EIRL : nouvelle réforme par la loi PACTE

Publié le 28/05/2019

La future loi PACTE en cours de validation par le Conseil constitutionnel est encore une loi fourre-tout comme notre législateur sait bien les faire. Un article 7 est dédié au statut d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL). L’idée est une fois de plus de tenter de redonner un semblant d’attractivité à ce régime délaissé par les créateurs d’entreprises en dépit d’atouts incontestables. Malheureusement, il n’est pas sûr que le pari soit réussi faute de remettre à plat l’ensemble du concept.

La future loi relative à la croissance et la transformation des entreprises est en cours de validation par le Conseil constitutionnel. Définitivement adoptée par l’Assemblée nationale le 11 avril dernier1, la gestation de la loi PACTE n’a pas été un long fleuve tranquille, et les divergences entre le Sénat et l’Assemblée nationale se sont cristallisées à tel point que la commission mixte paritaire n’est pas parvenue à dégager une position commune aux deux assemblées2. Initialement présenté le 18 juin 2018, le projet a été qualifié par certains de « monstre législatif »3.

De fait, le texte est divisé en cinq chapitres, respectivement intitulés « Des entreprises libérées », « Des entreprises plus innovantes », « Des entreprises plus justes », « Diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne, dispositions transitoires et finales » et « Dispositif de suivi et d’évaluation ».

Les multiples objectifs affichés par le gouvernement convergent tous vers la dynamisation des entreprises. Ainsi il est question de diversifier le financement des entreprises, de protéger leurs innovations, de faire évoluer le capital des entreprises publiques, de mettre en place un meilleur partage des valeurs… Parmi cette profusion de dispositions, certaines s’inscrivent dans les efforts constants du gouvernement pour simplifier et encourager l’accès à l’entreprenariat. À cet égard, il est prégnant de constater que la future loi s’ouvre sur un article premier qui promet d’ici 2021, la dématérialisation totale de la création d’entreprise, et que l’article 4 supprime l’obligation du stage préalable à l’installation des artisans4.

Ainsi le mouvement se poursuit. On se souvient du lancement de l’auto-entrepreneur en 20085 devenu micro-entrepreneur6. Puis le gouvernement a voulu faire un pas de plus en limitant la prise de risque des entrepreneurs individuels. La loi du 15 juin 2010 a donc instauré le régime de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL)7. Ce statut permet à tout entrepreneur individuel, quelle que soit son activité, commerciale, artisanale, libérale ou agricole, d’affecter à son entreprise, un patrimoine distinct de son patrimoine privé sans devoir former une société ; étant précisé que le patrimoine professionnel constitue le seul gage des créanciers de l’entreprise tandis que les créanciers domestiques n’ont de droits que sur le patrimoine privé. En ce qu’elle permet un véritable cloisonnement patrimonial afin de protéger les biens personnels de l’entrepreneur contre les risques de l’entreprise, cette technique était destinée à motiver la création d’entreprises. En outre, l’EIRL offre la possibilité d’opter pour le régime de l’impôt sur les sociétés comme les sociétés unipersonnelles à responsabilité limitée (EURL), plutôt que le régime des bénéfices industriels et commerciaux ou des bénéfices non commerciaux au titre de l’impôt sur le revenu. On attendait ainsi 100 000 EIRL fin 20128, or, on en dénombrait seulement 56 940 à la fin du mois de juillet 20189.

À vrai dire, l’entrepreneur individuel à responsabilité est un régime complexe car il repose sur un équilibre fragile entre la limitation de la responsabilité de l’entrepreneur sur son patrimoine affecté et la préservation des droits des créanciers indispensable à son crédit. Qualifié par certains de « fausse bonne idée »10, le régime n’a donc pas rencontré le succès escompté car pour être EIRL il faut surtout être un entrepreneur responsable11 !

Depuis, le lancement de ce nouveau régime le gouvernement a tenté à plusieurs reprises de le réformer en le simplifiant.

Ainsi, la loi du 18 juin 2014, dite loi Pinel, a dédié un chapitre à la « simplification du régime de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée » afin d’alléger les formalités sur le plan comptable et en cas de changement de domiciliation de l’entrepreneur12.

