Affaire Generali : la Cour de cassation précise les caractéristiques de l’obligation

Publié le 22/02/2018

L’affaire Generali connaît un nouvel épisode. La Cour de cassation vient préciser les caractéristiques essentielles de l’obligation. Elle revient sur la position de l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 21 juin 2016 (n° 15/00317), en décidant que le remboursement du nominal n’est pas une caractéristique essentielle de l’obligation. La plus haute juridiction de l’ordre judiciaire apporte ainsi un heureux éclairage en la matière.

Cass. 2e civ., 23 nov. 2017, no 16-22620

1. Faits. Le 23 novembre 2017, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a rendu un arrêt particulièrement intéressant relatif aux critères essentiels de l’obligation1.

En l’espèce M. X a souscrit un contrat d’assurance sur la vie en unités de compte auprès de la société Fédération continental, aux droits de laquelle vient désormais la société Generali vie (l’« assureur »). En cours de contrat, il a décidé de placer l’ensemble de sa prime sur le support « Optimiz Presto 2 » commercialisé par l’assureur comme « un produit obligataire non garanti en capital à échéance et dont les actifs concernés sont admis sur le marché officiel de la Bourse de Luxembourg ».

Les mauvaises performances du support Optimiz Presto 2 ont conduit M. X à soutenir que le support ne pouvait être éligible à l’assurance sur la vie. S’ensuit une procédure judiciaire qui amène la cour d’appel de Paris à se prononcer sur l’éligibilité du produit Optimiz Presto 2 à l’assurance sur la vie. Les juges du fond sont donc amenés à se prononcer sur la qualification du produit Optimiz Presto 2 en obligation afin de déterminer si le produit est éligible au contrat sur la vie. La cour d’appel de Paris donna raison à M. X dans un arrêt en date du 21 juin 2016 en concluant que le « détenteur n’a pas droit au remboursement du nominal de sorte que cette caractéristique essentielle de l’obligation n’étant pas acquise, le produit litigieux ne peut être qualifié d’obligation et n’est donc pas éligible au contrat » et par conséquent condamna l’assureur à verser une importante somme à M. X. L’assureur forma alors un pourvoi en cassation.

Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation est amenée à déterminer si le remboursement du nominal est une caractéristique essentielle de l’obligation dont l’absence empêche la qualification en obligation. Elle décide de casser partiellement l’arrêt de la cour d’appel au motif que cette dernière a ajouté à la loi une condition qu’elle ne comporte pas.

2. Afin d’appréhender l’arrêt, nous présenterons dans un premier temps l’obligation (I) avant de nous intéresser à l’étude des éléments caractéristiques de l’obligation (II).

I – Présentation de l’obligation

3. La présentation de l’obligation nous amène, en premier lieu, à exposer son histoire (A) puis de nous consacrer à l’aspect pratique de l’obligation (B).

A – Bref aperçu historique de l’utilisation de l’obligation

4. Une utilisation de l’obligation à la Renaissance. On peut trouver des traces de l’utilisation de l’obligation comme un outil de financement de l’État à l’époque de la Renaissance. Le premier emprunt obligataire fut lancé sous le règne de François Ier sous forme de rente perpétuelle.2

5. Le développement du financement obligataire au XIXe siècle. C’est au XIXe siècle que se développe l’utilisation du financement obligataire3. La Compagnie universelle du canal interocéanique de Panama a ainsi recouru de nombreuses fois à l’émission d’obligations pour financer la construction du canal de Panama.4

6. La consécration législative. Finalement le financement obligataire fut adopté par les entreprises du secteur privé. Cela poussa le législateur à adopter plusieurs lois protectrices des obligataires : une loi du 30 janvier 1907 relative à la protection des épargnants, un décret-loi du 30 octobre 1935 et la loi du 24 juillet 1966 relative aux sociétés commerciales. Ces dispositions se retrouvent dorénavant aux articles L. 228-30 à L. 228-90 du Code de commerce, aux articles L. 245-9 à L. 245-15 et R. 228-57 à R. 228-86 du code précité.5

Aujourd’hui le droit des obligations se trouve dans de nombreux codes et rend la matière complexe6.

