Ne bis in idem : l’épilogue fiscal approche

Publié le 20/06/2016

Le 7 juin dernier, les avocats ont plaidé devant le Conseil constitutionnel les deux QPC soulevées en début d’année, respectivement dans les affaires Wildenstein et Cahuzac, qui interrogent les Sages sur la conformité à la Constitution des doubles poursuites en matière fiscale. Réponse le 24 juin prochain.

Le destin est parfois farceur. Tandis que le Sénat s’apprêtait à adopter définitivement la réforme de la répression des abus de marché imposée par la décision du 18 mars 2015 du Conseil constitutionnel mettant fin aux doubles poursuites en matière boursière (lire encadré infra, p. 5), ce même Conseil entendait les avocats sur la possible extension de cette jurisprudence à la matière fiscale. On plaidait en effet mardi 7 juin les deux QPC soulevées à l’occasion de l’affaire Wildenstein en janvier et Cahuzac en février qui interrogent les Sages du Palais-Royal sur la question de savoir si les doubles poursuites administratives et pénales en matière fiscale sont compatibles ou non avec le principe de nécessité des peines.

La question fatidique des quatre critères

Dans sa décision du 18 mars 2015, le Conseil constitutionnel a estimé que les doubles poursuites étaient contraires au principe de nécessité des peines lorsque quatre conditions étaient réunies : identité des faits poursuivis, identité des intérêts protégés par les textes, sanctions équivalentes, même ordre de juridiction concerné en cas de recours. Cette dernière condition fut posée, dit-on, afin d’éviter toute contamination de la solution boursière à la matière fiscale dès lors que le juge administratif est majoritairement compétent en matière fiscale. Et pour cause, en droit boursier, la double répression concerne une demi-douzaine de dossiers par an, tandis qu’en droit fiscal on en dénombre un millier. Les enjeux ne sont donc pas comparables. Seulement voilà, les affaires Wildenstein et Cahuzac ont ceci d’atypique que les droits concernés (droits d’enregistrement et impôt sur la fortune) relèvent du juge civil, de sorte que ces dossiers remplissent par exception en matière fiscale, la fameuse condition d’identité d’ordre de juridiction de recours. Quant à l’identité des faits, tout dépend du côté où l’on se place. Envisagée globalement ce sont bien les mêmes, mais il n’est pas impossible à un esprit pointilleux de trouver des différences entre les poursuites administratives et pénales. De même que certains distinguent entre le texte fiscal qui ne viserait qu’à recouvrer l’impôt tandis que le pénal sanctionnerait la fraude. Au chapitre sanction enfin, l’argument le plus sérieux a été soulevé par le vice-procureur financier, Jean-Marc Toublanc, lors du procès de Jérôme Cahuzac : comment considérer comme comparables une sanction administrative proportionnelle et donc variable d’un côté et, de l’autre, pas moins de sept sanctions pénales dont la prison, mais aussi la suspension du permis de conduire ou encore l’interdiction de gérer ? Assez finement, le tribunal correctionnel présidé par Peimane Ghaleh-Marzban a répondu que si la sanction fiscale était variable, alors cela avait pour conséquence que sa constitutionnalité était variable aussi, puisque le montant de la sanction pouvait parfois être comparable aux peines pénales et parfois non…

Des conséquences pas si excessives

Lors de l’audience du 8 juin, les avocats s’étaient répartis les rôles afin d’exploiter au maximum les dix minutes traditionnellement imparties à chaque conseil pour faire ses observations. L’avocate aux Conseils, Claire Waquet, pour Guy Wildenstein a rappelé que le Conseil constitutionnel ne comparait pas la nature des sanctions mais leur poids respectif, soulignant que la sanction fiscale de 45 millions d’euros était en l’espèce comparable en termes de sévérité aux peines pénales. Éric Dezeuze, également conseil de Guy Wildenstein, s’est voulu rassurant en soulignant qu’une décision favorable n’entraînerait pas de conséquences excessives. On ne dénombrait en effet l’an dernier que deux affaires concernées par les doubles poursuites en matière d’ISF et de droits d’enregistrement. Les proscrire dans ces deux matières n’entamerait donc pas outre mesure l’efficacité de la répression de la fraude fiscale en France. Pas plus que cela ne mettrait fin aux poursuites pénales contre les intéressés qui doivent répondre d’autres infractions connexes. Jean-Pierre Martel pour le neveu de Guy Wildenstein, Alec Wildenstein, a déclaré, quant à lui, qu’un recours venait d’être déposé devant le TGI de Paris contre le redressement fiscal infligé aux Wildenstein, mettant ainsi en lumière le risque de contrariété de décision au sein du même ordre de juridiction s’il advenait que le juge civil invalide le redressement tandis que le juge pénal poursuivrait. Ce n’est pas le seul risque de contradiction. Jérôme Cahuzac est poursuivi pour fraude à l’ISF mais également à l’impôt sur le revenu (IR). Or, contrairement à l’ISF, l’IR relève du juge administratif. Devant le tribunal correctionnel, les avocats de Jérôme Cahuzac ont soulevé deux QPC, l’une sur l’ISF, l’autre sur l’IR, et le tribunal a refusé de transmettre la deuxième au motif qu’elle ne remplissait pas la condition d’identité de juridiction. Devant le Conseil constitutionnel, c’est une partie intervenante, représentée par Rodolphe Mossé, qui a souligné la difficulté : peut-on admettre que des contribuables soient dispensés de doubles poursuites et d’autres non au seul motif qu’il existe en France une dualité de juridictions ? Et en effet, il apparaît compliqué pour le Conseil de déclarer contraires à la Constitution les doubles poursuites en matière d’ISF mais pas celles relatives à l’IR…

S’il advenait que le Conseil constitutionnel donne raison aux avocats, il faudrait alors, comme cela a été fait en matière boursière, réorganiser les poursuites afin que pour chaque dossier l’Administration choisisse entre la voie fiscale et la voie pénale. La différence, soulignée par Jean-Pierre Martel, c’est qu’en matière fiscale, le juge pénal ne peut être saisi que par l’Administration.

 

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