Ensuite, la loi Sapin II du 9 décembre 201613a supprimé l’obligation de double dépôt des comptes au répertoire des métiers et au RCS lorsque l’EIRL exerce une activité commerciale et artisanale14 et a instauré la possibilité pour l’entrepreneur en nom propre qui souhaite se convertir au régime EIRL d’utiliser son dernier bilan comme bilan d’ouverture de l’EIRL15.

Assurément, la future loi PACTE suit pleinement cette tendance de simplification afin de rendre le régime plus attractif. Il a même été envisagé de consacrer l’EIRL comme régime de droit commun par défaut, à l’image de l’insaisissabilité de la résidence principale16. Mais cette idée a été écartée par la commission des lois du Sénat17. Un futur article L. 526-5-1 du Code de commerce prévoit seulement que les créateurs d’entreprise doivent déclarer s’ils désirent exercer en tant qu’entrepreneur individuel classique ou sous le régime EIRL, ce qui suppose de les interpeller préalablement sur ce point. Il eut sans doute été également judicieux de les éclairer sur les termes de l’alternative comme le Sénat l’avait préconisé18.

Les modifications à venir concernent une fois de plus le volet « formalités » si redouté par les créateurs d’entreprises (I), mais une place non négligeable est faite aux règles d’affectation (II). Ces changements, regroupés dans l’article 7 de la loi et destinés à convaincre les entrepreneurs d’adopter le régime EIRL, ne sont pas inintéressants mais recèlent toujours une dose d’insécurité. Il n’est donc pas certain qu’ils suffisent à attirer des candidats à l’affectation.

I – Des formalités allégées

À l’origine, le législateur de 2010 s’était préoccupé de la protection des tiers face à l’entrepreneur à responsabilité limitée. Il avait considéré qu’une information précise des créanciers était la contrepartie logique de la limitation de la responsabilité de l’EIRL.

Pour ce faire, il avait imposé de multiples formalités tant au moment de la création de l’entreprise qu’en cours de fonctionnement. On sait que certaines d’entre elles ont déjà fait l’objet d’assouplissement mais la loi PACTE va plus loin.

En réalité, le législateur entend supprimer la formalité du dépôt de la déclaration d’affectation. Certes l’entrepreneur doit se déclarer EIRL auprès du registre dont il dépend19, il doit également annexer un état descriptif de son patrimoine affecté20, mais les conditions de recevabilité de la déclaration d’affectation qui existaient jusqu’à présent, c’est-à-dire l’obligation d’information du conjoint commun en biens ainsi que la procédure d’évaluation des immeubles et des biens de valeur disparaissent. La question qui se pose est celle de l’impact d’une telle mesure.

A – L’information du conjoint

L’article L. 526-11 du Code de commerce tel qu’il était issu de la loi du 15 juin 2010 impose à l’EIRL d’obtenir l’accord exprès de son conjoint, et d’en justifier, pour affecter un bien commun à son entreprise. Il doit en outre l’informer des droits des créanciers professionnels auxquels la déclaration d’affectation est opposable. Le modèle-type d’accord du conjoint21 fait également état du principe d’exclusivité de l’affectation qui empêche qu’un bien puisse figurer dans plusieurs patrimoines affectés. Ce document doit être remis en même temps que la déclaration d’affectation et il s’agit d’une condition de sa recevabilité22.

L’article L. 526-11, n’a pas été supprimé. Il s’est même opportunément enrichi. Ainsi, le conjoint ne doit plus seulement être informé des droits des créanciers professionnels mais aussi des créanciers domestiques. Cela est effectivement plutôt utile car si les créanciers professionnels ont un droit de gage exclusif sur les biens affectés, en ce compris les biens communs affectés, il est important de rappeler au conjoint de l’entrepreneur que cela réduit le crédit du ménage, même pour les dettes ménagères solidaires.

