La portabilité des garanties de prévoyance et de frais de santé à l’égard des salariés d’entreprises en liquidation judiciaire : état des lieux et lueur d’espoir pour les assureurs ?

Publié le 15/09/2023
La portabilité des garanties de prévoyance et de frais de santé à l’égard des salariés d’entreprises en liquidation judiciaire : état des lieux et lueur d’espoir pour les assureurs ?
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Saisie de la question récurrente de l’application de la portabilité prévue par l’article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale au sein d’une entreprise en liquidation judiciaire, la cour d’appel de Paris se prononce, pour la première fois, en faveur des assureurs.

CA Paris, 3 avr. 2023, no 21/03429

Un employeur a souscrit deux contrats collectifs auprès d’une institution de prévoyance afin de couvrir son personnel contre le risque de frais de santé. L’employeur est placé en redressement puis en liquidation judiciaire. Les salariés de l’entreprise ont été licenciés pour motif économique et le liquidateur judiciaire a demandé à l’assureur la poursuite des contrats de frais de santé en cours dans le cadre de la portabilité prévue par l’article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale. Les salariés licenciés ont bénéficié de la portabilité pendant quelques mois puis l’assureur a résilié les contrats collectifs à leur échéance annuelle en application de l’article L. 932-12 du même code.

Le liquidateur judiciaire a contesté la résiliation des contrats devant le tribunal de commerce en sollicitant la condamnation de l’assureur à poursuivre l’application de la portabilité des frais de santé. Il considérait que, la portabilité étant d’ordre public, elle ne pouvait pas être mise en cause par une rupture contractuelle effectuée postérieurement à la naissance du droit des salariés, marquée par la notification de leur licenciement. Pour le liquidateur, la résiliation notifiée par l’assureur postérieurement à la notification des licenciements était donc dépourvue d’effet et l’assureur aurait dû continuer à couvrir le personnel licencié. Le tribunal a fait droit à son argumentation et condamné l’assureur à rétablir la portabilité des garanties de frais de santé.

Le feuilleton du maintien de la portabilité des garanties de protection sociale complémentaire aux salariés des entreprises en liquidation judiciaire connaît un nouveau rebondissement avec l’arrêt de la cour d’appel de Paris du 3 avril 2023.

Contrairement au tribunal de commerce, la cour d’appel juge opposable au liquidateur judiciaire la résiliation des contrats collectifs de frais de santé souscrits par l’entreprise auprès d’un assureur, sur le fondement de l’article L. 932-12 du Code de la sécurité sociale, qui encadre la résiliation des contrats de protection sociale complémentaire à leur échéance annuelle.

Elle juge qu’« aucun texte ne prive l’assureur du droit de résilier le contrat au cours de la période de portabilité. L’assureur ne peut pas plus être tenu à garantie au-delà de la date de résiliation » et qu’« il se déduit de la résiliation du contrat que l’assureur se trouve déchargé de toutes les obligations en relation avec le contrat et que le liquidateur de l’assuré ne peut pas lui opposer les garanties précitées devant bénéficier aux salariés licenciés ».

Cette motivation de la chambre 5-10 de la cour d’appel de Paris, spécialisée dans les contrats commerciaux, aussi concise qu’audacieuse, s’oppose à la position adoptée jusque-là par la chambre 4-81, spécialisée en droit des assurances et qui connaît habituellement de tous les litiges de son ressort relatifs à la portabilité. Hasard de la distribution des affaires, celle-ci lui avait échappé et nous offre une décision qui paraît fidèle à l’article L. 932-12.

Cette discordance entre deux chambres de la cour d’appel de Paris est très symbolique des deux visions qui s’affrontent depuis plusieurs années sur un sujet certes technique, mais dont les conséquences sociales sont relativement sensibles.

I – La problématique : la portabilité, un droit non financé dans les entreprises en liquidation judiciaire

L’article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale garantit au salarié dont le contrat de travail est rompu et qui justifie de sa prise en charge par l’assurance chômage le droit de bénéficier, pendant 12 mois à compter de la cessation de son contrat de travail, du maintien de la couverture prévoyance et frais de santé en vigueur dans son entreprise.

