Entreprises en difficulté et communication

Publié le 03/05/2019

La publicité des décisions de justice est mal vue par l’entrepreneur en difficulté. Il souhaite en effet la plus grande discrétion car le fait d’ébruiter ses difficultés sonne le plus souvent le glas de la crédibilité de son entreprise. Pourtant, depuis plus de 20 ans, la transparence devient la règle et internet n’a fait qu’accroître cette exigence. Ne convient-il pas d’élaborer de nouvelles règles, notamment au titre de la protection contre des conflits d’intérêts, pour tenir compte de ces nouveaux développements ? Une réflexion s’impose à ce sujet dans un contexte de justice prédictive et de large diffusion de l’information. Georges Teboul a établi un résumé sur ces principales interrogations.

La communication est en principe l’ennemi de l’entreprise en difficulté qui ne souhaite pas voir ébruiter ses difficultés. Pendant longtemps, cette matière a fait l’objet de procédures qui étaient souvent jugées opaques, ce qui pouvait favoriser des combinaisons qualifiées par certains de douteuses.

Depuis les années 1990, l’exigence de transparence n’a cessé de se développer. Si cette exigence est parvenue à une transparence quasi-totale pour les procédures collectives, nous savons que la confidentialité reste la règle dans la prévention.

Une décision toute récente de la Cour de cassation1 a permis d’éclaircir la situation en matière de prévention. Si l’intérêt général permet à la presse de divulguer des informations, cette règle se heurte à la confidentialité légalement prévue pour la conciliation ou le mandat ad hoc.

La Cour de cassation a considéré par un arrêt de rejet que l’organisme de presse qui avait divulgué des données chiffrées confidentielles et les détails des négociations en cours sur la renégociation de la dette en conciliation, n’avait pas nourri un débat d’intérêt général.

En effet, il ne s’agissait pas d’examiner les difficultés d’un grand groupe industriel avec leur répercussion sur l’emploi et l’économie nationale, mais de satisfaire les intérêts des abonnés, public spécialisé dans l’endettement des entreprises.

Si cette partie de la motivation ne paraît pas très convaincante (car on ne voit pas pourquoi un public spécialisé en cette matière ne serait pas concerné, par principe, par l’intérêt général), la décision poursuit en indiquant que cette diffusion pouvait compromettre gravement le déroulement et l’issue de la conciliation, ce qui paraît plus satisfaisant.

À cet égard, la Cour de cassation corrige la cour d’appel en indiquant qu’il ne s’agissait pas de relever la conformité à l’intérêt général mais plutôt de se conformer à l’objectif légitime d’informer le public sur une question d’intérêt général…

On s’interroge cependant sur l’efficacité d’une décision rendue de nombreux mois après les faits, sur une décision de retrait des informations du site… Il faut sérieusement réfléchir à la question de la sanction du manquement à la confidentialité, car dès lors que l’information est diffusée, le mal est fait.

Faut-il dès lors s’orienter vers des dommages et intérêts punitifs ?

Dans ces conditions et en tenant compte des critères prévus par l’article 10 de la convention européenne des droits de l’Homme (dite « convention EDH »), la confidentialité de la prévention devait rester protégée, ce qui nous paraît tout à fait légitime.

Une circulaire du 19 décembre 20182 a précisé les conditions dans lesquelles des copies de décisions de justice peuvent être remises par les greffes judiciaires aux tiers à l’instance. À cet égard, il est regrettable que cette circulaire n’ait pas donné une liste exhaustive de ces décisions, d’autant qu’il s’agit d’une exception au principe du libre accès des décisions de justice aux tiers établi par l’article 6 de la convention EDH.

Cette liberté de communication doit être en effet conciliée avec la protection de l’ordre public, le droit au respect de la vie privée, la protection des données à caractère personnel.

Ces décisions non communicables sont essentiellement des décisions de rejet et il serait sans doute cruel d’ébruiter les causes de ces rejets. Par exemple, il s’agit de jugements rejetant une demande d’ouverture de sauvegarde, de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire3.

Il s’agit aussi des jugements rejetant l’homologation d’un accord amiable après une conciliation qui ne sont pas prononcés en audience publique.

