Le preneur d’une résidence de tourisme en prend pour neuf ans ferme à effet immédiat
L’article L. 145-7-1 du Code de commerce prévoyant une durée ferme de neuf ans pour les baux commerciaux signés entre les propriétaires et les exploitants de résidences de tourisme, est d’ordre public et doit, en conséquence, s’appliquer aux baux en cours au jour de son entrée en vigueur.
Cass. 3e civ., 9 févr. 2017, no 16-10350
À la lecture de l’intitulé, le lecteur avisé aurait pu croire s’être égaré dans les colonnes d’une chronique de faits divers. Qu’il soit d’emblée rassuré, l’apposition de ce titre aguicheur est simplement due à un arrêt rendu par la troisième chambre civile de la Cour de cassation en date du 9 février dernier. Dans l’affaire qui était soumise à la haute juridiction, deux baux commerciaux portant sur deux appartements en résidence de tourisme avaient été conclus au cours de l’année 2007. Le locataire ayant donné congé à l’expiration de la deuxième période triennale, le bailleur l’a assigné en nullité des congés au motif que l’article L. 145-7-1 du Code de commerce instauré par la loi du 22 juillet 2009, impose une durée ferme de neuf ans minimum pour les baux commerciaux signés entre les propriétaires et les exploitants de résidences de tourisme. La cour d’appel de Poitiers valide les congés, en retenant que les baux conclus avant l’entrée en vigueur de l’article L. 145-7-1 du Code de commerce, étaient régis par les dispositions de l’article L. 145-4 du même code qui prévoit une faculté de résiliation triennale au bénéfice du preneur. Cet arrêt est cassé par la Cour de cassation qui décide que l’article L. 145-7-1 du Code de commerce, s’applique au contrat en cours à sa date d’entrée en vigueur (I) en affirmant sans aucun fondement textuel qu’il est d’ordre public (II).
I – L’application immédiate de la loi nouvelle aux contrats en cours
Le principe : l’effet immédiat de la loi. Selon l’article 2 du Code civil « la loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif ». Ce texte pose deux principes, celui de l’effet immédiat de la loi nouvelle régissant les situations juridiques futures et celui de sa non-rétroactivité régissant lui, les situations juridiques passées1. Il résulte du premier principe que la loi nouvelle s’applique immédiatement aux faits et actes postérieurs à son entrée en vigueur2. Dans l’arrêt présenté, il était question de savoir si la loi nouvelle devait s’appliquer aux effets futurs d’une situation contractuelle constituée antérieurement à son entrée en vigueur. C’est donc en termes d’effet immédiat de la loi nouvelle que la Cour de cassation se devait de raisonner. Partant, il n’y a pas lieu de parler de rétroactivité de la loi du 22 juillet 2009, sauf à considérer qu’un congé valablement délivré avant son entrée en vigueur devienne par suite caduc, mais la haute juridiction semble refuser d’admettre une telle hypothèse3.
L’exception : la situation contractuelle antérieurement constituée. Il est fait exception au principe précédemment exposé pour les situations contractuelles antérieurement constituées mais en cours à la date d’entrée en vigueur de la loi. Dans ces occurrences, la jurisprudence écarte le principe d’application immédiate de la loi nouvelle en retenant que « les effets d’un contrat sont régis, en principe, par la loi en vigueur à l’époque où il a été passé »4. Ainsi, les effets des contrats conclus avant l’entrée en vigueur d’une loi restent soumis à la loi ancienne, c’est-à-dire la loi applicable lors de leur formation. La postactivité5 de la loi ancienne assure l’unité de la législation applicable au contrat et la sécurité juridique des relations contractuelles6.
L’exception à l’exception : la loi d’ordre public. Il y a cependant retour au principe de l’application immédiate de la loi chaque fois que celle-ci le prévoit expressément, ou qu’elle porte sur les effets légaux des situations contractuelles, ou enfin que le juge estime qu’elle intéresse un certain ordre public. C’est précisément, cette dernière condition qui permet à la Cour de cassation de justifier sa solution alors même que le pourvoi invoquait la théorie des effets légaux du contrat. Il convient de remarquer que la Cour de cassation était auparavant plus exigeante sur cette condition d’ordre public. Ainsi, elle a censuré une cour d’appel ayant appliqué une loi nouvelle aux effets d’un contrat antérieurement conclu sans « caractériser les raisons d’une application immédiate de la loi que sa nature d’ordre public ne pouvait à elle seule justifier »7. La Cour de cassation a aussi jugé qu’« en l’absence de dispositions expresses de la loi prévoyant son application immédiate et à défaut de considérations d’ordre public particulièrement impératives, les contrats (…) demeurent soumis à la loi en vigueur lors de leur conclusion »8. Le seul fait qu’une loi soit d’ordre public ne semblait donc pas suffire à la rendre applicable aux contrats en cours. Il nous semble toutefois démesuré de parler de revirement là où il n’y a qu’un simple infléchissement jurisprudentiel9. L’identification d’un critère précis quant à la nature impérative de la loi permettant de justifier son application aux contrats en cours, reste en effet difficile. Ceci s’explique probablement par le fait que le choix des magistrats résulte principalement de considérations d’opportunité10.
