L’accord Canal+/BeIN Sports rejeté par l’Autorité de la concurrence

Publié le 23/06/2016

Présenté comme un élément-clé de la stratégie de redressement du groupe Canal+, l’accord de distribution entre la filiale de Vivendi et BeIN Sports a été rejeté par l’Autorité de la concurrence le 9 juin dernier.

Avec une certaine ironie, la décision de l’Autorité de la concurrence qui rejette l’accord entre Canal+ et BeIN Sports a été rendu le 9 juin dernier, à la veille de l’ouverture de l’Euro 2016 de football ! Une compétition dont la chaîne BeIN Sports avait justement acquis l’intégralité des droits en mars 2013 (18 des 51 matches ont ensuite été revendus à TF1 et M6).

Vincent Bolloré, président des conseils de surveillance de Vivendi et du groupe Canal+, comptait beaucoup sur un potentiel rapprochement avec la chaîne qatarie BeIN pour redevenir un acteur incontournable du sport en France et en Europe. L’Autorité de la concurrence en a décidé autrement : « Pour l’instant, c’est non. Mais nous sommes ouverts à revoir l’ensemble de la situation de Canal+ d’ici un an », concède Bruno Lasserre, son président. L’accord aurait nécessité que le régulateur lève une des 33 injonctions concernant le secteur de la télévision payante.

Ces freins à une situation de monopole avaient été formulés en 2006, et renouvelés en 2012 pour cinq ans (notamment en raison de la fusion de Canal+ avec TPS, son rival d’alors). L’injonction, accompagnée de 33 autres concernant le secteur de la télévision payante, avait été formulée par le régulateur de la concurrence en 2006. Bruno Lasserre possède une expertise difficile à contester dans le dossier, il était en effet déjà président de l’autorité administrative indépendante en 2006 et 2012. « À l’époque, nous avions cherché, avec nos injonctions, à limiter le pouvoir de marché de Canal+, explique-t-il. Canal+ ne nous a pas démontré que le marché avait changé de façon assez forte pour modifier notre analyse de 2012 ».

Depuis plusieurs mois, Vivendi s’est pourtant efforcée de prouver le contraire afin que l’Autorité aménage l’injonction n° 4, celle qui lui interdit de distribuer des chaînes premium de façon « exclusive ». En annonçant le départ de 400 000 abonnées et la perte de 400 millions d’euros pour 2016, Vincent Bolloré évoquait même un risque de faillite en cas de refus de l’Autorité. Ce qui ne semble pas avoir influencé Bruno Lasserre ; face aux chiffres avancés, il répond que le groupe reste « largement rentable dans son ensemble » et que l’offre de Canal+ reste « trop chère ».

L’autre point qui justifiait la révision anticipée d’injonction pour le groupe Canal+ est l’arrivée de nouveaux concurrents dans le secteur des droits sportifs. À l’image de SFR, qui a récupéré le championnat de football anglais en avril dernier. Afin de faire passer l’accord, Canal+ s’était engagé à laisser BeIN Sports à 13 euros par mois et à ne pas exiger d’abonnement à Canal+ ou CanalSat pour accéder à la chaîne. Des engagements appréciés par l’Autorité de la concurrence, qui en avait cependant demandé deux supplémentaires : le refus d’étendre l’autodistribution et d’accorder l’exclusivité pour la distribution sur internet ainsi qu’en outre-mer.

Des conditions auxquelles le groupe n’a pas souhaité se plier, les considérant trop onéreuses, et qui ont certainement pesé dans la décision de l’Autorité de la concurrence. Dans son avis, elle considère que les conditions n’étaient pas remplies pour « lever l’interdiction de distribution exclusive de chaîne sportive premium ». Le régulateur a également jugé que le duopole formé par le groupe Canal+ et BeIN conservait une position dominante avec 80 % du marché des droits, et que « l’acquisition des droits de la Premier league anglaise par le groupe Altice (groupe propriétaire de SFR) reste à ce jour une expérience isolée » et ne démontre pas « l’émergence d’une concurrence suffisante sur le marché ».

Les mesures adoptées en 2012 constituent un ensemble cohérent pour le gendarme de la concurrence et, selon lui, tout aménagement isolé des injonctions précédemment formulées risquerait de mettre en péril l’effet utile de l’ensemble de mesures. La décision ne semble pas avoir affecté outre mesure Vincent Bolloré qui a publiquement déclaré : « On fait contre mauvaise fortune bon cœur » à la suite de l’avis.

Le groupe Canal+, de son côté, a expliqué à travers un communiqué qu’il allait « travailler sur d’autres solutions pour faire cesser les pertes ». Une sobriété qui s’explique aussi par le calendrier : le dossier va en effet revenir assez rapidement sur la table, et cette fois de manière bien plus complète. Le groupe Canal+ ne demandait la révision que d’une seule mesure, mais c’est l’ensemble des 33 injonctions en vigueur qui seront bientôt remises en question.

Dans sa décision, l’Autorité de la concurrence a promis de « réexaminer l’ensemble des injonctions imposées » et de définir « un cadre clair et prévisible pour la période 2017-2022 ». Elle conduira donc, dans les douze prochains mois, un travail de concertation avec tous les acteurs. « Il y a même peut-être d’autres remises à plat à faire », assure Bruno Lasserre en citant le financement du sport ou le financement du cinéma, fragilisé par les difficultés de Canal+.

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