Le Conseil d’État précise la nature juridique et les modalités d’imposition du bitcoin

Publié le 31/05/2018

Les crypto-monnaies sont un des grands sujets d’actualité de la fin d’année 2017 et de l’année 2018. Les banques, les législateurs, les autorités de régulation et le public s’intéressent à ce sujet. Sur le plan juridique, l’administration fiscale a été prompte à appréhender les crypto-monnaies. Dès 2014, elle publiait des commentaires où elle traitait de la fiscalité des bitcoins. Le contentieux fiscal a suivi – tout naturellement –. Dans la décision commentée, en date du 26 avril 2018, le Conseil d’État est amené à se prononcer sur les modalités d’imposition des gains réalisés par des particuliers à l’occasion de la cession de bitcoins. À cette occasion, il s’est également prononcé sur la nature juridique des bitcoins.

CE, 26 avr. 2018, no 417809, 418030, 418031, 418032 et 418033, M. G. et a.

Depuis l’incroyable hausse de leurs cours, les bitcoins, ethereum, litecoin et autres crypto-monnaies1 ont les honneurs de l’actualité financière, l’attention du public et celle des autorités de régulation. Face au succès grandissant de ces crypto-monnaies, il ne s’agissait que d’une question de temps pour que naissent les premiers contentieux. La décision du Conseil d’État en date du 26 avril 20182 en est l’illustration.

1. En l’espèce, l’Administration a publié deux commentaires administratifs3 le 11 juillet 2014, où elle précise les modalités d’imposition des gains réalisés par des particuliers à l’occasion de la cession de bitcoins4 : soit ces gains sont imposables dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) lorsqu’ils correspondent à une activité habituelle, soit ils sont imposables dans la catégorie des bénéfices non commerciaux (BNC) dans le cas d’une activité occasionnelle. Plusieurs requérants ont saisi le Conseil d’État afin de faire annuler ces commentaires au motif que les gains seraient imposables dans la catégorie des plus-values de biens meubles.

La question qui se pose donc aux conseillers d’État est de déterminer les modalités d’imposition des gains réalisés par des particuliers à l’occasion de la cession de bitcoins. Ils vont ainsi préciser les modalités d’imposition en annulant certains passages des commentaires administratifs.

Cette décision est intéressante à plus d’un titre. Non seulement elle précise le régime fiscal des gains réalisés par des particuliers à l’occasion de la cession de bitcoins (II) mais elle précise également la nature juridique du bitcoin (I), cette dernière rendant la décision du Conseil d’État importante non seulement pour les fiscalistes mais également pour les juristes financiers et plus généralement pour tous les juristes s’intéressant à la matière.

I – Qualification juridique du bitcoin

2. La décision du Conseil d’État doit être lue avec attention car celui-ci y précise la nature juridique du bitcoin5. Le Conseil d’État estime ainsi que les bitcoins ont le caractère de biens meubles incorporels6.

La qualification retenue par la haute juridiction s’inscrit dans le sillage des qualifications retenues par l’Autorité des marchés financiers7 ou par la Banque de France8.

Cette qualification a une influence en droit financier puisqu’elle permet d’estimer que les bitcoins peuvent faire l’objet d’un contrat financier en tant qu’actif sous-jacent9. La pratique financière ayant cours aux États-Unis a, de son côté, déjà commencé à proposer des contrats portant sur les bitcoins tel les « bitcoins futures »10 proposés par le CME Group11 ou ceux proposés par le Cboe12. En France, la décision du Conseil d’État peut avoir pour effet de sécuriser la position des financiers français et leur permettre de proposer des contrats ayant pour actif sous-jacent le bitcoin.

Il est enfin notable que l’approche retenue en France n’est pas hégémonique ; la qualification juridique du bitcoin diffère selon les pays. Ainsi en Allemagne, les crypto-monnaies sont considérées comme des instruments financiers et leur utilisation doit être approuvée par les autorités financières13.

3. La précision apportée par le Conseil d’État sur la nature juridique du bitcoin n’est pas le seul point important de cette décision, la haute juridiction de l’ordre administratif se penche également sur le régime fiscal de la cession de bitcoins par les particuliers.

