Étendue de l’obligation de vérification des déclarations faites par le vendeur
Préalablement à la rédaction d’un acte de vente d’immeuble, le notaire doit procéder à toutes les investigations utiles afin de vérifier les déclarations faites par le vendeur. Il ne peut se contenter d’une déclaration de « non-faillite » lors de la signature de l’acte notarié. En outre, l’absence d’activité professionnelle au jour de la signature de l’acte ne peut l’exonérer de sa responsabilité.
Cass. 1re civ., 29 juin 2016, no 15-17591, FS–PB
Dans le cadre de la vente d’un logement ou d’une maison d’habitation, le notaire instrumentaire doit être particulièrement vigilant, comme le démontre les faits à l’origine de l’arrêt rendu le 29 juin 2016 par la première chambre civile de la Cour de cassation. En l’espèce, suivant acte reçu le 11 avril 2008 par un notaire, un acquéreur a acquis une maison d’habitation dont le prix, payé par la comptabilité du notaire, a été remis le jour même au couple de vendeurs. L’épouse avait déclaré être « sans profession » et exempte de toute procédure collective. Le 30 août 2008, le successeur du notaire, a adressé une copie de l’acte de vente ainsi que le trop-perçu. Ultérieurement, le liquidateur judiciaire désigné dans la procédure collective ouverte à l’égard de l’épouse, suivant jugement du tribunal de commerce de Nevers du 2 avril 2008 au titre de son activité d’exploitante d’un fonds de commerce, a assigné le notaire en inopposabilité de la vente. En outre l’acquéreur a assigné en responsabilité le notaire, pris en sa qualité de successeur du notaire instrumentaire, et en garantie son assureur. Les demandes de l’acquéreur ont été rejetées par les juges du fond1 au motif que son action était irrecevable car elle était dirigée contre le successeur du notaire instrumentaire. L’acquéreur a rédigé un pourvoi. Sur le visa de l’article 1382 du Code civil, la Cour de cassation, après avoir rappelé que « si le notaire, recevant un acte en l’état de déclarations erronées d’une partie quant aux faits rapportés, n’engage sa responsabilité que s’il est établi qu’il disposait d’éléments de nature à faire douter de leur véracité ou de leur exactitude, il est, cependant, tenu de vérifier, par toutes investigations utiles, spécialement lorsqu’il existe une publicité légale, les déclarations faites par le vendeur et qui, par leur nature ou leur portée juridique, conditionnent la validité ou l’efficacité de l’acte qu’il dresse », juge « qu’il appartenait au notaire de vérifier les déclarations des vendeurs sur leur capacité de disposer librement de leurs biens, notamment en procédant à la consultation des publications légales afférentes aux procédures collectives ».
Ainsi, la Cour de cassation confirme sa jurisprudence en censurant les juges du fond. Les seules déclarations du vendeur sont insuffisantes à exonérer le notaire instrumentaire de sa responsabilité en cas d’ouverture d’une procédure collective à l’égard du vendeur avant la signature de l’acte notarié (I). Par conséquent, le notaire doit être vigilant, tout spécialement depuis l’extension du champ d’application des procédures collectives à toutes les personnes physiques exerçant une activité professionnelle indépendante ainsi que depuis la mise en place du site internet du BODACC permettant une vérification au plan national de la situation du vendeur au regard de cette législation (II).
I – L’insuffisance des déclarations du vendeur
La vente d’un immeuble constitue l’un des actes les plus courants des études notariales. En dépit de cette fréquence, les notaires doivent être vigilants quant à la situation du vendeur en vérifiant l’existence d’une procédure collective en cours2, car celle-ci entraîne des conséquences importantes quant à la capacité juridique du vendeur, comme le démontre une fois encore3 l’arrêt rendu par la Cour de cassation, le 29 juin 2016. Ainsi, le notaire ne peut se satisfaire des seules déclarations du vendeur ou de toute personne présente lors de la signature de l’acte de vente.
En l’espèce, l’agent immobilier, présent lors de la signature de l’acte, avait attesté que les vendeurs ont évoqué l’existence de leur restaurant en présence du notaire instrumentaire. Toutefois, les juges du fond avaient considéré que cet élément n’était pas en contradiction avec les énonciations de l’acte selon lesquelles le mari a déclaré exercer la profession de « chef de cuisine », tandis que son épouse n’en déclarait aucune, ce qui est fréquemment le cas du conjoint collaborateur officieux. En outre, la profession déclarée par l’époux ne serait pas de nature à faire naître une suspicion suffisante quant à l’existence d’une procédure collective à son égard ou à celui de son épouse, de sorte qu’en l’absence de tout élément concret permettant de douter de la véracité des déclarations des vendeurs quant à leur capacité commerciale, la responsabilité du notaire ne pouvait être retenue. L’analyse de cour d’appel4 est censurée par la Cour de cassation.