D’un autre côté, à supposer que le conjoint consente à l’affectation, les biens communs affectés échappent aux créanciers domestiques. Toutefois, des dettes nées du chef de l’époux non professionnel ont pu naître antérieurement à l’affectation, et à ce titre, engager la communauté. Or depuis la loi Sapin II, il n’est plus possible de faire produire des effets rétroactifs à la déclaration d’affectation. Par conséquent ces créanciers domestiques conservent leurs droits sur les biens indivis affectés et il est plutôt important de le savoir !

Cette information n’est cependant plus une cause de recevabilité de l’affectation puisque l’article L. 526-8 dans sa rédaction initiale a été supprimé. Or il prévoyait que les organismes chargés de recevoir la déclaration d’affectation ne pouvaient l’accepter que si l’entrepreneur avait remis les documents attestant de l’accomplissement des formalités prévues par les articles L. 526-9 à L. 526-11. L’entrepreneur qui ne justifie pas qu’il a bien interpellé son conjoint sur les risques de l’affectation n’est pas empêché de se déclarer EIRL.

Il faut cependant relativiser l’impact de cet allégement. Les autorités qui, jusqu’à aujourd’hui, étaient chargées de vérifier la recevabilité du dossier n’étaient tenues qu’à une vérification formelle. Autrement dit, elles n’avaient pas à vérifier l’origine commune ou propre des biens affectés23. Il était donc assez facile d’éluder le problème du consentement du conjoint. Simplement la sanction était l’inopposabilité de l’affectation du bien commun.

À cet égard, l’article L. 526-11 du Code de commerce pouvait jusqu’à maintenant faire l’objet de deux lectures.

On pouvait penser, à défaut de précision, que l’affectation était inopposable au conjoint que l’on n’avait pas interpellé. En revanche, elle était opposable aux créanciers. À y regarder de plus près, cela impliquerait que le conjoint non consentant puisse s’opposer aux créanciers professionnels qui voudraient saisir le bien commun affecté par l’entrepreneur tandis que vis-à-vis des créanciers domestiques, l’affectation produirait bien ses effets et soustrairait le bien de leur gage.

Parallèlement une autre interprétation était possible. L’affectation d’un bien commun sans respecter les formalités d’information pourrait être inopposable aux créanciers, ce qui impliquerait que l’on devrait considérer que ce bien est demeuré dans le patrimoine domestique de l’EIRL.

À présent, cette ambiguïté paraît levée si on lit l’article L.526-11 en lien avec le nouvel article L.526-8-1. Son troisième alinéa précise en effet que « la comptabilité́ régulièrement tenue fait preuve à l’égard des tiers sous réserve des formalités prévues aux articles L. 526-9 et L. 526-11 et du respect des règles prévues au deuxième alinéa de l’article L. 526-6 ». À notre avis on ne peut plus hésiter. Le défaut d’information du conjoint commun en biens entraîne l’inopposabilité de l’affectation du bien à l’égard des créanciers.

Parallèlement, la loi PACTE a poursuivi l’assouplissement amorcé par la loi Sapin II en matière d’évaluation des biens de valeur.

B – La suppression de la procédure d’évaluation de certains biens

Initialement, au cas où l’entrepreneur souhaitait affecter un immeuble à son activité, l’article L. 526-9 lui imposait de solliciter l’évaluation d’un expert et cette affectation devait être reçue par un notaire et faire l’objet d’une publication. Il y avait là un gage de sécurité pour les tiers mais aussi pour l’EIRL car dans l’hypothèse d’une erreur d’évaluation, seule la responsabilité de l’expert pouvait être engagée. En théorie, l’entrepreneur qui ne se conformait pas à cette formalité ne pouvait pas s’inscrire en tant qu’EIRL car son dossier était irrecevable. Cette évaluation est toujours obligatoire mais elle n’est plus une condition de recevabilité de la déclaration de l’entrepreneur24. Il n’est pas sûr que cela soit opportun. À la vérité, l’EIRL est porté à croire qu’une telle formalité est facultative alors qu’à défaut, la comptabilité de l’EIRL comportant au bilan l’immeuble est inopposable aux créanciers25. En outre, à défaut de respecter l’évaluation du notaire, la situation de l’EIRL sera critique en cas d’erreur car si l’immeuble a une valeur déclarée supérieure à sa valeur réelle, l’entrepreneur est responsable sur l’ensemble de son patrimoine pendant 5 ans26.

