Vers la fin des relations déséquilibrées entre les fournisseurs de l’agroalimentaire et la grande distribution ?

Publié le 21/07/2023
Vers la fin des relations déséquilibrées entre les fournisseurs de l’agroalimentaire et la grande distribution ?
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Dans le but de rééquilibrer les relations commerciales entre les fournisseurs de l’agroalimentaire et la grande distribution, la loi n° 2023-221 du 30 mars 2023 a été adoptée. Elle sapplique depuis le 1er avril 2023. La loi vise à accroître la protection des agriculteurs dans leurs relations commerciales avec la grande distribution.

Depuis quelques années, le législateur cherche à protéger davantage les agriculteurs face à la grande distribution (I). La loi n° 2023-221 du 30 mars 2023 s’inscrit dans cette perspective et prévoit ainsi plusieurs mesures. Elle entend lutter contre « l’évasion juridique » (II). Elle prolonge les mesures d’encadrement des promotions et du seuil de revente à perte (III) et prévoit également des mesures en cas d’absence de conclusion d’un accord au 1er mars (IV). Enfin, elle prévoit la création de la convention logistique et plafonne les pénalités logistiques (V).

I – La protection des agriculteurs dans leurs relations commerciales avec la grande distribution

Ainsi que le précise la lettre de la Direction des affaires juridiques du ministère de l’Économie, « dans le contexte d’une augmentation régulière des prix à la consommation », le Parlement a adopté une nouvelle loi « visant à rééquilibrer les relations commerciales entre les fournisseurs et les distributeur ». Si le rapport de force entre les distributeurs et les fournisseurs semble structurellement déséquilibré au profit des distributeurs, le législateur a entendu intervenir pour lutter contre ce déséquilibre et atteindre des objectifs parfois contradictoires : les fournisseurs doivent pouvoir tirer un revenu suffisant de leur travail et les consommateurs ne doivent pas subir de trop fortes hausses des prix tout en sauvegardant la liberté contractuelle.

Ainsi, après les lois Egalim I (loi no 2018-938 du 30 octobre 2018, dont l’objectif était d’améliorer l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire) et Egalim II (loi n2021-1357 du 18 octobre 2021 visant à protéger la rémunération des agriculteurs), la loi no 2023-221 du 30 mars 2023 (Loi dite Descrozaille ou Egalim 3) a pour but principal d’accroître la protection des agriculteurs dans leurs relations commerciales avec la grande distribution.

Les lois dites Egalim I et Egalim II ont permis au législateur d’agir sur les conditions de la négociation commerciale, par l’adoption de dispositions portant sur les mécanismes de formation des prix, sur la transparence des termes de la négociation et sur les gages de bonne foi des acteurs.

Or, non seulement certaines de ces dispositions n’ont pas été établies de manière définitive, mais l’impact de la crise sanitaire et celui de la guerre en Ukraine aggravant une hausse généralisée des cours de nombreuses matières premières conduisent le législateur à tirer un certain nombre de leçons pour parfaire ce qui a été adopté.

Il en va, en effet, de la souveraineté agricole, alimentaire mais aussi industrielle de la France : la crise sanitaire l’avait révélé dès 2020 et le contexte actuel de hausse des prix, ressenti très durement, porte atteinte à la sécurité des approvisionnements et pose la question de l’accès à ces produits dont certains manquent déjà dans les rayons des grandes surfaces à dominante alimentaire.

II – Lutter contre « l’évasion juridique »

Désormais, les conventions conclues entre un fournisseur et un distributeur portant sur des produits ou des services commercialisés en France sont soumises à la loi française. De plus, les litiges résultant de leur application sont tranchés par les tribunaux français, sous réserve du respect du droit de l’Union européenne, des traités internationaux et du recours à l’arbitrage.

Le but de cette mesure est de protéger les produits français face aux centrales d’achat (intermédiaires du commerce de gros) situées à l’étranger et à « l’évasion juridique » pouvant être pratiquée par les distributeurs.

III – La prolongation des mesures d’encadrement des promotions et du seuil de revente à perte

La loi Egalim 3 prolonge la mise en place de mesures introduites par les lois Egalim et Egalim 2 :

– l’encadrement des promotions sur les produits alimentaires jusqu’au 15 avril 2026 à hauteur de 34 % de la valeur des produits alimentaires dans les grandes surfaces et à 25 % en volume ;

– l’encadrement des promotions sur les produits de grande consommation (PCG, comme les produits d’hygiène et d’entretien, produits de beauté…) à partir du 1er mars 2024 à hauteur de 34 % de leur valeur et 25 % en volume. Cette mesure a pour objectif de protéger les PME françaises face aux promotions nuisibles pour leur pérennité. Selon le cabinet Osborne Clarke, « l’extension aux PGC a été justifiée par le fait que l’encadrement des promotions sur les produits alimentaires avait conduit à un report des promotions vers les produits non alimentaires, entraînant des effets de bords sur les emplois, les investissements et les innovations en France » ;

– le seuil de revente à perte jusqu’au 15 avril 2025 qui oblige les distributeurs à vendre les produits alimentaires au prix auquel ils les ont achetés majoré de 10 %. Les fruits et légumes sont exclus de ce dispositif.