Il s’agit des jugements concernant l’ouverture d’une procédure collective d’un débiteur exerçant une profession libérale ou avec un statut protégé. Il s’agit encore des jugements statuant sur requête pour voir déclarer nuls les actes d’un mandataire judiciaire accomplis en dépit d’une interdiction ou d’une suspension, ce qui est en principe évoqué en chambre du conseil4.

La circulaire rappelle que le principe de l’accès des tiers à la décision est posé à l’article 11-3 de la loi n° 72-626 du 5 juillet 1972 en matière civile. En principe, le caractère public d’un jugement confère aux tiers le droit de s’en faire délivrer une copie.

L’article 451 du Code de procédure civile précise d’autre part les décisions prononcées en audience publique. En outre, l’article 1116 du même code est visé.

La forme de la communication est visée par la circulaire avec, notamment, la possibilité d’adresser les décisions de justice par voie électronique (art. 2.3 de la circulaire) et il est en principe prévu que la copie est limitée au dispositif lorsque le jugement est rendu après débat en chambre du conseil.

Il existe en outre un recours à l’encontre d’un refus de communication en application de l’article 1441 du Code de procédure civile.

Cette circulaire prévoit en annexe le tableau des dispositions établissant des exceptions à la publicité des décisions rendues en matière civile, en citant particulièrement le tribunal de commerce et le tribunal de grande instance ainsi que certaines décisions des cours d’appel. Notre lecteur voudra bien s’y référer.

Il nous semble tout à fait positif que la chancellerie se préoccupe de faire la lumière sur les conditions de communication des décisions de justice qui, jusqu’ici, étaient loin d’être évidentes et nous disposons à présent d’une clef de lecture sur les critères concernant les jugements rendus en chambre du conseil, par rapport à ceux rendus en audience publique, bien que cette grille ne soit pas complète…

Par ailleurs, le développement d’internet et notamment la gourmandise de toutes sortes d’autorités et legaltechs collectant des informations sur les entreprises doivent être signalés.

À cet égard, un communiqué de presse de la direction générale des finances publiques (DGFiP) du 30 janvier 2019 (n° 582) doit être mentionné. La DGFiP déploie en effet un modèle prédictif visant à évaluer le risque des entreprises à se trouver en redressement ou en liquidation judiciaire.

Compte tenu notamment des données collectées par les commissions des chefs de services financiers et les différentes administrations concernées (notamment les Direcctes, l’Urssaf, la Banque de France…), la DGFiP a imaginé de concevoir un algorithme évaluant le risque de défaillance.

Ce modèle sera déployé sur le territoire en croisant les informations disponibles pour mettre en place un système de détection. Ce système est établi pour les préfets, les commissaires aux restructurations et à la prévention, les codefis, les tribunaux et les autres acteurs.

À cet égard, il semble souhaitable d’évaluer ces dispositifs en tenant compte de la notion de conflit d’intérêts : nous savons que l’État souhaite bien entendu aider et accompagner des entreprises en difficulté pour préserver le tissu économique et leur ménager des capacités de redressement.

Pour autant, l’État est aussi un créancier qui est de plus en plus exigeant sur le recouvrement de ses créances, à l’aune de ses propres difficultés.

Il paraît donc urgent, compte tenu du développement de ces collectes d’informations, de réfléchir à cette notion de conflit d’intérêts afin que chacun puisse mieux tenir sa place.

Rappelons en effet que le procureur de la République a la possibilité de demander l’ouverture d’une procédure collective lorsqu’il est alerté, notamment par les représentants du personnel ou par d’autres informations. Rappelons aussi que le président d’un tribunal de commerce dispose de la possibilité de convoquer un dirigeant5 lorsque des clignotants mis en place par les greffes des tribunaux de commerce se montrent inquiétants (sur le non-dépôt des comptes, une mauvaise structure bilancielle, une accumulation de privilèges et bien d’autres critères en fonction des moyens dont disposent les greffes).

Nous savons aussi que les greffiers des tribunaux de commerce développent de leur côté un outil permettant au dirigeant d’introduire des informations sur sa situation pour obtenir en ligne une sorte de diagnostic sur sa situation.

