Constatation de l’existence d’un bail commercial à l’issue d’un bail dérogatoire : imprescriptibilité de l’action
L’action en vue de faire constater l’existence d’un bail commercial, née du maintien en possession du preneur à l’issue du bail dérogatoire, n’est pas soumise à prescription.
Cass. 3e civ., 25 mai 2023, no 21-23007
Le bail dérogatoire permet aux parties de déroger au statut protecteur mais contraignant des baux commerciaux, à la condition que la durée totale du bail ou des baux successifs n’excède pas trois ans. À l’issue de ce délai, il s’opère un bail soumis au statut si le preneur est laissé en possession des lieux. L’arrêt ici étudié répond à la question du délai de prescription applicable à l’action en constatation d’un bail commercial à l’issue d’un bail dérogatoire.
Le 14 juin 2004, un groupement forestier a consenti à la société Jungle Park ce que les parties ont appelé « un bail commercial de courte durée ». Le 1er mai 2006, il a été conclu un nouveau bail ayant pour terme le 30 septembre 2006. Passé ce délai, la société est restée dans les lieux, sans opposition du bailleur, qui a émis des quittances de loyer jusqu’au 31 décembre 2016, date à laquelle il a facturé une indemnité d’occupation. Le 19 avril 2017, au regard du maintien dans les lieux, la société assigne le bailleur afin de faire constater l’existence d’un bail soumis au statut des baux commerciaux.
Le premier moyen relevant de la procédure ne sera pas ici étudié. La cour d’appel de Pau, dans un arrêt du 29 juillet 2021, retient que l’action en constatation de l’existence d’un bail commercial est soumise à l’article 2224 du Code civil. À ce titre, le preneur est soumis à une prescription quinquennale, et aurait dû agir avant le 14 juin 2009. Ainsi, selon les juges du fond, l’action du preneur en reconnaissance d’un bail commercial est prescrite.
L’action en constatation de l’existence d’un bail commercial à l’issue d’un bail dérogatoire, lorsque le preneur reste et est laissé en possession des lieux, est-elle soumise à la prescription quinquennale du droit commun ?
Sur un pourvoi formé par la société locataire, la Cour de cassation censure partiellement l’arrêt d’appel, par la formulation d’un arrêt de principe. Après avoir résumé l’article L. 145-5 du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi du 4 août 2008, la Cour énonce que la « demande tendant à faire constater l’existence d’un bail soumis au statut né du fait du maintien en possession du preneur à l’issue d’un bail dérogatoire, qui résulte du seul effet de l’article L. 145-5 du Code de commerce, n’est pas soumise à la prescription ».
Par cet arrêt de principe, la Cour de cassation énonce pour la première fois que l’action en constatation de l’existence d’un bail commercial à l’issue d’un bail dérogatoire, né du maintien dans les lieux du preneur, est imprescriptible (I). De plus, il faut relever que cette imprescriptibilité permet de gagner en lisibilité quant à la prescription applicable (II).
I – L’imprescriptibilité de l’action tendant à la constatation d’un bail commercial
Le présent arrêt pose l’imprescriptibilité de l’action tendant à la constatation de l’existence d’un bail commercial à l’issue d’un bail dérogatoire, lorsque le preneur est laissé en possession des lieux. Les juges de cassation lèvent ainsi les incertitudes quant au choix de la prescription en pareille situation (A) et énoncent que l’action n’est pas soumise à prescription par l’effet de la loi (B).
A – Les incertitudes levées quant au choix de la prescription
L’article L. 145-5 du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à la loi de 2008, prévoit que les parties peuvent déroger au statut des baux commerciaux, à la condition que le bail soit conclu pour une durée n’excédant pas deux ans. À l’expiration de cette durée, si le preneur reste et est maintenu dans les lieux, il s’opère un nouveau bail, statutaire. La question s’est alors posée du délai de prescription à respecter afin de faire constater l’existence d’un bail commercial à l’issue d’un bail dérogatoire, et du seul fait d’être resté en possession.