II – L’extension de l’ordre public virtuel du statut des baux commerciaux
Bref retour sur l’ordre public statutaire. En matière de baux commerciaux, les dispositions d’ordre public sont listées aux articles L. 145-15 et L. 145-16 du Code de commerce. Il en va ainsi, par exemple, du « droit au renouvellement » conféré au preneur à bail. La doctrine parle alors d’ordre public textuel11. Malgré l’existence de cette détermination explicite par le législateur des textes d’ordre public, rien n’empêche le juge de révéler le caractère d’ordre public d’un texte qui a priori ne l’était pas12, à partir d’une analyse textuelle ou téléologique13, on parle alors d’ordre public virtuel. C’est le traitement qu’a subi l’article L. 145-7-1 du Code de commerce dans l’arrêt commenté. L’arrêt demeure toutefois silencieux sur la nature de cet ordre public. L’étude des travaux parlementaires précédant l’adoption de l’article L. 145-7-1 du Code de commerce nous donnera quelques clés pour tenter de répondre à cette interrogation.
Genèse de l’article L. 145-7-1 du Code de commerce. Aux termes de l’article D. 321-2 du Code du tourisme « la résidence de tourisme peut être placée sous le statut de copropriété des immeubles bâtis fixé par la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 modifiée ou sous le régime des sociétés d’attribution d’immeubles en jouissance à temps partagé défini par la loi n° 86-18 du 6 janvier 1986 relative aux sociétés d’attribution d’immeubles en jouissance à temps partagé ». Lorsque les propriétaires choisissent de placer la résidence sous le régime de la copropriété des immeubles bâtis, ils en concèdent l’exploitation au moyen de baux commerciaux. Cette configuration leur permet de bénéficier de certains avantages fiscaux dès lors que les locaux sont loués durant neuf ans minimum14. Toutefois, la faculté de résiliation triennale offerte au preneur par l’article L. 145-4 du Code de commerce ne permettait pas d’assurer aux propriétaires-bailleurs qu’ils allaient pouvoir bénéficier des avantages escomptés alors que ceux-ci sont bien souvent déterminants dans la décision d’investir. C’est dans ce contexte que fût adopté l’article L. 145-7-1 du Code de commerce. Lors des débats au Sénat, Hervé Novelli, alors secrétaire d’État, affirmait que « la résiliation du bail avant l’échéance de neuf ans entraîne pour le propriétaire la suppression et le remboursement des avantages fiscaux dont il bénéficiait au titre de cet investissement s’il ne trouve pas de nouvel exploitant »15. C’est donc pour protéger les propriétaires que l’article L. 145-7-1 du Code de commerce fût adopté. Le législateur a voulu éviter que les propriétaires ne se retrouvent dans une situation fiscale compliquée dans l’hypothèse où le bail serait résilié par le preneur sans qu’un nouvel exploitant ne soit trouvé. Pourtant, comme l’a justement fait remarquer un auteur, la place à laquelle se situe cette disposition au sein du Code de commerce ne lui confère pas un caractère d’ordre public, puisqu’elle n’est pas visée par l’article L. 145-1516. Dès lors, avant la parution de l’arrêt commenté, il semblait possible de pouvoir y déroger contractuellement même si le professeur Joël Monéger avait prophétisé que les juges consacreraient très certainement son caractère d’ordre public17.
L’impossibilité d’insérer une clause contraire lors de la conclusion du bail. De prime abord, on pourrait penser que l’impact de la solution commentée est résiduel dans la mesure où les baux conclus antérieurement à la loi du 22 juillet 2009 et non renouvelés se font rares. Mais il faut tenir compte du fait que les rédacteurs d’actes ignoraient que cette disposition était d’ordre public. Il est donc fort à parier que certains d’entre eux ont explicitement dérogé à la règle posée à l’article L. 145-7-1 du Code de commerce pensant de bonne foi que ce texte était supplétif de volonté. Les baux conclus après l’entrée en vigueur de l’article L. 145-7-1 du Code de commerce sont donc indirectement impactés par la solution de l’arrêt du 9 février 2017. Il s’en infère que les clauses dérogeant à la durée ferme de neuf ans sont nulles18. De même, en l’absence de telles clauses, les congés délivrés par les preneurs aux échéances triennales sont nuls, sauf renonciation du bailleur.
La possibilité pour le bailleur de renoncer à la durée ferme de 9 ans une fois le contrat conclu. Après la consécration par la Cour de cassation du caractère d’ordre public de l’article L. 145-7-1 du Code de commerce, reste à déterminer sa nature. En somme, s’agit-il d’un ordre public de direction ou de protection ? Cette question n’est pas dénuée d’incidence pratique puisque s’agissant de l’ordre public de protection, la jurisprudence admet généralement que la partie protégée puisse renoncer à l’application de la règle après la naissance de son droit19 ou une fois ses effets acquis20. Selon toute vraisemblance, l’article L. 145-7-1 devrait être un texte d’ordre public de protection puisqu’il n’a été adopté qu’en vue de préserver les intérêts (fiscaux) des propriétaires-bailleurs, et non l’intérêt général. Si une telle analyse s’avérait exacte, alors le bailleur d’une résidence de tourisme pourrait, après la conclusion du bail, renoncer à la durée ferme de neuf ans en autorisant au preneur la résiliation triennale moyennant éventuellement une contrepartie financière ou un transfert de charges.