II – Précision sur le régime fiscal de la cession de bitcoins par les particuliers

4. Dans sa décision du 26 avril 2018, le Conseil d’État qualifie les bitcoins de biens meubles incorporels et estime que l’article 150 UA du Code général des impôts s’applique en principe aux profits réalisés lors de leur cession par des particuliers14. Il ressort de cette décision que la plus-value réalisée lors de la cession de bitcoins par des particuliers relève en principe de la catégorie des plus-values de biens meubles, et est passible de l’impôt sur le revenu, dans les conditions prévues aux articles 150 V à 150 VH du Code général des impôts. Le Conseil d’État indique toutefois qu’il en va autrement si la cession, eu égard aux circonstances dans laquelle elle intervient, entre dans le champ d’application d’autres dispositions relatives à d’autres catégories de revenus15.

5. Le Conseil d’État précise également que la cession de bitcoins peut être imposée dans la catégorie des BNC « dans la mesure où ils ne constituent pas un gain en capital résultant d’une opération de placement mais sont la contrepartie de la participation du contribuable à la création ou au fonctionnement de ce système d’unité de compte virtuelle »16. Ainsi les mineurs17 qui reçoivent des bitcoins en contrepartie de la création de blocs18 et qui les revendent sont imposés dans la catégorie des BNC. La haute juridiction souligne par ailleurs que « les gains provenant de la cession, à titre habituel, d’unités de “bitcoin” acquises en vue de leur revente, y compris lorsque la cession prend la forme d’un échange contre un autre bien meuble, dans des conditions caractérisant l’exercice d’une profession commerciale, sont imposables dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux »19. En d’autres termes, le Conseil d’État confirme l’imposition en BIC des gains réalisés de la cession de bitcoins à titre habituel.

6. Ces éléments permettent au Conseil d’État de décider l’annulation du troisième alinéa du paragraphe n° 730 du commentaire administratif du 11 juillet 2014 (BOI-BIC-CHAMP-60-50) et du troisième alinéa du paragraphe n° 1080 du commentaire administratif du 3 février 2016 (BOI-BNC-CHAMP-10-10-20-40) pour méconnaissance des articles 92 et 150 UA du Code général des impôts. Cette décision se comprend car l’imposition dans la catégorie des BNC des gains provenant de la cession de bitcoins n’est pas automatique, elle implique certaines conditions, or cela n’apparaissait pas dans les commentaires administratifs puisqu’ils indiquaient de manière générale que les produits tirés de la cession à titre occasionnel d’unités de bitcoins sont des revenus relevant des prévisions de l’article 92 du Code général des impôts.

BOI-BIC-CHAMP-60-50, n° 730

Avant la décision du 26 avril 2018

Après la décision du 26 avril 2018

Le bitcoin est une unité de compte virtuelle qui peut être valorisée et utilisée comme outil spéculatif.

Par conséquent, conformément aux dispositions de l’article L. 110-1 du Code de commerce qui répute acte de commerce toute acquisition de biens meubles aux fins de les revendre, l’achat-revente de bitcoins exercée à titre habituel et pour son propre compte constitue une activité commerciale par nature dont les revenus sont à déclarer dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) en application de l’article 34 du CGI.

En revanche, les produits tirés de cette activité à titre occasionnel sont des revenus relevant des prévisions de l’article 92 du CGI.

Le bitcoin est une unité de compte virtuelle qui peut être valorisée et utilisée comme outil spéculatif.

Par conséquent, conformément aux dispositions de l’article L. 110-1 du Code de commerce qui répute acte de commerce toute acquisition de biens meubles aux fins de les revendre, l’achat-revente de bitcoins exercée à titre habituel et pour son propre compte constitue une activité commerciale par nature dont les revenus sont à déclarer dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux (BIC) en application de l’article 34 du CGI.

BOI-BNC-CHAMP-10-10-20-40, n° 1080

Avant la décision du 26 avril 2018

Après la décision du 26 avril 2018

Le bitcoin est une unité de compte virtuelle stockée sur un support électronique permettant à une communauté d’utilisateurs d’échanger entre eux des biens et services sans recourir à une monnaie ayant cours légal.

Les bitcoins sont acquis soit gratuitement en contrepartie d’une participation au fonctionnement du système, soit à titre onéreux sur des plates-formes internet créées afin de permettre l’achat et la vente de bitcoins contre de la monnaie ayant cours légal.