Parallèlement la procédure d’évaluation des biens supérieurs à 30 000 € prévue par l’article L. 526-10 est totalement abrogée.

Il faut souligner que ce texte avait déjà fait l’objet d’un assouplissement par la loi Sapin II. De fait, pour favoriser le passage de l’entreprise individuelle classique à l’EIRL, il était devenu possible d’utiliser le dernier bilan de l’entreprise comme bilan d’ouverture et de retenir les valeurs comptables y figurant sans devoir passer par une procédure d’évaluation. Dorénavant, quelle que soit la valeur du bien affecté, aucune procédure d’évaluation n’est requise. Cependant, cela ne déresponsabilise aucunement l’entrepreneur qui demeure tenu sur l’ensemble de ses patrimoines à hauteur de la différence de la différence entre la valeur réelle du bien au moment de l’affectation et la valeur mentionnée dans l’état descriptif27.

Or le dépôt de la comptabilité chaque année vaut actualisation de la composition du patrimoine affecté, mais non pas de sa valeur, l’entrepreneur ne peut donc pas échapper à cette sanction en enregistrant une dépréciation due à l’obsolescence du bien afin de retrouver une cohérence par rapport à la valeur réelle du bien.

De plus, cette extension de responsabilité est prévue en termes généraux dès que la valeur déclarée n’est pas en adéquation avec la valeur réelle, peu important qu’il s’agisse d’un bien dont la valeur est supérieure à 30 000 € ou pas.

C’est un élément qui pourrait encore aggraver la responsabilité de l’entrepreneur qui se dispense des conseils d’un expert.

Pourtant par ailleurs la tendance de la loi nouvelle est au laxisme dans les règles concernant l’affectation. Ce qui n’est pas très cohérent.

II – Une nouvelle souplesse dans les règles d’affectation

Nous avions depuis 2003 la société à responsabilité limitée sans capital social minimum28, nous aurons l’EIRL sans patrimoine affecté. Le législateur a également pris acte du fait que le patrimoine affecté ne peut pas être figé dans le temps.

A – Consécration de l’EIRL sans patrimoine affecté

L’article L. 526-6 du Code de commerce précise que le patrimoine affecté à l’entreprise doit comprendre l’ensemble des biens, droits, obligations ou sûretés dont l’entrepreneur individuel est titulaire, nécessaires à l’exercice de son activité professionnelle et que parallèlement il est possible d’y inclure les biens, droits, obligations ou sûretés qui sont simplement utiles pour l’exercice de l’activité professionnelle sans être indispensables29.

Cette simplicité apparente cache cependant des difficultés dans certaines situations. En effet, certains entrepreneurs ne sont pas en mesure d’affecter les biens nécessaires à leur activité. Imaginons le titulaire d’une concession du domaine public, cette concession est indispensable à l’exercice de sa profession et pourtant, celle-ci est incessible et hors patrimoine, on ne peut pas l’affecter. Dès lors tous les entrepreneurs ne peuvent pas se constituer EIRL.

C’est peut-être cet aspect qui a motivé le législateur à prévoir que l’EIRL annexe à sa déclaration un état descriptif de son patrimoine affecté mais « en l’absence de bien, droit, obligation ou sûreté affectés (…), aucun état descriptif n’est établi »30.

En d’autres termes on admet qu’un entrepreneur se déclare EIRL sans affecter de patrimoine à son activité !

En tout cas une chose est sûre, cela remet totalement en cause la jurisprudence de la Cour de cassation en la matière. En effet, on se souvient d’un arrêt rendu par la haute juridiction le 7 février 201831, à propos d’une affaire dans laquelle un vendeur de boissons ambulant s’était déclaré EIRL sans indiquer la composition de son patrimoine affecté dans sa déclaration d’affection, en violation des prescriptions de l’article L. 526-8 du Code de commerce dans sa rédaction applicable à l’espèce. Or, à cette occasion, la Cour avait décidé que l’absence de descriptif du patrimoine affecté dans la déclaration d’affectation constitue un manquement grave aux règles d’affectation prévues à l’article L. 526-6, alinéa 2, du Code de commerce, ce qui rendait l’EIRL responsable sur son patrimoine personnel.

