La réforme en cours du droit des entreprises en difficultés : souplesse ou rigidité ?
La directive communautaire du 20 juin 2019 a provoqué un courant de réflexions, propositions, suggestions que le praticien doit connaître. Faut-il réformer en profondeur notre droit des entreprises en difficultés, ou cantonner à un cadre procédural précis les éléments les plus techniques concernant notamment les classes de créanciers ? Au-delà, c’est notre conception même du juge et du rôle des créanciers qui est en cause.
La directive (UE) n° 2019-1023 du Parlement européen et du conseil du 20 juin 2019 relative aux cadres de restructuration préventive à la remise de dettes, aux déchéances et aux mesures à prendre pour augmenter l’efficacité des procédures en matière de restructuration, d’insolvabilité et de remise de dettes n’en finit plus de provoquer des débats et des réflexions dans un contexte de transposition de cette directive initiée par la loi Pacte n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et à la transformation des entreprises.
Rappelons que l’objet de la directive est de contribuer au bon fonctionnement du marché intérieur et de lever les obstacles à l’exercice des libertés fondamentales, comme la libre circulation des capitaux et la liberté d’établissement.
Contrairement à ce qui était envisagé à l’origine, il ne s’agit plus seulement de prévention mais d’une manière générale, de la restructuration d’entreprises en difficultés par différents procédés.
L’idée maîtresse est que la restructuration doit reposer sur un dialogue avec les parties prenantes et qu’il convient d’harmoniser le droit des États membres en ces matières.
Bien entendu, il s’agit d’encourager le traitement plus rapide des difficultés des entreprises en leur permettant d’avoir accès à un cadre de restructuration à un stade précoce.
Le considérant 26 évoque la possibilité d’introduire un test de viabilité qui consisterait à créer une condition d’accès à la procédure de restructuration préventive. Ce test ne devrait cependant pas provoquer de retards injustifiés, ce qui pourrait poser un problème, compte tenu de l’urgence. Ce test est en effet usuellement établi au début de la prévention et non avant.
La prévention suppose une certaine transparence, notamment comptable, et le considérant 27 prévoit que la comptabilité doit être complète, ce qui suppose cependant un contrôle rapide en amont.
Au stade de la prévention, le « débiteur » doit conserver le contrôle de ses actifs et la gestion courante de ses activités (cons. 30). C’est une bonne chose, afin de l’inciter à la demander.
En outre, la suspension temporaire des poursuites individuelles devrait pouvoir être accordée pour favoriser la poursuite de l’activité et préserver la valeur du patrimoine pendant la durée des négociations.
Nous savons qu’en France, la suspension des poursuites est incompatible avec la prévention, du moins d’une manière généralisée même s’il existe à la marge, la possibilité d’imposer des délais aux créanciers récalcitrants par l’intervention d’un juge, ce qui suppose par ailleurs qu’un certain consensus soit trouvé avec les autres créanciers.
Cette suspension des poursuites individuelles pourrait intervenir pour une durée allant jusqu’à 4 mois, ce qui correspond à la durée actuelle de la conciliation non poursuivie à la demande du conciliateur. La durée de 5 mois serait préférable.
Toutefois, cette suspension pose un problème en prévention car la procédure est confidentielle. L’information de l’ensemble des créanciers, à un moment où il convient de ne pas ébruiter les difficultés risque d’aggraver les difficultés.
En l’état, la pratique française est efficace. Elle consiste à réunir les principaux créanciers et à les convaincre qu’ils doivent suspendre l’exigibilité de leurs concours échus, de façon à favoriser la négociation, sans que cela constitue une règle automatique imposée. En pratique, cela fonctionne bien grâce, notamment, à l’intervention de services spécialisés des banques qui acceptent usuellement ce type de suspension volontaire et « jouent le jeu ».
Les CCSF et le CIRI peuvent utiliser cette période transitoire pour favoriser la présentation d’un plan cohérent, ce qui suppose d’accorder un délai pendant la phase de négociation afin de permettre l’élaboration d’un audit établi par un cabinet fiable.
Le considérant 38 prévoit que cette suspension des poursuites individuelles permettrait au débiteur d’être délivré de son obligation de demander l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité ou de subir l’ouverture d’une telle procédure à la demande d’un créancier. Concrètement, cela pose encore la question de la confidentialité de la prévention et du caractère imposé de cette suspension qui devrait être proscrit.
D’une manière générale, la directive paraît peu claire sur ce qui concerne la prévention et les procédures d’insolvabilité, la distinction demeurant floue à bien des égards.
