Me Constantin-Vallet face au dénouement de l’affaire Helvet Immo : « Mes clients sont plus déterminés que jamais ! »

Publié le 29/07/2021

Encore un rebondissement dans l’affaire Helvet Immo, ensemble de 4 500 prêts libellés en francs suisses et au taux de change instable proposés par la banque BNP-Paribas Personal Finance entre 2008 et 2009. Après des années de contentieux, la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu un arrêt qui satisfait Maître Charles Constantin-Vallet, avocat de 1 200 emprunteurs impliqués dans ce dossier et laisse entr’apercevoir une issue positive pour ceux-ci.

Actu-juridique : Peut-on dire que l’arrêt rendu par la CJUE vous satisfait ?

Charles Constantin-Vallet : Oui. En réalité, il y a deux arrêts de la CJUE rendus le même jour (CJUE, 10 juin 2021, n° C-609/19 et CJUE, 10 juin 2021, n° C-776/19) puisqu’il y avait deux juridictions nationales (tribunal de Lagny-sur-Marne et la 9e chambre du tribunal de grande instance de Paris) qui avaient déféré des questions préjudicielles à la CJUE.

Les questions avaient beau être un peu différentes, avec ces arrêts, la Cour réaffirme l’ensemble de la jurisprudence sur les prêts en francs suisses, mais applique cette jurisprudence aux spécificités des contrats Helvet Immo en contre-point de la jurisprudence nationale, notamment les arrêts de la cour d’appel de Paris qui avaient donné tort aux emprunteurs, et ceux de la Cour de cassation qui avaient validé ces décisions.

Toute la procédure menée devant la CJUE a montré que cette dernière était extrêmement attentive à cette affaire et a considéré qu’elle était importante, notamment à l’issue d’une plaidoirie qui nous a permis d’avoir un débat oral, ce qui n’est pas si fréquent à la CJUE.

AJ : Sur le fond, que disent les arrêts ?

C.C.-V. : La Cour de justice apporte des réponses très claires, et je dirais même qu’elle va au maximum de ce que lui permet son rôle, c’est-à-dire, dire le droit et de laisser le soin aux juridictions nationales le soin de l’appliquer au cas d’espèce. Et dans la façon dont elle dit le droit, sur toutes les questions posées, elle est tranchée.

La première question consistait à savoir si l’action en reconnaissance de clauses abusives était susceptible de faire l’objet d’une prescription. Là-dessus, la réponse est claire, nette et précise : non. L’action en reconnaissance de clauses abusives n’est pas soumise à un délai de prescription. Le juge ne fait que constater que la clause n’a jamais existé. La Cour de justice le réaffirme au sens de la directive européenne 93/13 du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs.

Vient la deuxième question qui va avec la prescription : la Cour de justice dit qu’il est toutefois possible qu’il y ait un délai de prescription, mais sur les restitutions liées aux conséquences du réputé non écrit d’une clause abusive. La Cour de justice dit donc qu’il peut y avoir prescription, mais le point de départ du délai de prescription ne peut en aucun cas être fixé au jour de la conclusion du contrat. Elle ajoute que le départ de ce délai doit être fixé au moment où le consommateur a conscience que la clause est abusive.

Il faut se référer aux autres jurisprudences de la Cour de justice, qui a déjà eu à trancher des cas de figure similaires, notamment un arrêt du 9 juillet 2020 (CJUE, 9 juill. 2020, n° C-698/18), dans lequel un contrat espagnol avait été entièrement remboursé. Elle a considéré que le délai espagnol de prescription de trois ans à compter de la fin de contrat était insuffisant à permettre au consommateur d’agir. Donc si on suit cette jurisprudence, non seulement il n’y a pas de délai de prescription concernant les clauses abusives, mais concernant des restitutions, son point de départ ne peut être fixé que très tard. Mon interprétation pour le dossier Helvet Immo, c’est que tant que le contrat n’est pas définitivement terminé, il ne peut pas y avoir de délai de prescription, sans oublier qu’il faut que le consommateur ait conscience que son contrat comporte une clause abusive.

AJ : Vous soulignez l’importance que les professionnels ne tirent pas profit d’une pratique illicite…

C.C.-V. : En effet, la Cour de justice considère que s’agissant de la prescription, il ne peut pas être question pour un professionnel de tirer profit d’une pratique illicite. Si l’on permettait aux professionnels, par le biais de la prescription, de retirer un profit de leur pratique et de conserver les fruits de leur pratique, on diminuerait l’effet dissuasif de la directive 93/13/CEE. Si les professionnels anticipent que, finalement, par le jeu de la prescription et un comportement un peu malin vis-à-vis du consommateur, ils vont pouvoir, au bout de 10 à 15 ans, conserver une part du profit, ils seront toujours encouragés à continuer d’instaurer des clauses abusives.

AJ : La Cour reconnaît que la clause d’indexation est le cœur du contrat. Qu’est-ce que cela change ?