Le nouvel article L. 526-8 introduit une grande incertitude juridique. Comment imaginer un entrepreneur avec un patrimoine affecté totalement vide ? Cela paraît inconcevable ! Quel fournisseur de crédit ferait confiance à un tel EIRL sans solliciter de solides garanties sur son patrimoine privé ? Ce qui ôte tout intérêt au régime.

À vrai dire il semble qu’il faille davantage considérer que l’état descriptif a simplement un rôle probatoire avant que l’EIRL dépose son bilan annuel qui vaut actualisation de la composition du patrimoine affecté.

Quoi qu’il en soit, quelle sera la responsabilité de l’entrepreneur vis-à-vis de ses créanciers ?

Si l’on se souvient du rapport du député Laurent Grandguillaume, chargé de préfigurer une réforme de l’entreprise individuelle en 201332, celui-ci préconisait de considérer que toute entreprise individuelle soit dotée de la personnalité morale et que par défaut, le patrimoine de l’entreprise soit égal à zéro, ce qui impliquerait, jusqu’à ce que celui-ci soit composé d’actifs, une responsabilité solidaire de l’entrepreneur.

On pourrait en effet aisément considérer que jusqu’à ce que l’entrepreneur dépose un bilan faisant état de biens professionnels, il demeure responsable sur l’ensemble de son patrimoine. Et ce, d’autant plus que le nouvel article L. 526-8-1 dispose en son dernier alinéa que la comptabilité vaut preuve de l’affectation à l’égard des tiers.

Cette approche paraît soutenable lorsque l’EIRL est in bonis puisque le deuxième alinéa du nouvel article L. 526-12-II a supprimé la sanction de réunion des patrimoines en cas de manquement aux règles de l’affectation mais, qu’il l’a maintenue en cas de non-respect par l’EIRL de ses obligations comptables. Or la comptabilité vaut preuve de l’affectation à l’égard des tiers sous réserve du respect des règles posées par l’article L. 526-6, c’est-à-dire les règles d’affectation. Le législateur n’a donc peut-être pas fait un « cadeau » à l’EIRL qui ne peut pas plus qu’auparavant se permettre d’être négligent au détriment de la sécurité des tiers.

Il en est de même lorsque l’EIRL est en difficulté. Effectivement, l’ordonnance du 9 décembre 201033 qui a adapté le droit des procédures d’insolvabilité à l’EIRL, avait introduit un troisième alinéa à l’article L. 621-2 du Code de commerce afin de permettre d’étendre la procédure concernant un patrimoine de l’EIRL à un autre patrimoine du même débiteur dans les hypothèses de :

  • fraude,

  • manquement grave aux règles gouvernant la composition des différents patrimoines de l’EIRL posées par l’article L. 526-6, alinéa 2,

  • manquement grave aux obligations comptables visées à l’article L. 526-13,

  • absence de compte bancaire séparé tel que l’article L. 526-13, alinéa 3, le prescrit.

Or la loi PACTE supprime la référence aux règles de composition du patrimoine affecté mais maintient la référence aux obligations comptables.

Par conséquent, les formalités comptables imposées à l’EIRL par l’article L. 526-14, à savoir, la publication annuelle du bilan, sont d’une importance cruciale, et l’EIRL a tout intérêt à s’y conformer scrupuleusement. Mais alors on ne comprend pas que la loi PACTE supprime le pouvoir d’injonction du président du tribunal, lequel pouvait jusqu’alors « à la demande de tout intéressé ou du ministère public, enjoindre sous astreinte à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée de procéder au dépôt de son bilan » en cas d’inertie de l’entrepreneur.

