« Le financement de l’AGS illustre l’engagement des organisations patronales à faire vivre la solidarité collective »

Publié le 16/05/2025

À l’occasion des 50 ans de l’AGS, Antonin Blanckaert, directeur général du régime de garantie des salaires a tenu à revenir sur les raisons de la création d’un tel organisme et sur ses missions. Face à l’augmentation des défaillances d’entreprises, cet organisme est une des meilleures sources d’analyse de la situation économique du pays. Rencontre avec son directeur, qui nous livre un bilan et des perspectives d’avenir pour faire vivre la solidarité collective.

Actu-Juridique : L’AGS a fêté ses 50 ans, pourriez-vous nous rappeler brièvement les missions de l’AGS ?

Antonin Blanckaert : Notre raison d’être est d’offrir un dispositif de soutien au rebond des entreprises et de protéger leurs salariés lorsqu’elles ne peuvent assumer le paiement des sommes qui leur sont dues dans le cadre de leur contrat de travail. Concrètement, lorsqu’une procédure collective est ouverte, nous intervenons pour garantir le paiement des salaires impayés, les indemnités de licenciement et autres créances salariales. Il s’agit d’une avance qui fait l’objet d’une récupération par le régime en fonction des actifs disponibles. Notre rôle est double ; Premièrement, en cas de procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire, aider au rebond de l’entreprise, à la préservation du tissu économique et au maintien de l’emploi. Deuxièmement, en cas de liquidation d’une entreprise, permettre aux salariés de percevoir rapidement les sommes qui leur sont dues pour qu’ils puissent rebondir.

La spécificité de l’AGS est d’être au carrefour de trois univers institutionnels :

  • celui des procédures collectives : c’est dans ce cadre que nous honorons le paiement des salariés dans les meilleurs délais et que nous travaillons à la récupération des fonds versés pour maintenir l’équilibre financier de notre régime.
  • celui du travail : les sommes versées par l’AGS doivent soutenir les salariés dans leur démarche pour retrouver rapidement un emploi. Nous sommes également très mobilisés en matière de gestion des contentieux prud’homaux, pour veiller à l’application équitable des droits des salariés.
  • celui de la protection sociale : nous accompagnons les entreprises en difficulté et leurs salariés. En agissant également de façon concertée dans la lutte contre la fraude sociale, nous apportons notre soutien aux acteurs qui concourent à la solidarité nationale.

AJ : Comment avez-vous vu évoluer le rôle de l’AGS dans les procédures collectives ?

Antonin Blanckaert : Le rôle de l’AGS dans les procédures collectives a considérablement évolué au fil du temps, à la fois en réponse aux grandes crises économiques qui ont jalonné ces 50 dernières années, et à l’évolution du droit des entreprises en difficulté. La professionnalisation croissante des procédures collectives a conduit à une adaptation continue du périmètre de la garantie, dans un cadre juridique de plus en plus complexe : cette évolution n’est d’ailleurs pas sans poser des difficultés par rapport à la soutenabilité du régime. Parallèlement, l’AGS s’est profondément transformée dans son organisation pour assurer une gestion à la fois efficiente, rigoureuse et sécurisée ; lui permettant de rester un acteur central de la protection des salariés.

AJ : Qui gère l’AGS et comment ?

Antonin Blanckaert : L’AGS est un fonds de solidarité interentreprises financé par une cotisation patronale et piloté à ce titre par les organisations patronales. La gouvernance représentée au sein du conseil d’administration fixe les grandes orientations et veille à la bonne gestion. L’association fonctionne avec près de 250 salariés répartis au sein d’une direction nationale basée à Paris et dans 15 centres, qui couvrent la France métropolitaine et les territoires ultramarins.

AJ : Quelles sont les sources de financement de l’AGS ?

Antonin Blanckaert : Le modèle de financement du régime de garantie des salaires est directement le reflet des intentions politiques qui ont présidé à la création de ce fonds de solidarité interentreprises. Il repose pour environ deux tiers sur une cotisation patronale obligatoire, assise sur la masse salariale de l’entreprise. Son montant est fixé par le conseil d’administration de l’AGS, qui s’efforce de concilier le nécessaire équilibre financier du régime et la préservation de la compétitivité des entreprises.

Pour le tiers restant, notre financement repose sur les « récupérations », qui proviennent notamment des entreprises qui se sont redressées, du produit de leur cession ou de la vente de leurs actifs en cas de liquidation judiciaire. Cette seconde source de financement est essentielle pour l’équilibre financier du régime. Elle est surtout centrale pour expliquer son caractère particulièrement protecteur : s’il peut couvrir le champ le plus large de créances salariales et indemnitaires au monde, c’est bien parce qu’une part importante des avances bénéficient d’un rang de créances superprivilégiés. Les sommes versées par l’AGS ont vocation à être au moins partiellement remboursées (il arrive que les actifs disponibles au sein de l’entreprise ne le permettent pas). Sans cette source de financement, le régime ne pourrait couvrir un champ de dépenses aussi large par rapport à nos voisins européens par exemple.

