Frédéric Visnovsky : « La situation des entreprises majoritairement favorable en 2022 » !

Publié le 06/02/2023

Après la crise sanitaire de 2020, la reprise économique a été au rendez-vous en France. En 2021, la croissance a atteint 6,8 %. La dynamique s’est poursuivie en 2022, malgré les incertitudes liées aux difficultés d’approvisionnement et à l’inflation sur fond de crise géopolitique en Ukraine. Pourtant, la Banque de France estime une croissance de 2,6 % avec un second semestre où les difficultés se sont concrétisées. En 2023, elle table sur une hausse du PIB de 0,3 %, une inflation à 6 % avec un pic atteint durant l’année. Mais le retour à la normale se fera progressivement en 2024 et 2025. Le médiateur de la Banque de France, Frédéric Visnovsky, reste optimiste. Il fait le point sur les entreprises en difficulté et analyse la conjoncture économique post crise sanitaire. Une situation globalement dynamique et favorable, en ce début d’année 2023.

Actu-Juridique : Globalement, quel bilan faites-vous de la situation des entreprises suite à la crise sanitaire ?

Frédéric Visnovsky : Nous sortons de la crise sanitaire qui a lourdement impacté les trésoreries. Par conséquent, durant cette période, les entreprises ont bénéficié d’un large soutien public en trésorerie. Plus de 240 Mds€ ont été attribués entre la prise en charge des différents coûts avec l’activité partielle, le fonds de solidarité et d’autres dispositifs. Puis, à travers l’endettement, les prêts garantis par l’État (PGE) et les reports des charges fiscales et sociales ont permis de soutenir l’économie. À la sortie de la crise sanitaire, d’après notre analyse sur les sociétés à plus de 750 000 € de chiffre d’affaires, il y a une forte reprise sur les chiffres d’affaires à des niveaux supérieurs par rapport à l’avant crise. Nous avons le même constat pour les excédents bruts d’exploitation. Puis, le niveau d’endettement a été maîtrisé. En 2020, l’endettement brut a augmenté de 218 Mds€. Mais il a été compensé par une hausse de la trésorerie de 204 Mds€. L’endettement net en 2020 atteint donc 14 Mds€. Le phénomène est le même en 2021. L’endettement brut a augmenté de 50 Mds€ compensé par une hausse de 23 Mds€ de la trésorerie soit un endettement net de 27 Mds€. En 2021, la situation financière des entreprises était plutôt bonne avec notamment des marges qui ont augmenté à un niveau historiquement élevé avec un taux qui a atteint les 34 %.

Actu-Juridique : Comment s’est déroulée l’année 2022 pour les entreprises ?

Frédéric Visnovsky : En 2022, la dynamique s’est poursuivie. Le prolongement de la reprise d’activité après la crise sanitaire s’est ensuite heurté au deuxième semestre 2022 au choc énergétique lié à la crise en Ukraine. Les entreprises ont connu une baisse et une réduction d’activité sur les six derniers mois de l’année. Le taux de croissance sur l’année 2022 devrait se situer à 2,6 %, selon nos estimations. Nous retrouvons cette dynamique au niveau des entreprises. Les difficultés d’approvisionnement ont été significatives avant même le déclenchement de la crise en Ukraine. Aujourd’hui, la situation s’est détendue. Dans notre dernière enquête de conjoncture, nous observons un recul de ces difficultés même s’il y a toujours cette problématique structurelle concernant les recrutements. Mais les carnets de commandes sont bien garnis. La reconstitution des stocks est réalisée avec des valeurs plus élevées, ce qui entraîne des besoins de financement plus important. Finalement, l’activité s’est maintenue, même si elle s’est réduite. Les sociétés ont été résilientes et résistantes notamment grâce au soutien de l’État. La situation des entreprises a été majoritairement favorable en 2022.

Actu-Juridique : Quels sont les signes de cette dynamique et de la résistance des sociétés sur l’année 2022 ?

Frédéric Visnovsky : Nous pouvons observer le dynamisme des entreprises en 2022 notamment en regardant le crédit. Par rapport au chiffre du mois d’octobre, l’endettement net a augmenté de 85 Mds€ sur l’année. L’endettement brut a connu une hausse de 65 Mds€ et la trésorerie une baisse de 20 Mds€. Il y a une consommation de la trésorerie à travers le remboursement des PGE et de dettes fiscales et sociales. Puis, il y a aussi l’augmentation du financement du besoin en fonds de roulement. Les carnets de commandes se remplissent. Les stocks valent plus chers à cause de l’inflation. Il y a donc un impact sur les perspectives de trésorerie des entreprises. Mais, la dynamique d’endettement demeure, en dehors des aides de l’État. Il y a donc une forte croissance du crédit bancaire. C’est la conjonction de deux phénomènes. D’après nos statistiques sur le financement, le basculement de l’endettement de marché vers le bancaire se poursuit pour les grandes entreprises et les ETI. Puis, les entreprises craignent aussi la hausse des taux d’intérêt. Elles réalisent donc des emprunts d’anticipation. Le crédit d’investissement maintien une certaine dynamique avec une hausse de 10 %. Le crédit de trésorerie est aussi en hausse pour financer les stocks. Ces statistiques datent de septembre 2022. Il n’y a donc pas de difficultés d’accès au crédit. Enfin, d’après la dernière enquête de conjoncture, la perception des incertitudes par les entreprises se réduit. Elles ont une meilleure visibilité aujourd’hui notamment sur les prix de l’énergie, qui commencent à baisser au niveau international.

