Paris (75)

Finance : « Le droit est un outil de compétitivité pour la place de Paris »

Publié le 29/10/2021

Le 4 octobre dernier se tenait partout en France la Nuit du droit. Organisé par le Conseil constitutionnel, cet événement a pour objectif de mieux faire connaître le droit, ses institutions et ses métiers. Pour la première fois, l’Autorité des marchés financiers (AMF) y participait avec deux tables rondes autour de l’attractivité de la place financière de Paris. Retour sur cette soirée et les discussions tenues avec Anne Maréchal, directrice juridique de l’AMF.

Actu-juridique : Pourquoi l’Autorité des marchés financiers (AMF) a-t-elle participé pour la première fois à la Nuit du droit ?

Anne Maréchal : Nous avons été sollicités par Marie-Noëlle Dompé, la secrétaire générale de la Nuit du droit et ancienne directrice juridique de l’Autorité des marchés financiers, pour participer à l’événement. Notre président, Robert Ophèle, en collaboration avec le président du Haut comité juridique de la place financière de Paris (HCJP), Gérard Rameix, s’est dit qu’il serait intéressant pour l’AMF de prendre part à cette édition notamment pour y décliner une thématique importante pour nous : l’attractivité de la place financière.

AJ : La Nuit du droit c’est aussi l’occasion de vous faire connaître ?

A.M. : Il nous semblait surtout important de faire connaître les travaux du Haut comité juridique et notamment ceux que l’AMF mène conjointement avec lui. Cette structure créée en 2015 sous l’impulsion de l’AMF et de la Banque de France, réalise des études juridiques de grande qualité sur de nombreux sujets et notamment sur le Brexit et les marchés financiers.

AJ : C’est d’ailleurs autour du Brexit que vous avez organisé votre première table ronde, pourquoi ?

A.M. : Nous avons pensé que le sujet de l’attractivité de la place de Paris intéresserait le grand public pour cette édition de la Nuit du droit. Le Brexit est l’un des dossiers sur lesquels nous avons le plus travaillé ces dernières années avec le concours du HCPJ. C’était ainsi l’opportunité pour nous de faire le point sur les travaux réalisés et les propositions que nous avions faites à ce propos.

Entre 2017 et 2020, le Haut Comité a publié une dizaine de rapports et d’avis juridiques sur le Brexit. Je pense notamment à la problématique de la relocalisation de certaines activités financières après le départ du Royaume-Uni de l’Union européenne. Un pays caractérisé historiquement par la libre prestation de services et le libre établissement. La place de Paris s’est révélée d’ailleurs être l’une des plus attractives pour les acteurs qui ont décidé de quitter le Royaume-Uni. À ce propos, la directrice juridique France de Bank of America a témoigné durant la table ronde des raisons de leur relocalisation à Paris. Plus généralement, nous sommes revenus aussi sur nos travaux permettant de mieux faire connaître le cadre juridique français dans l’univers de la finance où traditionnellement il existe une prédominance du droit anglo-saxon. Les propositions portées par l’AMF ont permis par exemple d’adapter la réglementation pour rendre attractif le nouveau contrat-cadre de droit français pour les transactions de marché (dit contrat-cadre ISDA) alors que jusqu’à présent les acteurs de marché ne concluaient essentiellement que des contrats de droit anglais. Enfin, toujours en lien avec le Brexit, nous avons évoqué la création, à la suite de rapports du HCPJ, des chambres internationales du tribunal de commerce et de la cour d’appel de Paris destinées à traiter des contentieux des marchés financiers, et ce entièrement en anglais.

Finance : « Le droit est un outil de compétitivité pour la place de Paris »
Photo : ©AdobeStock/TMLsPhotoG

AJ : La deuxième table ronde de cette soirée portait sur la régulation et l’innovation des crypto-actifs. En quoi cela est-il un enjeu important pour la place de Paris ?