Le maintien des garanties, qui est gratuit pour l’ancien salarié mais pas pour l’employeur qui ne tient, lui, aucun droit de l’article L. 911-8, est financé depuis la loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 grâce à une mutualisation des cotisations entre l’employeur et les salariés actifs.

La question du financement de la portabilité ne pose en général aucune difficulté dans les entreprises in bonis. Elle devient épineuse lorsque l’entreprise est placée en liquidation judiciaire et que plus aucun salarié ne subsiste à l’effectif par suite de leur licenciement pour motif économique.

Dans cette hypothèse, le contrat d’assurance, s’il n’est pas résilié, ne produit plus de cotisations. Pour autant, la Cour de cassation, dans une série de cinq avis du 6 novembre 20172, considère que les salariés licenciés par ces entreprises ont bien droit, eux, à la portabilité, qui est d’ordre public. Et, en pratique, les liquidateurs judiciaires demandent systématiquement la poursuite des contrats collectifs auprès des assureurs3.

Le législateur semblait avoir anticipé cette problématique en prévoyant le dépôt d’un rapport relatif au financement de la portabilité des salariés d’entreprises en liquidation judiciaire mais, malheur de notre temps, cette (bonne) intention est restée lettre morte.

Les assureurs, et c’est d’ailleurs ce qu’ils avaient déjà fait valoir devant la Cour de cassation en 2017, se voient ainsi sommer de se conformer à une obligation légale (la portabilité) qui n’est en principe pas la leur puisque l’article L. 911-8 la met à la charge de l’employeur, sans pour autant que le coût de cette mesure ne soit financé, soit par les principaux intéressés (l’employeur défaillant et ses salariés licenciés), soit par un dispositif de solidarité (nationale ou professionnelle par exemple).

II – La solution de conciliation de la Cour de cassation

Pour tenter de concilier l’objectif social (légitime) de maintien d’une couverture santé et prévoyance à des salariés déjà fragilisés par la perte de leur emploi et la préservation des intérêts (tout aussi légitimes) des assureurs qui ont la charge de gérer les provisions constituées par les primes versées par l’ensemble de leurs assurés, la Cour de cassation avait consenti à ouvrir une porte (de sortie) aux assureurs.

Elle avait en effet précisé que, dès lors que les garanties maintenues aux anciens salariés par l’article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale sont celles en vigueur dans l’entreprise, « le maintien des droits implique que le contrat ou l’adhésion liant l’employeur à l’assureur ne soit pas résilié ».

La résiliation du contrat (de prévoyance ou de frais de santé) par l’une des parties (assureur ou employeur) ayant pour conséquence d’entraîner la fin des garanties, elle entraîne nécessairement dans son sillage celles maintenues dans le cadre du dispositif de portabilité, qui ne peut pas survivre à la cessation du contrat qui lui sert de support juridique.

Autrement dit, l’assureur averti de la liquidation judiciaire d’une entreprise assurée pouvait se dégager d’une portabilité non financée en résiliant le contrat collectif.

La Cour de cassation avait enfoncé le clou dans sa note explicative accompagnant sa série d’avis par une conclusion dépourvue d’ambiguïté, selon laquelle « le maintien des garanties, sans être exclu par principe en cas de liquidation judiciaire de l’employeur, aura vocation à s’appliquer de manière limitée. »

On ne pouvait être plus clair sur la portée de son avis…

III – La résistance des juges du fond

Et pourtant, c’était sans compter l’inventivité des liquidateurs judiciaires et des juges du fond, qui ont violemment refermé la porte ouverte par la haute juridiction, en déplaçant le débat judiciaire sur le terrain de la date de la résiliation.

On ne compte plus les décisions de première instance comme d’appel qui considèrent que la condition d’existence de « garanties en vigueur » s’apprécie à la date du jugement d’ouverture de la procédure collective et que la résiliation d’un contrat de prévoyance ou de frais de santé par un assureur n’entraîne la cessation de la portabilité qu’à condition qu’elle soit intervenue avant la notification du licenciement des salariés par le liquidateur judiciaire.

Selon ces décisions, le licenciement étant le fait générateur de la portabilité, l’application de cette dernière ne pourrait plus être remise en cause par une résiliation ultérieure du contrat d’assurance.