7. Une utilisation croissante du financement obligataire. Nous assistons actuellement à un fort attrait pour le financement par l’émission d’obligations7. Ce phénomène peut s’expliquer par la démocratisation du financement obligataire, la souplesse laissée aux émetteurs dans la structuration des obligations8 mais également par le développement de la désintermédiation, du renforcement des ratios prudentiels pesant sur les banques, la recherche du rendement9 combiné à un faible rendement des emprunts d’État10 et aux conditions de financement parfois plus compétitives que le financement bancaire.

B – Présentation pratique de l’obligation

8. Les principales caractéristiques des obligations. Le contrat d’émission prévoit de nombreuses clauses, nous pouvons en citer quelques-unes :

  • l’identité de l’émetteur ;

  • le nominal de l’obligation ;

  • la date d’émission ;

  • la date de jouissance ;

  • le taux d’intérêt nominal ;

  • la périodicité des flux ;

  • la maturité de l’obligation ;

  • le prix de remboursement ;

  • le prix d’émission ;

  • etc.

L’élément qui focalise notre attention est la clause de prix de remboursement. Si l’on se réfère à l’arrêt de la cour d’appel de Paris, l’obligataire « a droit au remboursement du nominal à l’échéance. » Précisons pour l’instant que la pratique ne se limite pas à la stipulation du remboursement du nominal. Le contrat d’émission peut prévoir que le prix de remboursement soit égal au nominal (au pair), supérieur au nominal (au-dessus du pair) ou en dessous du nominal (en dessous du pair). Le contrat d’émission est une terre fertile pour l’imagination humaine sous l’égide de la liberté contractuelle11.

9. Schéma d’une émission d’obligations simples. La juste appréhension de l’obligation suppose d’avoir une idée de la structuration financière de l’opération.

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Au regard des éléments exposés, il convient de s’intéresser à l’apport de l’arrêt.

II – Un éclaircissement sur les éléments caractéristiques de l’obligation

10. L’arrêt de la Cour de cassation se comprend à l’aune des définitions légales de l’obligation (A). C’est à ces définitions que renvoie la Cour de cassation pour décider que le remboursement du nominal n’est pas une caractéristique essentielle de l’obligation.

Cet arrêt est intéressant car il rappelle que le droit de créance, caractéristique essentielle de l’obligation, ne se limite pas au seul droit du remboursement du nominal (B).

A – Définition légale de l’obligation

11. Une définition stable. Le législateur a consacré plusieurs articles à la définition de l’obligation.

Les obligations sont ainsi définies comme des titres négociables qui confèrent, au sein d’une même émission, les mêmes droits de créances sur la société émettrice pour une même valeur nominale12.

Les obligations sont également des valeurs mobilières qui confèrent des droits identiques par catégorie13.

Les obligations sont également des titres de créance, à ce titre les obligations sont des titres financiers, en vertu de l’article L. 211-1 du Code monétaire et financier, représentant un droit de créance sur la personne morale qui les émet.

L’obligation peut aussi être définie comme une fraction d’un emprunt collectif, « une coupure d’un emprunt global offert à de nombreux souscripteurs »14. On peut voir dans cette qualité la justification du fait que les obligations d’un même emprunt confèrent les mêmes droits à leurs souscripteurs, pour une même valeur nominale15.

Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation donne une définition de l’obligation qui rejoint celles exposées. En effet, la Cour estime qu’en vertu des articles L. 213-5 du Code monétaire et financier et L. 228-38 du Code de commerce, « les obligations sont des titres négociables qui, dans une même émission, confèrent les mêmes droits de créance pour une même valeur nominale ».