Le choix semble avoir été fait de cantonner les effets de la directive au cadre de la procédure de sauvegarde qui paraît sans doute approprié, dès lors qu’il s’agit d’une procédure publique.
En l’état, il pourrait ainsi être considéré que la prévention française n’a pas à être modifiée sauf à lui accorder des outils supplémentaires et à clarifier la question du critère d’ouverture, ce qui serait sans doute nécessaire.
D’autre part, de nombreuses questions sont posées sur le fonctionnement des classes de créanciers, qu’il s’agisse du nombre de ces classes, de leur composition, de leur subdivision.
Nous savons que la directive pose le principe de la création de ces classes pour permettre un meilleur traitement des créanciers en veillant à ce que chaque classe puisse regrouper des créanciers ayant un intérêt commun, ce qui reviendrait à exclure des situations trop différentes, notamment au niveau des garanties.
Il a été proposé à cet égard plusieurs idées qui risquent de provoquer une complexité peu compatible avec la situation des PME et TPE qu’il conviendrait de distinguer soigneusement de ce régime compliqué, source de litiges et de conflits.
Cette étude d’étape a pour objet de synthétiser quelques questions qui devront trouver réponse dans le cadre de la réforme en cours.
En premier lieu, il serait donc souhaitable de préserver la prévention à la française.
En effet, cette prévention qui fonctionne bien, restera inévitablement cantonnée à un nombre relativement faible d’entreprises (sans doute de 2 000 à 3 000 /an, ce qui est peu), ce qui pose de la question de déterminer rapidement et efficacement l’entreprise éligible.
La question du test « préalable » de viabilité est ici essentielle. Ce test doit-il se situer avant la demande de mandat ad hoc ou de conciliation ou pendant, ce qui correspond plutôt à la pratique actuelle française ?
Il paraît souhaitable de permettre l’ouverture d’un mandat ad hoc et d’une conciliation dans des conditions facilitées pour favoriser le recours à la prévention le plus tôt possible.
L’imposition de conditions préalables complexes risquerait en effet de retarder le début du processus et ne donnerait sans doute pas davantage de garantie.
Cela suppose que l’appréciation d’un état de cessation des paiements de plus ou moins de 45jours soit faite d’une manière souple. En effet, la pratique habituelle consiste à obtenir des principaux créanciers un gel volontaire et librement consenti de leurs créances pendant la durée des négociations, ce qui ne pose pas de problème dans la grande majorité des cas.
Cela suppose qu’un état de cessation des paiements existe antérieurement et qu’il disparaisse à la suite de cette première réunion organisée par le mandataire. Il convient donc de favoriser l’ouverture de cette prévention sans imposer trop de carcans, ni une analyse rigoriste, a priori.
En revanche, s’il n’apparaît pas possible très rapidement (après l’audit) de poursuivre une prévention utile et efficace, la conséquence devrait être que le mandataire ferait un rapport et demanderait qu’il soit mis fin à sa mission. C’est déjà largement ce qui est constaté.
Cela permettrait ainsi d’évacuer les débats actuels sur la cessation des paiements récente ou non alors même qu’il peut advenir que des charges sociales et fiscales ne soient pas payées depuis plusieurs mois, que des créances fournisseurs échues ne soient pas payées depuis plusieurs mois également, sans pour autant que les chances de redressement en prévention soient compromises.
Le critère devrait donc être mieux adapté à la situation.
Il ne s’agit pas en effet de faire un constat statique de la situation au jour de l’ouverture mais de travailler à l’élaboration d’un plan de restructuration efficace, de bien modéliser son coût et sa durée de mise en application et de mesurer la capacité de remboursement compatible ou non avec ce qui peut être acceptable dans le cadre d’une prévention.
À cet égard, les créanciers vont mesurer assez vite leur meilleur intérêt, sans qu’il soit nécessaire de procéder à l’évaluation de la valeur de l’entreprise, comme la directive le propose pendant la phase de restructuration et la procédure d’insolvabilité. L’analyse pragmatique actuelle apparaît donc suffisante.
En revanche, convient-il de favoriser la constitution de classes pendant la période de prévention afin de pouvoir imposer aux créanciers minoritaires de chaque classe ce qui aura été voté ?
En pratique, cela serait sans doute difficile à mettre en œuvre car la procédure doit rester confidentielle. Or l’ensemble des créanciers n’y sont pas conviés. Pour autant, les praticiens souhaiteront une grande souplesse et la possibilité de recourir à des outils différenciés adaptés à toutes les hypothèses.