Par un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, en date du 1er octobre 2014, les juges avaient énoncé que « la demande tendant à faire constater l’existence d’un bail soumis au statut né du fait du maintien en possession du preneur à l’issue d’un bail dérogatoire, qui résulte du seul effet de l’article L. 145-5 du Code de commerce, n’est pas soumise à la prescription biennale »1. Les juges de cassation n’avaient fourni qu’une solution négative. Énonçant que la prescription biennale ne s’appliquait pas, les juges de cassation se gardaient bien de donner le délai de prescription applicable.
L’article L. 145-60 du Code de commerce prévoit en effet que toutes les actions, qui sont exercées en vertu du statut des baux commerciaux, se prescrivent par deux ans. Le bail dérogatoire ayant précisément pour objet de déroger au statut des baux commerciaux, le délai de prescription du statut ne pouvait pas s’appliquer. Ainsi face à l’impossibilité d’appliquer la prescription biennale, des juges du fond ont alors conclu à l’application du droit commun. De sorte que la demande en constatation de l’existence d’un bail commercial est soumise à la prescription quinquennale de l’article 2224 du Code civil2.
Néanmoins, l’arrêt de la troisième chambre civile du 25 mai 2023 coupe court à cette interprétation des juges du fond. Dorénavant, la « demande tendant à faire constater l’existence d’un bail soumis au statut né du fait du maintien en possession du preneur à l’issue d’un bail dérogatoire, qui résulte du seul effet de l’article L. 145-5 du Code de commerce, n’est pas soumise à la prescription ». On ne peut que remarquer le mimétisme de la formulation entre l’arrêt de 2014 et celui de 2023, qui n’est en rien dû au hasard. La réutilisation de la formule permet, cette fois-ci, aux juges de cassation d’affirmer que l’action en constatation n’est pas soumise à prescription.
B – L’imprescriptibilité, résultante de l’effet de la loi
Si la prescription biennale de l’article L. 145-60 du Code de commerce ne s’applique pas à la demande en constatation d’un bail commercial, certains auteurs en avaient alors conclu que « le délai de prescription quinquennale de l’article 2224 du Code civil s’applique »3. En énonçant que l’action n’est pas soumise à prescription, la Cour de cassation écarte également l’application du droit commun. Outre l’ironie de certains auteurs4, peu avaient prévu l’imprescriptibilité de l’action5.
La justification de l’arrêt se trouve dans une partie de la solution que la Cour met en évidence en le plaçant entre deux virgules. En effet, la Cour précise que la demande en constatation de l’existence d’un bail commercial né du maintien en possession du preneur à l’issue du bail dérogatoire n’est pas soumise à prescription, « du seul effet de l’article L. 145-5 du Code de commerce ». Cette disposition prévoit expressément que si, à l’expiration du bail dérogatoire, le preneur reste et est laissé en possession des lieux, il s’opère un nouveau bail qui est un bail statutaire. En l’espèce, le bail dérogatoire avait expiré le 30 septembre 2006 mais le preneur était resté dans les lieux passé cette date. Il avait été laissé en possession, ce qui dans les faits se traduit notamment par la délivrance de quittances par le bailleur jusqu’au 31 décembre 2016. Les conditions de l’article étant réunies, il y avait donc un bail statutaire et cela de plein droit. Il s’agit d’un automatisme. N’est pas soumis à prescription ce qu’offre la loi6, le preneur ne demandant que l’application de la loi, ce qui ne se prescrit pas7.
C’est à ce titre que les juges de cassation censurent partiellement l’arrêt d’appel pour violation de l’article L. 145-5 du Code de commerce. Cette action en constatation de l’existence d’un bail commercial tire son succès du maintien en possession et, in fine, de la stricte application de l’article L. 145-5 du Code de commerce. Cette analyse est encore appuyée par l’énonciation, dans la réponse de la Cour, d’une reformulation de cet article. Tout comme les juges de première instance8, la Cour de cassation constate l’existence d’un bail commercial par stricte application de l’article L. 145-5 du Code de commerce et permet un gain de lisibilité quant à la prescription applicable.
II – Le gain de lisibilité quant à la prescription applicable
L’imprescriptibilité de l’action tendant à la constatation d’un bail commercial tient à l’effet de la loi. Ainsi comprise, cette solution pourrait laisser supposer que le choix de la prescription applicable perd en lisibilité. Mais ce serait à tort, car il apparaît que les faveurs de la prescription sont au profit du preneur (A). De plus, on ne peut pas parler de perte de lisibilité considérant que la solution peut également être lue au visa de loi Pinel (B).