Exiger des assureurs que la résiliation des contrats soit antérieure à la notification des licenciements se heurte pourtant à un double obstacle : juridique d’abord, parce que cette condition, qui ne résulte d’aucun texte, est contraire au droit de résiliation unilatérale du contrat d’assurance, qui est tout autant d’ordre public que l’article L. 911-8 du Code de la sécurité sociale ; matériel ensuite, parce qu’il est en pratique quasiment impossible pour un assureur, une fois avisé de la procédure collective, de réagir et notifier la résiliation du contrat avant que le liquidateur ne licencie, dans la foulée du jugement d’ouverture de la liquidation judiciaire, les salariés de l’entreprise encore à l’effectif.

Cette condition se heurte aussi frontalement à l’analyse de la Cour de cassation qui avait clairement indiqué en 2017, toujours dans la notice explicative de ses avis, que « l’article L. 911-8, 3°, du Code de la sécurité sociale prévoit que les garanties maintenues sont celles en vigueur dans l’entreprise, ce qui implique que la couverture dont bénéficient les anciens salariés, identique à celle des salariés actifs”, puisse évoluer à la hausse ou à la baisse en cas de modification des garanties applicables dans l’entreprise mais également cesser en cas de résiliation du contrat collectif non suivie de la souscription d’un nouveau contrat ».

Concrètement, la création prétorienne d’une condition temporelle de la résiliation du contrat de protection sociale complémentaire place – et c’est son but – les assureurs dans l’impossibilité de faire échec à l’application de la portabilité au profit d’anciens salariés d’entreprises en liquidation judiciaire et les contraint à en assumer le coût.

IV – Une solution définitive très attendue par les assureurs comme les mandataires liquidateurs

Les liquidateurs et les juges du fonds avaient pu, un temps, être encouragés dans leur élan par un arrêt de la Cour de cassation du 5 novembre 20204 qui avait semé le doute dans les esprits.

En effet, la Cour était saisie d’un pourvoi dirigé par un assureur contre un arrêt de la cour d’appel de Lyon qui l’avait condamné à appliquer la portabilité aux anciens salariés d’une entreprise en liquidation judiciaire. L’assureur, dont la haute juridiction souligne qu’il ne justifiait pas de la résiliation du contrat de frais de santé en cause, faisait valoir que le maintien des garanties était subordonné à l’existence d’un dispositif assurant le financement du maintien des couvertures santé et prévoyance lorsque l’entreprise souscriptrice est placée en liquidation judiciaire. La Cour de cassation a refusé de suivre cet argument et rejeté le pourvoi au motif que l’article L. 911-8 ne prévoit « aucune condition relative à l’existence d’un dispositif assurant le financement du maintien des couvertures santé et prévoyance ».

Or, il s’avère que, dans sa motivation, la cour d’appel de Lyon avait notamment énoncé le postulat selon lequel l’application de la portabilité serait subordonnée à l’existence et l’application d’un contrat collectif complémentaire au jour où le licenciement du salarié est intervenu.

Certains ont vu dans l’absence de censure de cette motivation une approbation par la Cour de cassation et, par conséquent, la consécration de leur thèse relative à l’antériorité de la résiliation du contrat collectif par rapport à la notification des licenciements, pendant que d’autres ont souligné que ce n’était tout simplement pas la question qui lui était posée5. Et en l’occurrence, la question de la temporalité de la résiliation se posait d’autant moins que de résiliation, il n’y avait point eu !

L’incertitude n’a pas été levée par un second arrêt du 10 mars 20226, dans lequel la Cour de cassation a eu l’occasion de réitérer l’attendu de principe mentionné dans ses avis de 2017 sur la portée de la résiliation du contrat collectif complémentaire quant à la notion de « garanties en vigueur », mais sans aller jusqu’à se prononcer expressément sur sa temporalité.

Dans cette affaire, la Cour de cassation n’était pas saisie directement de la portée de la résiliation du contrat collectif qu’avait pris soin d’opérer l’assureur. Il est vrai que cette résiliation avait été effectuée en application de l’article L. 932-10 du Code de la sécurité sociale dans sa version antérieure à celle, en vigueur aujourd’hui, résultant de l’ordonnance n° 2017-734 du 4 mai 2017, qui autorisait expressément la résiliation du contrat de protection sociale complémentaire, à l’initiative du débiteur ou de l’assureur, dans un délai de trois mois à compter du jugement d’ouverture de la procédure collective.

