La protection des biens personnels en droit italien

Publié le 31/10/2017

Les outils que le droit italien offre à l’entrepreneur sont très divers et dispersés entre plusieurs lois : droit de la faillite, droit de la famille, droit des sociétés, mais aussi surendettement des particuliers et droit des sûretés. L’évocation des problèmes liés au financement des entreprises requiert une petite introduction juridique et culturelle au droit italien.

Afin de savoir quels sont les outils que la loi italienne offre à l’entrepreneur pour sauvegarder dans la défaillance de l’entreprise ses biens et notamment sa résidence, il convient d’abord d’analyser les règles du droit de la faillite mais aussi ensuite de regarder vers les règles du droit de famille et du droit des sociétés, jusqu’aux procédures réservées au surendettement des particuliers et à la nouvelle discipline des sûretés, avec tous les problèmes liés au financement des entreprises. Mais nous allons commencer par une petite introduction à la fois juridique et culturelle sur notre système.

La discipline italienne du droit de la faillite

En Italie, la discipline des procédures collectives est régie par un texte souvent réformé mais jamais abrogé. Il s’agit du décret royal du 16 mars 1942, n° 267, dédié à la « disciplina del Fallimento, del Concordato preventivo e della Liquidazione Coatta Amministrativa ». Toutefois, les nouveautés expérimentées à l’occasion de l’affaire Parmalat, et notamment l’idée qu’on peut résoudre la défaillance de l’entreprise par un accord entre le débiteur et la majorité des créanciers, ont conduit le législateur à modifier, par plusieurs décrets et lois, le texte de 1942, sans jamais aboutir à une réforme d’ensemble. Donc nous avons eu la loi du 14 mai 2005, n° 80, relative à la réforme de l’action en révocation, au concordat préventif, à l’introduction d’une tutelle légale aux accords extrajudiciaires. Ensuite la loi du 7 août 2012, n° 134, qui introduit un concordat dit « prenotatif », sur la base d’un projet qui peut – c’est nouveau – n’être pas encore fixé lors de la demande, et un concordat par continuation. En juin 2013, le décret-loi n° 69 améliore le régime des nouvelles procédures. Une évolution irrégulière donc, dont, à ce jour, la dernière retouche, qui introduit le « procès télématique », date de juin 2016 : la loi du 30 juin 2016, n° 119. Sauf si intervenait une réforme globale, à la suite en particulier du projet de loi attribuant au gouvernement la délégation législative pour la réforme globale de la discipline de crise des entreprises et de l’insolvabilité (projet approuvé par le Conseil des ministres, le 10 février 2016), jusqu’à présent, le cadre du droit des procédures collectives est encore marqué par le choix du législateur de conserver la base de la loi ancienne de 1942, non abrogée, et sa structure, de sorte que la procédure principale en Italie reste le « Fallimento » (faillite, liquidation judiciaire). Il en résulte que, dans l’esprit des entrepreneurs italiens, la loi sur la faillite est un mécanisme dangereux qu’il vaut mieux éviter, plutôt qu’un outil. Donc pour tenter de sauvegarder la maison dans la crise de l’entreprise, le réflexe général sera de chercher des instruments pour fuir la loi et la faillite.

Les articles 46 et 47 de la loi sur la faillite

Dans le cas d’une entreprise individuelle ou d’une « società di persone » (société de personnes), selon l’article 46 de la loi sur la faillite, le décret royal n° 267/1942, tous les biens du débiteur font partie de l’actif de la liquidation judiciaire consécutive à la faillite. La maison habitée par le failli et sa famille fait assurément partie des actifs à liquider. En application du deuxième alinéa de l’article 47 de la loi sur la faillite, décret royal n° 267/1942, « la maison du failli appartient à la faillite, mais dans la mesure où elle est nécessaire pour l’habitation du failli et de sa famille, elle ne peut pas être distraite de cette utilisation jusqu’à la liquidation des actifs ».

La sauvegarde des biens dans les procédures amiables

Les modifications apportées à la loi de 1942 introduisent, dans le système italien, un ensemble d’outils qui permettent d’éviter la faillite grâce à un accord avec la majorité de créanciers. Dans cette perspective, il faut admettre, au moins en théorie, la possibilité pour le chef d’entreprise de proposer un accord dans lequel la propriété immobilière consacrée à la résidence de sa famille ne serait pas soumise au plan. Toutefois, en pratique, cette hypothèse est limitée aux seuls cas où le chef d’entreprise dispose d’un très large patrimoine ; dans la plupart des cas, la maison familiale représente le bien le plus précieux, sinon le seul, et il est donc indispensable qu’elle soit incluse dans le plan offert aux créanciers pour le règlement amiable du passif.