Une dernière innovation résulte de la modification apportée à l’article L. 653-3, II, du Code de commerce relatif à la sanction de faillite personnelle. On sait que cette sanction conduit à interdire à la personne qui en est frappée de diriger, gérer, administrer ou contrôler toute entreprise quelle que soit son activité pour une durée qui peut aller jusqu’à 15 ans en fonction de son comportement incompatible avec l’intérêt de l’entreprise. L’ordonnance du 9 décembre 2010 précitée avait prévu trois nouveaux cas de faillite personnelle propres à l’EIRL34, l’article L. 653-3, II, ainsi créé, sanctionnait notamment de faillite personnelle l’EIRL qui avait disposé des biens du patrimoine visé par la procédure comme s’ils étaient compris dans un de ses autres patrimoines. Il s’agissait de sanctionner l’EIRL qui aurait pris des libertés avec les règles de l’affectation et qui aurait confondu ses patrimoines. Or afin de favoriser le rebond de l’EIRL, ce cas de faillite personnelle a été supprimé. Mais dans la mesure où on permet d’exploiter une activité sans patrimoine affecté, c’est plutôt l’hypothèse inverse que se produira, c’est-à-dire que l’entrepreneur utilisera des biens personnels pour exercer sa profession.

Parallèlement, le législateur a enfin pris acte du caractère évolutif du patrimoine affecté.

B – Consécration du caractère évolutif du patrimoine affecté

Au lendemain de la loi du 15 juin 2010, deux questions se posaient quant à la composition du patrimoine affecté. La première concernait les biens affectés que l’entrepreneur serait amené à remplacer, et la seconde concernait les biens que l’entrepreneur voudrait reprendre à titre personnel.

S’agissant des biens affectés remplacés, on pouvait admettre que par le jeu de la subrogation réelle les biens destinés à remplacer ceux qui étaient devenus obsolètes intégreraient le patrimoine professionnel de plein droit35. Mais dans le silence de la loi, le doute était cependant permis.

Dorénavant, le deuxième alinéa du nouvel article L. 526-8-1 consacre cette thèse en prévoyant que « sont de plein droit affectés, par l’effet d’une subrogation réelle, les créances et indemnités qui remplacent des biens affectés, ainsi que les biens acquis en emploi ou remploi des biens affectés ». C’est une solution logique et opportune du point de vue de la sécurité juridique.

Dans le même sens, il est désormais possible d’affecter d’autres biens sans procéder à une déclaration modificative, « l’inscription en comptabilité d’un bien, droit, obligation ou sûreté issu du patrimoine non affecté emporte affectation »36. Là encore cette disposition se situe dans la logique de l’article L. 526-14 qui prévoit que les documents comptables valent actualisation de la composition du patrimoine affecté à compter de leur dépôt.

Quant à la possibilité de désaffecter des biens, le problème était plus ardu. La loi n’avait envisagé que des affectations complémentaires postérieures au lancement de l’EIRL.

De plus, comment concevoir le retrait d’un bien nécessaire sans violer les règles d’affectation et risquer la réunion des patrimoines personnel et professionnel37.

À cet égard, la loi nouvelle prévoit expressément l’hypothèse du retrait d’un bien du patrimoine d’affectation, mais une lecture attentive montre que seul le retrait d’un bien utile à l’activité est envisagé.

On peut néanmoins s’interroger sur l’hypothèse non prévue par la loi nouvelle du retrait d’un bien jugé jusqu’alors nécessaire. L’EIRL risque-t-il de redevenir responsable sur l’ensemble de ses biens ?

En réalité, la question ne se pose plus en ces termes puisque la responsabilité de l’EIRL n’est plus aggravée en cas de non-respect des règles d’affectation. De fait, le nouvel article L. 526-12- II du Code de commerce ne vise plus que l’hypothèse de fraude ou de manquement aux obligations comptables. Simplement les documents comptables ne font foi qu’à la condition de respecter les règles d’affectation, ce qui veut dire que les créanciers sont protégés contre la désaffectation d’un bien nécessaire à l’activité. Celle-ci leur est inopposable.

Quoi qu’il en soit, des formalités précises sont toutefois prévues lorsque le bien, destiné à sortir du patrimoine professionnel, est un immeuble ou un bien commun ou indivis.

S’agissant d’un bien immobilier, il conviendra de s’adresser à un notaire qui établira un acte authentique soumis au dépôt auprès du registre dont relève l’entrepreneur38.