Ainsi, le notaire rédacteur ne peut se fonder sur la seule clause dite de « non-faillite ». En effet, depuis l’entrée en application des dispositions modifiées du livre VI du Code de commerce, relatif au droit des entreprises en difficulté par la loi de sauvegarde du 26 juillet 2005, toute personne physique exerçant une activité professionnelle indépendante est éligible aux procédures collectives, peu importe que celle-ci soit inscrite au non à un registre de publicité légale pour la réalisation de cette activité. Dans ces conditions, la seule consultation du registre du commerce et des sociétés ou du répertoire des métiers du lieu de résidence du vendeur ne peut suffire. En effet, il n’existe pas de registre de publicité légale regroupant toutes les autres professions civiles. L’ouverture d’une procédure collective est seulement mentionnée au greffe du tribunal de grande instance et fait l’objet d’une insertion au BODACC.
De même, la procédure collective peut avoir été ouverte dans une autre région que celle du lieu de situation de l’immeuble, objet de la vente. En effet, par application de l’article R. 600-1, alinéa 2, du Code de commerce, le tribunal dans le ressort duquel se trouve le siège social, demeure compétent lorsque la saisine de la juridiction intervient moins de six mois après le transfert du siège initial. De ce fait, une procédure collective peut avoir été ouverte à plusieurs centaines de kilomètres du lieu de situation de l’immeuble vendu, ou du lieu de l’office notarial.
En outre, certaines professions ne permettent pas de savoir dans quel cadre juridique, le vendeur les exerce. Il en est ainsi, notamment de la profession de vendeur5, de chef de cuisine comme dans l’affaire commentée. Le cas échéant, la déclaration de l’exercice d’aucune profession par le conjoint doit alerter le notaire, car, comme l’indique l’attestation de l’agent immobilier en l’espèce, il est fréquent que le conjoint ait la qualité de conjoint collaborateur officieux. Dans un tel contexte, le notaire doit être suspicieux et contrôler la situation des vendeurs au regard de la nature exacte de leur activité professionnelle, indépendante ou non, afin de déterminer s’ils sont éligibles ou non aux procédures collectives.
En outre, la création du statut de l’auto-entrepreneur a rendu l’opération de qualification du vendeur plus délicate. En effet, ce dernier est un entrepreneur individuel qui, entre 2008 et 2014, bénéficiait d’une dispense d’immatriculation. Depuis lors, il a été requalifié en micro-entrepreneur. Selon l’INSEE, lors de leur inscription en 2014, les auto-entrepreneurs sont essentiellement des salariés du privé (38 %) et des chômeurs (28 %), loin devant les personnes sans activité professionnelle (15 %, dont 5 % de retraités)6. Par conséquent, l’affirmation selon laquelle le vendeur est salarié, chômeur ou retraité ne peut suffire pour la bonne exécution du devoir d’investigation du notaire.
II – L’obligation de vérification des déclarations du vendeur
Ainsi, le devoir d’investigation du notaire comporte deux aspects. Il doit, dans un premier temps, vérifier la nature de l’activité professionnelle du vendeur. Dans ce cadre, les registres de publicité légale constituent une source d’informations utiles. Toutefois, leur seule consultation est insuffisante dès lors qu’il n’existe pas de registre des entreprises regroupant toutes les personnes réalisant une activité professionnelle indépendante, tel qu’il en existe un dans les départements d’Alsace-Moselle.
Le notaire doit également vérifier l’existence éventuelle d’une procédure collective ouverte à l’égard du vendeur. Comme cela a été précédemment démontré par le professeur Frédéric Vauvillé, le notaire doit avoir le réflexe « bodacc.fr »7 afin de consulter les mentions du BODACC électronique8, accessible à tous et gratuitement depuis une connexion internet, que ce soit depuis un ordinateur de bureau, une tablette ou bien un téléphone portable. Ainsi, quelle que soit la juridiction compétente, tribunal de commerce ou tribunal de grande instance, et quel que soit le ressort de la juridiction concernée, le notaire a les moyens de connaître l’existence d’une procédure collective en cours au jour de la signature de l’acte notarié. En procédant de la sorte, il exécute son devoir de vigilance. Pour cette raison, la Cour de cassation précise, dans l’arrêt du 29 juin 2016, « qu’il appartenait au notaire de vérifier les déclarations des vendeurs sur leur capacité de disposer librement de leurs biens, notamment en procédant à la consultation des publications légales afférentes aux procédures collectives ».