Le financement de l’AGS repose donc sur un système original, qui n’est ni étatique, ni assurantiel et qui illustre l’engagement des organisations patronales à faire vivre la solidarité collective.

AJ : Quels sont les échanges que vous avez avec vos homologues d’autres pays européens, quelles sont les initiatives qui vous semblent transposables en France ?

Antonin Blanckaert : Le régime de garantie des créances salariales français est aujourd’hui le régime le plus protecteur au monde. Il n’existe pas d’équivalent, que ce soit en termes de montant et de nature des créances salariales garanties, de délais de traitement (quelques jours contre plusieurs mois ailleurs en Europe) ou de plafonds de prise en charge. L’AGS a initié, dès le début des années 2000, une démarche d’échanges avec ses homologues européens : fonds de garantie belge, anglais, espagnol, allemand, autrichien, luxembourgeois… Ces échanges ont pour objectif d’étudier le déroulement des procédures collectives du pays et de faire le point sur les compétences respectives de chaque institution afin d’optimiser les modalités de gestion des faillites transnationales. De par notre positionnement, nous souhaitons être moteurs dans les années à venir pour renforcer les échanges avec nos homologues dans un contexte d’évolution de la réglementation européenne sur notre champ d’activité.

AJ : L’année 2025 semble préoccupante d’un point de vue économique, le nombre de défaillance est en hausse, quels sont les secteurs qui vous inquiètent ?

Antonin Blanckaert : Par la nature de son activité, l’AGS collecte un volume important de données, lui offrant une lecture fine des mutations économiques à l’échelle des territoires. Concernant l’analyse de la situation économique, comme en 2024, le début d’année 2025 connaît de nombreuses défaillances d’entreprises. Sur les plus de 66 000 nouvelles défaillances recensées par la Banque de France ces 12 derniers mois, l’AGS en accompagne près de 26 000. Ce sont principalement des entreprises de moins de 10 salariés (chaque année, et ce chiffre est relativement stable dans le temps, ces entreprises représentent 85 % du volume d’affaires que nous traitons). Rien qu’au premier trimestre 2025, l’AGS a soutenu près de 84 000 bénéficiaires et 7 300 nouvelles entreprises (avec une augmentation notable des TPE de 1 à 2 salariés). Cela représente une moyenne hebdomadaire de près de 6 500 bénéficiaires. Nos premières estimations montrent que l’AGS accompagne près de 3 500 d’entre eux chaque semaine à la suite de leur perte d’emploi. Les secteurs qui concentrent actuellement le plus de bénéficiaires de l’AGS sont l’industrie, la construction, les services, le commerce, le transport et l’hébergement-restauration. Dans notre dernier numéro des Chiffres AGS, Thierry Millon, directeur des études d’Altares analyse que, globalement, les activités orientées vers les consommateurs ont pu un peu souffler en ce début d’année 2025. C’est ce que confirment nos chiffres, qui indiquent que malgré un nombre de bénéficiaires qui reste élevé, les secteurs du commerce ou encore les métiers de bouche semblent se stabiliser. A contrario, les services aux entreprises sont à la peine. On observe une augmentation de + 13 % des bénéficiaires AGS dans le secteur des services aux entreprises, mais aussi une forte augmentation dans les secteurs des transports et de l’entreposage.

AJ : Existe-t-il des disparités en fonction du secteur économique et régional dans l’intervention de l’AGS sur le territoire ?

Antonin Blanckaert : On observe des disparités régionales qui peuvent s’expliquer par la spécificité des tissus économiques ou la dynamique démographique. L’Île-de-France, première région économique de France, concentre le plus grand nombre de bénéficiaires accompagnés, de nombre d’affaires ouvertes et de montants avancés par l’AGS. De manière générale les grandes métropoles sont des zones à forte densité de TPE/PME dans les secteurs précaires, exposés à des risques multiples (loyers, coûts fixes, concurrence accrue). Les régions plus rurales concentrent également des fragilités (moins d’accès au financement, moins dynamiques, etc.). Les régions dans lesquelles les secteurs d’activité les plus exposés occupent une place importante souffrent davantage que les autres car souvent plus sensibles aux chocs économiques qui peuvent impacter les coûts de production, la consommation, le retournement des cycles d’investissements. D’autres éléments entrent également en considération : impact Covid ou hausse des taux d’intérêt, par exemple.