L’émission du nombre de bitcoins étant limitée et déterminée, leur acquisition en vue de leur revente procède d’une intention spéculative. Les produits tirés de cette activité, lorsqu’elle est exercée à titre occasionnel, sont des revenus relevant des prévisions de l’article 92 du CGI. Il est précisé que les gains sont imposables, quelle que soit la nature des biens ou valeurs contre lesquels les bitcoins sont échangés (échange des bitcoins contre des euros, mais aussi achats de biens de toute nature réglés par des bitcoins : dans ce cas, le gain doit être déterminé par référence à la valeur en euros du bien acquis).

Le bitcoin est une unité de compte virtuelle stockée sur un support électronique permettant à une communauté d’utilisateurs d’échanger entre eux des biens et services sans recourir à une monnaie ayant cours légal.

Les bitcoins sont acquis soit gratuitement en contrepartie d’une participation au fonctionnement du système, soit à titre onéreux sur des plates-formes internet créées afin de permettre l’achat et la vente de bitcoins contre de la monnaie ayant cours légal.

7. Une fois la nature juridique et le régime fiscal précisés, il convient de s’intéresser à la portée de la décision.

III – Portée de la décision

8. Bien que la décision n’ait pour objet que le bitcoin, on peut penser qu’elle peut avoir une portée plus étendue. En effet, le bitcoin est un bien meuble incorporel qui « repose sur un protocole informatique de transactions cryptées et décentralisées, communément appelé la blockchain »20. Il peut également être défini comme « une unité de compte virtuelle stockée sur un support électronique permettant à une communauté d’utilisateurs d’échanger entre eux des biens et services sans recourir à une monnaie ayant cours légal »21. Or, le bitcoin n’est pas le seul bien meuble incorporel reposant sur ce type de protocole informatique ou disposant des mêmes caractéristiques que celles visées par l’administration fiscale. Dans la mesure où les autres crypto-monnaies reposent également sur ce type de protocole, nous pouvons raisonnablement penser que la nature juridique et le régime fiscal retenus par le Conseil d’État sont applicables non seulement aux bitcoins mais également aux autres crypto-monnaies.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Le Vocabulaire de l’informatique (JORF n° 0121, 23 mai 2017) propose le terme « cybermonnaie ». Toutefois, nous emploierons dans cet article le terme « crypto-monnaie » en raison de l’usage démocratisé de celui-ci.
  • 2.
    CE, 26 avr. 2018, nos 417809, 418030, 418031, 418032 et 418033, M. G. et a.
  • 3.
    BOI-BIC-CHAMP-60-50, n° 730 et BOI-BNC-CHAMP-10-10-20-40, modifié en 2016. Ces commentaires sont encore en vigueur.
  • 4.
    L’administration fiscale définit le bitcoin comme « une unité de compte virtuelle stockée sur un support électronique permettant à une communauté d’utilisateurs d’échanger entre eux des biens et services sans recourir à une monnaie ayant cours légal » (BOI-BNC-CHAMP-10-10-20-40, n° 1080).
  • 5.
    Le communiqué de presse relatif à la décision commentée montre de manière claire et concise le cheminement du Conseil d’État. Il est ainsi mentionné que la haute juridiction procède en premier lieu à la qualification juridique du bitcoin.
  • 6.
    Cette qualification ressort des considérants 9 et 13 de la décision du 26 avril 2018.
  • 7.
    Considérant 9 : « (…) que le requérant n’est pas fondé à soutenir que l’article 34 du Code général des impôts (…) permettrait l’imposition, dans la catégories des bénéfices industriels et commerciaux, des gains de cession de biens meubles, tels que des unités de “bitcoin”» et considérant 13 : « les unités de “bitcoin” ne relevant pas de la catégorie des biens immeubles (…) et ayant ainsi la nature de biens meubles incorporels ».
  • 8.
    L’AMF estime qu’à « défaut de pouvoir les faire (les crypto-monnaies) entrer dans les classifications bancaires ou financières existantes, il est tout au plus possible d’y voir un bien meuble immatériel » (AMF, « Analyse sur la qualification juridique des produits dérivés sur crypto-monnaies », 22 févr. 2018).