Toutefois, le réflexe « bodacc.fr » n’est pas infaillible. En effet, toutes les publications légales antérieures au 1er janvier 2008 ne figurent pas sur le site du BODACC. Pour les procédures collectives ouvertes antérieurement à cette date, et qui ne seraient pas encore clôturées, le notaire doit contacter la Direction de l’information légale et administrative (DILA). En outre, le nouveau dispositif n’est pas sans faille, car l’article R. 621-8 du Code de commerce impose au greffier du tribunal ayant ouvert la procédure collective, de procéder d’office aux publicités dans les quinze jours de la date du jugement. Par conséquent, il existe une zone d’ombre ou « un angle mort »9 neutralisant la visibilité du notaire au-delà des seules déclarations du vendeur et des mentions sur les registres de publicité légale. En l’espèce, la procédure collective a été ouverte suivant jugement prononcé le 2 avril 2008 et l’acte de vente litigieux signé le 11 avril suivant. Ainsi, une courte période de neuf jours séparait ces deux événements ! Reste alors à la cour de renvoi d’apprécier si le notaire avait procédé à la consultation des publicités légales afférentes aux procédures collectives pour décider qu’il a ou non exécuté valablement son devoir de vigilance !
Au final, il semblerait excessif de retenir la responsabilité du notaire dès lors que le délai énoncé à l’article R. 621-8 du Code de commerce n’est pas écoulé.
Pour conclure, le notaire, recevant un acte sur la base de déclarations erronées du vendeur, n’engage sa responsabilité que s’il est établi qu’il disposait d’éléments de nature à faire douter de leur véracité ou de leur exactitude. Cependant, il est tenu de vérifier les déclarations faites par le vendeur, par toutes investigations utiles qui, par leur nature ou leur portée juridique, conditionnent la validité ou l’efficacité de l’acte qu’il dresse, spécialement lorsqu’il existe une publicité légale. L’arrêt du 29 juin 2016 rappelle une solution précédemment énoncée par la Cour de cassation depuis une dizaine d’années. Depuis le 1er janvier 2006, tous les professionnels indépendants sont éligibles aux procédures collectives. Par conséquent, il est recommandé aux notaires, préalablement à la signature d’un acte authentique, de vérifier sur le site du BODACC ou « bodacc.fr », la situation du vendeur.
En pratique, on rappellera ici, le conseil formulé par le professeur Frédéric Vauvillé10 : la généralisation d’une clause selon laquelle le vendeur déclare ne pas être en procédure collective et que cette déclaration a été vérifiée en interrogeant le site du BODACC comme l’atteste l’extrait annexé à l’acte : « X (le client) déclare qu’il n’est pas en sauvegarde, en redressement judiciaire ou en liquidation judiciaire ; vérification en a été faite en interrogeant bodacc.fr, comme en atteste le document ci-après annexé ; le vendeur a été informé qu’en cas de dissimulation d’une telle procédure, le délit pénal de banqueroute, qui réprime le fait d’avoir détourné ou dissimulé tout ou partie de l’actif d’une procédure collective (C. com., art. L. 654-2), serait constitué et les parties ont été informées que si une liquidation judiciaire était dissimulée par le vendeur, la vente pourrait être déclarée inopposable à la procédure collective ».
Notes de bas de pages
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1.
CA Bourges, ch. civ., 5 févr. 2015, n° 13/01155.
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2.
Cagnoli P., « Le notaire, la vente d’immeuble et les procédures collectives : quelques difficultés pratiques », LPA 3 juin 2014, p. 75 et s. ; Brignon B., « Le point sur les réalisations d’actif ou la question de la date de transfert de propriété des actifs », Rev. proc. coll. 2012, étude 22.
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3.
Cass. 1re civ., 8 janv. 2009, n° 07-18780 : Bull. civ. I, n° 1 ; JCP N 2009, 1280, note Vauvillé F. – Cass. 1re civ., 12 mai 2011, n° 10-17602, D : Defrénois flash 30 mai 2011, p. 16 – Cass. 1re civ., 16 oct. 2013, n° 12-24267 : Defrénois 30 janv. 2014, n° 114u4, p. 67, note Vauvillé F. ; Defrénois 28 févr. 2015, n° 118w2, p. 190, note Latina M. ; JCP N 2014, 115, obs. Poumarède M. ; Blanc N., « Le notaire face aux déclarations erronées d’une partie », Gaz. Pal. 15 janv. 2015, n° 208e9, p. 20.
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4.
CA Bourges, ch. civ., 5 févr. 2015, n° 13/01155.
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5.
Cass. 1re civ., 8 janv. 2009, n° 07-18780, préc.
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6.
« Activité des auto-entrepreneurs en 2014 », INSEE Première n° 1615, sept. 2016, rapp. Beziau J., Rousseau S. et Mariotte H. : Defrénois 30 sept. 2016, n° 124k2, p. 962.
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7.
Vauvillé F., « Le notaire face à la procédure collective du professionnel : le réflexe “bodacc.fr” », Defrénois 15 juin 2011, n° 40021, p. 1027.
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8.
Plus spécialement le BODACC édition A, v. www.bodacc.fr, onglet « Mieux connaître le Bodacc ».
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9.
Vauvillé F., « Le notaire face à la procédure collective du professionnel : le réflexe “bodacc.fr” », préc.
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10.
Vauvillé F., « La dissimulation de la procédure collective ou la confirmation du “réflexe bodacc.fr” », Defrénois 30 janv. 2014, n° 114u4, p. 67.