La temporalité de cette résiliation est plus difficilement critiquable par les liquidateurs judiciaires puisque le texte créait un droit de rupture postérieur à l’ouverture de la procédure collective et pendant une durée couvrant nécessairement la notification des licenciements7.

La question posée à la Cour de cassation était plus précisément de savoir si les cotisations afférentes à la durée de la portabilité que le liquidateur judiciaire avait accepté de payer à l’assureur pour permettre aux salariés licenciés de bénéficier du maintien de leurs garanties pouvaient être qualifiées d’indu et donner lieu à remboursement.

La Cour de cassation a répondu par la négative en approuvant la cour d’appel de Colmar d’avoir jugé que, les garanties ayant pris fin à la date d’effet de la résiliation notifiée par l’assureur8, le liquidateur judiciaire avait librement choisi d’assurer le maintien des garanties de prévoyance et frais de santé dont bénéficiaient les salariés et que sa demande en répétition de l’indu n’était donc pas fondée.

Bien que l’opposabilité de la résiliation notifiée postérieurement aux licenciements ne fût pas l’objet même de sa saisine, la Cour de cassation a cependant dû nécessairement l’apprécier, comme l’a fait la cour d’appel de Colmar, pour qualifier d’indu ou non le paiement effectué par le liquidateur judiciaire et statuer sur le bien-fondé de sa demande de répétition9.

D’ailleurs, elle s’est bien prononcée au visa de ce que le maintien des droits implique que le contrat ou l’adhésion liant l’employeur à l’assureur ne soit pas résilié.

Si l’on ne peut pas tirer de l’arrêt du 10 mars 2022 de conclusions définitives quant à la position que pourrait adopter la Cour de cassation s’agissant de la portée de la résiliation du contrat collectif de protection sociale complémentaire postérieurement à la naissance du droit à la portabilité, l’arrêt du 3 avril 2023 de la cour d’appel de Paris s’inscrit dans un mouvement jurisprudentiel qui, s’il reste encore minoritaire chez les juges du fond, paraît cohérent avec la solution de conciliation dessinée par la haute juridiction depuis 2017, et qu’elle semble vouloir consolider.

Il faudra attendre un prochain arrêt de la haute juridiction pour espérer, à la faveur d’une position claire, mettre fin au tintamarre judiciaire actuel, source d’insécurité tant pour les assureurs que pour les liquidateurs et, bien sûr, les salariés des entreprises en difficulté.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Not. : CA Paris, 30 mars 2022, n° 20/09755 – CA Paris, 28 juin 2022, n° 20/09011.
  • 2.
    Cass. ch. mixte, 6 nov. 2017, nos 17-70011 à 17-70015.
  • 3.
    C. com., art. L. 641-11-1.
  • 4.
    Cass. 2e civ., 5 nov. 2020, n° 19-17164.
  • 5.
    P. Morvan, E. Andréo et M. Favre-Beguet, « La portabilité des garanties collectives après liquidation judiciaire : l’illusion du “quoi qu’il en coûte” », JCP S 2021, n° 1009.
  • 6.
    Cass. 2e civ., 10 mars 2022, n° 20-20898.
  • 7.
    Ce qui n’a pas empêché certaines juridictions de considérer tout de même que le droit de résiliation prévu par l’ancien article L. 932-10 du Code de la sécurité sociale devait être exercé avant la notification des licenciements… Ex. : CA Colmar, 15 nov. 2018, n° 16/02520, avant que cette juridiction ne fasse évoluer sa position, notamment dans la décision qu’a confirmé la Cour de cassation en mars 2022.
  • 8.
    En application de l’article L. 932-10 du Code de la sécurité sociale dans sa version en vigueur jusqu’au 6 mai 2017 ; la faculté de résiliation du contrat à l’initiative du débiteur ou de l’assureur dans les trois mois du jugement d’ouverture de la procédure collective a été abrogée par l’ordonnance n° 2017-734 du 4 mai 2017.
  • 9.
    C. civ., art. 1303 et s.
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