respect du contrat – discrimination – liberté de contracter

Publié le 13/04/2018

T. com. Paris, 29 juin 2017, no 2012045353

La société Rolex France (RX) et la société Isabelle Barrier (IB) étaient liées par un contrat de distribution sélective de produits d’horlogerie de luxe à durée indéterminée, signé le 12 juillet 2006. Le 31 aout 2009, RX a notifié à IB la résiliation du contrat à effet du 1er mars 2010. Le 17 février 2010, IB s’est portée candidate auprès de RX pour être distributeur dans le cadre de son réseau de distribution sélective à compter du 1er mars. Le 23 février, RX notifie à IB le refus de sa candidature.

IB a assigné RX et réclame des dommages-intérêts, alléguant le non-respect du préavis contractuel de résiliation et le refus fautif d’agrément au 1er mars 2010.

Le tribunal rejette ces demandes aux motifs suivants :

« Sur le non-respect allégué par IB du préavis contractuel de résiliation du contrat à effet du 1er mars 2010 :

Le tribunal constate tout d’abord que le préavis contractuel de résiliation de six mois a été respecté, puisqu’il n’est pas contestable que le contrat a été résilié le 31 août 2009, et que les deux parties ont pris acte que la fin du contrat serait le 1er mars 2010.

Attendu cependant que IB prétend que RX n’a pas dans les faits respecté le préavis, au motif qu’il aurait refusé de lui livrer, pendant cette période, l’essentiel des montres qu’elle avait en commande et qu’elle a commandées pendant ces six derniers mois. Attendu en effet que, par la lettre de IB du 19 février 2010, le seul reproche qui est fait à Rolex concernant la période de préavis est que « (…) RX devait, elle aussi et de la même manière, tenir au strict respect de l’ensemble de ses obligations contractuelles pendant cette période de préavis de six mois et se devait, notamment, de livrer les commandes passées par IB, ce qu’elle a, à plusieurs reprises, manqué de faire ».

Attendu que IB prétend que RX a sciemment refusé de respecter les livraisons de ses commandes à compter de septembre 2009, mettant en avant le « reste à livrer », à savoir le solde net des commandes cumulées et des livraisons cumulées à septembre 2009, qu’elle dit considérable, et que selon elle il y a eu une chute forte des livraisons à compter de septembre 2009.

Attendu que IB déclare que RX était cependant tenu contractuellement par des délais de livraisons sur les commandes passées par elle et acceptées par RX, et que les conditions générales de vente de RX mentionnent que, en cas de délais exceptionnellement longs, les commandes ne peuvent cependant pas être annulées par le distributeur, ce qui selon IB montre que RX était tenu néanmoins de livrer ; que la non-livraison de commandes constitue une faute contractuelle de RX ; et que RX a sciemment et abusivement allongé les délais des quelques livraisons faites après septembre 2009, pour pouvoir faire jouer la clause du contrat de distribution d’annulation automatique en fin de contrat des commandes non livrées à date de fin du contrat.

 Attendu que le contrat de distribution précise :

111-5 « RX ne peut garantir aucun délai de livraison. Aucun retard de livraison n’autorise le distributeur agréé à annuler, même partiellement, une commande sauf s’il apparait exceptionnellement long, à imputer une quelconque faute à RX ou à prétendre une quelconque indemnité de remise. L’encaissement d’acomptes par le distributeur agréé auprès du consommateur n’engage pas RX à exécuter la commande, mais relève de la seule responsabilité du distributeur agréé ».

Attendu que IB a librement signé son contrat de distribution, et donc qu’elle ne peut aujourd’hui prétendre que la mise en demeure de livrer qu’elle a faite à RX le 23 septembre 2009 de lui livrer son solde de « reste à livrer » de 48 pièces était contractuellement fondée.

Attendu qu’il résulte des dispositions du contrat librement accepté par IB que celle-ci devait considérer que les livraisons des commandes qu’elle passait à RX pouvaient être affectées de retards longs, voire très longs, et de durée aléatoire, la seule possibilité existant pour IB étant d’annuler des commandes passées, sans indemnités, si elle estimait que les retards étaient exceptionnellement longs.

Attendu que si ces conditions apparaissent comme très sévères, il n’en reste pas moins qu’IB les a librement acceptées, tout au long de l’exécution du contrat jusqu’en septembre 2009, alors même que les soldes de « reste à livrer » de ses commandes à RX avaient, notamment tout au long des années 2007 et 2008, atteint des niveaux très élevés, nettement plus élevés que celui mis en avant par IB à septembre 2009, ce qui témoigne de délais de livraisons structurellement longs et aléatoires, ce dont IB ne justifie aucunement s’être plaint.