Toutes ces informations finiront inévitablement par être croisées, ce qui risque de mener à une confusion des genres. Il est important que chacun des acteurs en soit conscient, de manière que le dirigeant ne se sente pas pris dans une nasse où ses créanciers pourraient piloter la procédure.

Cela le mènerait à masquer sa véritable situation, ce qui est une tendance fréquemment observée chez les dirigeants en difficulté. Au-delà, cela pourrait l’inciter à une situation de fuite en avant et à refuser de transmettre des informations sur sa situation, ou à refuser de les laisser apparaître.

D’une manière générale, il est sans doute bon que chacun tienne sa place en fonction du rôle qui lui est dévolu. Il faudra bien que l’État sorte de l’ambiguïté consistant à être à la fois une aide et un créancier exigeant.

L’interdiction de la saisine d’office par un tribunal de commerce procédait de ces principes et a abouti à une séparation des fonctions de prévention des fonctions de jugement.

Ne pourrait-on pas s’inspirer de cette évolution pour clarifier les rôles de chacun ? Pour inciter les dirigeants à anticiper et à traiter suffisamment en amont leurs difficultés, est-il bon d’accumuler sur eux de nombreuses informations qui pourraient être utilisées au titre d’un recouvrement forcé ?

Cette clarification s’impose d’urgence car c’est par l’expression de fonctions clairement déterminées que le dirigeant sera mis en confiance et non la mise en place d’un système à terme centralisateur qui accumulerait toutes les données sur sa situation… pour quoi faire ?

En guise de conclusion, nous constatons que le développement de la communication par internet est en train de modifier profondément, non seulement notre conception de la transparence, mais aussi les rôles de chacun des intervenants.

Nous avons vu que la presse, qui ménage jalousement le secret de ses sources ainsi que sa liberté d’informer, connaît des contrepoids qui peuvent être utilisés au titre de la prévention des difficultés des entreprises.

Pour autant, la sanction du retrait des articles est-elle efficace ? Lorsque l’information a déjà été divulguée, le mal est fait et il est sans doute illusoire de se borner à demander le retrait des articles, ce qui pose inévitablement la question de dommages et intérêts punitifs pour dissuader ce type de comportement.

En ce qui concerne la communication des décisions de justice, il est heureux que la chancellerie se soit préoccupée de mettre l’accent sur les conditions dans lesquelles certaines décisions de justice ne peuvent être communiquées. Nous revenons de loin car en matière d’entreprises en difficulté, l’opacité était la règle, essentiellement pour la protection de l’entreprise.

Cette opacité doit continuer à exister pour des raisons valables, sur lesquelles la Chancellerie attire notre attention.

En ce qui concerne la mise en place progressive d’une justice prédictive, l’accumulation des informations doit se faire dans le cadre du respect des droits de chacun et notamment de l’entreprise. S’il s’agit de l’aider en maintenant des informations confidentielles afin que les difficultés soient réglées à temps, cela est positif.

S’il s’agit de faire rendre gorge à un débiteur en multipliant les moyens de pression sur lui, cela est plus compliqué, surtout s’il existe une confusion des positions de chacun. C’est inévitablement à ce type de réflexions que nous sommes confrontés.

La justice prédictive pose un problème de fond car elle n’est pas au point, ce que des débats récents ont démontré et il convient donc de rester très prudent6.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Cass. com., 13 févr. 2019, n° 17-18049, n° 198, PBI.
  • 2.
    Circ., 19 déc. 2018, relative à la communication de décisions judiciaires civiles et pénales aux tiers à l'instance, NOR : JUSB1833465N.
  • 3.
    C. com., art. R. 662-13, vise ces jugements non prononcés en audience publique.
  • 4.
    C. com., art. L. 814-10-2.
  • 5.
    C. com., art. L. 611-2.
  • 6.
    V. à cet égard les développements de l’ouvrage de Bléry C. et Raschel L. (dir.), Vers une procédure civile 2.0, oct. 2018, D., avec notamment les développements sur la justice prédictive par Meneceur Y.
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