En outre, la confidentialité de la prévention devrait être mieux protégée après l’ouverture d’une procédure d’insolvabilité car ce qui peut être dit pendant une phase de négociation a nécessairement pour but de rester confidentiel. Cette confidentialité devrait être confortée. Les éléments de la prévention ne devraient pas pouvoir être utilisés contre le débiteur en cas d’échec.
La procédure d’insolvabilité prévue par la directive communautaire devrait être clarifiée en séparant soigneusement les entreprises qui pourront l’appliquer et qui seront nécessairement des entreprises importantes de celles qui n’y seront pas obligées. Le seuil de 20 M€ de chiffres d’affaires et de 150 salariés pourrait être appliqué.
En dessous de ce seuil, le fonctionnement des classes serait d’une complexité redoutable, facteur de délais supplémentaires et de contestations peu compatibles avec les ressources et les capacités d’une PME et a fortiori d’une TPE.
Le débat central est celui du rôle respectif des créanciers et du tribunal. Le droit anglo-saxon s’insère dans le contexte d’un juge faible aux pouvoirs très limités, qui intervient d’une manière supplétive alors que les créanciers prennent le pouvoir, désignent leur représentant qui administrera et/ou liquidera l’entreprise avec la présomption que cette entreprise aura perdu sa valeur et que son ou ses dirigeants sont disqualifiés.
Ce constat ne correspond pas à notre culture qui est celle d’un juge fort et qui doit nécessairement se situer au-dessus de la mêlée avec le pouvoir de rechercher des équilibres en toute impartialité et en toute indépendance. Le procureur joue et devrait continuer à jouer son rôle dans ce cadre, qu’il faudrait préserver.
À cet égard, l’expert désigné par les créanciers n’aurait évidemment aucune indépendance et ce n’est sans doute pas l’intérêt social qui le préoccupera au premier chef, mais simplement la possibilité de mieux réaliser les actifs, c’est-à-dire de démembrer l’entreprise.
Cette approche ne devrait pas être encouragée.
Qu’il s’agisse des litiges sur la constitution des classes de créanciers, de la possibilité d’imposer à des créanciers récalcitrants un plan, comme cela se fait actuellement à l’égard des créanciers, le tribunal doit conserver les plus larges pouvoirs d’appréciation.
C’est au tribunal qu’il appartient de juger s’il s’agit d’un plan de continuation sérieux ou non et c’est à l’aune de la viabilité plausible de l’entreprise qu’il prendra sa décision. Ce n’est pas aux créanciers de faire ce constat ou de procéder à cette appréciation et leur pouvoir ne doit pas être illimité.
L’extrême complexité des classes de crédit ne résout rien : si l’on constate qu’aux États-Unis, les litiges sur l’appartenance à telle ou telle classe peuvent parfois durer plusieurs années y compris avec des incidences pénales, on peut comprendre que ce type de comportement n’est pas compatible avec les exigences impératives d’un traitement rapide de la situation d’une entreprise en difficultés.
Là encore, il importe que le tribunal puisse prendre une décision rapidement, de façon à ne pas paralyser une procédure, ce qui provoquerait la disparition de l’entreprise concernée.
Il faut ajouter que l’administrateur judiciaire aura nécessairement le rôle d’un filtre préalable, comme l’a suggéré Gaël Couturier lors d’une récente conférence1.
Selon ce dernier, quatre classes pourraient être obligatoires, la première concernant les créanciers détenant une garantie, la seconde les créanciers chirographaires non subordonnés, la troisième les créanciers chirographaires subordonnés et la quatrième les actionnaires.
Des sous-catégories pourraient être définies par la pratique d’une manière souple, selon le critère de l’intérêt commun à déterminer au cas par cas.
D’autres approches sont possibles, les créanciers pouvant être classés selon leurs droits et selon les sûretés dont ils disposent, ce qui pourrait provoquer la création d’un grand nombre de classes, ce qui nuirait à la lisibilité et au fonctionnement des négociations.
Certes, le mécanisme de l’application forcée interclasses prévu par la directive permettrait d’aller plus vite, mais là encore, son fonctionnement serait peu aisé en regard du critère de l’appréciation d’une perspective liquidative et de la valeur de l’entreprise.