La procédure réservée au surendettement des particuliers

Même si cela ne concerne pas le droit des entreprises en difficulté, je signalerai rapidement les dispositions relatives à l’endettement du consommateur, prévues par le décret D.L. du 18 octobre 2012, n° 179, converti par la loi 17 décembre 2012, n° 221. Il s’agit d’outils dont le chef d’entreprise ne peut pas se prévaloir, sauf s’il s’agit de dettes absolument indépendantes de son activité, ou s’il s’agit d’une petite entreprise artisanale. En Italie, en effet, si la dimension de l’entreprise est inférieure à la limite fixée par les textes1, elle est exclue du champ d’application de la faillite, et la loi sur le surendettement peut ainsi régir les petites entreprises artisanales. En principe, ces procédures doivent permettre au débiteur d’éviter la cession de la résidence familiale ; toutefois, si le bien immobilier est le seul actif à offrir aux créanciers, il est raisonnable de penser que sa vente sera l’objet du plan de règlement des dettes.

Les mécanismes du droit de famille, le « fondo patrimoniale »

Dans le droit de la famille, il existe un mécanisme dédié à la protection des biens nécessaires à la vie de la famille. Il s’agit du « fondo patrimoniale », régi par les articles de 167 à 171 du Code civil italien ; c’est une institution introduite dans la législation italienne par la réforme du droit de la famille (L. 19 mai 1975, n° 151). Le « fondo patrimoniale » peut être constitué avant ou pendant le mariage par l’un ou les deux conjoints par acte public, ou par un tiers, même par testament ; il a pour objet certains actifs (immobilier, mobilier figurant dans des dossiers publics ou des titres de créance) jugés nécessaires pour répondre aux besoins de la famille. La saisie de l’actif du fonds et de ses fruits ne peut avoir lieu que pour des dettes dont le prêteur savait qu’elles étaient contractées à des fins en rapport direct avec les besoins de la famille. Il convient ici de prêter attention à la réforme issue du décret-loi n° 83 du 27 juin 2015, qui a introduit dans le Code civil, l’article 2929-bis. Le nouvel article prévoit que les biens en principe indisponibles du fond peuvent néanmoins être saisis par un créancier dont la créance est née avant la constitution du fond pourvu que la saisie ait lieu dans l’année de la transcription de l’acte notarié relatif au « fondo patrimoniale ».

En cas de faillite, le liquidateur peut, comme les autres créanciers, arriver à démontrer, par une action paulienne, que le fond est affecté par la fraude du débiteur et demander qu’il ne soit pas opposable à la masse, ce qu’admet la Cour de cassation2.

Les problèmes du crédit hypothécaire

En 2016, le législateur italien a profondément réformé le droit des sûretés, et désormais la réalisation du bien objet du gage peut avoir lieu en dehors du tribunal. Cette solution, intégrée dans le TUB (texte unique bancaire, loi qui en Italie règle l’activité bancaire), a pour origine un double parcours législatif, l’un réservé aux entreprises, mais qui exclut la résidence de l’entrepreneur (TUB, nouvel art. 48-bis), l’autre dédié aux consommateurs, et aux immeubles résidentiels, à la suite de la transposition de la directive n° 2014/17/UE (plus connue en Italie comme la Mortgage Credit Directive), contenu dans le nouvel article 120-quinquiesdecies du TUB. Face à cette réforme du droit des sûretés, le juriste italien se sert d’une distinction élaborée en droit romain ; en principe, l’article 2744 du Code civil déclare nul le pacte commissoire, considéré comme un abus de droit, mais comme l’avait expliqué le juriste Marcianus dans le Digeste, il peut devenir légitime « iusto pretio », si le prix est juste. La condition requise est donc que le bien soit cédé pour une valeur convenable, selon une estimation impartiale, l’excédent éventuel du prix sur la dette devant revenir au débiteur. Toutefois, il n’est pas clairement précisé comment la solution s’applique en cas de procédure collective.

Pour finir, il me paraît essentiel de tenir compte du fait que, en Italie, les moyens directs ou indirects que le législateur offre pour la protection de la résidence de la famille restent inutilisés parce que les entreprises commerciales, pour avoir accès au crédit, doivent accorder des garanties adéquates sur les biens personnels des associés ou de l’entrepreneur. Le seul mécanisme réellement utilisable par le chef d’entreprise pour protéger sa maison est donc d’avoir un patrimoine tel que l’affectation de la maison en garantie devienne inutile, soit que l’entreprise n’ait pas besoin de crédit, soit qu’elle dispose d’autres biens susceptibles de garantir toutes formes de crédit.

Notes de bas de pages

  • 1.
    Selon l’article 1er du décret de 1942, ne sont pas soumis à la faillite les débiteurs qui démontrent qu’ils satisfont aux trois conditions qui suivent :
  • 2.
    a) avoir un actif patrimonial pendant les trois exercices précédents qui ne soit pas supérieur à 300 000 € par an ;
  • 3.
    b) avoir réalisé pendant les trois exercices précédents un chiffre d’affaires brut dont le montant total annuel ne dépasse pas 200 000 € ;
  • 4.
    c) le total de leur passif (exigible et non échu) ne dépasse pas 500 000 €.
  • 5.
    V. Cassazione civile, sez. III, 18 oct. 2011, n° 21494 : La Giustizia Civile, 2013, 5-6, I, 115 – v. aussi Cassazione civile sez. I, 23 mars 2005, n° 6267 : Giust. civ. Mass. 2005, 3. Pour le rapport avec le droit d’habitation du failli, v. Cassazione civile sez. I, Data, 8 août 2013, n° 19029 : Giustizia Civile Massimario 2013.
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