12. Une stabilité malmenée par un arrêt de la cour d’appel de Paris en date du 21 juin 2016. Le 21 juin 2016, la cour d’appel de Paris a, dans un arrêt retentissant16, défini l’obligation comme « un titre de créance représentatif d’un emprunt et dont le détenteur, outre la perception d’un intérêt, a droit au remboursement du nominal à l’échéance. » La cour d’appel de Paris ajoute que le remboursement du nominal est « une caractéristique essentielle » de l’obligation sans laquelle cette qualification est impossible.

Cette qualification peut étonner au regard des définitions légales précédemment exposées. L’arrêt du 23 novembre 2017 vient clarifier la situation.

B – Le droit au remboursement du nominal n’est pas la seule forme du droit de créance

13. La mise au point de la Cour de cassation. L’arrêt du 23 novembre 2017 est instructif puisqu’il casse l’arrêt de la cour d’appel de Paris au motif « que la qualification d’obligation n’est pas subordonnée à la garantie de remboursement du nominal du titre ».

Cet attendu doit être lu avec attention. Il précise que la qualification d’obligation ne dépend pas de la garantie de remboursement. Cela ne signifie en aucun cas que l’obligataire n’a pas le droit au remboursement du nominal, cela signifie que l’obligataire n’a pas forcément le droit à la garantie du remboursement du nominal. La différence est notable.

De plus cet arrêt se comprend à la lecture des motivations de la cour d’appel de Paris. Cette dernière estime « [qu]’une obligation est (…) un titre de créance représentatif d’un emprunt et dont le détenteur, outre la perception d’un intérêt, a droit au remboursement du nominal à l’échéance ». Imposer le remboursement du nominal revient à limiter l’étendue du droit de créance accordé par le législateur aux obligataires. Certes, en pratique, le contrat d’émission obligataire stipule classiquement le remboursement du nominal en sus du versement des intérêts. Cependant il ne s’agit là que d’une des formes que peut prendre le droit de créance des obligataires.

14. Un arrêt respectueux de la liberté contractuelle. La liberté contractuelle, « principe fondateur du droit des contrats »17, est aujourd’hui inscrite à l’article 1102 du Code civil. L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations18, a inscrit dans le Code civil le principe selon lequel « [chacun] est libre de contracter ou de ne pas contracter, de choisir son cocontractant et de déterminer le contenu et la forme du contrat dans les limites fixées par la loi. »19

À notre connaissance, le législateur n’impose pas aux parties, dans le cadre d’une émission obligataire, de prévoir un prix de remboursement égal à la valeur nominale des obligations20.

Dans ce cas, les juges du fond « [ajoutent] à la loi une condition qu’elle ne comporte pas (…) ». En conséquence, un tel arrêt reviendrait à limiter la liberté contractuelle puisqu’il limiterait le contenu du contrat21. Le droit des contrats peut ainsi nous apporter un autre éclairage au regard du bien-fondé de l’arrêt de la Cour de cassation.