  • 9.
    La Banque de France avance deux raisons pour lesquelles les crypto-monnaies ne peuvent être qualifiés de monnaie : d’une part, en France, la seule monnaie ayant cours légal est l’euro (C. mon. fin., art. L. 111-1). Par conséquent, les crypto-monnaies ne peuvent être qualifiés en France de monnaie ayant cours légal. Et d’autre part, les crypto-monnaies ne répondent pas à la définition de moyens de paiement. La Banque de France souligne à cet égard que les crypto-monnaies ne sont pas émises contre remise de fonds (Banque de France, « L’émergence du bitcoin et autres crypto-actifs : enjeux, risques et perspectives », 5 mars 2018, Focus n° 16, spéc. p. 2).
  • 10.
    Raynouard A., « Nature juridique du bitcoin : l’apport involontaire de l’administration fiscale », Le blog de Taj, 2 mai 2018. Article disponible à l’adresse suivante : https://taj-strategie.fr/nature-juridique-bitcoin-lapport-involontaire-de-ladministration-fiscale (consulté le 2 mai 2018).
  • 11.
    De manière simplifiée, nous pouvons définir les futures (contrats à terme ferme) comme des contrats qui permettent d’acheter ou de vendre un actif sous-jacent. Les parties déterminent dans le contrat la quantité, le prix et la date de l’opération. L’acheteur s’engage à prendre livraison, au terme du contrat, de l’actif sous-jacent au prix convenu, et le vendeur s’engage à lui livrer cet actif ou à lui verser une somme d’argent. Il est important de préciser que, selon Messieurs De Vauplane et Bornet, le contrat à terme « ne porte pas directement sur une chose, au sens du droit de la vente, sur un bien meuble ou immeuble, corporel ou incorporel, mais sur ce que les règles de marché appellent un “contrat”, lequel est défini comme l’unité de transaction représentative d’une certaine quantité d’actifs financiers et monétaire. Le “contrat” n’est donc pas un contrat au sens juridique du mot, mais la représentation symbolique d’une certaine quantité d’actifs sous-jacents » ; De Vauplane H. et Bornet J.-P., Droit des marchés financiers, 3e éd., 2001, Litec, n° 636, 1162 p. ; v. sur la définition des contrats à terme ferme : Bonneau T. et a., Droit financier, 2017, LGDJ, n° 754-756, 1051 p. ; Pezard A., Droit des marchés monétaire et boursier, 1993, Éd. JNA, n° 233-250, 509 p. ; v. pour une analyse détaillée des contrats à terme ferme, Couret A., Le Nabasque H. et a., Droit financier, 2e éd., 2012, Dalloz, n° 1030-1052, 1307 p.
  • 12.
    Le bitcoin future du CME group est disponible à l’adresse suivante : http://cfe.cboe.com/cfe-products/xbt-cboe-bitcoin-futures/contract-specifications (consulté le 3 mai 2018).
  • 13.
    Chicago Board Options Exchange. Le contrat Cboe Bitcoin (USD) Futures est disponible à l’adresse suivante : http://cfe.cboe.com/cfe-products/xbt-cboe-bitcoin-futures/contract-specifications (consulté le 3 mai 2018).
  • 14.
    Dombret A. R., « Au-delà de la technologie : une réglementation et une supervision adéquates à l’ère des fintechs », Revue de stabilité financière avr. 2016, n° 20, p. 87-94, spéc. p. 89.
  • 15.
    Cons. n° 13.
  • 16.
    Cons. n° 13.
  • 17.
    Cons. n° 14.
  • 18.
    Les mineurs traitent des transactions, sécurisent le réseau et permettent à tous les utilisateurs du système de rester synchronisés. Ils sont rémunérés pour ce service (Lexique de la blockchain, v° « mineur » et « minage » : https://blockchainfrance.net/le-lexique-de-la-blockchain/, consulté le 3 mai 2018).
  • 19.
    Il faut signaler que la blockchain est une chaîne composée de blocs de codes informatiques. Chaque bloc contient notamment des éléments relatifs à des transactions ou des informations relatives au bloc précédent sur la chaîne.
  • 20.
    Cons. n° 14.
  • 21.
    ACPR et AMF, « Achats de bitcoins : l’AMF et l’ACPR mettent en garde les épargnants », communiqué de presse, 4 déc. 2017.
  • 22.
    BOI-BNC-CHAMP-10-10-20-40, n° 1080.
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