C.C.-V. : La Cour de justice rappelle – et là-dessus, il n’y a pas de débat – que dans les prêts en francs suisses, la clause d’indexation relève de l’objet principal du contrat. C’est important du point de vue technique, parce que dans les conditions qui permettent de qualifier les clauses abusives, ce n’est pas le même régime juridique que s’il s’agissait d’une clause accessoire. Ce que dit la CJUE, c’est que la clause d’indexation est le cœur du contrat. Le cas échéant, il n’y a pas de contrôle de ces clauses, sauf si elles ne sont pas transparentes, c’est-à-dire claires et intelligibles pour le consommateur. Sur ce point, la Cour de justice est extrêmement précise, et vient rajouter des critères qui n’avaient pas été pris en compte par la Cour de cassation.

Me Constantin-Vallet face au dénouement de l'affaire Helvet Immo : « Mes clients sont plus déterminés que jamais ! »
la justice au niveau européen @respire888/AdobeStock

AJ : Comme quoi ?

C.C.-V. : Le contexte économique de la crise des subprimes ne pouvait être ignoré par les professionnels, par exemple. Or l’information délivrée aux consommateurs ne permettait pas aux consommateurs de comprendre dans quelle situation économique ils se trouvaient et s’engageaient. La transparence vise à faire prendre conscience au consommateur du coût total du crédit et ce qui peut être réellement à sa charge. Ensuite, les mécanismes du contrat doivent être explicités, pour que le consommateur puisse comprendre à quoi il s’expose.

La CJUE prend aussi en compte la pratique commerciale qui a été utilisée. En l’espèce, BNP a été condamnée (certes en première instance, et il y a appel) mais la Cour de justice rajoute que la banque doit maîtriser son réseau de distribution, peu importe que les produits soient commercialisés par intermédiation. Et elle précise que tous les éléments de la commercialisations (discours, supports…) doivent être pris en compte. Or la cour d’appel de Paris a toujours refusé d’examiner autre chose que le contrat lui-même, considérant que seule l’offre de prêt devait être balayée par le juge, donc c’est très important.

Il y a un autre élément important : le fait que le risque de change pèse entièrement sur le consommateur.

AJ : Pourquoi est-ce important ?

C.C.-V. : Cela introduit un déséquilibre significatif entre les droits et les obligations des parties, ce qui conduit à considérer qu’aucun professionnel n’aurait pu s’attendre à ce que le consommateur choisisse ce contrat s’il avait été informé de manière transparente. La CJUE rajoute, que, quand bien même les taux d’intérêts étaient plus intéressants, ils n’étaient pas du tout contrebalancés par les risques encourus. Et je ne vois pas comment une juridiction nationale pourrait en juger autrement.

AJ : Vous soulignez un point sur lequel la Cour de justice ne s’est pas exprimée : la sanction…

C.C.-V. : Elle n’avait pas été questionnée dessus, mais toute sa jurisprudence de 2020 est venue préciser la sanction. Si le consommateur le souhaite – il peut ne pas le souhaiter car cela implique la restitution du capital emprunté et parfois c’est impossible – il peut obtenir la nullité du contrat. Sauf que dans le prêt Helvet Immo, soit ils ont déjà versé la totalité de l’argent emprunté, soit il leur reste un an ou un an et demi de remboursement. Pour la quasi-totalité de mes clients, ils ont intérêt à obtenir la nullité, qui est une option pour eux.

Malheureusement, les juges nationaux se sont laissé convaincre par la BNP que le public visé était en mesure de comprendre les risques, or ce n’est pas le cas. Les arrêts de la CJUE devraient permettre de répondre à cette anomalie et rendre justice aux justiciables.

AJ : Ces arrêts sont donc sans concessions !

C.C.-V. : Oui, c’est mon sentiment. Mais dans la procédure européenne, je le rappelle, la Cour dit le droit et elle laisse toujours le choix aux juridictions nationales.

Si l’on compare ces arrêts avec d’autres, c’est du bout des lèvres que cette formule est néanmoins employée. Mais les critères sont tellement resserrés que je ne vois pas bien comment la Cour de cassation ne pourrait pas revirer de jurisprudence, d’autant plus qu’on est post-pénal. Et les arrêts de la Cour de cassation ont été rendus dans l’ignorance volontaire de ce que contenait le dossier pénal.

AJ : Vous avancez une somme de 250 millions que la BNP pourrait rembourser ? D’où vient ce chiffre ?

C.C.-V. : Dans le cadre de l’indemnisation octroyée par le tribunal correctionnel, BNP a dû verser à l’ensemble des parties civiles constituées 125 millions d’euros. Quand on suit la logique, en fonction du nombre de contrats souscrits et de consommateurs en procédure, on arrive à doubler ces montants. C’est la raison pour laquelle j’ai évoqué 250 millions, mais c’est dans une hypothèse où seuls les emprunteurs ayant agi au pénal font valoir leurs droits du point de vue civil. En réalité, beaucoup d’emprunteurs n’ont pas pu agir au pénal car ils n’en étaient pas informés, et aujourd’hui, compte-tenu de l’absence de prescription, tous les consommateurs concernés devraient pouvoir saisir une juridiction civile. Donc c’est 250 millions d’euros, a minima.

