Le sort des garanties d’exécution de l’accord de conciliation caduc
La Cour de cassation décide que les garanties constituées dans le cadre d’un accord de conciliation ne survivent pas à la caducité de cet accord provoquée par l’ouverture d’une procédure collective du débiteur.
Cass. com., 25 sept. 2019, no 18-15655
L’échec d’un accord de conciliation se dénoue généralement par l’ouverture d’une procédure collective à la demande du débiteur en quête d’une nouvelle protection face au risque d’exécution forcée du protocole par un créancier.
L’article L. 611-12 du Code de commerce prévoit alors que l’ouverture d’une procédure collective met « fin de plein droit à l’accord » de conciliation tandis que « les créanciers recouvrent l’intégralité de leurs créances et sûretés, déduction faite des sommes perçues, sans préjudice des dispositions prévues à l’article L. 611-11 ».
Cette restitution aux créanciers de leur créance primitive en cas d’échec de la restructuration est un principe bien connu en droit des procédures collectives et applicable hier lors de la résolution du concordat1 et désormais lors de la résolution du plan de continuation2.
L’expression mettre « fin de plein droit à l’accord » est en revanche plus incertaine.
Un arrêt important vient de dévoiler l’étendue des effets extinctifs qu’il faut attacher à cette formule.
En l’espèce, une société recourt à trois financements dont deux garantis par cautionnement du dirigeant à hauteur d’un certain plafond. Ultérieurement, à l’occasion d’une procédure de conciliation de la société, le prêteur remet partiellement ses créances en sollicitant en contrepartie une augmentation du plafond des cautionnements. L’accord de conciliation est alors homologué. Quelques années plus tard, son inexécution débouche sur l’ouverture d’une procédure collective.
Un litige naît sur l’étendue des engagements de la caution. Le garant prétend être tenu à hauteur de ses obligations initiales et excipe l’anéantissement de l’accord de conciliation pour remettre en cause la validité de ses nouveaux engagements qui y sont scellés. En réponse, le prêteur limite strictement les effets de l’extinction de l’accord de conciliation à la suppression de ses remises de dette sans que les garanties qui y sont contenues ne soient affectées.
La garantie conclue dans un accord de conciliation en cours d’exécution est-elle remise en cause par l’ouverture d’une procédure collective ?
Il est tentant de répondre par la négative. L’inverse aboutirait à supprimer la sûreté lors de la réalisation du risque qu’elle garantit. Les mécanismes de garantie destinés à sécuriser l’exécution d’une restructuration n’ont a priori jamais été annulés par l’échec de celle-ci.
La résolution du concordat issu de la loi de 1967, contrat de droit commun3, s’accompagnait d’un maintien tant des garanties personnelles destinées à en garantir la bonne exécution4 que des garanties réelles inscrites au bénéfice de la masse5. Le principe fut reconduit sous la loi de 1985 pour le plan de redressement6 et les travaux préparatoires de la loi de sauvegarde des entreprises entourant le régime de l’échec de l’accord de conciliation n’annoncèrent pas de réel changement par rapport aux solutions retenues jusqu’alors en procédure collective7.
Doctrine et jurisprudence recouraient à la notion de caducité pour qualifier l’accord de restructuration qui « ni annulé ni résolu est devenu inexécutable en fait et en droit »8 en raison de la procédure collective ouverte à l’égard du débiteur9.
À nouveau, la notion de caducité10 est reprise par les hauts magistrats dans leur décision du 25 septembre 2019 pour qualifier le mécanisme anéantissant l’accord de conciliation du fait de l’ouverture d’une procédure collective11.
Les similitudes de la décision commentée avec les repères historiques s’arrêtent toutefois à ce stade.
Déjà pour les juges du fond, « l’échec du protocole a entraîné la caducité de l’accord dans son intégralité, qu’il s’agisse des abandons de créances comme des engagements de caution qui en étaient l’accessoire. Il convient donc, pour déterminer l’étendue de l’engagement de caution de M.H., de se replacer à l’époque des engagements initiaux (…) sans que l’appelante puisse opposer les stipulations contraires des avenants devenus caducs »12.
Rejetant le pourvoi du prêteur, la Cour de cassation confirme que le créancier « ne conserve pas le bénéfice des nouvelles sûretés obtenues dans le cadre de l’accord ».
Peu importe les aménagements contractuels des parties, « l’échec de cet accord a entraîné la caducité de celui-ci dans son intégralité, qu’il s’agisse des abandons de créances comme des engagements de caution (…) sans que la banque puisse opposer les stipulations contraires des engagements (…) devenus caducs ».
Pour justifier sa décision, la haute juridiction insiste sur la nature de contrepartie que revêtent les engagements de caution face aux abandons de créance supprimés automatiquement par l’article L. 611-12 du Code de commerce. Cette interdépendance visée par les hauts magistrats permet de limiter la portée de l’arrêt aux sûretés constituées en garantie de la « old money » préservant ainsi la sûreté conclue pour sécuriser un nouveau concours en complément du privilège légal de la « new money ».
Il n’en demeure pas moins que la solution diminue l’attractivité de la conciliation pour le créancier et offre une nouvelle carte aux actionnaires dans le jeu des restructurations financières. Loin d’être l’apanage des seuls établissements bancaires, l’obtention d’une garantie en contrepartie de remises ou délais constitue également une exigence classique des créanciers publics réunis à la CCSF. Désormais il est acté qu’un créancier ne pourra plus profiter d’une procédure de conciliation pour renforcer son niveau de garantie en contrepartie de ses sacrifices.