A – Les faveurs de la prescription au profit du preneur
La prescription doit être regardée au regard de l’action qui est menée et toutes les solutions montrent à quel point le choix de la prescription applicable tend à être favorable au preneur. On sait désormais que l’action en constatation de l’existence d’un bail commercial à l’issue d’un bail dérogatoire né du maintien dans les lieux est imprescriptible. Ainsi, le preneur ne bénéficiant pas du statut protecteur des baux commerciaux n’est pas de surcroît enfermé dans un délai d’action.
Néanmoins, si l’action consiste à demander la requalification d’un bail dérogatoire en bail commercial par l’effet d’une clause contractuelle, il convient d’appliquer la prescription biennale de l’article L. 145-60 du Code de commerce9. A priori défavorable au preneur, la jurisprudence a changé le point de départ de la prescription au bénéfice de ce dernier. Ainsi, par un arrêt de la troisième chambre civile datant également du 25 mai 2023, la Cour de cassation confirme sa jurisprudence sur l’application de la prescription biennale à une demande de requalification. Mais les juges de cassation opèrent un revirement quant au point de départ10. Auparavant, il fallait prendre la conclusion du contrat initial11, sans tenir compte d’une tacite reconduction ou de renouvellements12. Il faut désormais faire partir la prescription au jour où la dernière convention a pris effet, ce qui est bien plus favorable au preneur en limitant les demandes reconventionnelles pour prescription de l’action.
La prescription quinquennale de l’article 2224 du Code civil s’appliquera à toutes les actions qui n’ont pas pour fondement l’article L. 145-5 du Code de commerce ou qui n’ont pas pour fondement le statut des baux commerciaux. Autrement dit, les actions fondées sur la théorie générale des obligations relèveront classiquement de la prescription de droit commun. Il reviendra alors aux juges de vérifier que le demandeur ne rattache pas artificiellement sa demande au statut des baux commerciaux, pour obtenir plus facilement la prescription de l’action. Néanmoins, un arrêt de la troisième chambre civile de la Cour de cassation, du 9 mars 2023, tend à démontrer l’attention des juges sur ce point13. Ainsi, l’action en paiement d’une indemnité de rupture stipulée dans un bail commercial, en cas de résiliation anticipée, n’a pas pour fondement le statut des baux commerciaux. La prescription quinquennale de l’article L. 110-4 du Code de commerce s’applique pour les obligations nées du commerce entre commerçants ou entre commerçants et non-commerçants, à défaut de prescription plus courte.
L’arrêt apporte un gain de lisibilité quant à la prescription applicable, car la solution est en adéquation avec le statut des baux commerciaux réformé par la loi Pinel.
B – L’adéquation de la solution avec le statut réformé des baux commerciaux
En l’espèce, le bail dérogatoire ayant été signé le 1er mai 2006, la Cour de cassation rend sa décision au regard de l’ancien article L. 145-5 du Code de commerce, dans sa rédaction antérieure à celle de la loi du 4 août 2008. La solution prête ainsi à s’interroger sur son maintien, au regard de la loi Pinel du 18 juin 201414. Cette loi a modifié l’article L. 145-15 du Code de commerce. Dorénavant, les clauses, stipulations, arrangements qui ont pour effet de faire échec au droit au renouvellement du bail commercial ne sont plus nulles, elles sont réputées non écrites, ce qui va de pair avec une action imprescriptible. Néanmoins, la réforme a laissé la formulation de l’article L. 145-60 de ce même code inchangée. En ce qui concerne les baux dérogatoires de l’article L. 145-5, la loi Pinel a certes modifié la durée du bail ou des baux dérogatoires successifs, mais a maintenu le fait qu’à l’expiration du bail dérogatoire, si le preneur est laissé en possession, il s’opère un nouveau bail statutaire.
À ce titre, il apparaît que cet arrêt n’est pas synonyme de contrariété avec le statut des baux commerciaux réformé par la loi Pinel. Si une demande de constatation de l’existence d’un bail commercial est ainsi introduite au visa de l’article L. 145-5 du Code de commerce dans sa rédaction issue de la loi Pinel, et sous réserve de la réunion des conditions de cet article, la solution de l’espèce resterait applicable.