Des formalités s’imposent aussi concernant le retrait d’un bien commun ou indivis. Il faudra recueillir l’accord exprès du conjoint ou du coïndivisaire dûment informé quant à la situation des créanciers et leurs droits modifiés sur ces biens39. De fait, les créanciers domestiques pourront à nouveau saisir le bien.

Deux remarques s’imposent :

D’abord, il n’y a pas de sanction immédiate si ces formalités sont omises. En revanche, la comptabilité de l’entrepreneur qui enregistre le retrait du bien ne fera pas preuve à l’égard des tiers si les formalités idoines n’ont pas été respectées.

Ensuite, et à supposer que l’EIRL ait respecté scrupuleusement les formalités préalables au retrait d’un bien, il reste regrettable que les créanciers professionnels n’aient aucun droit d’opposition alors que leur droit de gage s’amenuise du fait de la volonté unilatérale de leur débiteur. Or, autant le législateur s’est préoccupé du sort des créanciers domestiques lorsque le patrimoine non affecté est insuffisant40, autant rien n’est prévu lorsque le gage des créanciers professionnels devient insuffisant. Mais cela doit-il surprendre ? Après tout, on admet que le patrimoine de départ soit inexistant.

En définitive, cette réforme tend une fois de plus à rendre le régime EIRL plus séduisant afin d’attirer des candidats plus nombreux mais il n’est pas certain que cela se révèle efficace. Certes certaines mesures ont le mérite de clarifier des points ambigus notamment le sort du conjoint non consentant à l’affectation d’un bien commun, d’autres paraissent attractives notamment la suppression de la sanction de réunion de patrimoine en cas de manquement aux règles de l’affectation mais l’EIRL négligeant est alors rattrapé car son bilan comptable ne fera pas foi vis-à-vis des tiers. Néanmoins, l’insécurité juridique des créanciers demeure car si le bilan comptable ne leur ait pas opposable, cela ne signifie pas qu’ils retrouvent leurs droits sur l’intégralité des biens de leur débiteur.

Une fois encore ce sera aux praticiens de tenter, avec le recul, de faire « parler » les textes.

