L’économie des salons, paralysée, ne baisse pas les bras
Depuis le printemps 2020, la Porte de Versailles est silencieuse. Les grands salons ont gardé porte close et c’est toute une économie qui se trouve impactée par le Covid-19.
Ah, Paris ! Sa Tour Eiffel, ses brasseries à l’ancienne, son quartier latin… et ses salons : nautique, de l’auto, du livre, de l’agriculture, de l’aviation, de l’armement… On peut l’oublier, mais si la capitale est fréquentée chaque année par plusieurs millions de touristes, c’est pour la moitié d’entre eux, des raisons professionnelles qui les mènent là, en faisant de Paris la capitale mondiale du tourisme d’affaire. Les 1 000 congrès et 400 salons qui ont cours sur le territoire se concentrent sur 10 sites représentant en tout 700 000 mètres carrés d’exposition (Villepinte, Porte de Versailles, Porte Maillot, le Bourget, l’espace Champeret, le Carré du Louvres, la Défense pour les plus importants). En termes de retombées économiques, cela représente 5 à 6 Md€ par an, auxquels s’ajoutent 22 à 25 Md€ de contrats signés à l’occasion des salons, selon les chiffres de la Chambre du commerce et de l’industrie (CCI) Paris Île-de-France.
En mars 2020, le premier salon à faire les frais du Covid-19, fut le salon de l’agriculture, qui s’est trouvé amputé de sa dernière journée. Il avait malgré tout accueilli 483 000 visiteurs et un millier d’exposants. Ensuite, 317 salons ont été annulés. La CCI Paris Île-de-France a chiffré les pertes à 3,9 Md€ pour les salons et celles et ceux qui en dépendent (restauration, stands, etc.). Cette année, malgré les annonces encourageantes concernant les vaccins, la CCI recense déjà 89 salons qui n’auront pas lieu. Consulter cette liste permet de se rendre compte de la diversité de cette activité sur le sol francilien : les rencontres de la peinture anticorrosion (annulées), L’aiguille en fête (annulée), le salon du VTC (annulé), Paris Manga (annulé), le salon de la radio et de l’audio digital (annulé), il existe même depuis près de 30 ans un salon mondial de la fève (annulé lui aussi).
Le salon aéronautique du Bourget, avec 316 000 visiteurs et 2 500 exposants est repoussé à 2023. Il ne nous régalera pas cette année avec ses ballets dans le ciel et les annonces des innovations technologiques d’un secteur particulièrement impacté par la crise. De même, personne ne flânera dans les couloirs du salon de l’Agriculture pour tailler la bavette avec des agriculteurs, voir des animaux de la ferme. Le salon mondial du tourisme, qui devait se tenir en mars dernier n’avait aucune raison d’ouvrir : le secteur est paralysé dans sa presque totalité par la crise. Quant à tous les salons studyrama (spécialisés dans tous les types de formations), ils ont choisi la digitalisation pour que les étudiants – déjà très connectés faute de mieux – puissent se trouver un avenir en cette période incertaine. Mis en place sans précipitation, les salons virtuels sont accessibles sur tablette, smartphones ou ordinateurs et proposent aux étudiants des interfaces pour communiquer avec les exposants, voire « déambuler virtuellement » entre les stands et télécharger les documents, au lieu de les mettre dans son tote bag.
Le virtuel ne remplace pas « l’expérience salon », mais peut la compléter
Le virtuel, c’est ce qu’ont choisi de faire certains acteurs pour ne pas disparaître complètement. Le salon nautique, d’ordinaire logé Porte de Versailles, a, cette année, eu lieu sur internet. La Fédération des industries nautiques n’a pas souhaité reporter son salon et a très rapidement communiqué sur son ambition de proposer « le plus grand salon virtuel jamais organisé en France », avec un objectif de 30 000 visiteurs uniques, transformés en avatar personnalisables. Annoncé comme un événement en direction des plaisanciers, le Virtual Nautic s’est plutôt révélé intéressant pour les professionnels, selon le magazine de la filière nautique. Le compteur d’avatars en haut de l’écran a principalement oscillé entre 400 et 700, dont 300 à 400 professionnels, exposants, journalistes et organisateurs. Les témoignages recueillis par le magazine auprès des chantiers navals et équipementiers corroborent cette analyse : s’ils regrettaient l’absence des plaisanciers, les professionnels avaient souligné l’intérêt du salon virtuel pour resserrer les liens de la filière, suggérant par exemple la possibilité d’utiliser l’outil comme un prélude réservé aux professionnels, en amont du salon nautique de Paris, pour éviter à certains le déplacement.
Didier Kling, président de la CCI Paris Île-de-France, est très inquiet des conséquences économiques liées à l’annulation des salons. Il s’inquiète en particulier de la disparition de plusieurs petites entreprises et sous-traitants de l’événementiel : « On risque une destruction de valeur », souligne-t-il. Mais il reste aussi optimiste et salue la capacité d’adaptation du secteur : « Dans une crise, il y a ceux qui disent que le monde sera différent, et que cela accélèrera les évolutions ». La digitalisation est un exemple. « Le salon de Los Angeles a été complètement digitalisé et selon un sondage, 85 % des gens ont aimé l’expérience mais jugé que cela n’avait rien à voir avec le fait d’être présent. À mon sens, l’activité des salons n’a pas à s’inquiéter : dans l’avenir, le digital ne va pas remplacer l’expérience, il interviendra sur des modalités différentes, pour faire vivre les salons et congrès entre deux manifestations par exemple ».
En effet, les limites du virtuel sont facilement compréhensibles : aller dans un salon, c’est un peu de l’ordre du voyage ou de l’expérience où tous les sens sont en éveil. Le salon de la gastronomie des outre-mer (SAGASDOM) a choisi de ne pas annuler le salon mais de le digitaliser intégralement. Si le visiteur a pu rencontrer des acteurs de la cuisine des territoires d’outre-mer, il n’a pas pu mordre dans un accras. Tant pis pour les odeurs de délicieuses fritures, les tissus chamarrés et les fausses paillottes et cocotiers, dont le visiteur ne percevra que de lointaines effluves.
Le président de la CCI espère que les visiteurs retrouveront bientôt les allées bondées des salons, mais reste terre-à-terre en se souvenant de la chronologie des faits. « Dans un premier temps, nous avions reporté un certain nombre de manifestations avec la conviction qu’on allait reprendre une activité à l’automne 2020. Puis nous avons compris que tout serait neutralisé jusqu’à décembre, puis il n’y a pas eu de reprise en 2021. Les salons ont pris les devants dans les annulations car il faut a minima six mois aux exposants pour préparer un salon, et engager des frais ». Selon lui, la réouverture pourrait avoir lieu autour de septembre 2021 mais il ajoute une précision : « Cela ne sera pas une réouverture normale car il ne faudra pas compter sur les touristes étrangers qui dépendent du transport aérien, or ces salons attirent beaucoup d’étrangers ». La solution pourra même venir de « salons tests », à la manière des « concerts tests » vantés par Roselyne Bachelot : « Il s’agirait de faire des salons expérimentaux avec des conditions sanitaires strictes que l’on pourrait organiser à Porte de Versailles, Porte maillot et Villepinte. On attend le feu vert du gouvernement ». Comme sur beaucoup de sujets, le dernier mot reviendra donc au Covid-19 et ses navrantes fantaisies.