Notes de bas de pages
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1.
Cass. 3e civ., 1er oct. 2014, n° 13-16806 : Bull. civ. III, n° 121 ; F. Kendérian, « De l’inapplication de la prescription biennale à l’action tendant à faire constater l’existence d’un bail commercial statutaire à l’issue d’un bail dérogatoire de courte durée », RTD com. 2014, p. 773-775, l’auteur avait jugé que la « solution heurte la lettre de l’article L. 145-60 qui vise toutes les actions exercées en vertu du statut ». Cette solution a notamment été appliquée par : CA Nouméa, 27 avr. 2023, n° 21/00362. La solution avait déjà été énoncée par les juges du fond : CA Versailles, 12e ch., sect. 1, 12 juill. 2011, n° 10/03644 : AJDI 2012, p. 515.
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2.
V. en ce sens : CA Chambéry, 1er ch., 15 mai 2018, n° 16/00395 – CA Paris, pôle 5, ch. 3, 1er déc. 2021, n° 20/04742. Ce délai commence à courir à compter du terme du bail dérogatoire sans dépossession : CA Aix-en-Provence, ch. 3-4, 13 oct. 2022, n° 22/03791.
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3.
M.-P. Dumont, « Poursuite de la location », Droit et pratique des baux commerciaux 2021-2022, 6e éd., 2020, Dalloz Action, p. 178, § 221-51.
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4.
J. Bruschi, « Baux commerciaux : la Cour de cassation fixe le régime de prescription des actions en requalification et en contestation », GPL 18 juill. 2023, n° GPL451x7 : « Décidément, le bail dérogatoire déroge même au droit commun ! ».
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5.
R. Boffa, « L’existence d’un bail commercial et la prescription », RDC juin 2015, n° RDC111y0 ; H. Brault, « Application de la prescription biennale à l’action tendant à faire constater en raison du maintien dans les lieux du preneur après expiration du bail dérogatoire l’existence d’un bail commercial assujetti au statut des baux commerciaux selon l’article L. 145-5 du Code de commerce », Loyers et copr. 2014, comm. 272, n° 11.
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6.
V. en ce sens, Lettre d’actualité du cabinet Blatter Seynaeve, juin 2023, note J.-P Blatter ; S. Andjechaïri-Tribillac, « Bail commercial né du maintien en possession du preneur après un bail dérogatoire : imprescriptibilité de l’action », D. actualité, 17 juill. 2023.
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7.
R. Boffa, « L’existence d’un bail commercial et la prescription », RDC juin 2015, n° RDC111y0, p. 276 : « Puisqu’il s’agit rien de plus que d’invoquer l’application de la loi, prétention qui ne se prescrit pas ».
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8.
TGI Dax, 25 sept. 2019, avait statué sur l’existence d’un bail commercial : M.-L. Besson, « Imprescriptibilité de l’action tendant à faire constater l’existence d’un bail commercial né du fait du maintien en possession du preneur à la suite d’un bail dérogatoire », Loyers et copr. 2023, comm. 116.
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9.
Cass. 3e civ., 28 sept. 2022, n° 21-17907 – Cass. 3e civ., 7 déc. 2022, n° 21-23103.
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10.
Cass. 3e civ., 25 mai 2023, n° 22-15946, Sté La Mangeoire c/ X. V. : J. Bruschi, « Baux commerciaux : la Cour de cassation fixe le régime de prescription des actions en requalification et en contestation », GPL 18 juill. 2023, n° GPL451x7.
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11.
Cass. 3e civ., 23 nov. 2011, n° 10-24163.
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12.
Cass. com., 11 juin 2013, n° 12-16103 – Cass. 3e civ., 3 déc. 2015, n° 14-19146.
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13.
Cass. 3e civ., 9 mars 2023, n° 21-20358, Sté Sainte-Marie c/ Sté Silim environnement.
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14.
L. n° 2014-626, 18 juin 2014, relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises : JO n° 0140, 19 juin 2014, texte n° 1.
Référence : AJU010b2