Notes de bas de pages

  • 1.
    TA n° 258.
  • 2.
    Dr. sociétés 2019, alerte 21.
  • 3.
    En ce sens : Leveneur L., « Projet de loi PACTE : De surtransposition ? Une idée à creuser », Contrats, conc. consom. 2018, repère 8.
  • 4.
    Reygrobellet A., « Projet de loi PACTE Les aspects intéressant le droit des affaires », JCP N 2018 Actu. 598
  • 5.
    L. n° 2008-776, 4 août 2008 de modernisation de l’économie : JO n° 0181, 5 août 2008, p. 12471.
  • 6.
    L. n° 2014-626, 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises dite loi « Pinel » : JO n° 0140, 19 juin 2014, p. 10105.
  • 7.
    L. n° 2010-658, 15 juin 2010 relative à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée : JO n° 0137, 16 juin 2010, p. 10984.
  • 8.
    Étude d’impact du projet de loi, établie en janvier 2010.
  • 9.
    Rapp. n° 254 (2018-2019), Canevet M., Husson J.-F. et Lamure E., fait au nom de la commission spéciale, déposé le 17 janvier 2019.
  • 10.
    Lucas F-X, « EIRL : de la fausse bonne idée à la vraie calamité », BJS avr. 2010, p. 311.
  • 11.
    C’est la conclusion à laquelle on arrive : Legrand V., Entreprise individuelle à Responsabilité Limitée, 2012, Dalloz, Delmas, p. 380.
  • 12.
    Legrand V, « Loi Artisanat, commerce et TPE : Quelles simplifications pour les EIRL ? », BJS juill. 2014, n° 112d5, p. 432.
  • 13.
    L. n° 2016-169, 9 déc. 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique : JO n° 0287, 10 déc. 2016, texte n° 2.
  • 14.
    Legrand V : « Le projet de loi Sapin II ou l’art de redonner confiance aux entrepreneurs par un accès plus aisé aux statuts limitatifs de responsabilité », LPA 7 juin 2016, n° 116w1, p. 7.
  • 15.
    Brignon B : « EIRL, Fonds de commerce, J21, Sapin II, LFR 2016 : vraies réformes ou simples réformettes ? », JCP G 2017, 1151.
  • 16.
    C. com., art. L.526-1 modifié par L. n° 2015-990, 6 août 2015, art. 206.
  • 17.
    Rapp. n° 254 (2018-2019), Canevet M., Husson J.-F. et Lamure E., fait au nom de la commission spéciale, déposé le 17 janvier 2019.
  • 18.
    Texte n° 60 modifié par le Sénat en 1re lecture le 12 février 2019.
  • 19.
    C. com., art. L. 526-5-1, nouv. : « Toute personne physique souhaitant exercer une activité professionnelle en nom propre déclare, lors de la création de l’entreprise, si elle souhaite exercer en tant qu’entrepreneur individuel ou sous le régime de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée défini par la présente section. L’entrepreneur individuel peut également opter à tout moment pour le régime de l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée ».
  • 20.
    V. infra II/A.
  • 21.
    C. com., art. A. 526-1, annexe 5-1.
  • 22.
    C. com., art. L. 526-8 anc.
  • 23.
    Pour l’affectation d’un immeuble commun, nul doute que le notaire, dont l’intervention est obligatoire en matière d’affectation immobilière, attirera l’attention du conjoint.
  • 24.
    C. com., art. L. 526-7, nouv.
  • 25.
    C. com., art. L. 526-8-1, dernier al., nouv.
  • 26.
    C. com., art. L. 526-12-II, al. 1.
  • 27.
    C. com., art. L. 526-12-II, al. 1.
  • 28.
    C. com., art. L.223-2, modifié par L. n° 2003-721, 1er août 2003 pour l’initiative économique : JO, 5 août 2003, art. 1.
  • 29.
    Vallansan J., « La volonté d’affectation des droits et des biens par l’EIRL », CDE 2011, dossier 14.
  • 30.
    C. com., art. L. 526-8-I, al. 2.
  • 31.
    Cass. com., 7 févr. 2018, n° 16-24481 : BJS avr. 2018, n° 118j2, p. 226, obs. Saintourens B. ; D. 2018. p. 594, obs. Lienhard. A ; LPA 16 mars 2018, n° 134g4, p.10, obs. Legrand V.
  • 32.
    Delpech X, « Entrepreneuriat individuel : remise du rapport Grandguillaume », D. 2013, actu. p. 7.
  • 33.
    Ord. n° 2010-1512 portant adaptation du droit des entreprises en difficulté et des procédures de traitement des situations de surendettement à l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée : JO 10 déc. 2010, p. 21617. Le Corre P-M, Legrand V, Guesmi O. Les modifications issues de l’ordonnance d’adaptation du droit des entreprises en difficulté à l’EIRL du 9 décembre 2010, 2011, Dalloz, dossier 90.
  • 34.
    Legrand V : « Entrepreneur individuel à Responsabilité Limitée en difficulté », JCl. fasc. commercial, Procédures collectives n° 3255.
  • 35.
    Marmoz F., « L’EIRL : nouvelle technique d’organisation de l’entreprise », D. 2010, p. 1570.
  • 36.
    C. com., art. L. 526-8-1, al. 1er, nouv. Mais pour les biens immobiliers et les biens communs il faudra respecter les formalités des articles L. 526-9 et L. 526-11.
  • 37.
    Legrand V., Entreprise individuelle à responsabilité limitée, 2012, Dalloz, Delmas, n° 723 p.100.
  • 38.
    C. com., art. L. 526-9, al. 3 mod.
  • 39.
    C. com., art. L. 526-11, al. 2 mod.
  • 40.
    C. com., art. L.526-12 dernier alinéa devenu L. 526-12-II dernier alinéa : « En cas d’insuffisance du patrimoine non affecté, le droit de gage général des créanciers mentionnés au 2° du I du présent article peut s’exercer sur le bénéfice réalisé par l’entrepreneur individuel à responsabilité limitée lors du dernier exercice clos ».
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