La solution des hauts magistrats est fondée sur le lien entre les abandons de créance et l’engagement de caution. Si les premiers disparaissent, le second qui en était la contrepartie doit suivre le même sort.
À suivre ce raisonnement, le dirigeant caution peut désormais se désengager librement de la sûreté contractée en sollicitant l’ouverture d’une procédure collective dont on sait que les mobiles de la demande ne sont pas examinés par la juridiction d’ouverture. La consolation est maigre pour le créancier dont la restitution de l’intégralité des droits doit être rapprochée de la provision comptable immédiate à enregistrer du fait de l’ouverture de la procédure collective.
Par ailleurs, considérer que la contrepartie de la garantie a disparu est contestable. En acceptant de ne pas se prévaloir de la déchéance du terme, de ne pas rompre les concours, de renoncer à exécuter ses droits, de remettre et étaler sa créance pour permettre au débiteur de surmonter ses difficultés, le créancier a offert au débiteur une contrepartie qui constituait jusqu’à la réforme de 2016 du droit des obligations, la cause de la caution13. Prétendre que cette contrepartie disparaît en raison de la renaissance intégrale des droits du créancier, c’est oublier que le débiteur a réellement bénéficié des mesures consenties par le créancier jusqu’à l’ouverture de la procédure collective. Ce temps écoulé ne peut être effacé.
Il n’aurait pas été incohérent de décider le maintien des sûretés malgré la caducité de l’accord de conciliation tout en laissant à l’œuvre le droit commun et donc le jeu des nullités de la période suspecte14, l’exercice d’une action en annulation des garanties excessives15 ou encore d’une action en fraude à l’homologation de la conciliation16.
Un contournement de l’arrêt du 25 septembre 2019 est à craindre. La constitution de garantie hors conciliation ou le recours plus systématique aux prêts de refinancement plutôt qu’aux moratoires est à prévoir.
Peut-être faudrait-il abroger la rétroactivité légale relative aux remises de dettes laissant ainsi au seul contrat et aux clauses de divisibilité et d’indivisibilité qui y sont stipulées, le soin de régler le sort de la caducité de l’accord de conciliation.
Notes de bas de pages
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1.
L. n° 67-563, 13 juin. 1967, art L. 77.
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2.
C. com., art. L. 626-27, I.
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3.
« Le concordat, dans sa conception française, est un contrat » (Argenson J. et Toujas G., Règlement judiciaire liquidation des biens et faillites, 4e éd., 1973, Litec, n° 1264).
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4.
« La résolution du concordat ne libère pas les cautions qui sont intervenues pour en garantir l’exécution totale ou partielle. » (L. n° 67-563, 13 juill. 1967, art. L. 75).
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5.
Cass. 27 mars 1935 : D.P 1936, 1, 13. (Il s’agit bien de l’hypothèque de la masse inscrite à l’occasion de l’adoption du concordat au titre de l’article 74 de la loi du 13 juillet 1967 et non celle inscrite dès le jugement déclaratif au titre de l’article 17 de la loi du 13 juillet 1967).
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6.
« Une autre limitation au caractère rétroactif de la résolution du plan concerne les obligations des cautions appelées à intervenir pour garantir l’exécution du plan. Le plan doit mentionner les garanties fournies pour en assurer l’exécution. Ces garanties, au premier rang desquelles figurent les cautionnements que le débiteur a pu obtenir, créent à l’égard des personnes qui les souscrivent, une obligation qui trouve sa raison d’être, précisément, dans l’échec du plan. Aussi la résolution du plan ne saurait libérer la caution qui a accepté d’en garantir l’exécution » (Vallens J.-L., JCP E 1987, 14979, spéc. n° 25). Par ex. : CA Paris, ch. 3, sect. B, 5 juill. 1996, n° 94/9664 .
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7.
« La fin de cet accord s’apparenterait, dans son principe, à une résiliation qui aurait cependant des effets rétroactifs à l’égard des seuls créanciers. La fin de l’accord amiable aurait en effet pour conséquence de faire recouvrer aux créanciers l’intégralité de leurs créances et sûretés » (Rapp. Sénat n° 335, 2004-2005, Hyest J.-J., commission des lois du Sénat).
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8.
Argenson J. et Toujas G., Règlement judiciaire liquidation des biens et faillites, 4e éd., 1973, Litec, n° 1340.
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9.
Les effets de la caducité d’un concordat étaient alignés sur ceux de l’annulation et de la résolution (L. n° 67-563, 13 juill. 1967, art. L. 77).
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10.
Mécanisme désormais défini aux articles 1186 et 1187 du Code civil.
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11.
V. également en ce sens : Saint-Alary-Houin C., Droit des entreprises en difficulté, 10e éd., 1973, Litec, n° 393 ; Lienhard A., Code des procédures collectives, 2012, Dalloz, note sous l’article L. 611-12.
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12.
CA Bordeaux, 4e ch. civ., 12 févr. 2018, n° 15/04101.
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13.
Cass. com., 3 mai 2006, n° 05-11229.
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14.
C. com., art. L. 632-1, 6°.
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15.
C. com., art. L. 650-1.
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16.
C. com., art. L. 631-8, al. 2.