Les deux actions que j’ai engagées – collectives et clauses abusives – sont susceptibles de gonfler encore la note pour BNP. La logique de la directive 93/13 est de supprimer tout gain pour le professionnel, or BNP a prêté pour près d’un milliard d’euros, ce qui lui a permis de générer d’importants profits et ce sont ces profits qui vont être totalement effacés par l’ensemble des procédures.

AJ : Sait-on à combien s’élève le profit réalisé par BNP ?

C.C.-V. : Je ne peux pas le dire, la seule chose que je peux faire, c’est une évaluation. Peut-être aux alentours de 500 millions. Mais sur cette somme, BNP va expliquer que c’est la somme brute, qu’en réalité, ils n’ont gagné que 50 millions d’euros. De toute façon, leur stratégie de défense a toujours constitué à en dire le moins possible.

AJ : Quelle a été la réaction du groupe et de vos clients à l’annonce des arrêts de la CJUE ?

C.C.-V. : Après décision pénale et la décision du premier président qui a validé l’exécution provisoire, il y a eu chez mes clients une très grande satisfaction d’avoir été reconnus comme victimes et d’avoir obtenu une indemnisation, même si elle est provisoire. Parce que cela leur a permis d’éprouver la justice et donc de savoir qu’il y a une lumière au bout du tunnel. Certes, ce n’est pas terminé, il y a encore le délai d’appel, les procédures civiles, mais déjà, ils ont retrouvé une forme de confiance dans la justice, car elle avait été fortement ébranlée par les arrêts de la Cour de cassation.

Quand la Cour de justice a rendu ces décisions, j’ai été surpris qu’elle soit allée aussi loin. Les marges de manœuvre d’interprétation au niveau national sont très réduites. Mes clients sont maintenant extrêmement déterminés : la sanction de la nullité, c’est leur seul souhait, et pas seulement pour des raisons économiques, mais aussi psychologiques. C’est insupportable de vivre dans cette situation depuis douze ou treize ans. Du côté de BNP, je ne suis pas sûr qu’ils aient pris la mesure de la détermination de mes clients ou des autres emprunteurs.

Maintenant il y a une incertitude qui tient à la reception de l’arrêt par les juridictions nationales. Mes clients sont attentifs et vigilants, ils comptent sur moi pour faire en sorte que les juridictions nationales en fassent une application conforme.

AJ : Seriez-vous étonné que ce ne soit pas le cas ?

C.C.-V. : Ce serait contraire au droit de l’Union. Donc il n’y a pas de choix, mais en revanche, dans l’application, il peut y avoir une interprétation. Dans notre cas, le contrat est le même pour tout le monde, il y a peu de place pour autre chose que ce qui est écrit dans l’arrêt de la CJUE. Et si résistance il y a, cela entraînera un recours en manquement.

AJ : BNP communique sur le fait que des décisions ont été rendues dans son sens…

C.C.-V. : Les procédures civiles, beaucoup moins documentées, sont allées beaucoup plus vite, à l’initiative de BNP, que la procédure pénale, elle très documentée, et c’est ce qui a permis à BNP d’arracher des premières décisions. BNP montrait qu’elle avait gagné 200 à 300 décisions de justice, sauf qu’en réalité, c’est une soixantaine de procédures (puisqu’il faut compter la première instance, les appels et la Cour de cassation) et qu’il faut les ramener au contentieux Helvet Immo qui doit comporter entre 1 500 et 2 000 procédures individuelles. Donc c’est un nombre très faible en proportion.

AJ : Selon vous, un pas supplémentaire a -t-il été franchi pour garantir la sécurité bancaire de consommateurs non suffisamment éclairés ?

C.C.-V. : Cette jurisprudence va bien au-delà de l’affaire Helvet Immo. D’abord, elle s’inscrit dans une série d’arrêts de la Cour de justice, qui ne concernent pas que les prêts toxiques, mais aussi les prêts à la consommation, à taux variable, notamment en Espagne. Que dit la CJUE ? La clause doit être claire, simple et brève, et l’information très accessible pour le consommateur. Est-ce un tournant ? C’est plutôt une continuité du point de vue de la jurisprudence européenne, mais du point de vue des juridictions françaises, et notamment la première chambre civile, c’est un sérieux avertissement.

AJ : En quoi les approches de la justice européenne et de la justice française sont elles si différentes ?

C.C.-V. : La Cour de justice prend les critères de la clause et dit que l’important, c’est de protéger les consommateurs, mais pas parce que les consommateurs sont faibles par nature, mais parce qu’il faut protéger le marché, donc éradiquer les pratiques d’un professionnel qui s’octroie des parts de marché par de mauvaises pratiques. Elle dit qu’il faut supprimer les gains, car sinon les autres concurrents adoptent les mêmes pratiques, pour rester dans la course. C’est une logique inverse de la logique française, qui conserve une grille de lecture très « Code civil 1804 » (les parties doivent être en position de comprendre le contrat) et face à un contentieux massif, le réflexe des juges est de le tarir en décourageant les consommateurs d’agir. Ce faisant, je pense que les juges se trompent d’objectif, ils encouragent les professionnels, car ils leur envoient un message d’impunité. La seule chose qui peut tarif le flux, ce sont des décisions extrêmement fermes.

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