A.M. : Comme pour le Brexit, l’AMF s’est très tôt saisie du sujet, devenu essentiel depuis, des crypto-actifs. Dès 2016, nous avons commencé à étudier les conséquences juridiques induites par les nouvelles techniques de registres partagés et de « tokenisation ». Il nous a fallu appréhender les implications de la blockchain et des actifs numériques dans le monde de la finance, et pour ces nouveaux acteurs saisir la réglementation propre à leurs activités. Dès la fin 2017, nous publiions notre première analyse juridique sur les actifs numériques. Logiquement, l’AMF a été associée de très près à l’élaboration des dispositifs innovants prévus en 2019 dans la loi Pacte (L. n° 2019-486, 22 mai 2019) permettant l’instauration d’un cadre pour les levées de fonds par émission de jetons (ICO) et pour les prestataires de services sur actifs numériques (PSAN). À ce jour, nous avons enregistré 23 de ces prestataires. La loi Pacte permet dorénavant, aux porteurs de projets d’ICO qui le souhaitent de soumettre leurs documents d’information à un visa optionnel délivré par l’Autorité des marchés financiers à la condition qu’ils satisfassent à certaines exigences, ce qui les autorise ensuite à démarcher le grand public. Dans une même logique, les PSAN peuvent se soumettre volontairement à un cadre exigeant et obtenir un agrément de l’AMF. Cette forme de « labellisation de qualité » a pour but de permettre le développement des projets sérieux en France tout en légitimant les nouveaux acteurs auprès de leurs clients dans un monde où on déplore des fraudes importantes. Cet encadrement a été bien accueilli par les parties prenantes et a permis à la place de Paris d’être en avance dans la mise en place d’une réglementation spécifique aux actifs numériques. Nous espérons aussi que cette réglementation contribuera à retenir nos meilleurs talents évoluant dans la blockchain, trop souvent tentés de rejoindre les États-Unis ou l’Asie. Nous avons eu la satisfaction de constater que le projet de règlement européen MiCA (Markets in Crypto-Assets) en cours de discussion s’inspire grandement des dispositions de la loi Pacte.

Aussi, s’agissant des titres financiers digitaux, les « security tokens », échangés sur la blockchain mais qui sont des instruments financiers (actions ou obligations) contrairement aux actifs numériques soumis au régime juridique de la loi Pacte, nous avons analysé dans une étude publiée en mars 2020 puis dans le cadre d’un groupe de travail du HCJP, les nombreux blocages juridiques faisant obstacle à leur développement. En effet, la réglementation financière, pour l’essentiel d’origine européenne, n’a pas été pensée pour la blockchain notamment parce qu’elle exige des intermédiaires, elle n’est pas compatible avec la réglementation tant en matière de négociation que de règlement. Ainsi, une nouvelle fois, l’AMF et la HCJP, ont été à l’initiative d’une proposition qui a été, il y a peu, reprise par la Commission européenne dans sa proposition de règlement instaurant un régime pilote pour les infrastructures de marché sur la blockchain. Concrètement il s’agit de créer un Laboratoire digital européen qui permettra pendant six ans aux acteurs de l’écosystème des crypto-actifs d’expérimenter de nouveaux usages liés à la blockchain pour les titres financiers (notamment des plateformes de négociation et de règlement-livraison de ces titres), sans respecter l’application de certaines réglementations européennes, et ce en contrepartie d’un suivi renforcé des autorités publiques.

Cet exemple et ceux évoqués pendant la Nuit du droit montrent bien la vitalité de la place de Paris et de ses acteurs.

AJ : Pourquoi la dimension juridique est-elle si importante pour l’attractivité d’une place financière ?​​

A. M. : Le droit est un outil de « guerre économique » et une réglementation adaptée contribue fortement à la compétitivité d’une place financière. Sans un cadre juridique clair et innovant mais aussi protecteur, les acteurs se détournent de votre marché. Dans un monde sans frontière, il est simple aujourd’hui de s’établir ailleurs. Un bon environnement réglementaire est fondamental pour l’attractivité d’une place car il permet de créer un écosystème propice au développement des activités. Aussi, il est essentiel que celui-ci ne soit pas trop rigide pour permettre l’innovation, à l’instar du Laboratoire digital pour les titres financiers digitaux que l’Europe est en train de mettre en place.

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