À cet égard, chaque distributeur de produits de grande consommation doit transmettre aux ministres chargés de l’Économie et de l’Agriculture, avant le 1er septembre de chaque année, un document présentant la part du surplus de chiffre d’affaires enregistré qui s’est traduite par une revalorisation des prix d’achat des produits alimentaires et agricoles auprès de leurs fournisseurs.

Le gouvernement, quant à lui, doit transmettre au président de la commission chargée des affaires économiques de l’Assemblée nationale et du Sénat ce document, qui ne peut être rendu public.

IV – L’absence de conclusion d’un accord au 1er mars

Pour rappel, les négociations commerciales entre fournisseurs (industriels de l’agroalimentaire) et distributeurs (groupes de la grande distribution) ont lieu chaque année du 1er décembre au 1er mars. Ceux-ci portent sur le prix des produits, le montant des commandes et les potentielles promotions.

Jusqu’à présent, si les parties n’avaient trouvé aucun accord au 1er mars, le fournisseur devait livrer le distributeur aux conditions convenues l’année précédente. Cette disposition ignorait la possibilité d’une forte hausse des coûts de production d’une année à l’autre pour le fournisseur.

Désormais, sur les trois prochaines années et à titre expérimental, si aucune convention n’est conclue au 1er mars (ou dans les deux mois suivant le début de la période de commercialisation des produits ou des services soumis à un cycle de commercialisation particulier), le fournisseur pourra :

– Soit, en l’absence de contrat nouvellement formé, mettre fin à toute relation commerciale avec le distributeur, sans que ce dernier puisse invoquer la rupture brutale de la relation commerciale ;

– Soit demander l’application d’un préavis écrit de rupture prenant en compte la durée de la relation commerciale ainsi que les conditions économiques du marché sur lequel opèrent les parties.

Les parties peuvent également saisir le médiateur des relations commerciales agricoles ou le médiateur des entreprises afin de conclure, sous son égide et avant le 1er avril, un accord fixant les conditions d’un préavis, qui doit notamment tenir compte des conditions économiques du marché sur lequel opèrent les parties. En cas d’accord des parties sur les conditions du préavis, le prix convenu s’applique rétroactivement aux commandes passées à compter du 1er mars.

En cas de désaccord, le fournisseur peut mettre fin à toute relation commerciale avec le distributeur, sans que ce dernier puisse invoquer la rupture brutale de la relation commerciale ou demander l’application d’un préavis conforme.

En outre, il faut rappeler qu’afin de faire pression sur les fournisseurs, des distributeurs ne respectent pas la date limite du 1er mars. Pour mettre fin à cette pratique, la loi dispose qu’en cas de non-respect de l’échéance du 1er mars, le distributeur est passible d’une amende administrative ne pouvant excéder 200 000 euros pour une personne physique et 1 million d’euros pour une personne morale. Il encourt le double en cas de récidive dans un délai de 2 ans à partir de la première sanction.

De plus, dans le but de préserver les intérêts des fournisseurs et de garantir le respect de la date butoir du 1er mars, la loi Egalim 3 indique que la négociation de la convention écrite doit être conduite de bonne foi par les parties. Le non-respect de cette bonne foi, lorsqu’elle a pour conséquence de ne pas permettre la conclusion d’un contrat à la date butoir, constitue une pratique restrictive de concurrence engageant la responsabilité de son auteur et l’obligeant à réparer le préjudice causé.

Enfin, la loi impose que la négociation commerciale ne puisse pas porter sur la part représentant les matières premières agricoles dans le tarif proposé sur un produit. Désormais, cette non-négociabilité s’étend aux produits vendus sous la marque du distributeur alors qu’ils en étaient exclus jusqu’alors.

V – La création de la convention logistique et le plafonnement des pénalités logistiques

La loi introduit également une convention logistique, qui sera distincte de la convention commerciale portant sur les tarifs, s’agissant notamment du montant des pénalités et de la détermination de leur montant. L’échéance du 1er mars ne s’applique pas à cette convention.

Par ailleurs, pour empêcher les dérives pratiquées par la grande distribution, les pénalités infligées au fournisseur par le distributeur doivent être proportionnées au préjudice subi au regard de l’inexécution d’engagements contractuels, dans la limite d’un plafond équivalent à 2 % de la valeur des produits commandés relevant de la catégorie de produits au sein de laquelle l’inexécution d’engagements contractuels a été constatée.

À noter. Aucune pénalité ne pourra être infligée pour l’inexécution d’engagements contractuels datant de plus d’un an.

Enfin, la loi prévoit que chaque distributeur devra communiquer au directeur général de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, au plus tard le 31 décembre de chaque année, les montants des pénalités logistiques qu’il a infligées à ses fournisseurs au cours des 12 derniers mois ainsi que les montants effectivement perçus. Il doit détailler ces montants pour chacun des mois. Les fournisseurs doivent, eux aussi, communiquer les pénalités subies sur la dernière année.

Tout manquement à ces obligations fera l’objet d’une amende civile d’un montant de 500 000 euros pour une personne morale.

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