Là encore, ce critère de la valeur risque d’être un serpent de mer peu facile à manier : une entreprise qui bénéficie ou non d’un accord n’a certes pas la même valeur et une entreprise au bord d’un accord est en situation très précaire. La possibilité de procéder à des évaluations distinctes en regard de la valeur des actifs, des perspectives de croissance, de la capacité de mettre en œuvre un plan de restructuration rapide, de le financer… tout ceci risque de provoquer des débats longs et des contestations qu’il convient de limiter.
La situation des actionnaires pose manifestement un problème : là encore, il convient de procéder à une analyse différente, selon qu’il s’agira de prévention ou d’une procédure d’insolvabilité avérée. À cet égard, les actionnaires doivent pouvoir bénéficier de la possibilité d’être intégrés dans une classe avec un traitement plus compréhensif, s’il s’agit de prévention.
Nous savons en effet que l’avis du débiteur sera nécessaire en prévention et qu’il le sera moins en procédure d’insolvabilité. Doit-on pour autant en tirer la conséquence qu’en redressement judiciaire, un actionnaire a perdu la possession de son entreprise, son accord n’étant plus nécessaire ? Un présupposé hostile ne doit pas permettre de le déposséder, a priori : il faut distinguer l’actionnaire jusqu’au boutiste qui fait capoter une entreprise pour des motifs purement égoïstes, de l’actionnaire constructif et réaliste.
Bien entendu et comme l’indique le considérant 57, les actionnaires ne doivent pas pour autant disposer d’un pouvoir de paralysie qui serait au détriment des intérêts d’une entreprise viable et au détriment de ses créanciers. Là encore, le tribunal doit bénéficier d’un pouvoir d’appréciation et de décision.
Si un accord n’est pas trouvé au niveau des classes de créanciers, doit-on en déduire que la liquidation est automatique ou que le tribunal a tout de même la possibilité d’imposer un plan s’il est sérieux ? Là encore, la prudence consisterait à permettre un traitement au cas par cas, sans imposer de carcan et en faisant confiance aux tribunaux dans leur mission d’apprécier ces situations.
Le considérant 53 prévoit que même si un plan de restructuration ne recueille pas la majorité dans chaque classe concernée, il devrait quand même pouvoir être validé par une autorité judiciaire (ou administrative ?) sur proposition d’un débiteur ou avec l’accord de celui-ci : ce type de raisonnement devrait être favorisé même dans l’hypothèse d’un redressement judiciaire.
À cet égard, le considérant 54 semble indiquer qu’il faudrait au moins le consentement d’une classe de créanciers. Bien entendu, les tribunaux pourront vérifier que les classes dissidentes de créanciers affectés ne seront pas excessivement lésées par le plan proposé.
C’est la tâche d’un tribunal de s’assurer que l’ensemble des parties concernées font l’objet d’un traitement équitable. Ainsi, le tribunal pourrait procéder à une application forcée interclasses même si une ou plusieurs classes de détenteurs de capital font dissidence (cons. 57).
Les travailleurs doivent bénéficier de la protection offerte par le droit du travail, ce qui est en France, largement admis et ce qui est indiqué par le considérant 60. Notre droit paraît suffisamment respectueux du fait de la désignation des représentants des salariés qui ont vocation à assister aux audiences et qui peuvent utilement formuler leur avis (cons. 61).
La mise en place du recours n’ayant pas un effet suspensif pour ne pas affecter un plan de restructuration doit être encouragée (cons. 65). En pratique, la décision d’un tribunal provoque des situations irréversibles, comme cela a pu être constaté dans l’affaire Thomson Technicolor2. Nous savons qu’il existe la possibilité d’indemniser la personne lésée, sans pour autant remettre en cause la décision rendue, qui risque fort d’avoir des effets irréversibles.
La directive est riche et envisage de nombreuses autres hypothèses. En l’état des travaux engagés, il nous a semblé qu’il était utile de se focaliser sur les principales dispositions et sur les débats concernant les arbitrages préalables qui doivent être faits, que ce soit sur la situation d’un juge fort, d’un créancier qui participe à une négociation en limitant son pouvoir de nuisance et à la détermination rapide d’une entreprise viable qui aura pour vocation d’être protégée, si elle démontre une capacité de remboursement acceptable et une pérennité compatible avec ses engagements.
L’objectif est de traiter la difficulté dans un délai de 3 ans maximum et de parvenir à une remise de dette totale, sauf exception correspondant pour l’essentiel à notre droit positif.
Notre droit français devrait pouvoir être facilement adapté à cette directive, mais il faut résister à l’écueil de l’appréhension d’une culture qui n’est pas la nôtre en préservant les valeurs auxquelles les praticiens et les juges français sont attachés.