En définitive, l’article L. 145-7-1 du Code de commerce et l’interprétation prétorienne qui en résulte rompent totalement avec la conception traditionnelle du statut des baux commerciaux, censé protéger les intérêts du locataire, partie faible au contrat.
Notes de bas de pages
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1.
Sur cette distinction, voir la thèse de Roubier P. qui fait autorité en la matière : Le droit transitoire (Conflits des lois dans le temps), 2e éd. 1960, (1re éd. publiée en 1929), Dalloz ; du même auteur : « Distinction de l’effet rétroactif et de l’effet immédiat de la loi », RTD civ. 1928, p. 579.
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2.
Terré F., Introduction générale au droit, 10e éd., 2015, Dalloz, Précis, n° 525.
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3.
Cass. com., 26 févr. 1991, n° 89-12497 : Bull. civ. IV, n° 86 : « une nouvelle réglementation ne s’applique pas, à défaut d’une disposition expresse, aux actes juridiques conclus antérieurement et quand bien même serait-elle d’ordre public, ne peut avoir pour effet de rendre caducs les actes passés avant son entrée en vigueur ».
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4.
Cass. com., 15 juin 1962 : Bull. civ. IV, n° 313.
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5.
Starck B., Roland H. et Boyer L., Introduction au droit, 2000, Litec, n° 577.
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6.
Terré F., Introduction générale au droit, 10e éd., 2015, Dalloz, Précis, n° 532.
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7.
Cass. 1re civ., 17 mars 1998, n° 96-12183 : Bull. civ. I, n° 115.
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8.
Cass. 1re civ., 4 déc. 2001, n° 98-18411 : Bull. civ. I, n° 307.
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9.
Et ce, d’autant que la Cour de cassation s’oriente vers l’adoption d’une « motivation enrichie » en cas de revirement de jurisprudence : Cass. ch. mixte, 24 févr. 2017, n° 15-20411 : Bertrand Louvel, premier président de la Cour de cassation, courrier du 24 février 2017, site de la Cour de cassation.
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10.
Héron J., « Étude structurale de l’application de la loi dans le temps », RTD civ. 1985, p. 312, note de bas de page n° 98 : « On sait que, même en matière d’effet des contrats, la jurisprudence applique de plus en plus souvent la loi nouvelle. Cependant, elle continue d’affirmer fermement le principe de la survie de la loi ancienne (…). La position de la jurisprudence nous paraît judicieuse. Elle lui permet de choisir à chaque fois la solution la plus opportune : il lui suffit de jouer sur l’existence ou non d’un intérêt général pour obtenir le résultat souhaité. Si la jurisprudence admettait en principe l’application de la loi nouvelle, il lui serait plus difficile de trouver un motif conduisant, dans tel ou tel cas, à appliquer la loi ancienne » ; Bach L., « Conflits de lois dans le temps », Répertoire de droit civil, n° 585 : « La solution de la survie de la loi ancienne, qui consiste dans le maintien de l'applicabilité d'une loi ancienne, plus précisément dans le maintien de l'applicabilité d’une norme (législative ou contractuelle) ancienne, après la date d'applicabilité d'une norme législative nouvelle, ne peut procéder et ne procède effectivement pour l'interprète, en l'absence d'indication de la part du législateur sur la solution à adopter, que d'un jugement d'opportunité sur le point de savoir si la sécurité des sujets de droit fondée sur les légitimes prévisions de ceux-ci, face à l'intérêt général, commande ou non le maintien de la loi ancienne ».
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11.
Monéger J. et al., Guide des baux commerciaux, 2016, LexisNexis, n° 20.
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12.
Cass. req., 26 févr. 1824 : DP 25, 1, 124.
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13.
Monéger J. et al., op. cit., n° 22.
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14.
CGI, art. 199, decies E.
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15.
Compte rendu intégral des débats au Sénat, séance du 8 avril 2009.
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16.
Blatter J.-P., Traité des baux commerciaux, 5e éd., 2012, Le Moniteur, p. 119 ; Blatter J.-P., « La loi de développement et de modernisation des services touristiques et les baux commerciaux », AJDI 2009, p. 591.
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17.
Monéger J., « Premières réflexions sur les lois estivales en matière de baux », Loyers et copr. sept. 2009, étude 10, spéc. n°9.
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18.
Confino A., « Réflexions sur le réputé non écrit dans le bail commercial après la loi Pinel », AJDI 2015, p. 407.
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19.
Cass. 3e civ., 27 oct. 1975, n° 74-11656 : Bull. civ. III, n° 310.
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20.
Cass. 1re civ., 17 mars 1998, n° 96-13972 : Bull. civ. I, n° 120.