Actu-Juridique : Selon vous, quelles sont les perspectives pour l’année 2023 ?

Frédéric Visnovsky : Les perspectives 2023 sont beaucoup plus difficiles. La conjoncture va être plus compliquée même si nous restons sur une prévision positive. D’après nos estimations, la croissance sera faible à hauteur de 0,3 %. La reprise se fera en 2024. Le niveau de l’inflation reste élevé. Nous prévoyons 6 % sur l’année 2023. Le pic sera atteint en 2023 et la baisse sera progressive en 2024 et en 2025 pour revenir à l’objectif de 2 % en 2025. Les mesures de politique monétaire agissent de deux manières avec l’augmentation des taux et en agissant sur la prévision des acteurs économiques. Depuis trois trimestres, nous suivons l’anticipation des dirigeants d’entreprise. À l’heure actuelle, les sociétés anticipent une baisse de l’inflation. Les hausses de salaire sont à hauteur de 5 % ce qui est inférieur au niveau de l’inflation. Il n’y a pas de spirale et l’objectif de la politique monétaire est d’ancrer une inflation à 2 %.

Actu-Juridique : Quelle est la situation concernant le remboursement des prêts garantis par l’État ?

Frédéric Visnovsky : Il n’y a pas de problématique particulière concernant les remboursements du PGE. Il y a quelques difficultés qui restent très limitées. L’accès au crédit reste dynamique. Les dossiers de médiation sont extrêmement faibles. Nous sommes revenus à des niveaux d’avant crise. Aujourd’hui, les entreprises ont la possibilité de demander un PGE résilience. Le PGE lié à la crise sanitaire s’est arrêté au 30 juin 2022. Mais le dispositif actuel reste assez marginal. Il a été maintenu dans la loi n° 2022-1726 du 30 décembre 2022 de finances de 2023 comme un outil complémentaire et ciblé pour soutenir les entreprises en difficulté. Concernant les PGE attribués durant la crise sanitaire, 90 % des bénéficiaires étaient des très petites entreprises pour des montants inférieurs à 50 000 € pour la majorité. Pour l’essentiel, ils ont été accordés en 2020. La majorité des PGE est donc déjà remboursée ou en cours de remboursement. Dans les statistiques, la plupart des recouvrements se passent bien. Il n’y a pas d’alerte au niveau des réseaux bancaires. Les entreprises préfèrent d’ailleurs rembourser quitte à éventuellement réduire leur niveau d’activité et leurs perspectives. C’est un facteur qui pourrait expliquer la moindre croissance de 2023. Nous continuons à suivre. Effectivement, les entreprises ont commencé à rembourser mais il faut s’assurer que la baisse d’activité de 2023 ne va pas se traduire par des difficultés. Nous devons donc maintenir les dispositifs d’accompagnement mais de manière plus ciblée.

Actu-Juridique : Quelles sont les entreprises qui ont connu des difficultés ces derniers mois ?

Frédéric Visnovsky : Il y a principalement deux secteurs d’activité touchés par des difficultés : la construction et l’hébergement et restauration. Le domaine du bâtiment rencontre un ensemble de problématiques. D’abord, il y a l’impact sur l’approvisionnement en matière première, qui pose des problèmes sur les contrats et l’activité. Il y a aussi les difficultés de recrutement qui sont récurrentes. Puis, le secteur de l’hébergement et de la restauration a beaucoup souffert pendant la crise sanitaire. La reprise a été forte sur 2022 mais ce domaine d’activité a perdu près de 200 000 emplois et rencontre des difficultés. Dans les restructurations de PGE, les sociétés du bâtiment, de l’hébergement et de la restauration représentent donc une part importante.

Actu-Juridique : En 2022, il y a eu plus 40 000 défaillances d’entreprises. Votre regard sur cette donnée ?

Frédéric Visnovsky : Globalement, nous restons sur une dynamique positive des créations nettes d’entreprises et d’emploi. En 2022, il y a plus d’un million de créations d’entreprises et nous avons 900 000 emplois salariés de plus fin 2022 par rapport à fin 2019. À l’intérieur de cette dynamique, il y a une reprise progressive des défaillances d’entreprise avec un retour à la normale avec de nombreuses radiations. Nous ne sommes pas encore revenus au niveau d’avant crise. Puis, en termes d’impact emploi des défaillances, il se situe à plus de 115 000 emplois en 2022, d’après les chiffres du Conseil national des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires. C’est un niveau équivalent à 2019. Nous retrouvons des entreprises impactées par la crise sanitaire et le changement de mode de consommation. Puis la plupart de ces sociétés avaient connu une reprise. La période de la crise sanitaire n’a pas permis une reprise imaginée par les repreneurs. L’impact sur l’emploi est donc plus significatif du fait de ce phénomène.

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