AJ : Les tribunaux de commerce mettent de plus en plus en place de dispositifs pour prévenir les défaillances, travaillez-vous en relation directe avec les TC, si oui comment ?

Antonin Blanckaert : Bien sûr ! Les tribunaux de commerce sont pour l’AGS des partenaires essentiels. En amont, ils peuvent avoir un rôle de conseil aux entreprises en difficulté et les orienter vers les solutions les plus adaptées. L’AGS a par exemple signé récemment une convention de partenariat avec les mandataires judiciaires sous l’égide du Tribunal des affaires économiques de Lyon. Elle a pour but de renforcer et expérimenter de bonnes pratiques de collaboration dans la procédure collective. L’objectif est d’améliorer les processus et la collaboration entre tous les acteurs du Tribunal des Affaires économiques de Lyon afin d’accélérer le traitement des demandes d’avances pour les bénéficiaires de la garantie AGS. Notre ancrage territorial est un marqueur fort de notre organisation et nous souhaitons développer avec les tribunaux de commerce des relations toujours plus étroites pour participer au maintien du tissu économique et à la préservation de l’emploi, c’est au cœur de notre ADN et c’est une manière de s’adapter au mieux aux spécificités des territoires.

Par ailleurs, l’AGS et le CNAJMJ ont signé un « Pacte d’avenir au service des entreprises en difficulté », avec pour objectif notamment, d’engager un nouveau cycle de réflexion sur des thématiques structurant la relation partenariale entre les professionnels des procédures collectives et l’AGS, en traçant les contours d’un dialogue constructif et exigeant. Le « Pacte d’avenir au service des entreprises en difficulté » formalise les engagements partagés suivants :

  • Optimiser l’intervention de chaque acteur dans les différents stades de procédures collectives, en simplifiant les interventions financières et en s’assurant de l’efficience et de la pérennité du modèle français de soutien aux difficultés des entreprises ;
  • Explorer de nouveaux domaines d’interventions croisées pour favoriser la résolution amiable des contentieux et de lutte contre la fraude ;
  • Accroître les exigences partagées en termes de transparence sur les interventions ;
  • Engager une approche coordonnée dans la rénovation des systèmes d’information, afin notamment de s’assurer de l’interopérabilité des systèmes d’échange de données et de mobiliser les potentialités du big data au service du soutien aux entreprises ;
  • Renforcer, vis-à-vis des entreprises et des salariés, la lisibilité du système français d’accompagnement des défaillances d’entreprises, en s’attachant à mesurer son efficacité et à mettre en place des mécanismes d’amélioration continue des processus de gestion.

Nous nous attachons également à nouer des partenariats avec d’autres interlocuteurs de l’écosystème des procédures collectives (les greffiers en particulier) pour accompagner au mieux les entreprises et leurs salariés. C’est dans ce même esprit que nous développons nos relations avec l’ensemble des acteurs qui aident à la création et au soutien des entreprises (CCI, acteurs associatifs, les métiers du droit et du chiffre, etc.).

AJ : 50 ans c’est l’âge de la maturité, quels sont les nouveaux défis que va devoir relever l’AGS ?

Antonin Blanckaert : L’AGS est autonome et exerce en propre l’ensemble de ses prérogatives depuis janvier 2024. Nous avons saisi cette opportunité pour lancer un vaste chantier de transformation du régime afin de renforcer notre rôle de conseil et d’accompagnateur des mutations économiques. Il s’agit bien sûr de travailler à renforcer la qualité de service pour mener à bien nos missions, ce que nous nous sommes collectivement attaché à faire depuis 50 ans, mais aussi et surtout de porter des ambitions nouvelles pour mieux comprendre, prévenir et accompagner le rebond des entreprises. Cette priorité est au cœur du cadre des priorités stratégiques qui ont été fixées par le conseil d’administration de l’AGS et par son président, Christian Nibourel.

Parmi les chantiers de modernisation du régime d’ores et déjà engagés, outre la rénovation de nos applicatifs de gestion, nous avons lancé un projet de refonte de notre site internet. Celui-ci est amené à devenir dans les prochaines années un portail de services mis à disposition des entreprises, des salariés mais également de nos partenaires. L’objectif ? Mettre en avant des solutions digitales intuitives et innovantes (en mobilisant l’IA notamment), avec des parcours utilisateurs simplifiés qui nous mettent en capacité de développer notre rôle de conseil et d’accompagnement. Par ailleurs, nous collectons aujourd’hui des données très précises sur les procédures collectives, avec une forte granularité d’analyse en fonction de la taille d’entreprise, du secteur d’activité ou encore de la zone géographique. Sur cette base nous travaillons avec différents partenaires au développement d’outils (Business Intelligence, Data Analytics, Data Science) permettant de mieux analyser, et donc mieux anticiper les mutations économiques.

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