Attendu en effet qu’il ressort des pièces produites par Rolex, un historique des commandes et livraisons au titre du contrat tant en volume qu’en valeur, pièces que le tribunal estime probantes puisque certifiées conformes à la comptabilité de RX par son commissaire aux comptes dans des conditions que le tribunal estime correctes, et contestées à tort par IB.

En conséquence, le tribunal considère que les allégations de IB selon lesquelles RX aurait sciemment refusé de lui livrer ses produits commandés, sont infondées.

Le tribunal déboutera IB de sa demande de voir dit que le préavis de six mois n’a pas été respecté, et de sa demande de 582 818 € de dommages et intérêts à ce titre.

Sur le refus par RX de signer avec IB un nouveau contrat de distribution sélective pour le même point de vente à compter du 1er mars 2010 :

Attendu que le tribunal relève tout d’abord que IB ne conteste pas le droit de RX de résilier le contrat de distribution ; et que s’agissant d’un contrat à durée indéterminée, RX n’avait à justifier d’aucun motif pour cette résiliation ; et qu’enfin le tribunal a estimé que le préavis convenu entre les parties pour une résiliation a été respecté dans des conditions normales.

Attendu en conséquence que le tribunal estime que la résiliation du contrat avec IB a été faite de bonne foi et dans les conditions prévues entre les parties dans ledit contrat. Attendu que IB prétend que, du simple fait qu’IB le sollicitait et compte tenu du fait qu’elle remplissait les critères qualitatifs d’appartenance au réseau Rolex de distribution sélective, RX avait l’obligation de l’agréer comme distributeur à compter du 1er mars 2010. Attendu que le fait que IB remplisse ou pas les critères qualitatifs du réseau RX n’est pas discuté ni contesté.

Attendu donc que la thèse d’IB est que, alors que RX a résilié le contrat conclu avec IB à effet du 1er mars 2010, IB a un droit systématique à l’octroi d’un nouveau contrat de distributeur agréé du réseau RX, qui plus est dans la continuité du contrat résilié. Attendu que cette thèse revient à réduire à néant toute possibilité pour RX de mettre fin à ses relations commerciales avec IB. Attendu qu’elle est en conséquence contraire au principe de la liberté d’entreprendre, et aboutit à ce que l’engagement contractuel de RX ait un caractère perpétuel, sa durée ne dépendant que de la volonté d’IB comme cocontractant. Mais attendu qu’un contrat ne saurait revêtir un caractère perpétuel ; Le tribunal estime donc que le refus opposé par RX à IB de conclure avec elle un nouveau contrat de distribution dans la continuité de celui terminé le 1er mars 2010, n’avait pour objet, comme l’a d’ailleurs précisé RX dans sa lettre du 23 février 2010, que de donner un caractère effectif à la fin des relations contractuelles entre les parties au 1er mars 2010 en application de la résiliation du contrat de distribution du 12 juillet 2006. Le tribunal considère que ce refus ne constitue aucunement une faute de RX.

Attendu en outre que, contrairement à ce prétend IB, ce refus d’agrément pour un nouveau contrat de distribution sélective ne constitue aucunement une discrimination contraire aux règles de concurrence,

Attendu en effet que la discrimination est l’objet même des accords de distribution sélective, et en conséquence que seules sont illicites les pratiques anticoncurrentielles qui s’avéreraient contraires aux conditions d’exemption prévues par l’article 101 paragraphe 3 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et le règlement d’exemption n° 330/210 du 20 avril 2010.

Attendu à cet égard que, la justice a, par un arrêt de la cour d’appel de Paris, précité, déjà eu à statuer sur le fait que, à fin 2008, la part de marché des produits Rolex sur le marché des montres de luxe était inférieure à 30 %. Attendu qu’il ressort des pièces produites, dans la présente instance, que la situation n’a pas significativement évolué à fin 2009.

Attendu donc le tribunal considère que RX bénéficie, au regard des pratiques de discrimination, de l’exemption automatique du règlement d’exemption n° 330/2010 de la commission du 20 avril 2010 concernant l’application de l’article 101 paragraphe 3 du TFUE.

Attendu donc que les reproches faits par IB à RX concernant le caractère allégué comme fautif de son refus d’agrément en tant que distributeur du réseau de distribution sélectif de RX à compter du 1ermars 2010 sont infondés.

Attendu enfin qu’il n’appartient pas à la présente juridiction saisie du litige entre les parties, de porter atteinte à la liberté de contracter des parties ni davantage d’enjoindre à l’une de contracter avec l’autre ».

En conséquence de ce qui précède :

Le tribunal déboutera IB de sa demande de voir déclarer fautif le refus de RX de conclure un nouveau contrat de distribution sélective avec IB à compter du 1er mars 2010, et de sa demande de dommages et intérêts de 700 000 €.

LPA 13 Avr. 2018, n° 133q1, p.46

Référence : LPA 13 Avr. 2018, n° 133q1, p.46

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