L’arrêt de la haute juridiction judiciaire permet donc de sécuriser la pratique financière, de préserver la liberté contractuelle des émetteurs et peut-être même in fine l’attractivité du droit français22.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. 2e civ., 23 nov. 2017, n° 16-22620.
  • 2.
    Chammas L. et Sevennec C., JCl. Banque – Crédit – Bourse, fasc. 1870 : « Obligations. Généralités. Émissions. Souscription », date de la dernière mise à jour : 3 août 2017.
  • 3.
    Archambault A.-L., Joly Sociétés, Obligations, n° EO020.
  • 4.
    Lecourt A., Rép. sociétés Dalloz, v. « Obligation », 2015, actualisation : mai 2017, n° 9.
  • 5.
    Lecourt A., ibid., nos 9-10.
  • 6.
    Pour une présentation sur les articles du Code de commerce et du Code monétaire et financier : Archambault A.-L., Obligations, op. cit., n° 015 ; Pour une présentation illustrant la grande diversité des sources du droit des obligations : Lecourt A., « Obligation », op. cit., n° 18.
  • 7.
    V. également Bouchaud B., « Le marché européen de la dette financière va encore croître », L’AGEFI Quotidien, édition de 7h, 22 nov. 2017 (article consulté sur internet le 1er décembre 2017 : http://www.agefi.fr/asset-management/actualites/quotidien/20171122/marche-europeen-dette-financiere-va-encore-croitre-233155) ; Cuny D., « 2017, année du “krach obligataire”… ou pas ? », La Tribune, 21 déc. 2016 (article consulté sur internet le 1er décembre 2017 : https://www.latribune.fr/entreprises-finance/banques-finance/2017-annee-du-krach-obligataire-ou-pas-625742.html).
  • 8.
    V. nota. Couret A. et Sébire M.-E., « Les produits obligataires : regards sur la pratique récente », BRDA 24/15, inf. 22, n° 1.
  • 9.
    Gloser C., « Regain d’intérêt », Fidelity, L’AGEFI Hedbo, 19 nov. 2015, p. 2.
  • 10.
    Ianelli A., « L’environnement économique ouvre une nouvelle ère sur le marché obligataire », Fidelity, L’AGEFI Hebdo, 19 nov. 2015, spéc. p. 4.
  • 11.
    Pour une illustration des différentes obligations imaginées par la pratique v. Endreo G., « Qu’est-ce qu’une obligation ? », BJB sept. 2016, n° 114n9, p. 369, § 10 et s ; Pezard A., Droit des marchés monétaire et boursier, 1994, Éd. JNA, n° 102, p. 106.
  • 12.
    C. mon. fin., art. L. 213-5. Un auteur estime à ce sujet que : « [la] définition légale met en évidence trois caractères essentiels des obligations : elles sont des droits de créances, ces droits sont identiques au sein d’une même émission et ces droits sont négociables » (Archambault A.-L., Obligations, op. cit., n° 005, passages soulignés par nos soins).
  • 13.
    C. com., art. L. 228-1.
  • 14.
    Dict. perm. v. « Obligation – Obligataire », n° 1.
  • 15.
    C. mon. fin., art. L. 213-5.
  • 16.
    CA Paris, 21 juin 2016, n° 15/00317 : Endreo G, « Qu’est ce qu’une obligation ? », op. cit.
  • 17.
    Fages B., Droit des obligations, 4e éd., 2013, LGDJ-Lextenso, n° 31.
  • 18.
    À l’heure où nous écrivons ces lignes, le projet de loi ratifiant l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations est discuté à l’Assemblée nationale et au Sénat (le « projet »). Nous pouvons préciser que l’article 1 du projet ratifie l’ordonnance de manière générale, dont l’article 1102 du Code civil. Quant aux autres articles du projet, ils ne traitent pas de l’article 1102 du code précité.
  • 19.
    Précisons que le deuxième alinéa de l’article 1102 du Code civil dispose que « [la] liberté contractuelle ne permet pas de déroger aux règles qui intéressent l’ordre public. »
  • 20.
    Cette assertion est appuyée par le présent arrêt où la Cour de cassation souligne que les juges du fond ajoutent une condition à la loi qu’elle ne comporte pas.
  • 21.
    Le contenu du contrat est aujourd’hui régi par les articles 1162 et suivants du Code civil. V. sur la liberté contractuelle : Petit B. et Rouxel S., JCl. Civil Code, Fasc. unique : Contrat. Définition du contrat et liberté contractuelle, 15 nov. 2016 (date de dernière mise à jour), nos 31 et s.
  • 22.
    À titre informatif il faut signaler que le rapport « Doing Business » 2017 publié par la Banque mondiale, relatif à la facilité de faire des affaires, classe la France au 31e rang sur 190 pays. Il est notable que le rang de la France ne cesse de baisser depuis plusieurs années.
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